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+221 8542607
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MÉMOIRES
L'ACADÉMIE IMPÉRIALE DE METZ.
Metz. — F, BLANC, imprimeur de l'Académie impériale.
MÉMOIRES
DE
L'ACADÉMIE IMPÉRIALE
DE METZ.
—“{#ÿÿ—
XLIIIe ANNÉE. — 1861-1862.
DEUXIÈME SÉRIE. — X€ ANNÉE.
LETTRES. — SCIENCES. — ARTS. — AGRICULTURE.
METZ.
ROUSSEAU - PALLEZ, LIBRAIRE DE L'ACADÉMIE IMPÉRIALE :
Rue des Cleres, 14.
1862.
391959-B
SÉANCE PUBLIQUE
DE
L'ACADÉMIE IMPÉRIALE
DE METZ,
Du Dimanche 11 Mai 1862.
DISCOURS
PRONONCÉ
PAR M. LECLERC, PRÉSIDENT.
ÉLOGE DU MARÉCHAL DE BELLE-ISLE ”.
Artibus ingenuis augusta sacraria struxit (2).
Messieurs,
Appelé par vos suffrages à l'honneur inattendu de
présider cetle solennilé annuelle, je ne crois pouvoir
mieux faire que vous entretenir de notre illustre fonda-
teur. Il est bien, il est sage, de jeter quelquefois sur le
passé un de ces longs regards qui, en réveillant l'admi-
ralion et la reconnaissance pour les hommes grands et
* Voir les notes à la suite du discours.
9 SÉANCE PUBLIQUE.
utiles, inspirent aux autres, dans la mesure de leurs
ressources et de leurs forces, la noble ambilion de les
imiter. Le bon exemple, parti de haut et de loin, exerce,
au sein des nations, une salutaire influence qu’on ne
saurait méconnaitre, et que les Compagnies comme la
nôtre doivent aviver et entretenir, ainsi que, dans l’an-
cienne Rome, les Vestales avivaieñt et entretenaient le feu
sacré.
Je n’espère rien vous apprendre ; vous connaissez tous
M. de Belle-lsle. Pour écrire son histoire il faudrait des
volumes, et, limité par le temps, je n’ai que quelques
pages à lui consacrer. Dans celte vie si pleine, je ne
m'arrêterai qu'aux faits capitaux ; de celle majestueuse
figure, je ne saisirai que l’ensemble ; d’autres dessineront
le portrait, je me conlenterai de l’esquisse ; puisse-t-elle
ne pas paraître trop indigne de vous!
Un de mes prédécesseurs (3) s'était déjà, sans que je
le susse, acquitté de ce soin pieux ; son œuvre, aussi bien
pensée que bien écrite, a facilité la mienne, mais elle ne
m'y a pas fait renoncer. L'Académie française ne se lasse
point d’entendre l'éloge de Richelieu, et, dans une
Académie voisine, celui de Stanislas reçoit toujours le
plus sympathique et le plus respectueux accueil. Pour-
quoi nous montrerions-nous moins fidèles au culle des
souvenirs ?
Louis (4) Foucquet, comte de Belle-lsle, naquit à
Villefranche, en Rouergue, le 22 septembre 1684. Petit-
fils du surintendant des finances, si fameux par son faste,
ses prodigalités et ses malheurs, 1l ne recueillait point les
immenses richesses dont s’inquiétait Colbert et dont s’of-
—_— 2
DISCOURS DU PRÉSIDENT. 3
fensait le grand roi; de tant de splendeurs il ne lui
restait rien, rien que la crainte d’une disgrâce et le
poids d’une injuste et lointaine solidarité. Que pouvait-il
attendre d'un maître qui maintenail son père, avec une
obstination cruelle, loin de la cour, sans emploi, au fond
d'une obscure province, dans une sorte de misère et
d’exil ? Cette réflexion si simple réagit de bonne heure
sur tous ses actes et il résolut de triompher, par la pa-
tience et par l’étude, des obstacles qu’il allait rencontrer ;
il se promit de ne devoir sa fortune qu’à lui-même el il
tint parole ; et en le voyant plus tard s'élever, s'élever
toujours , ses rivaux se rappclaient l’orgueilleuse devise
de son aïeul, pour répéter entre eux, avec un secrel
dépit : Qu non ascendet ? (5)
C’est que la nature avail merveilleusement doué le
jeune de Belle-Isle; c’est qu’aussi ses aptitudes diverses
rencontrérent bientôt, et presque toujours, l’occasion
de se révéler et de le servir. Ses contemporains les moins
bienveillants lui rendent justice, quand vaincus par
l'évidence, au milieu de critiques injustes et d’insinua-
tions blessantes, ils nous le montrent studieux, actif, infa-
tigable ; d’une intelligence qui s’appliquait à tout; d’une
raison aussi ferme que son imagination était féconde ;
plein de tact et de convenance dans ses démarches, de
mesure et de réserve dans ses discours, de persévérance
et de suite dans ses idées ; insinuant, poli, désireux de
plaire aux grands comme aux petils; respectueux el pré-
venant envers ses supérieurs ; doux, cordial et simple
avec ses égaux ; secourable et bon pour ceux que le ha-
sard de la naissance ou de la fortune plaçaient au-dessous
de lui; oublieux d’unc injure; reconnaissant du moindre
service ; avide de succès el ne ménageant ni ses soins,
ni sa peine, pour les mériter et les obtenir (6).
Chez le jeune de Belle-Isle la personne physique ajou-
4 SÉANCE PUBLIQUE.
tait encore à la valeur morale, en lui donnant ce prestige
de la forme auquel les esprits les plus sérieux se laissent
prendre, avant même que celui qui la posséde ait agi ou
parlé. 11 était d’une taille élevée, bien fait, un peu
maigre, non pas de cette maigreur qui indique la souf-
france, mais de celle qui poélise la matière et provoque
un tendre intérêt. Il avait de la distinction, de l’élé-
gance, quelque chose du gentilhomme dans le maintien,
dans les manières, dans le geste. Ses yeux bleus, grands,
bien fendus, sa bouche moyenne et correctement des-
sinée , son nez légérement retroussé, ses sourcils en arc,
châtains et touffus, son front haut, son teint clair, com-
posaient un ensemble qui, sans êlre la beaulé même,
plaisait, peul-être, davantage par les qualités de l’âme
qu'il laissait pressentir et qu’il semblait refléter (7).
Ce pressentiment et ce reflet n'avaient rien de trom-
peur, les qualités aimables et solides qu’ils promettaient
s'étaient développées dans les conditions les plus favo-
rables, au bienfaisant contact, sous la main et sous le
regard d’un saint évêque d’abord, d’une plus sainte
femme ensuite : Mgr d'Agde, son grand-oncle, Mme Fouc-
quel, sa grand mére ; l’un vivant loin de son diocèse et
privé de ses bénéfices ; l’autre se consolant de sa dé-
chéance par les pratiques de la piélé la plus austère et
distribuant en aumônes ce que la confiscalion ne lui avait
point enlevé (8). Dans ce milieu rigide, où l’avenir appa-
raissait si sombre, où les aiguillons de la gêne succédaient
aux jouissances enivrantes de la grandeur et de la plus
éblouissante prospérilé, un jeune cœur devait prompte-
ment mûrir et recevoir de ces impressions vives et pro-
fondes qui ne s’effacent jamais.
Dieu se plait quelquefois à préparer ainsi les grands
hommes ; il les soumet aux épreuves d’une existence
malaisée et sévère, comme à la meilleure des initiations.
DISCOURS DU PRÉSIDENT. 5)
Si le jeune de Belle-Isle fàt né dans le splendide hôtel
de la surintendance ou sous les lambris dorés du palais
de Vaux (9), il aurait vécu, peut-être, obscur, insigni-
fiant, inutile au pays. La nécessité le plia sous son in-
flexible niveau et le travail s’offrit à lui comme un sau-
veur ; il lui demanda ses ressources, ses délassements et
ses jouissances ; les letires et les sciences, les sciences
mathématiques surtout, se partageaient son temps ; les
livres d'histoire, de politique, de stralégie militaire
avaient pour lui un indicible attrait (10). Aussi se trouva-
t-il prêt lorsqu'il fallut choisir une profession. Le moment
élait solennel : Charles ÎE, roi d’Espagne, vieillard avant
l’âge, venait de mourir à trente-deux ans, sans laisser
de postérité; sous l’énergique pression du conseil de
Castille qui redoutait un partage, malgré ses prédilections
pour l'Autriche et ses antipathies pour la France, au
milieu de mille intrigues, après bien des hésitations et
des refus, de l’avis du pape et des cardinaux, il léguait
sa couronne, comme on légue une métairie, au duc
d'Anjou, petit-fils de Louis XIV; et, en acceptant ce riche
mais dangereux héritage, le roi plus que sexagénaire fai-
sait un dernier appel à ses sujets (14). Il n’en fallait pas
tant pour décider du choix d’une carrière; le jeune de
Belle-Isle préféra celle des armes à toutes autres ; et à
une époque où la noblesse avait l’exorbitant privilège
d'imposer à l’armée ses officiers, où des enfants achelaient
une compagnie, quand ils n’achetaient pas un régiment,
il se soumit sans regrets el sans murmures aux plus mo-
destes débuts.
On le voit simple mousquetaire en 1701, à seize ans;
un peu plus lard capitaine au régiment Royal-Cavalerie ;
en 1706, mestre de camp, c’est-à-dire colonel, d’un régi-
ment de dragons, à l'attaque des lignes de Turin; et c’est
avec le même grade qu’on le retrouve, en 1708, dans la
6 SÉANCE PUBLIQUE.
ville de Lille assiégéce par le prince Engène et défendue
par le maréchal de Boufflers; il y reçut en pleine poi-
trine un coup de feu dont il a souffert toute sa vie (4).
Cette blessure attira sur lui les regards de son chef, qui
le fit nommer brigadier des armées du roi, en dépit de
la redoutable concurrence d’un neveu de Colbert, que
l'ombre du grand ministre semblait aider encore de son
crédit et de sa haine (13).
Louis XIV commençait à aimer M. de Belle-lsle parce
qu'il commençait à le connaître, et lorsqu’anu lendemain
des victoires de Villaciosa et de Denain il put honorable-
ment conclure la paix, il l’envoya à Rasladt, près du
maréchal Villars, chargé d’en arrêter les bases. Devenu,
Sans s'en douter, attaché d’ambassade, il se sentait déjà
assez bien en cour pour se permettre d’annoncer direc-
tement la signature du traité à Mme de Maintenon qui,
effrayée de cetle grande lutte européenne, désirait en
apprendre le terme presque autant que le vieux roi (14).
La fin du grand règne s’annonçait, du reste, à des
signes certains, et elle concourut, plus que loule autre
chose, à ouvrir devant M. de Belle-fsle un vaste et brillant
horizon.
Le régent ne croyait pas, ou croyait peu, à la culpabilité
du surintendant, et y crût-il qu’il se füt bien gardé d'en
punir l’un de ses descendants, surtout quand celui-ci ne
lui marchendait point son concours. |] veuait, bien malgré
lui, à l’instigation de Dubois et poussé à bout par les
menées coupables d’Alberoni, de déclarer la guerre à
l'Espagne; un grand nombre de généraux s’élonnaient
que la France se décidät sitôt à ébranler un trône en-
core mal affermi et qui lui avait coûté tant d'or et de
sang ; ils hésitaient à combattre le petit-fils du feu roi.
Sur ces entrefaites, M. de Belle-Isle se présente au Palais-
Royal : « Serez-vous des nôtres? lui demande le duc
DISCOURS DU PRESIDENT. 7
» d'Orléans; et il s’empresse de répondre : J'acconrais
» prés de Votre Altesse pour lui demander la permission
» de servir sous les ordres de M. le maréchal de Ber-
» wick » (15). L’à-propos de cetie réponse lui valut le
grade de maréchal de camp (16) que justifia sa belle con-
duile au siége de Fontarabie et de Saint-Sébastien.
Autant il avait eu à se louer du Régent, autant il eut
à se plaindre du duc de Bourbon et de Mme de Prie qui
lui firent expier, par une détention injuste, son dévoue-
ment à un ministre malheureux (17). C'était la dernière
et sérieuse entrave qu'il dut rencontrer dans sa longue et
glorieuse carrière. Car il ne sortit de la Bastille que pour
mouler un à un tous les degrés du pouvoir et des hon-
neurs.
Le cardinal de Fleury régnait sous le nom de son pupille:
la bienveillante entremise de la duchesse de Lévis (18),
nièce de sa mère, permit à M. de Belle-Isle de s’approcher
du tout-puissant ministre ; ces deux hommes si divers
d'origine, d'âge, d’habitudes, de caractère, s’entendirent
et se plurent; une véritable intimité s'établit entre eux;
le vieux prêtre ne pouvait se passer du jeune général; il
l’'admettait dans ses conseils; il suivait ses avis dans toutes
les questions importantes ou délicates (19).
C'est ainsi qu’à partir de cetie époque M. de Belle-Isle
prit une part aclive à tous les acles mémorables de la
monarchie. Au commencement de la guerre entreprise
pour rendre à Stanislas le trône de Pologne (20), il marche
l’un des premiers (21); 1l occupe Nancy (22); il s'empare
de Trèves (23); il bombarde et réduit Traërbach (24); il
ouvre la tranchée devant le fort qui couvre le pont de
Philipsbourg (25). Et, à la fin, quand l'Autriche, deux
fois vaincue, demande à traiter, il propose de fiérement
inscrire en lêle des préliminaires la cession de la Lorraine
à la France (26); il triomphe à grand’peine de défaillances
8 SEANCE PUBLIQUE.
aujourd’hui bien connues (27), défaillances séniles, sans
excuse comme sans dignité; et il atiache son nom à
l’une des conquêtes les plus brillantes et les plus utiles
qui aient jamais illustré celui d’un négociateur (28).
La France va se reposer, et si elle rompt trop tôt celte
trêve qui lui permet de refaire ses finances et ses forces,
M. de Belle-Ïsle n’encourra pas du moins le reproche que
l'histoire trompée lui a souvent adressé.
A la mort de l’empereur Charles VI, la pragmatique
sanction assurait à Maric-Thérèse tout l'héritage de son
père; dans le trailé de Vienne, qui lui cédait la Lorraine,
Louis XV l'avait solennellement reconnu et, sous aucun
prétexte, il ne pouvait manquer à sa royale parole.
Ainsi pensait M. de Belle-Isle; pour lui la maison d’Au-
triche n’était plus ce colosse qui inquiétait Henri IV et
Richelieu; il suffi:ait à l'équilibre européen de lui arracher
la couronne impériale. et chose digne de remarque! de
toutes les parties du programme qu’une politique aven-
tureuse fit prévaloir à Versailles, celle-là est la seule qui
ait été complétement remplie (29).
A l'élection dont se préoccupait le corps germanique,
le candidat de la France était Charles-Albert, électeur de
Bavière (30); après lavoir fait, à la tête de nos troupes
victorieuses, proclamer archiduc d'Autriche à Lintz, roi
de Bohême à Prague (31), M. de Belle-Isle reçutla mission
bien autrement difficile de le faire élire empereur à la
diète de Francfort (32); et, par son habileté, sa sagesse
et son zèle, il réussit à ce point que le roi de Prusse,
étonné d’un résultat qu’il désirait, sans oser l’espérer,
s’écria : « Il faut convenir que ce maréchal de Belle-Isle
» est le législateur de l'Allemagne! » (33)
Mais la fortune si rapide du nouvel empercur, à peine
à son apogée, louchait déjà à son déclin. Pendant que
M. de Belle-Isle lui ceignait le front du diadème des Césars,
DISCOURS DU PRÉSIDENT. 9
la reine de Hongrie électrisait les Hongrois, oublieux de
griefs légitimes ; reconquérait, avec leurs hordes indisci-
plinées, ses états héréditaires, reprenait partout l’offen-
sive ; détachait enfin de notre alliance, par l’abandon de
la haute et basse Silésie, la Prusse, le Hanovre, la Hollande,
la Saxe et le Danemarck (34). |
Quand, après le couronnement de Charles-Albert, M. de
Belle-Isle rejoignit ses troupes (35), 1l les trouva assiégées
dans Prague, à moitié détruites par la fatigue, les priva-
tions et la maladie; le découragement était partout, la
confiance nulle part ; les munitions de guerre s’épuisaient ;
la famine menaçait de ses horreurs. À l'aspect de tant de
misère le général se sent ému de pitié; deux fois il
demande à capituler avec les honneurs militaires, et deux
fois l’implacable Marie-Thérèse lui offre des conditions
honteuses qu’il repousse avec l’énergie de l’indignation
et du désespoir. Vainerñent 1l exécute des sorties quoti-
diennes, qui ressemblent à des batailles (36); vainement
le maréchal de Maillebois lui fait entrevoir un prompt
secours (37); une sorte de fatalité referme sur lui des
murailles derrière lesquelles 1l faudra mourir. Prenant
alors une résolution pleine d’audace et de grandeur (38),
« après l’une des plus belles défenses dont parle l’his-
Loire » (39), il médite et opère celte retraite «incroyable »
(40) de Prague à Egra, « son principal titre de gloire, »
au dire des gens du métier (41), puisqu'elle a été comparée
à la retraite des Dix-Mille (42) et qu’en un jour elle le
place au rang des plus illustres capitaines, avec la diffé-
rence des temps, des lieux et des conjonctures, entre
Xénophon et Moreau.
C'était le 46 décembre 4742; la nuit et un brouillard
épais enveloppaient la ville de leurs ombres; le froid
sévissait avec plus de rigueur encore que les jours pré-
cédents, M. de Belle-Isle, auquel la fièvre el une sciatique
2
10 SÉANCE PUBLIQUE.
ne permettent pas de monter à cheval (43), sort de chez
lui en traîneau, il a, à l’avance et dans le plus profond
mystère, tout prévu, tout préparé sur son lit de douleur;
il ne lui reste qu’à juger, par un rapide et dernier coup
d'œil, si ses ordres ont reçu une intelligente et complète
exécution. Quatorze nulle hommes l’attendent sous les
armes; près d’eux trente pièces de campagne et trois cents
voitures chargées de poudre, de projectiles, de bagages
et de vivres, annoncent aux moins clairvoyants une expé-
dition lointaine, mais dont personne ne connaît encore
le but.
Le signal esl donné et tout ce monde, hommes et
choses, s’ébranle lentement, sans désordre et sans bruit.
La configuralion et la nature du pays ne comportent
aucune de ces manœuvres savantes que l’art suggère au
génie et qui diminuent le péril; on ne peut marcher
qu’en une seule colonne, dont la longue file se déroule,
pendant une lieue, sur un sol sillonné de ravins, durci
par la gelée, couvert de neige, de verglas et de glace;
dans ce tissu serré et mobile, on chercherait vainement
le moindre interstice; le corps entier forme cinq divi-
sions qui se suivent sans intervalle et que protègent deux
avant-gardes et une arriére-garde, composées des meil-
leurs soldats, Chacune de ces divisions compte un nombre
égal de fantassins, de cavaliers et d’artilleurs; elles
doivent ainsi pourvoir à leur défense séparée, comme à
la défense générale, et à la moindre alerte, par un mou-
vement à droite ou à gauche, se metre en bataille et faire
face à l'ennemi. Mais l’ennemi trompé, n’apprendra le dé-
part qu’au bout de trente-six heures (44), et ses pandôurs,
ses hulans, ses hussards, lancés au galop, atteindront
seuls pour la harceler, sans cesse, en têle, en flanc, en
queue, cette armée qui s’avance intrépide et calme, sans
se laisser entamer jamais, jusqu’au moment où des mon-
DISCOURS DU PRÉSIDENT. | 41
lagnes inaccessibles la débarrasseront d’assaillants incom-
modes, toujours plus nombreux et le plus souvent tenus
à distance par des coups de fusil et des volées de canon.
A cette extrémité de la plaine, deux routes se présen-
tent et conduisent à Egra; mais le prince Lobkowitz en
a fait rompre tous les ponts et nous surprendrait au
passage d’une rivière si, entre ces deux routes, le général
français n’en avait deviné une troisième, tortueuse,
abrupte, à travers les précipices et les rochers. Nos sol-
dats s’y engagent avec l’entrain de gens qui montent à
l'assaut, et, après dix mortelles étapes, ils aperçoivent
enfin le terme de leur marche plus pénible et plus meur-
trière que le plus sanglant combat.
Honneur à eux! car ils amënent tous leurs canons et
tous leurs drapeaux; ils amènent aussi des prisonniers et
des olages comme font les vainqueurs ; ils ne laissent der-
rière eux que les cendres des caissons et des chariots
brûlés à mesure qu'ils devenaient inutiles, et les sept
ou huit cents victimes nécessaires de la fatigue et du
froid (45).
Par sa sollicitude, par sa prévoyance, par son exemple,
M. de Belle-Isle a sauvé tous les autres et bien mérilé de
la patrie et de ceux qui mesurent l'éloge plus encore à
la grandeur des difficultés qu’à l'importance des résul-
tats (46).
Ce beau fait militaire valut à M. de Belle-Ïsle l’admi-
ration de l’Europe, le titre de prince du Saint-Empire,
l’ordre de la Toison d’or (47) et huit mois de captivité.
Il parcourait l'Allemagne pour y susciter des alliés à la
France; arrêté sur la route de Cassel à Berlin, à un relai
de poste, par un bourgmestre du Hanovre, l'Angleterre,
qui connaissait son activité et son influence, ne craignit
pas de le retenir prisonnier contre toutes les règles du
droit des gens (48); elle le traitait comme autrefois
19 | | SÉANCE PUBLIQUES
Duguesclin, et il aurait pu lui dire ce que le connétable
disait au prince de Galles : «. Votre injustice est un hom-
» mage à ma puissance ; vous me retenez parce que vous
» avez peur de moi » (49).
M. de Belle-Isle reprit sa vaillante épée à l'heure où la
France, maîtresse des Flandres et du Brabant, grâce à
Maurice de Saxe, subissait au midi la honte et les dou-
leurs d’une invasion étrangère; les Autrichiens et les
Piémontais franchissaient les Alpes et dévastaient la Pro-
vence. Le vieux général accourt et va camper au Puget,
à quatre lieues de Toulon que les Anglais assiégent ; il
rassemble les débris dispersés de notre armée ; il rétablit,
entre nos soldats et les soldats espagnols, la concorde un
instant compromise par la mésintelligence de leurs chefs ;
il rend à toas la confiance et l’espoir ; il leur procure
des vivres ; il forme des magasins laborieusement appro-
visionnés; puis, toutes ses mesures étant prises, il se
porte en avant, dans un ordre admirable, surprend les
Autrichiens à Castellane, les culbute partout et les chasse
de poste en poste jusqu’an delà du Var. Mais ce n’est
point assez pour lui d’avoir délivré notre territoire, il a
une revanche plus complète à exiger ; il envahit le comté
de Nice, et, en inspirant au roi de Sardaigne la crainte de
voir tomber du haut des Alpes sur sa capitale sans défense
l'élite de nos troupes, il fait lever le siége de Gênes, notre
fidèle alliée, que Marie-Thérèse voulait punir de sa révolte,
comme si, pour celte grande et noble cité indignement
traitée, la révolte n’était pas le plus légitime des droits
et le plus saint des devoirs! (50)
La paix conclue sous les murs de Maëstrick arrêta
M. de Belle-Isle dans sa marche, et après avoir présidé,
à Nice même, un congrès dans lequel se réglèrent les
restitulions et les reprises de chacun des belligérants, il
remit à la Sardaigne, alors l’alliée de l'Autriche et notre
DISCOURS DU PRÉSIDENT. 43
adversaire, ce riche comté que la Sardaigne, devenue
notre obligée et notre amie, devait, en échange de la
Lombardie conquise par nos armes, offrir à la France un
siècle plus tard (51).
M. de Belle-Isle, qui était duc (52) et maréchal, depuis
le commencement de la guerre, fut, quand elle se ter-
mina, élevé à la pairie (53), et cette faveur en présageail
une dernière plus lourde à porter.
En 1758 (54), trois ans avant sa mort, 1] succéda
comme ministre de la guerre au marquis de Paulmy.
Au milieu de choix souvent déplorables et imposés par
le caprice d’une favorite mobile et passionnée, Louis XV
avait eu cette fois la main heureuse, aussi heureuse
qu’elle pouvait l’être en présence d’extrêmes difficultés.
Le désordre régnait dans toutes les parlies du service;
l’'indiscipline, le luxe, le favoritisme, la vénalité des em-
plois désolaient l’armée ; M. de Belle-Isle sonda toutes
ces plaies d’une main ferme pour en connaître la pro-
fondeur et y appliquer le remède.
Après la regrettable capitulation de Minden, quelques
officiers ayant obtenu des passe-ports pour se rendre à
Paris et y passer l’hiver, il leur intima l'ordre de re-
tourner près de leurs troupes restées prisonnières, afin
de les défendre contre les exigences du vainqueur et de
partager avec elles les tristesses de l'exil (55).
Les officiers n’étaient plus « ces rudes et farouches ba-
» tailleurs du seizième siècle, mais des petits-moîtres
» libertins, légers, insouciants, railleurs » (56); ils se
ruinalent en dépenses folles ; la recherche de leur table,
la fantaisie de leurs costumes, le nombre de leurs do-
mestiques , de leurs maîtresses, de leurs équipages, de
leurs chevaux, faisaient scandale à la ville et surtout en
campagne (57). Une ordonnance, minutieusement et sé-
vérement libellée, mit fin à ces abus qui provoquaient les
44 ‘ SÉANCE PUBLIQUE.
plaisanteries de l’ennemi et insultaient à la misère du
soldat (58).
Les capitaines sollicités par l’appât du gain vendaient
leurs compagnies à chers deniers, et les chefs de corps,
qui entraient le plus souvent en part du bénéfice, encou-
ragealent ces honteux trafics connus sous le nom de
concordais ; les lieutenants sans fortune perdaiïent ainsi
toutes leurs chances à un avancement régulier et se dé-
couragealent. Par une circulaire dont les termes indignés
ne permeltaient pas la désobéissance, les concordats fu-
rent proscrits (59). |
Des ducs, des marquis, des comtes presque au maillot
étaient titulaires des plus beaux régiments, au grand dom-
mage de la dignité humaine et de la hiérarchie militaire
si utile à maintenir. Un règlement nouveau décida que
désormais, pour être colonel, il faudrait avoir servi sept
ans, deux en qualité de lieutenant ou de cornette et cinq
comme capitaine d'infanterie, de cavalerie ou de dra-
gons (60); et dans l’applicalion de ce principe salutaire,
le ministre se montra inflexible; il sut résister aux solli-
citations les plus pressantes de ses amis et de ses frères
d'armes. Un jour l’héritier du trône lui-même s’inclina
devant l'énergie respectueuse de ses scrupules et de ses
refus (61).
De ces hauteurs de l’administration M. de Belle-Isle
descendait volontiers à des intérêts moins généraux; il
séparait les corps du génie et de l'artillerie malencon-
treusement réunis par l’un de ses prédécesseurs, le comte
d’Argenson (62), et réglementait l’un et l’autre (63) ; il
rappelait la maréchaussée à l'esprit de son institution (64);
il introduisait de sages réformes dans les engagements
militaires (65) el la %evée des recrues (66); il modifiait
d’une manière libérale les statuts trop restreints de l’École
militaire (67); il assignait un uniforme aux médecins
DISCOURS DU PRÉSIDENT. 45
attachés aux camps, pour ne plus les confondre avec les
commis de l’armée (68) ; il faisait de l’épaulette le signe
apparent et distinctif de chaque grade d’officier, avec le
pressentiment que celte noble guenille, comme on la nom-
mait alors, improviserait avant peu des héros (69); enfin,
pour clore la série de ses innovations bienfaisantes, par
une mesure qui illustrerail à elle seule un long ministère,
il proposait au roi très-chrétien d’instituer l’ordre du
mérite militaire en faveur des protestants (70).
Voilà, Messieurs, le ministre, le diplomate, le guerrier;
je ne le suivrai pas plus longtemps sur le terrain des
batailles, des ambassades et des améliorations ou des ré-
formes; mon incompétence professionnelle m’y exposerait
à des faux pas, sinon à des chutes, et j'ai hâte, d’ailleurs,
de vous montrer M. de Belle-Ïsle dans son gouvernement
de Metz, et de franchir un peu le seuil de sa vie civile,
privée et domestique. C’est là qu’il se révèle tout entier ;
c'est là aussi qu’il a des droits spéciaux à notre gralitude
et à nos respecls.
IL.
M. de Belle-lsle sollicita-t-1l l’honneur d'exercer une
aulorité presque souveraine dans la province des Trois-
Évéchés ? Je l’ignore; mais il n’y venait point en étran-
ger, en inconnu ; il y retrouvait vivace et honoré le
souvenir de son grand-père s’associant à la pensée de
Richelieu, concourant, en qualité de conseiller, à établir
le Parlêment au milieu de clameurs intéressées et de
résistances violentes, emportant enfin la réputation d’un
magistrat énergique, instruit et habile, quand, en 1636,
il se rendit à Paris où il devint successivement maître
x
16 SÉANCE PUBLIQUE.
des requêtes au Conseil d'état, procureur général au
Parlement, et, pour son malheur el sa ruine, surintendant
des finances (71). Deux grands-oncles de M. de Belle-Isle
avaient aussi appartenu un instant à la magistrature mes-
sine, le premier comme chef du parquet, le second
comme simple conseiller (72). Dans le passé ces trois
personnages lui faisaient corlége, au moment où il pre-
nait possession de son gouvernement, et contribuërent,
peut-être, à rendre toujours agréables, faciles el sûrs ses
rapports avec une compagnie à laquelle le rattachait en-
core son litre de conseiller d'honneur.
Cette cordiale entente, toujours désirée et jusque-là
assez rare, entre le chef militaire de la province et les or-
ganes de la justice, porta biéntôt les plus heureux fruits;
car, si l’un était puissant, les autres disposaient aussi d’un
immense pouvoir, et rien ne féconde les bonnes intentions
autant que le bon acocrd (73).
M. de Belle-Ïsle se mit à l’œuvré avec un zêle qui ne
se démentit jamais. Il voulait faire de l’ancienne capitale
de l’Austrasie l’inexpugnable rempart de la France du
côté de l'Allemagne, en même temps qu'un centre de
commerce, et la cité commode, spacieuse, salubre et
toujours embellie de l’opulence, du travail et des arts ;
il ne négligea rien pour atteindre ce double et louable
but.
En homme de guerre, il devait commencer et il com-
mença par les fortifications ; il reprit pour les achever, en
les modifiant un peu, sous l'inspiration de Cormontaigne,
le système et les projets de lillustre Vauban.
Deux forts ne tardèrent point à s’élever : le fort Belle-
Croix (74), destiné à protéger toute la: partie orientale
de la ville ; le fort de la Double-Couronne ou Fort-Mo-
selle (75), qui abrite cette Ville neuve si régulière, si
simple, si richement dotée de tout ce qu’une sollicitude
DISCOURS DU PRÉSIDENT. 47
libérale et éclairée a jamais inventé, pour le soldat valide
et malade, de plus confortable et de plus ingénieux (76).
Après avoir assuré la défense de la place, M. de Belle-
Isle en agrandit l'enceinte. Les portes n'avaient point
alors l’élégante simplicité qui les distingue aujourd'hui ;
chacune d’elles consistait en une sorte de château-fort
avec créneaux, machicoulis, Lourelles du moyen âge, et
dont l’une restée debout nous offre encore un curieux
spécimen. Deux de ces portes étaient déjà démolies, celles
du Pont-des-Morts et du Pontiffroy (71) ; l'infatigable
gouverneur en démolit deux autres, les portes Saint-
Thiébault et Mazelle; ct, en les reconstruisant plus loin
vers la campagne, il laissa derrière elles un espace con-
sidérable qu’occupèrent en quelques années de somp-
tueux hôtels, et, avec eux, la rue des Prisons-Militaires,
la rue Chätillon, la rue du Rempart-Saint-Thiébault et la
place de ce nom, la rue d’Asfeld et la place Mazelle ;
c'est-à-dire le quartier, sinon le plus populeux el le plus
fréquenté, du moins le plus sain, le plus régulier et le
plus beau (78). Cormontaigne s’y élait ménagé, en bon
juge, un modeste asile (79), comme pour avoir constam-
ment autour de lui et sous les yeux l'une des parties de
ses travaux qui lui fait le plus d'honneur.
À un autre aspect l’enceinte de la ville avait été pro-
fondément modifiée. Du Ponhffroy au Pont des Morts il
ne régnail qu’un simple mur ; M. de Belle-Isle y substitua
un rempart auquel on a donné son nom, et ce fut justice;
car sa pensée ne s’arrêla avec plus de complaisance: sur
aucune des créations que Metz lui doit (80). Il voulut
qu’une rue parallèle aux fortifications dominât le cours de
la Moselle, la Double-Couronne, toute la plaine de Taion-
ville ; et, pour lui assurer le bienfait de ce panorama
magnifique, dans une lettre bien des fois reproduite (81),
il prit soin de fixer lui-même la hauteur du psrapet. Il
J
48 . SÉANCE PUBLIQUE.
se plaisait à descendre ainsi aux plus petits détails; et
ces détails l’amenëèrent bientôt aux améliorations nom-
breuses et urgentes que l’intérieur de la cité réclamait.
Avec lui l’air et le jour ne manqueront pas longtemps
à cette grande forteresse ; les maisons aux étages sur-
plombés tomberont une à une sous le marteau intelligent
de l'architecte ; les rues tortueuses, étroites, inégales,
humides, malpropres, souvent sans issues, changeront
peu à peu de physionomie; les unes s’élargissent et
s’alignent (82), les autres s’abaissent, s’exhaussent, se ni-
vellent (83); toutes voient disparaître les marches, les
escaliers, les bancs, les mille étalages qui les obstruent
et les goutterots en saillie qui inondent les passants (84) ;
d’autres voies de communication s’établissent (85) ; on
répare les ponts (86), on en crée de nouveaux (87); on
crée aussi des places publiques (88); on dégage les car-
refours (89); on consolide et on pave les quais (90); on
multiplie les fontaines (91); et, pour les alimenter, on
demande tour à tour, et à grands frais, leurs eaux abon-
dantes et vives aux sources de Plappeville, de Luzerailles,
du Sablon, de Lessy et de Scy (92), non sans difficultés
toujours renaissantes, dont M. de Belle-Ïsle conseille de
chercher la solution en jetant les yeux sur l’aqueduc de
Jouy, en imitant l’exemple, en suivant la trace du peuple-
roi (93).
Afin de rendre partout exécution plus rapide, il ad-
juge la besogne à qui plus, à plusieurs entrepreneurs et
à prix réduits (94) ; il associe les soldats de la garnison
aux manœuvres bourgeois (95) ; s’il redoute une oppo-
sition malveillante et aveugle, il obtient un arrêt du
conseil (96), il se transporte sur les lieux, il paye de sa
personne, 1l fait travailler toute la nuit, aux flambeaux,
. et le matin les opposants se réveillent stupéfaits à la vue
de ce qui s’est opéré à leur porte, sous leurs fenêtres,
DISCOURS DU PRÉSIDENT. 19
pendant leur sommeil (97). Il sait que l'intérêt sera pour
lui le meilleur des auxiliaires, et il intéresse à ses projets
les hommes riches, auxquels il distribue gratuitement
des terrains plus ou moins vastes, à la condition d’y bâtir
dans un délai et sur un plan convenus (98).
De tous les lieux où M. de Belle-Isle a laissé sa vigou-
reuse empreinte, il n’en est pas qui aient subi une trans-
formation plus complète que les environs de la cathédrale
et l'ile du Saulcy.
Aux abords de la vieille basilique que couvraient deux
églises, une collégiale, trois chapelles, un vaste cloître et
plusieurs maisons canoniales et particulières, 1l établit,
malgré les protestations du chapitre, la place d’Armes,
dont l’ornementation, un peu lourde, appartient à son suc-
cesseur, le maréchal d’Estrées, ou plutôt à l’architecte
Blondel (99).
Sur le sol marécageux, effondré, presque désert du
Saulcy, 11 fonda l’hôtel de l’Intendance, le théâtre et ses
deux pavillons symétriques, tout près du jardin d'Amour,
ce jardin bizarre de forme, entouré d’eau, couvert de
verdure, et dont l’ombre mystérieuse a été pour plus d’un
promeneur du soir un attrait et un péril (100).
Quelque puissant qu’il fût, M. de Belle-Isle aurait
échoué dans ses conseils et dans ses vues, s’il n'avait pas
mérité la confiance respectueuse el dévouée des édiles du
temps (101) ; mais il la possédait tout entière, et c’est à
peine si on découvre entre eux et lui, de loin en loin,
le moindre nuage ou le plus petit dissentiment. Il entre-
tenait avec eux une correspondance aclive, continue,
datée de Metz, de Paris, de Francfort, de Nice, d’un
camp, de tous les points où l’appelait le service du roi.
Ïl leur adressait tantôt les instructions les plus détaillées
et les plus précises, tantôt les encouragements les plus
affectueux et les plus flatteurs ; il ne leur ménageait pas
20 SÉANCE PUBLIQUE.
non plus les remontrances; et un jour qu’ils s’étonnaient
de ce qu’un sieur de Saint-Pierre s'était plaint d’eux et
avait porté jusqu’à lui ses doléances, il leur répondit :
« Je ne vois pas... qu’il y ayt rien de répréhensible
» dans la lettre qu’il m’a écrille..….. et ce ne peut jamais
» être un crime à un parliculier d’auertir pour le bien
» public celuy à qui le Roy veut bien confier son auto-
» rité » (102). Il leur enjoignait, dans une autre circons-
tance « de ne plus s’écarter de la justice, parce qu’agir
» autrement c'était mal le servir » (103).
On ne saurait croire jusqu'où pénétrait l’œil attentif
du restaurateur de la cité ; les objets de la plus minime
importance provoquaient son assentiment ou son blôme ;
il s’indigne de ce qu’on a autorisé deux habitants, les
sieurs Marly et Oudet, à construire des croisées et à r'e-
crépir leurs maisons soumises au recul ; il applaudit à la
démolition prochaine de la Croix-d'Or et d’une partie
du magasin qui y atienait (104).
Ces petits faits, que la biographie recueille et que l’his-
toire dédaigne, initient plus qu’on ne le suppose à la
parfaite connaissance du fonctionnaire et de l’homme ;
ils ne touchent ni à l'éloge, n1 à la critique, mais ils
ajoutent un trait de plus au caractère et ils complétent
la vérité.
M. de Belle-Ïsle écrivait ses dépêches ; quand il ne les
écrivait pas, 1l les dictait, et il en dictait plusieurs à la fois,
sur des sujets divers, tant il avait la mémoire exercée et
l’esprit présent (105)! Il tenait à rendre sa pensée lui-
même, et 1l ne tenait pas moins à ce que celle des autres
lui arrivât sans intermédiaire ; car, dans la crainte d’in-
discrétions trop communes, il ne permit jamais à personne
de décacheter son volumineux courrier (106).
Quels labeurs, Messieurs, pour un homme auquel sa
santé dès longtemps compromise imposait de continuelles
DISCOURS DU PRÉSIDENT. 91
entraves (407)! Mais chez lui l'amour du devoir triom-
phait même de la douleur; elle le laissait calme, serein,
accessible ; à quelqu’'heure qu’on l’abordât on ne sem-
blait jamais ni le contrarier, ni lui déplaire ; qu'on se
recommandât à lui comme auteur d’une découverte utile,
qu’on réclamät de lui un service ou une aumône, presque
toujours il renvoyait content, sans se souvenir que plus
d'un chevalier d'industrie avait abusé de son cœur (108).
S'il écoutait avec patience, il parlait facilement et vo-
Jontiers, bien plutôt le langage des affaires que celui des
discours pompeux et apprêlés (109). Pas plus dans sa
conversalion que dans ses actes, il n’apportait de l’entê-
tement ou de l’amour-propre : « Si je me trompe, di-
» sait-il, qu’on me le prouve et je me rétracte; » el on
lui a souvent entendu répéter : « J’ai fait des foules,
» mais je n’ai jamais eu l’orgueil ridicule de ne pas
» en convenir » (110).
La générosité et la tolérance composaient le fond de
son excellente nature. Comme ministre, il put se rendre
ce consolant témoignage qu’il avait vidé les prisons
d'État et signé seulement trois ou quatre lettres de ca-
chet (111). En religion, si, tout en détestant la Saint-
Barthélemy et les Dragonnades, il approuvait la révoca-
tion de l’édit de Nantes, c’est parce qu’il voyait dans les
calvinistes des sujets dangereux et rebelles qui formaient
plutôt un parti dans l’État qu’une secte dans l'Eglise (119).
Catholique fervent et sincère, il repoussa les avances que
les jésuites et les jansénistes lui firent dans l'espoir de
Vattirer à eux ; il ne se mêla qu’une seule fois, et très-
indirectement, à leurs tristes querelles, pour concourir
à une bonne action. Un homme éminent par la science,
mais crédule comme tous les malades, le chevalier Fo-
lard, se rendit un jour, en compagnie d’une foule d’il-
luminés et d’enthousiastes, au cimetière de Saint-Médard,
99 SÉANCE PUBLIQUE.
sur le tombeau du diacre Pâris, afin d’implorer, par sa
miraculeuse entremise, la guérison d’un rhumatisme
aigu dont il souffrait ; les soldats du guet l’arrêtèrent ;
M. de Belle-Isle l’apprit et il s’empressa de courir à
Versailles et d’en rapporter un ordre d’élargissement.
Heureux de témoigner par là sa profonde estime et sa
vive sympathie à un vieux guerrier criblé de blessures et
l’un de nos tacticiens les plus renommés (413).
Bien peu d'hommes ont moins que M. de Belle-Isle
sacrifié au bien-être et au plaisir. A part les instants
trop courts qu'il passait à son château de Bizy ou dans
son domaine de Gisors, et qu’il consacrait à des études
et à des expériences agricoles, il ne se reposait jamais; il
dormait peu ; sa table n’était délicatement servie que
pour les autres ; il dédaignait les chances et les émotions
du jeu, les grâces et la beauté exerçaient seules sur lui
un empire irrésislible et souvent partagé ; les agréments
de sa personne, son habitude du grand monde, le tour
enjoué et un peu hardi de ses propos en faisaient plus
encore un séducteur qu’une victime ; mais, dans une
cour corrompue, où le libertinage se décorait du nom
de galanterie, où des courlisanes éhontées venaient s’as-
seoir sur les marches du trône, jamais ses amours n'ont
éclaté en scandale et compromis personne. Si un Jour il
a soulevé le voile qui cachait sa faute, c’est qu'il fallait
la réparer (114).
Le commerce des femmes épurait son goût ; nul ne
s’entendait mieux que lui à organiser une fête officielle ;
il en offrit une splendide aux messins à la naissance du
duc de Bourgogne ; elle dura plusieurs jours; noblesse
et bourgeoisie y assistaient confondues ; et un témoin
oculaire nous en a transmis la relation avec un entrain
et une exactitude qui trahissent à chaque page son admi-
ration et sa reconnaissance (145). Le voyage de Louis XV,
DISCOURS DU PRÉSIDENT. 93
en 1744, avail fourni déjà au gouverneur de Metz l’oc-
casion de montrer son savoir-faire; sous sa puissante
impulsion la ville s’était en un instant couverte de guir-
landes de fleurs, d’arcs de triomphe, de trophées, de
portiques ; chaque jour ménageait à l’auguste visiteur de
plus chaleureuses ovations et de nouvelles surprises, dont
le récit n’éveillerait plus la curiosité. Mais à cet événement
local, qui faillit devenir un événement européen, se rat-
tache une particularité que nos chroniqueurs du temps
ont omise et que, par cela même, j'ai quelque plaisir à
tirer de l’oubli. Le quatrième jour le roi tombe malade;
en quelques heures les médecins désespèrent de le sauver;
la religion lui offre ses consolations suprêmes ; la reine
acoourt ; Mme de Châteauroux est chassée et, pendant que
d’autres, qui tout à l'heure se prosternaient aux pieds de
la favorite, s’éloignent d’elle comme d’un être maudit,
l'accablent d’injures et lui refusent, pour fuir, un des
carrosses de la cour, M. de Belle-Isie la protége de son
égide hospitalière, l'accompagne au dehors, la soulient,
la console et lui prête sa voilure, ses gens et ses che-
vaux (116). Ces simples égards pour une femme déchue
honorent plus son cœur que les pompes et les féeries
d’une réception royale ne témoignent de son dévouement
au prince et des ressources de son esprit.
Une fête n’était pas pour le gouverneur de Metz le coù-
teux étalage d’une vanité puérile; 1l y voyait une obliga-
tion imposée par les convenances et par sa position au
premier représentant du chef de l'Etat, en même temps
qu'un moyen de légilime influence. L'homme se laisse
prendre aux distractions qu’on lui procure, il veut qu’on
amuse... Cette conviction de M. de Belle-sle explique
son ardeur persévérante à doter la ville d’une salle de
spectacle qui répondit à l'importance de sa garnison et
à l’opulence de ses habitants. À la parcimonie inquiète
24 SÉANCE PUBLIQUE.
de ceux qui s’effrayaient de dépenses traitées par elle
d’excessives il répétait, sans s’émouvoir : « C’est ulile-
» ment employer les deniers de la ville que de les faire
» servir à l’amusement de ses citoyens et empêcher par
» là des désordres qu'il est d’une bonne et sage politique
» de prévenir. c’est semer pour recueillir » (117). Une
fois le bâtiment achevé et les dispositions intérieures
adoptées, après bien des essais et des péripéties, il amena
de Paris des peintres et d’autres artistes chargés de tra-
vailler à de superbes décors. Il surveillait la composition
du répertoire, le choix des acteurs et des pièces; il se
faisait rendre compte des recettes, et quand, ce qui arri-
vait souvent, avec une régie aux abois ou un directeur
en déconfiture, il fallait, par un nouveau subside combler
un nouveau déficit, il formulait une fois de plus sa théorie
des sacrifices nécessaires, et le conseil municipal d’alors
agissait comme le conseil municipal d'aujourd'hui... il
payait (118).
Le goût des lettres s’alliait chez M. de Belle-Isle au
goûl des arts; il les protégeait en Mécène et il les cul-
tivait en père de famille, en observateur sagace et en
homme d’État; car au milieu de sa vie si laborieuse et
si agitée, il a écrit des conseils à son fils, et sur les évé-
nements contemporains, sur ses voyages, sur l'éducation
des princes, la religion, le choix des généraux et des mi-
nistres, la politique extérieure, la paix et la guerre, le
commerce, la marine, les finances et l’administration de
la justice, des mémoires qui malheureusement ne sont
pas, d’une manière authentique et certaine, parvenus
jusqu’à nous (119).
Il n’admettait pas le privilége de l'instruction au profit
des classes riches; il pensait que le peuple avait, dans la
limite de ses besoins, des droits égaux à ce bienfait des
temps modernes, et il encourageait les écoles chrétiennes
DISCOURS DU PRÉSIDENT. 95
avec autant de soin que, par l'érection du collége des
chanoines réguliers, il assurait à la littérature française,
latine et grecque, des maîtres expérimentés et des dis-
ciples nombreux (120).
Comment protéger les lettres sans aimer les livres!
Aussi M. de Belle-Isle les aimait-1l beaucoup; il les aimait
en connaisseur, bien conservés, bien choisis, irrépro-
chables ; il recherchait les raretés et ne dédaignait pas les
petits bonheurs du bibliophile. J’en cite une preuve entre
cent et je l’emprunte à un souvenir du pays.
La première édition de la grande histoire de Lorraine
de Dom Calmet, personne ne l’ignore, renfermait, dans
l'origine, certains passages de nature à déranger les com-
binaisons généalogiques du duc Léopold et à blesser les
susceptibilités jalouses du roi de France; elle fut soumise
à l'examen d’une commission, et cette commission sup-
prima quarante-cinq feuillets, dont quelques-uns disparu-
rent sans retour, et dont d’autres, en plus grand nombre,
furent remplacés par des cartons. M. de Belle-Isle ne
possédait donc, comme tout le monde, qu’un exemplaire
cartonné, incomplet, et il en éprouvait une contrariété
que les amateurs seuls devinent; mais il se tenait trop au
courant des choses littéraires pour ne pas savoir bientôt
que les feuillets supprimés avaient été rémis à l’auteur,
sous la condition de ne s’en jamais dessaisir, et il tenta
prés du bon abbé de Senones, avec l'autorité d’un
gouverneur et la courtoisie d’un gentilhomme, une
démarche que le succès devait couronner. Après avoir
reçu du révérend père le complément de son livre,
heureux maréchal lui écrivait une lettre pleine d’effu-
sion et de reconnaissance; aux pages restées blanches ou
tronquées par la censure, il pouvait enfin, à la différence
de tant d’autres, substituer le texte original! (191) rara
quvant (129).
4
96 SÉANCE PUBLIQUE.
L'amour de M. de Belle-Isle pour les arts et pour les
lettres reçut à la fin de sa vie la plus précieuse des
récompenses et la plus solennelle des consécrations. Le
830 juin 1749, l’Académie française lui ouvrit ses portes,
après une élection dans laquelle son nom avait réuni
l'unanimité des suffrages (123).
Son discours de réception, correct, simple, très-bref,
ne contenait point, comme on l’a plus d’une fois affirmé,
un remarquable éloge du cardinal de Richelieu, mais celui,
moins facile, de Louis XV, que ne recommandaient ni les
hautes vues, ni le ferme vouloir du ministre de son bisaïeul.
La reconnaissance excuse, jusqu’à un certain point, la
flatterie, quand celui qui se la permet ne flatte pas pour
obtenir encore et n’a plus rien à désirer. Ici le récipien-
daire avait atteint le faite des grandeurs et, en prêtant à
son maitre toutes les vertus d’un monarque, il n’entendait
tromper ni la postérité, ni ses nouveaux confrères, il
prenait pour des vérités les illusions de son cœur (124).
Pour M. de Belle-Isle tout devenait une incitation à bien
faire et à faire plus. À peine a-t-il pris possession de son
fauteuil académique qu’il songe à aviver le foyer intellec-
tuel au siége même de son gouvernement. Il y encourage,
il y protége une réunion d'hommes laborieux et instruits
qui, sous l’humble titre de Société d'étude, s’occupaient
non-seulement d'histoire et de législation, mais encore
de physique, de chimie, de botanique, dans l'intérêt in-
dustriel et agricole des Trois-Évêchés (l 25). Après avoir
permis, de son autorité personnelle, à cet institut nais-
sant de prendre le nom d’Académie des sciences et des
arts, il rêve bientôt pour lui une sanction plus haute et
il sollicite dés lettres patentes qui l’élèvent au niveau des
académies de Paris; 1l s’appellera, comme elles, Académie
royale, ses membres jouiront des mêmes honneurs, pri-
viléges et prérogalives, et, par grâce toute spéciale, ses
ee —— =
DISCOURS DU PRÉSIDENT. 97
jetons de présence et ses médailles destinées à servir de
prix porteront, non pas l'effigie du roi, selon l'usage,
mais celle du fondateur (126).
M. de Belle-Isle méritait bien cette dérogation à la règle
commune; car, non content d’aider la nouvelle Académie
de son influence et de son crédit, il l’aidait encore de sa
bourse ; il la dotait d’une rente annuelle de 3000 livres
pour pourvoir à ses dépenses ordinaires et à ses besoins
imprévus (127). |
En annonçant cette bonne nouvèlle aux représentants
de la cité, il leur rappelait en termes précis la nature et
le but d’un établissement qu’il était fier d’avoir fondé :
« Vous inspirerez, leur écrivait-il, à MM. les Membres de
» la Société roiale combien il importe que la science se
» melte au service de l’humanité. Vous leur direz aussi,
» de ma part, que les lettres ne perdent jamais le sou-
» venir de ce qu’on fait pour elles » (128). Il ajoutait
plus tard, avec une sorte d’orgueil qu’autorisaient la faveur
publique et de premiers succès : « Je suis heureux de pou-
» voir démentir ce qui a été dit jusque dans ces derniers
> Lems par quelques hommes certes respectables, mais
> trop peu au courant du mouvement de l’activité litté-
» raire et scientifique dans la ville de Metz. J’avois à cœur
» d'y assurer l’établissement d’une société qui soit asses
» forte pour réunir et stimuler les amateurs de l’étude
» et des recherches. C’est l'acte qu’il me tardoit le plus
» d’avoir accompli et que j'aurois éprouvé le plus de
.» regret de laisser à un autre » (129).
Le Parlement s’empressa d’enregistrer les lettres na-
tentes qui instituaient près de lui une compagnie savante
dans laquelle son premier président entrait comme membre
né, son procureur général et un président à mortier comme
membres honoraires, un autre président à mortier et quatre
conseillers comme membres titulaires (130).
28 SÉANCE PUBLIQUE.
Le mercredi 19 novembre 1760, après avoir assisté à une
grande messe célébrée par le princier de la cathédrale,
Académie inaugurait ses travaux dans l’une des salles du
gouvernement, en séance solennelle, au son de la mutte,
devant Messieurs de l’hôtel de ville et l’élite de la popu-
lation (131).
L'Académie de Metz avait pour devise : Utilitati pu-
blicæ (132). Elle y resta constamment fidèle; des œuvres
considérables sortirent de ses mains ou furent imprimées
à ses frais et sous ses auspices (133) ; sa renommée
s'étendit de proche en proche; les hommes les plus dis-
tingués par le talent et par la naissance ambilionnèrent
l'honneur de lui appartenir (134); ses récompenses
annuelles étaient enviées, les concurrents nombreux, et
parmi les lauréats figurent des noms qui, en politique,
dans les lettres et dans les sciences, ont acquis plus tard
une incontestable célébrité : Rœderer, Lacretelle, Durival,
l'historien de Stanislas, Bousmard, le défenseur oublié
de Dantzig (135), l'abbé Grégoire, alors curé d’Ember-
menil (136), Robespierre, avocat à Arras, qui préludait,
par d’innocentes luttes philosophiques et littéraires, au
grand et terrible rôle que la révolütion française lui des-
unait (137). |
M. de Belle-Isle ne devait pas jouir longtemps des
progrès de son œuvre; il s’affaissait de jour en jour, bien
moins encore sous le poids de l’âge que sous celui du
chagrin. Il vit successivement descendre avant lui dans
la tombe les êtres les plus chers, ceux qui auraient dû
lui survivre et lui fermer les yeux :
Une épouse adorée et si digne de l’être que, dans un
discours d’apparat, le premier président a pu dire d’elle,
sans craindre de rencontrer un contradicteur, « qu’elle
» faisait les délices et l’édification de la société » (138);
Un frère plus jeune, autre lui-même, avec lequel il
DISCOURS DU PRÉSIDENT. 929
vivait dans une union si étroite qu’elle rappelle et qu'elle
surpasse toutes celles que célèbrent la fable et l’anti-
quité (139);
Un fils unique enfin, l’appui de sa vieillesse, la gloire
de son nom, l'héritier de ses charges, mort avant l’âge,
comme meurent les braves, au champ d’honneur (140).
Quelque douloureux qu’ils fussent, ces coups répétés
n’abattaient point son courage ; 1l s’inclinait avec une
fermeté résignée sous la main de Dieu ; mais les déchi-
rements de l’âme finirent par briser un corps usé par la
maladie et le travail. Le 26 janvier 1761, il mourut en
sage el en chrétien ; regretté de tous, regrellé même
d’un roi égoïste et insensible qui ne pouvait oublier ses
services, mais regretté surtout des Messins qui eurent sa
dernière pensée et son dernier bienfait. Il quitta la vie
presqu’aussi pauvre qu'il y était entré ; après avoir connu
toutes les grandeurs, contracté les alliances les plus 1il-
lustres et les plus riches, disposé de tous les moyens qui
mênent à la fortune, il laissait à peine à son exécuteur
testamentaire de quoi payer ses dettes et acquitter quel-
ques legs pieux. Ce fait parvenu jusqu’à nous sans con-
teste vaut tous les panégyriques ; 1l dissipe les préven-
tions, il désarme la calomnie, il prouve aux moins
crédules, à ceux-là qui, plus difficiles que Voltaire et
Frédéric, refusent de compter M. de Belle-Isle parmi
les héros et les hommes de génie, qu’il fut du moins
un homme pur, un homme intègre, un homme de
bien (141).
Quelle joie pour Ini, Messieurs, si, il y a moins d’une
année, sorti un instant du sépulcre, il avait vu amoncelés
dans une exposition universelle, non loin de sa demeure,
les produits variés de l’horticulture, de l’industrie et des
arts! Ses yeux ne se seraient point lassés à ce merveilleux
spectacle dû à votre féconde initiative, et il aurait salué
30 SÉANCE PUBTIQUE.
dans l’Académie actuelle l’Académie d’autrefois. Que cette
approbation d’outre-tombe nous encourage et nous sou-
tienne ; il y aura toujours quelqu’honneur à la mériter,
et elle perpétuera entre nous et ceux qui nous précédent
une nécessaire et glorteuse solidarité.
DISCOURS DU. PRÉSIDENT. — NOTES. 31
NOTES.
Ces notes ont pour but de faire connaïtre ce qui ne pouvait
entrer dans le discours, déjà fort long, et cependant encore trop
bref; elles permettront aussi, à ceux qui aiment ce genre de travail,
de vérifier l’exactitude de mes affirmations et même de juger au-
trement que moi certaines circonstances, à peu près inédites, ou
certains événements plus notoires , mais jusqu’aujourd’hui très-
controversés.
(1) — Le nom du maréchal se lit orthographié de trois ma-
nières: de Beile-lsle, de Bell'Isle, de Belleisle. La seconde
n'est que l'abréviation de la première et ne vaut pas mieux que la
troisième, encore bien que celle-ci ait été adoptée par le maréchal
dans toutes ses signatures. J'ai préféré celle dont les géographes
se servent en parlant de l'ile à laquelle la famille Foucquet em-
pruntait son nom et son titre nobiliaire.
(2) — Dom Bernardin Pierron, Templum metensibus sacrum,
carmen, p 43. Les faits et gestes du bienfaiteur de la ville de
Metz ont inspiré au savant bénédictin quarante-sept autres vers
qui ne manquent ni de verve ni de correction.
(3) — M. Emmanuel Michel, discours comme président, Me-
moires de i Académie royale de Metz, année 1846-1847, p. l-
XXVILL.
Un autre membre de l'Académie, M. Chabert, a aussi consacré
à M. de Belle-Isle une notice excellente d’une certaine étendue,
à laquelle j'ai fait de nombreux et utiles emprunts. Cette notice
intéressante, surtout au point de vue messin, et publiée d'abord
32 SÉANCE PUBLIQUE.
dans l’Austrasie, Revue de Metz, forme aujourd'hui un volume
grand in-8° de 212 pages.
L'ancienne Académie avait elle-même payé son tribut à la mé-
moire de notre fondateur; mais l'oraison funèbre composée par
M. Dumont, avocat, ancien conseiller-échevin de l'hôtel de ville,
et très-probablement restée manuscrite, ne se trouve plus dans
nos archives, auxquelles elle appartenait.
(4) — Tous ceux qui se sont occupés jusqu à présent de M. de
Belle-Isle lui ont donné les prénoms de Charles-Louis-Auguste,
tandis qu'il n'en avait qu'un seul, celui de Louis, comme le prouve
la copie fidèle de son acte de baptême que je dois à l'extrême
obligeance de M. Rochin, procureur impérial à Villefranche, et
que voici:
« Le mesme jour, vingt-quatre septembre 1684, feust baptisé
» Louis, fils légitime et naturel de messire Louis Foucquet, che-
» vallier marquis de Bellisle, et dame Catherine de Leui de
» Charlus, mariés. Feust parrin monseigneur l'illustrissime et
» reuerandissime Louis, euesque et conte d'Agde, maraine très
»s haute et très puissante dame Louise-Margueritte de Bethune
»* de Suilly, femme de très haut et très puissant seigneur Daillon
+ du Lude, duc et pair de France et grand mestre de l'artillerie,
» et présanté au nom de la dite dame par dame Marie de Pomairol,
» femme de messire Jean-Jacques de Colonges de Laurière, pré-
* sident au présidial et séneschal de Rouergue: et nasquit le
»s vingt-deux du dit mois et an susdits. »
Signé : t Louis, euèsque d'Agde. Degua, prêtre et vicaire.
Extrait du registre des baptesmes, mariages et mortuaires de
l'église de Nostre-Dame de Villefranche, déposé aux archives de
la mairie de cette ville.
(5) — Le marquis d'Argenson, Mémoires et Journal inédit,
édition elzévirienne de Jannet, t. 1, p. 138-139. Les armes du
surintendant étaient d'argent à l'écureuil de gueules grimpant sur
un globe, avec cette devise : quô non ascendam? M. de Belle-Isle
écartelait Les siennes, aux deuxième et troisième quartiers, d'or à
trois chevrons de sable et il y accolait le plus souvent celles de sa
DISCOURS DU PRÉSIDENT. —- NOTES. 33
seconde femme, d'argent à la fasce de gueules, brisé d'un lambel
à trois pendants de gueules.
(6) — Le marquis d'Argenson, t. f, p. 144-145 et t. II, p. 224-
295, 365-507. — Le due de Saint-Simon, Mémoires complets et
authentiques sur le siècle de Louis XIV et la régence, collationnés
sur le manuscrit original, par M. Cheruel, édition de Hachette,
t. XVII, p. 108-109. Ces deux ouvrages, que ne recommandent
point, en général, la bienveillance de leurs appréciations, four-
millent de renseignements curieux, et souvent contradictoires, sur
M. de Belle-Isle.
Voir aussi Voltaire, Précis du siècle de Louis XV, chap. VI,
t. XIX, p. 62-63 des Œuvres complètes, édition de Renouard, et
Panégyrique de Louis XV, même volume, p. 431. — Frédéric 1,
Histoire de mon temps, t. 1, chap. I, p. 41. — Flassan, Histoire
de la diplomatie française, t. V, p. 241. — Mais nul n'a traité
le rmaréchal avec plus de convenance et de justice que le duc de
Nivernois, dans sa réponse, en qualité de directeur de l'Académie
française, au discours de réception de l'abbé Trublet, le 13 avril
1761 ; le R. P. de Neuville lui-même n'a pas été plus heureuse-
ment inspiré, lorsqu'il prononçait son oraison funèbre, dans l'église
de l'hôtel royal des Invalides, le 10 awil 1761.
Comme tous ceux qui ont eu une fortune grande et inespérée,
M. de Belle-[sle a rencontré, sur son chemin, beaucoup d'envieux
et de détracteurs; et, malheureusement pour lui, c'est à travers
leurs préventions jalouses et haineuses que, sans le vouloir et sans
le savoir, presque tous lés historiens modernes le jugent avec une
excessive sévérité. Îls ne voient en lui qu’un habile discoureur,
remuant, présomptueux, superficiel, plus fécond en projets qu'en
ressources, rompu à tous les genres d'intrigues et de la plus insa-
tiable ambition qui fut jamais. Une étude consciencieuse de sa
correspondance, de ses actes, de l'ensemble de sa vie, m'a con-
duit à une opinion tout autre et je la crois plus équitable, plus
vraie, plus conforme surtout aux traditions et aux sentiments du
pays messin.
(7) — On connaît beaucoup de portraits de M. de Belle-Isle :
5
34 | SÉANCE PUBLIQUE.
l'Académie en possède deux, l’un à l'huile qu'elle a acheté, le
29 avril 1839, au prix de 50 fr.; l'autre au pastel, fort bien con-
servé, qu'elle doit à la libéralité de M. Chabert: il y en a un
troisième, à l'hôtel de ville, dans le cabinet de M. le Maire :et on
assure que l'original, peint par Hypolite Rigaud, se trouve aux mains
de M. Louis de Bertier, propriétaire à Lagrange, près Thionville.
Les gravures surtout sont nombreuses ; je connais : 4° celle de
Will, d'après Rigaud, en pied et in-folio; 2 celle de Moitte.
d'après Latour, en pied et in-folio: 3° celle de Mellini, d'après
Latour. en pied et in-folio ; 4° celle de Mellini, en buste et in-4°;
5° celle de Vangelisty, en buste et in-4° : 6° celle de la galerie de
Versailles, d'après Nivelon, en pied et in-4° ; 7° la même, in-8°:
8° celle de la collection Desrochers, en buste et in-8°; 9 celle de
Sysang, en buste et in-8° ; 10° celle de Besoet, en buste et in-8°:
11° celle au trait de Landon, d'après Rigaud , en buste et in-12.
La collection de portraits lithographiés de Delpech comprend
enfin deux portraits de M. de Belle-lsle dans les formats in-folio
et in-8°.
(8) — Le duc de Saint-Simon. t. VIT, p. 205. et t. XVII, p. 104-
105. — Le marquis d'Argenson, t. I, p. 139-140. — Lettres de
Mme de Sévigné, de sa famille et de ses amis recueillies et annotées
par M. Monmerqué, édition de Hachette, t. I, p. 443.
Il semble que dans cette famille la sainteté fut héréditaire chez
les femmes, car on se rappelle ce que Mme de Sévigné écrivait à
M. de Pompone, le 20 novembre 1664, de la mère du surinten-
dant: « Mme Foucquet la mère a donné un emplâtre à la reine,
» qui l'a guérie de ses convulsions, qui étoient à proprement
parler des vapeurs. La plupart, suivant leur désir, se vont
imaginant que la reine prendra cette occasion pour demander la
grâce de ce pauvre prisonnier; mais pour moi, qui entends un
peu parler des tendresses de ce pays là, je n’en crois rien du
tout. Ce qui est admirable, c'est le bruit que tout le monde fait
de cet emplâtre, disant que c'est une sainte que Mme Foucquet,
et qu'elle peut faire des miracles. »
Après la mort du surintendant, sa femme, née de Castille,
obtint, pour ses reprises, le domaine de Belle-[sle ; mais cette île,
DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. 39
longue de six lieues, large de deux, « était la plus mauvaise terre
* du monde, rapportant peu et étant, pour ainsi dire, sequestrée
… entre les mains du roi, qui y tenoit garnison.
(9) — Lettres de Mme de Sévigné, t. I, p. 435-483. — Cheruel,
Mémoires sur la vie publique et privée de Foucquet, surintendant des
finances, d'après ses lettres et des pièces inédites conservées à la
bibliothèque impériale.
Le château de Vaux surpassait en beauté et en richesse Îles
résidences royales de Saint-Germain et de Fontainebleau: le sur-
intendant y avait dépensé bien des millions et y donna une der-
nière fête, au milieu de laquelle, sans les supplications de la reine-
mère, Louis XIV, ne se contenant plus à la vue de tant de profusion
et de luxe, l'aurait fait immédiatement arrêter. Cette arrestation,
du reste, suivit de près, et alors commença un long et scandaleux
procès, aves des incidents et des alternatives, que notait, chaque
jour, la plume émue de Mme de Sévigné et dont M. Cheruel vient
de se constituer l'intelligent et consciencieux historien.
(10) — La vie politique et militaire de M. le maréchal duc de
Belle-Isle, prince de l'Empire, ministre d'État de S. M. T. C., etc.,
publiée par M. D. C””", seconde édition, p. 12.
Cette vie a été imprimée deux fois, à La Haye, en 1762, et
se vendait chez la veuve Van Duren. Dans son Dictionnaire des
ouvrages anonymes el pseudonymes, t. 111, p. 420, n° 19095,
Barbier attribue avec raison ce livre à François-Antoine Chevrier,
auteur lorrain bien connu. La seconde édition diffère de la pre-
mière, par son format plus petit, par le nombre de ses pages, 271
au lieu de 264, et surtout parce qu'elle renferme en plus un portrait
trés-médiocre du maréchal, un titre avec d'assez belles armoiries,
trois cartes beaucoup moins utiles que ne l'aurait été celle de
Prague à Egra, et le dessin de la médaille commémorative de la
délivrance de Gênes.
(11) — Torcy, Mémoires pour servir à l'histoire des négociations
depuis le traité de Riswick jusqu’à la paix d'Utrecht, La Haye,
M.DCCLVI.t.1,p 147-158.— Mignet, Négociations relatives à la
30 SÉANCE PUBLIQUE.
succession d'Espagne sous Louis XIV, ou Correspondances, Mémoires
et uctes diplomatiques concernant les prélentions et l'avénement de
la maison de Bourbon au trône d'Espagne. Introduction, p. LXXVII-
LXXIX. — Simonde de Sismondi, Histoire des Français, t. XX VI,
chap. XXXVIIT, p. 292-295. — Michelet, Histoire de France
au XVII siècle, t. XIV, p. 180-186.
Le testament de Charles Il, mort le 1°" novembre 1709, par-
vint, le 9 du même mois, à Fontainebleau, où se trouvait dans ce
moment la cour de France. Pour « prendre la plus grande réso-
» lution du siècle, » dit M. Mignet, Louis XIV réunit en conseil :
le marquis de Torcy, ministre des affaires étrangères « qui se
» prononça pour l'acceptation du testament; le vieux duc de
Beauvilliers, président du conseil des finances et gouverneur
des enfants de France, qui émit un avis contraire ; le chance-
lier Ponchartrain, qui résuma les opinions différentes, sans
oser en embrasser aucune ; le Dauphin, qui, poussé par l'amour
paternel et sensible à la gloire d'être fils et père de roi, parla
sans hésitation en faveur du testament. Louis XIV, longtemps
silencieux, décida. Sa décision resta trois jours secrète ; il la
prit avec cette grandeur calme qui lui était naturelle. »
» = ss s s L 2 L à se
(12) — Le grand Dictionnaire historique de Moreri, édition de
1759, t. V, p. 768. — Chronique milituire, t. 11, p. 333. —
Le chevalier de Courcelles, Dictionnaire historique et biographique
des généraux français depuis le XI° siècle, jusqu'en 1822, t. VI.
p. 103-105.
1 janvier 1702, capitaine au régiment Royal-Cavalerie, 11 jan-
vier 1705, mestre de camp d'un régiment de dragons. — 11 a un
cheval tué sous lui à la canonnade de Huningue: il est blessé à
l& bataille de Friedlingen; il est blessé encore en montant, comme
volontaire, à l'assaut du fort de Khel; il assiste au siége et à la
prise d'Augsbourg ; il reçoit un coup de sabre et il a un cheval
tué sous lui à la bataille d'Hochstedt ; il se bat à Cassano: il se bat
à Calcinato, où il est blessé pour la quatrième fois: et il va l'être
plus dangereusement, pour la cinquième, sur les remparts de Lille.
(13) — Le marquis d'Argenson, t. I, p. 140 et t. IE, p. 105-106,
DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. 37
La nomination de M. de Belle-lsle porte la date du 12 no-
vembre 1708. Son concurrent était le marquis de Maillebois, fils
de M. Desmarets, contrôleur général des finances, et neveu de
Colbert. — La rivalité des deux familles se devinait à une allé-
gorie peinte sur les lambris du château de Vaux, où l'on voyait une
couleuvre, emblème des Colbert, poursuivant un écureuil, em-
blème des Fouquet.
M. de Belle-Isle devint mestre de camp général des dragons,
le 5 juillet 1709.
(14) — Vie politique et militaire, p. 15-18.
En informant Mwe de Maintenon de cette heureuse nouvelle,
il n'oubliait pas Mme de Belle-Isie à laquelle il écrivait le même
jour, 7 mars 1714: « Enfin, madame, le grand ouvrage de la paix
est terminé ; notre maréchal, qui négotie comme il combat, s'en
est tiré à merveille, et ceux qui ont vu l’état déplorable de la
France et les succès de ses ennemis, conviendront du moins
que nous savons réparer nos pertes. Je vous envoye, par le
courier que M. le Maréchal adresse au Roi, un extrait de cet
important et glorieux traité. Je sais que vous n'avez que les
agrémens de votre sexe et que vous ne rendrez ma lettre
publique, que lorsque vous serez seure de ne plus commettre
d'indiscrétion..….… Remettez vous même l'incluse à M®e de
Maintenon et faites rendre par un de vos gens les deux autres
à leur destination. »
Il s’agit ici de la première femme de M. de Belle-Isle, Henriette-
Françoise de Durfort-Sivrac, qu'il avait épousée le 21 mai 1711;
elle pouvait être discrète, mais elle n’était ni aimable, ni belle, si
on en juge par ce portrait peu flatté qu'en fait le duc de Saint-
Simon, t. IX, p. 310: « elle étoit riche, extrêmement laide,
* encore plus folle. Elle s'en entêta et ne le rendit pas heureux,
» ni père. Son bonheur l'en délivra quelques années après, »
(19) — Vie politique et mililaire, p. 19-21.
(16) — Moreri, t. V, p. 768. — Le marquis d'Argenson, PA LR
p.141. — Le grade de maréchal de camp, qu'il obtint le 8 mars
38 | SÉANCE PUBLIQUE.
1718, ne fut pas la seule faveur dont le régent l'honora: il fut
encore nommé, le 31 mai 1719, gouverneur de Huningue.
(17) — Vie politique et militaire, p. 22. — Le marquis
d'Argenson, t. [, p. 142. — De Sismondi, t. XXVII, chap. XLV,
p. 994-555.
Le Blanc, secrétaire d'État de la guerre, que Mw° de Prie, jalouse
de sa mère, dont elle avait été la rivale, fit rechercher pour sa
sa comptabilité, comme complice d'un commis infidèle, et que le
Parlement « acquitta avec autant de passion que ses amis en
» mettoient à le persécuter. »
(18) — Le duc de Saint-Simon, t. XVII, p. 107-108.
Cette dame de Levis, née Chevreuse, avait épousé le neveu de
Mne de Relle-Isle, la mère ; elle était dame du palais, et, après avoir
vécu à ce titre « dans les continuelles privances de Mme de Main-
tenon et du roi, » elle devint l’amie intime du cardinal de Fleury.
Elle aimait M. de Belle-fsle jusqu'à l'entêtement, et, avant de le
rapprocher du premier ministre de Louis XV, elle l'avait, sans aucun
doute, servi déjà, d'une manière efficace, sous le règne précédent.
(19) — Vie politique et militaire, p. {7, 64-66, 72. — Tes-
tament politique du maréchal duc de Belle-Isle, chap. I.
Le cardinal de Fleury pouvait si peu se passer de M. de Belle-lsle,
que le général aspirant à une ambassade, le vieux ministre lui dit :
« je me garderai bien de vous éloigner, j'ai trop besoin de quel-
* qu'un à qui je puisse confier mes inquiétudes. » Il lui offrit à la
même époque la place de gouverneur du Dauphin, et on regrette
qu'il ne lait point acceptée, quand on rencontre sous sa plume des
maximes comme celles-ci: |
« Si le prince qu'on élève n'a pas un cœur corrompu, ni des
* défauts essentiels, il faut travailler à en former un honnête
» homme, avant que de penser à en faire un roi... Il faut sur-
+ tout qu'il sache qu'il est homme avant qu'on lui apprenne qu'il
« est souverain; ce sentiment fortifié par ses vertus personnelles,
» l'engagera, d'abord à regarder les autres hommes comme ses
» Égaux.
* On doit lui apprendre que la forme du gouvernement qu'il
DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. | 39 :
» trouve établi et autorisé à son avénement à la couronne est la
» loi inviolable qu'il doit observer.
» Le droit de faire des remontrances suppose le devoir de les
» entendre et la nécessité d'y avoir égard, quand elles sont
» fondés sur la justice et sur la misère des peuples. »
(20) — Mémoires du maréchal de Villars, collection Michaud
et Poujoulat, t. IX, p. 431-444. — Le marquis d'Argenson, t. If,
p. 44-45. — Voltaire, Précis du siècle de Louis XV, chap. IV,
p. 46-50. — L'abbé Proyart, Histoire de Stanislas I°', roi de
Pologne. duc de Lorraine et de Bar, chap XI et XII. — Aubert,
la Vie de Stanislas Leszczinski, surnommé le Bienfaisant, roi de
Pologne, duc de Lorraine et de Bar, p 195-292 — Anquetil,
Histoire de France depuis les Gaulois jusqu’à la mort de Louis XVI,
t. VIIL, p. 386-391, édition Jannet et Cotelle. — Le comte
d'Haussonville, Histoire de la réunion de la Eorraine à la France,
t. IV, chap. XXXIX, p. 383-394, édition in-8°.
Au commencement de 1733, la France était fatiguée de la paix,
qu'avait su maintenir en Europe la politique intéressée de Fleury
et de Robert Walpoole ; les jeunes seigneurs, les généraux du
dernier règne surtout, désiraient la guerre, lorsqu'un événement
imprévu la fit déclarer. L'heureux rival de Stanislas Leszezinski,
Auguste II, électeur de Saxe et roi de Pologne, était mort le
4er février ; les nobles palatins mécontents de la maison de Saxe
et voulant, d’ailleurs, régénérer chez eux le pouvoir par l'élection
d'un prince national. songèrent à replacer sur le trône le beau-
père de Louis XV, si la France en exprimait le vœu. Ce vœu, le
maréchal de Villars finit par l'arracher, sous la forme d'une adhé-
sion muette, à l'apathie du jeune roi qu'il savait humilié de son
mariage avec la fille, plus âgée que lui, d'un prince retombé au
rang des simples particuliers. Mais, au lieu d'envoyer Stanislas
en Pologne, comme le protégé d'une grande nation, on le laissa
partir, d'une manière mystérieuse, travesti en marchand. Il n’en
fut pas moins élu à l'unanimité des voix, le surlendemain de son
entrée à Varsovie, le 12 septembre. En apprenant cette élection,
la czarine Anne fit avancer ses troupes et élire, à Praga, par
A0 SÉANCE PUBLIQUE.
quelques traîtres, le fils du feu roi, qui promettait l'investiture
de la Courlande à son favori Biren ; et Stanislas, abandonné de ses
partisans, alla demander un refuge à Dantzig, dont il s’échappait
cinq mois plus tard, comme par miracle, à travers mille dangers,
après avoir vu périr, sans arriver jusqu'à lui, les quinze cents
hommes destinés à soutenir sa cause.
La France ne pouvait subir cet outrage ; et trop éloignée de la
Russie pour lui en demander la réparation, elle s’attaqua à l'Au-
triche qui y avait concouru. C'est à ce moment que M. de Belle-
Isle entre en campagne sous les ordres du maréchal de Berwick.
(21) — Moreri,t. V, p. 768. — Vie politique et militaire,
p. 25. — M. de Belle-Isle était lieutenant général des armées du
roi depuis le 25 décembre 1731.
(22) — Moreri, t. V, p. 768. — Vie politique et militaire,
p. 53-37. — Salaberry, Biographie universelle de Michaud, t. IV,
vo de Belle-Isle, p. 105. — Le comte d'Haussonville, Documents
historiques et pièces justificatives, t. IV, p. 625-626.
Louis XV avait député M. de Verneuil vers la Duchesse douai-
rière de Lorraine pour solliciter son assentiment, au moins tacite,
à la présence de nos troupes dans les états de son fils, le duc
François, gendre futur de l'Empereur, près duquel il se trouvait ;
en quittant la princesse, l'envoyé de la France écrivit à M. de Belle-
Isle, qui attendait à Frouard le résultat de cette entrevue et qui
occupa Nancy dès le lendemain, 13 octobre 1733, après un si-
mulacre de résistance de la part du gouverneur, M. de Custine.
Le général français obtint, non sans quelques difficultés, une
audience de la duchesse prévenue contre lui, et, dans un entretien
devenu peu à peu plus confiant et plus intime, il l'engagea, pour .
faire respecter sa neutralité, à meltre, à l'entrée et à la sortie des
villes et sur toutes les grandes routes, des poteaux aux armes de
Lorraine et de Bar.
(25) — Moreri, t. V, p. 108. — Vie politique et militaire ,
p. 59. — Le baron d'Espagnac, Hisloire de Maurice, comte de
Saxe, M.DCC.LXXV, 1. E, p. 68. — 8 avril 1754.
DISCOURS DU PRÉSIDENT. —- NOTES. |
(24) — Moreri, t, V, p. 168. — Vie politique et militaire,
p. 29. — Le baron d'Espagnac, t. 1, p. 68-69.
La petite ville de Traërbach, dont on fit sauter les portes, le
9 avril 1734, au moyen de pétards, est défendue par un château-
fort d'un accès difficile et dans les fossés duquel Maurice de Saxe
faillit périr; M. de Belle-lsle reçut lui-même une légère blessure
d'un éclat de palissade. Le gouverneur, comte de Hochfeld, re-
tiré dans la partie la mieux défendue de la forteresse, ne se rendit
que le 2 mai: on lui accorda les honneurs de la guerre; on lui
permit aussi d'emmener avec lui deux foudres d'excellent vin,
dont l’un, ayant peine à passer à travers la brèche, fut vidé en
un clin d'œil par nos soldats appelés à en aider le transport.
(25) — Le baron d'Espagnac, p. 74-76. — Vie politique
el militaire, p. 41-46. — Moreri, t. V, p. 708. — Mémoires
du maréchal Villars, collection Michaud et Poujoulat, t. IX,
p. 445.
Après avoir ouvert la tranchée le 1e juin 1734, devant le fort
qui couvrait le pont de Philipsbourg et s'en être rendu maître le
troisième jour, M. de Belle-fsle ne cessa de prendre part à tous
les travaux de ce siége mémorable que le prince Eugène, désur-
mais inférieur à lui-même, n'osa faire lever en livrant une grande
bataille et que termina une capitulation, rendue nécessaire par
nos efforts et nos progrès, le 18 juillet. — L'armée française eut
à regretter son commandant en chef, le maréchal de Berwich,
tué d'un coup de canon, le 12 juin, au moment où il jugeait par
Jui-m ême, vers sept heures du matin, de l'état d unesapecommencée
pendant la nuit précédente. La nouvelle de son décès arracha au
maréchal Villars, quise mourait dans une auberge de Turin, quand
il aurait voulu mourir sur un champ de bataille, cette exclamation
empreinte d'ua noble regret: « Cet homme là a toujours été heu-
reux ! » — Pendant le reste de la campagne, M. de Belle-lsle, à
la tête d'un camp volant, harcela sans cesse l'armée ennemie et
l'empêcha, par l'habileté et la hardiesse de ses manœuvres et de
ses marches, de franchir le Rhin, d’envahir l'Alsace et d'y lever
des coatributions.
. | 6
49 SÉANCE PUBLIQUE.
(26) — Le marquis d'Argenson, t. 1, p. 143. — Vie politique
et militaire, p. 58. |
Le cardinal de Fleury consulta quatre fois M. de Belle-Isle,
et quatre fois M. de Belle-lsle insista pour que la Lorraine fût
cédée à la France. — Les préliminaires, dont l'article 4er a
consacré cette importante cession, furent signés, à Vienne, le
8 octobre 1735 ; mais le traité lui-même, qui répugnait au jeune
duc de Lorraine, ne le fut que le 35 février 1737.
(27) — Le comte d'Haussonville, t. IV, c. XXXIX, p. 399-431.
(28) — Moreri, t. V, p. 768. — Vie politique et militaire,
p. 47, 62-63.
Aussi, M. de Belle-Isle, qui avait reçu des mains du roi, dans
le cours de la campagne, le 1° janvier { 735, la croix et le collier
de l’ordre du Saint-Esprit, obtint-il plus tard, comme une récom-
pense toute naturelle de ses services, le commandement en chef
de la Lorraine et du Barrois. L’ainé des neveux du cardinal de
Fleury fut le gouverneur civil de la nouvelle province,
(29) — Testament polilique, chap. IV.
« Cette guerre, à laquelle il a plu au testateur du cardinal
Albéroni de me donner une grande part, a élé entreprise contre
mon avis, je le proteste ici à la face des nations ; lorsque M. le
Cardinal, le ministre le plus indécis qui fut jamais, me consulta
sur le parti que le roi avoit à prendre, j'opinai pour que nous
nous respectassions nous mêmes, en tenant ce que nous avions
promis ; il est vrai qu'en souhaitant qu'on soulint l'héritière de
Charles VI dans la crise où il paraissoit qu'elle alloit se trouver,
j'insistai fort pour que le grand-duc de Toscane ne fût point
empereur, parce que ne pouvant alors prévoir le traité de Ver-
sailles, du 1 mai 1 756, il étoit naturel de penser que François
de Lorraine, une fois empereur, feroit passer dans sa famille,
comme par droit de succession, le sceptre de l'empire, dont
l'influence peut beaucoup dans les affaires de l'Allemagne : il
suffisoit donc de maintenir l'impératrice régnante dans ses pos-
sessions ; mais la politique ne vouloit pas que nous rendissions
L 3 s L 5 Li L 3 L 3 Lo »” » Lo » s L L
DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. 43
»* le trône impérial héréditaire dans la maison de Lorraine, qui
n'est autre que celle d'Autriche. La pluralité des suffrages pré-
* valut, parce qu'on imagina faussement qu'on ne pouvoit garantir
* la pragmatique sanction et s'intéresser à l'électeur de Bavière,
» relativement à la dignité d'empereur, dont M. de Fleury flatta
s ce prince: il fut donc résolu qu'on feroit la guerre... »
J'ai suivi cette version, parce que je la crois de M. de Belle-
Isle lui-même ; parce qu'elle revêt ainsi, dans ma pensée et dans
sa bouche, le caractère, non pas, peut-être, d'un témoignage
proprement dit, mais au moins celui d'une protestation énergique
et précise; parce qu'enfin, si je ne me trompe, personne avant
moi ne l'a donnée, et qu'il importe à la vérité historique, que
les juges d'un homme, dontle nom appartient à l'histoire, ne le
condamnent pas sans l'entendre et sans avoir sous les yeux tous
les documents du procès.
A supposer d'ailleurs, comme l'affirment presque tous les his-
toriens, qu'il ait poussé à la guerre, il y mettait des conditions
qui l’auraient rendue heureuse et courte : il demandait cent mille
bommes et cent millions: et le parcimonieux cardinal lui donna
quarante mille hommes et dix millions; et, non content de lui
refuser les ressources indispensables au succès, il le contrariait
dans ses résolutions les plus efficaces et les mieux entendues ,
d'après ceux-là même qui, faisant de la politique et de la stratégie
rétrospective, blâäment ou approuvent avec la certitude de ne plus
se tromper. Ainsi, par exemple, quand, après s'être emparé de
Lintz, il voulait assiéger Vienne sans défense, où la terreur régnait,
et que Marie-Thérèse avait abandonné pour fuir en Hongrie, le
vieux ministre, entouré de ses ennemis et de ses rivaux, lui en-
joignait de renoncer à ce projet d’une exécution infaillible et de
se porter sur le Danube. Cet ordre parut à M. de Belle-Isle si
déraisonnable, qu'il fit partir aussitôt l’un de ses meilleurs DRIts |
avec cette pressante dépêche :
« Monsieur le Cardinal, il est encore temps de révoquer l’ordre
+ de lever le siége de Vienne, l'armée n'en est point instruite, et
* cela ne peut nuire aux opérations de la campagne victorieuse
* que nous venons de faire. Les ennemis sont convaincus que
44 SÉANCE PUBLIQUE.
» nous attaquerons Vienne et que nous en serons bientôt maîtres ;
» il faut toujours tenter ce que l'ennemi craint. Ce n'est pas là le
* cas des partis mitoyens ; le roi de Prusse vient de s'emparer de
» la Silésie ; imitons notre allié, en nous emparant de Vienne, qui
» est mal fortifié du côté où nous l'attaquerons. Il n'y a que la prise
» de Vienne qui puisse rendre la paix à l'Europe ; nous fermons
» le chemin aux Hongrois; nos armées victorieuses ne feront
» plus qu’un voyage pour s'emparer du reste de l'Empire et le
» roi verra en peu de temps ses projets amenés à leur fin ; mais il
» n'ya pas un moment à perdre, révoquez l'ordre de la levée du
» siège... Je regarde la prise de Vienne comme tellement im-
» portante que je ne fais pas de difficulté de détacher en courrier
» M. de Chevert, lieutenant-colonel du régiment de Beauce, pour
» que cet officier distingué puisse rendre compte au roi de la
» position de l'armée et de la nécessité absolue de se rendre
» maitre de la capitale autrichienne. Pesez dans votre sagesse
»* toutes ces vonsidérations, Monsieur le Cardinal, et renvoyez-
» moi M. de Chevert aussitôt que vous aurez reçu les ordres du
» roi, »
En même temps qu'il écrivait au ministre, dont il pressentait la
résistance, le malheureux général s'adressait en termes désolés à
Mne de la Tournelle, depuis Me de Châteauroux :
+ Madame la Marquise, je désespère de faire couronner l'élec-
»* teur de Bavière, si S. M. ne révoque point l'ordre inepte qu'on
» lui a arraché; j'ai été tenté, je vous l'avoue, de feindre de ne
» pas l'avoir reçu, et d'aller en avant. La seule chose qui m'ait
» arrêté, est l'inconstance de la victoire et la crainte de compro-
» mettre la gloire de mon souverain. Je combats ses ennemis et
»* les miens l'entourent. Un prêtre. Madame, ne se connoît point
» à commander une armée; que le roi s’en rapporte, dans cette
» occasion, à de vieux militaires, qui ont blanchi sous le harnois ;
* ils lui diront que celui qui laisse refroidir le courage force la
» victoire à l'abandonner. Je voudrois qu'un boulet de canon
» m'eût fait sauter la cervelle ; je serois mort pour mon roi et
» pour ma patrie et je n'aurois pas la douleur de voir échouer
» upe opération commencée sous de si heureux auspices. Que
DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. 45
» diront les Saxons qui nous ont si bien secondés ? Que diront
» les Bavaroïis que nous avons engagés dans cette guerre? Que
» dira le roi de Prusse ? Faites entrevoir tout cela au roj, Madame,
» et sauvez la France de la honte dont le vieux cardinal veut la
» COuvrir. »
La réponse de Mme de la Tournelle n’est pas moins instructive :
« de me suis bien gardée, mon cher comte, de montrer votre
» lettre au roi; elle étoit trop vivement écrite contre le cardinal
»* pour que je pusse le faire sans danger pour vous. M. de Chevert
» a été admis au petit conseil qui s’est tenu chez le roi aussitôt
» son arrivée. Le cardinal a expliqué très-avantageusement les
» motifs qui l'avoient déterminé à engager le roi à donner l'ordre
» de lever le siége de Vienne. M. de Chevert, avec infiniment de
» talent, a tâché de détruire l'impression qu'avoit faite le cardinal.
» Le roi étoit prêt à se rendre à votre avis ; mais M. d'Argenson
» et Maurepas se sont rangés du côté du cardinal, et le roi a fléchi.
» J'ai su cela de S. M. elle-même, qui doit vous écrire pour
* vous donner de nouveaux ordres. Je vous engage, mon cher
» comte, à vous y conformer ; vous trouverez dans votre génie des
» moyens de parer aux sottises du vieux mentor : je dis softises,
» parce que je vous crois, et parce que M. de Chevert, qui a l'air
* de la candeur même, m'a assuré que les opérations de la cam-
» pagne étoient manquées par ce maudit ordre... Le roi m'a
» dit qu'il vous enjoignoit de faire le siége de Prague ; qu'il étoit
» plus facile que celui de Vienne... Adieu, mon cher comte,
» courage et persévérance mènent loin : vous possédez ces deux
» qualités ; j'espère donc que votre premier courrier nous annon-
» cera une nouvelle victoire. »
M. de Belle-Isle annonçait, en effet, à Mme de la Tournelle, la
_ prise de Prague et le couronnement de l'électeur de Bavière,
roi de Bohême et empereur.
+ …. Charles VII est maintenant au comble de la gloire: mais
» il ne suffit pas de l'avoir fait roi de Bohême et empereur, il faut
» maintenir les couronnes sur sa tête. Hélas! avec le peu de
» troupes et le peu d'argent que le cardinal de Fleury donne pour
» de si grandes opérations, il faut des miracles pour se. soutenir.
46 - SÉANCE PUBLIQUE.
J'avois promis au roi, mon maître, de faire couronner son pro-
tégé ; j'ai tenu parole, et l'on a manqué à toutes celles que l'on
m'avoit données. N'importe, je continuerai, autant qu'il me sera
possible, à faire respecter le nom françois. Mais je vous en sup-
plie, Madame, faites en sorte qu'on m'envoie de la cavalerie ;
sans cavalerie, je ne puis résister. 1] faut aussi, Madame, que
vous pressentiez le roi sur la conduite du roi de Sardaigne ; je
sais, .à n'en pas douter, qu'il est prêt à s'unir avec la reine de
Hongrie. Les rois ne peuvent tout voir par eux-mêmes, et quand
leurs ministres n'ont pas plus de bonne foi que ceux de Louis XV,
ils sont très à plaindre : alors les opérations les mieux com-
binées n'ont aucun succès. Voilà la position où je me trouve.
Je n'ai d'espoir qu'en vous, Madame ; votre âme, faite pour les
grandes choses, concevra facilement dans quelle perplexité je
dois me trouver, après avoir amené Charles VII au plus baut
degré de gloire, d'être obligé de demander grâce aux ennemis
que j'aurais vaincus. »
Pour faire apprécier le mauvais vouloir du ministère, à l'endroit
de M. de Belle-Isle, il suffirait d'enregistrer ces paroles du mar-
quis d'Argenson, t. Il, p. 226 et 383:
à
._
« Le cardinal restreint toute l'entreprise d'Allemagne avec une
lésinerie qui fera tout manquer... Nos petits ministres imagi-
nant peu et n'exécutant rien pour un si vaste projet, furent
effrayés de l'ascendant que prenoit le maréchal de Belle-Isle :
ils se concertèrent pour nuire à son crédit. On lui promettoit
tout quand il étoit à la cour, et dès qu'il étoit parti on en
retranchoit la majeure partie. Rien n'étoit plus vrai cependant
qu'une pareille entreprise ne pouvoit réussir que par la prodi-
galité et la soudaineté; c'eût été l'affaire d'une seule campagne
si le conseil en avoit bien adopté l'esprit et ne l’eût point tra-
versé, comme il a fait. »
(30) — Henri Martin, Histoire de France depuis les temps les
plus reculés jusqu'en 1189, t. XV, liv. XCV, p.231, note, 4 édition.
La France exécutait en cela quatre traités secrets, des 2 fé-
vrier 1714, 12 novembre 1727, 15 novembre 1733, 16 mai 1738,
DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. 47
par lesquels elle s'était engagée à assister la maison de Bavière,
dans le cas où la descendance masculine de la maison d'Autriche
viendrait à s'éteindre.
(31) — Anquetil, Histoire de France, t. VIIN, p. 409-410. —
Henri Martin, Histoire de France depuis les temps les plus reculés
jusqu'en 1789, p. 243-244. — Jules Nollet-Fabert, La Lorraine
militaire, t. À, p. 9-10.
Le couronnement eut lieu le 19 décembre 1741. Prague était
tombé aux mains des Français, dans la nuit du 25 au 26 no-
vembre, au moyen d'une escalade confiée à un lorrain, le lieu-
tenant-colonel Chevert, né à Verdun, le même que M. de Belle-
Isle venait d'envoyer au cardinal de Fleury pour le convaincre de
la nécessité de prendre Vienne d'abord. On connaît les instructions
si laconiques et si fermes de cet intrépide officier au grenadier
qui devait le premier franchir la muraille : « Tu monteras par là,
» On te criera qui vive! une fois, deux fois, trois fois: ne réponds
» pas et avance toujours ; la sentinelle te mettra en joue, tirera,
* te manquera; tu te précipiteras sur elle, tu la tueras et je suis
* là pour te soutenir. » Le grenadier exécute de point en point la
consigne ; Chevert le suit avec quelques braves, court du rempart
à une porte voisine qu'il ouvre à la cavalerie de Maurice de Saxe,
et Prague est à nous.
(32) — Barbier, avocat au parement, Journal historique et
anecdotique du règne de Louis XV, publié par la Société de l’His-
toire de France, t. 11, p. 282, 287-288. — Voltaire, Précis du
siècle de Louis XV, chap. VI, t. XIX, p. 68-69. — Vie politique
et militaire, p. 123-126. — Oraison funèbre de très haut et très
puissant seigneur Charles-Louis-Auguste Foucquet de Belle-Isle,
duc de Gisors, pair et maréchal de France, elc., prononcée dans
l'église de l'hôtel royal des Invalides, le 10 avril 1761, par le K. P.
de Neuville, de la compagnie de Jésus, p. 16-18, 44. — Le duc
de Nivernois, Réponse au discours de l'abbé Trublet. Recueil des
harangues prononcées par Messieurs de l’Académie françoise dans
leurs réceplions et en d'autres occasions, depuis l'établissement de
48 SÉANCE PUBLIQUE.
l'Académie jusqu'à présent, 1764, t. VI, p. 468. — Correspondance
inédite de Mme de Châteauroux, t. 1, p. 160-161.
4 janvier 1742, élévation de l'électeur de Bavière à l'empire,
sous le nom de Charles VIT. L'ambassade de Francfort fut l’une
des époques les plus heureuses et les plus brillantes de la vie de
M. de Belle-Isle. Nommé maréchal de France, le 11 février 1741,
pour l'autoriser davantage près de la diète, il étala aux yeux de
l'Allemagne étonnée, une magnificence presque royale; douze
pages et un nombre considérable de gentilshommes composaient
sa suite; la maréchale qui l'avait accompagné faisait, avec une
grâce parfaite, les honneurs d’un salon où tous les hommesinfluents
se donnaient rendez-vous et où s’agitaient les plus sérieux intérêts.
« Il semblait être, dit Voltaire, plutôt un des premiers électeurs
» qu'un ambassadeur de France ; il avait ménagé toutes les voix
et dirigé toutes les négociations ; il recevait les honneurs dus
» au représentant d’un roi qui donnait la couronne impériale. »
Et M. de Nivernois ajoute: « J'ai vu, dans les cours d'Allemagne
où il avait soutenu nos intérêts avec éclat, sa personne chérie,
. son nom respecté, et les traces, après quinze ans, subsistantes,
+ de la confiance et de l'estime universelles qu'il avait acquises
» par sa manière de négocier ; elle était, comme son caractère,
» généreuse, droite, courageuse et sincère, sans variations parce
» que ses principes étaient fixes, sans équivoque parce que ses
* vues étaient nettes, sans inquiétude parce qu il connaissait toute
» l'abondance et la sûreté de ses moyens, sans impatience parce
» qu'il savait que les affaires ont un point de maturité qu'il faut
» attendre et qu'il est dangereux de prévenir. »
(33) — Vie politique et militaire, p. 97. — Voltaire, Correspon-
dance avec le roi de Prusse, t. LX, p. 78-79.
C'est à la même époque, 13 mai 1741, que Frédéric Il écri-
vait à Voltaire : « J'ai vu et beaucoup entretenu le maréchal de
»* Belle-isle qui sera, dans tout pays, ce qu'on appelle un très-
» grand homme. C'est un Newton pour le moins en fait de guerre,
+ autant aimable dans la société, qu'intelligent et profond dans
+ Jes affaires, et qui fait un honneur infini à la France sa nation
» et au choix de son maître. »
DISCOURS DU PRÉSIDENT. —— NOTES. 49
(34) — De Sismondi, Histoire des Français, t. XXVIII, chap.
XLVIII, p. 230-246. — Henri Martin, Histoire de France, t. XV,
liv. XCV, p. 239-242. — Voltaire, Précis du siècle de Louis XV,
chap. VI, t. XIX, p. 65-66. — Traité de Breslaw, 114 juin 1742.
(35) — Histoire de mon temps, t. [, p. 260-261. — Vie politique
et militaire, p. 129-131.
Avant de s'enfermer dans Prague, M. de Belle-Isle signala son
retour à l'armée par un avantage qui fit à nos revers une courte,
mais consolante diversion. Le prince Lobkowitz assiégeait Fra-
wemberg ; cette place avait une certaine importance ; M. de Belle-
Isle décida son collègue et son ancien, le maréchal de Broglie, à la
secourir ; et le général autrichien nous ayant offert la bataille pour
n'être pas surpris dans son camp, fut battu à Sahay et obligé de
fuir à toutes jambes vers Budweis. Cette défaite, à l'occasion de
laquelle le lieutenant de Marie-Thérèse ordonna un Te Deum,
comme s'il était victorieux, acheva de détruire la vieille et pres-
tigieuse réputation des cuirassiers autrichiens qui « passaient
» autrefois pour les piliers de l'empire; » mais elle n'améliora
presqu'en rien notre situation désormais compromise par la dé-
fection de la Prusse et le traité de Breslaw.
(36) — Vie politique et militaire, p. 148-150.
La plus fameuse de ces sorties fut celle du 22 août 1742,
dans laquelle les assiégés, conduits par le duc de Biron, tuèrent
à l'ennemi 1500 hommes, en mirent 40000 hors de combat, ren-
versèrent tous ses ouvrages d'approche et lui enleveront des
canons et des drapeaux.
(37) — Vie politique et militaire, p. 152-163.— De Sismondi,
t. XX VIII, chap. XLVHI-XLIX, p. 246-247, 258-259:
Le maréchal de Maillebois qui avait, avec 40000 hommes,
envahi la Westphalie pour contraindre le Hanovre et la Hollande
à la neutralité, et dont la mission se trouvait accomplie, reçut
l'ordre de marcher au secours de Prague ; mais arrivé à Egra, soit
que les instructions de Versailles le rendissent timide, soit que le
souvenir d'une ancienne rivalité attiédit son ardeur, il renonça tout
7
50 SÉANCE PUBLIQUE.
à coup à sa jonction avec M. de Belle-fsle et se rejeta sur la
Bavière, où il établit ses quartiers d'hiver, après en avoir chassé
les Autrichiens. A Paris, où l'on rit des choses les plus sérieuses
et les plus tristes, l'armée du maréchal de Maillebois s'appelait
l'armée des Trinitaires ou des Mathurins, parce que les religieux
de cet ordre, fondé en 1198 par Jean de Matha et Félix de Valois,
se consacrent à la rédemption des captifs.
Pendant ce temps le vieux cardinal cherchait à désarmer la
colère de Marie-Thérèse, dans une lettre qu'il a depuis désavouée,
en lui dénonçant l'héroïque défenseur de Prague comme l'unique
auteur « d'une guerre qui était contraire à son goût et à ses
» principes. » Cette étrange confidence, répandue dans toute
l'Allemagne et qui livrait le cabinet de Versailles à la risée de
l'Europe, ne provoqua de la part de M. de Belle-Isle que cette
réponse aussi modérée que généreuse : « Il est bien permis de
» manquer de mémoire à quatre-vingt-neuf ans. »
(38) — Campagne de Messieurs les maréchaux de Broglie et
de Belle-Isle, en Bohème et en Bavière, t. VI, p.291.— Dans une
dépêche du 29 décembre 1742, au marquis de Breteuil, ministre
de la guerre, M. de Belle-fsle rend ainsi compte des motifs de sa
détermination :
« …. Voyant par toutes les nouvelles que j'ai pu avoir, que nous
» ne faisons rien sur le Danube capable de retirer M. de Lobko-
» witz, j'ai bien prévu que les difficultés de la retraite ne feroient
qu'augmenter par un plus long délai ; je n'ai été retenu que par
mon impuissance d'agir et de monter à cheval, connaissant,
comme j'ai fait, toutes les difficultés et tous les dangers d'une
pareille entreprise, pour laquelle il faudroit que le chef eût
plutôt deux corps qu'un; mais l'horreur d'une capitulation
inévitable m'a fait passer par-dessus toute considération et j'ai
témérairement pris sur moi l'événement d'une démarche à la-
quelle je ne pouvois travailler que par des tiers. »
LU » »” w L 2 + La
(39) — Le marquis d'Argenson, t. II, p. 389.
(40) — Id. Id. id.
DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. bi
(41) — Louis Susane, Histoire de l'ancienne infanterie fran-
çaise, t. J, p. 284.
(42) — Le baron d'Espagnac, t. I, p. 542-343. — Vie poli-
tique et militaire, p. 176-177. — Voltaire, Éloge funèbre des of-
ficiers qui sont morts dans la guerre de 1141,1. XIX, p. 398. —
Id., Panégyrique de Louis XV, même vol., p. 431.—1Id., Diction-
naire philosophique, v° Xénophon. t. XXXVIII, p. 528-530. —
De Courcelles, Dictionnaire historique, t. V1, p. 113.
(43) — Campagne de Messieurs les maréchaux de Broglie et
de Belle-Isle, t. VI, p. 125-126.
Dès le 25 octobre 1742, en exprimant sa profonde douleur
de ne pouvoir accepter le commandement dont on lui envoyait
la patente et dignement répondre aux vues de S. M. il écrivait
déjà : « Ma santé est dans un tel excès d’épuisement que j'ose
» dire qu'il faut autant de volonté que j'en ai pour avoir agi
comme j'ai fait avec les douleurs que je ressentois pendant le
siége et y avoir pu suffire jusqu'au bout... j'éprouve une
insomnie continuelle, avec de vives douleurs de mon rhuma-
tisme à la hanche et aux reins, ce qui m'oblige à garder la
chambre depuis trois semaines, et je crois qu'il s'agiroit de ma
vie que je ne pourrois me tenir un grand quart d'heure à cheval.»
(44) — Le baron d'Espagnac, t. p. 341-542. — Vie politique
et militaire, p. 165-166. |
Une autre circonstance concourut encore au salut de notre
armée, en rendant la poursuite des assiégeants moins facile et
plus lente. Par l'exécution continue de travaux de défense, M. de
Belle-Isle avait tellement convaincu le prince Lobkowitz de son
intention de passer l'hiver à Prague, que, pour hiverner plus com-
modément lui-même, le général autrichien n'hésita point à se
retirer au delà de la Moldaw et à enlever les ponts que le choc
incessant de gros glaçons menaçait de rompre, de telle sorte que
quand il apprit notre retraite il lui fallut un temps assez consi-
dérable pour rétablir sa communication entre la rive qu'il occupait
et la rive le long de laquelle nous nous retirions.
59 SÉANCE PUBLIQUE.
(45) — Voltaire, Éloge funèbre de tous les officiers qui sont
morts dans la guerre de 1741, t. XIX, p. 409-413. — Henri
Martin, t. XV, liv. XCV et XCVI, p. 253 et 404-407,
Toutes les victimes de la fatigue et du froid ne moururent point
sur la route, ou dans les hôpitaux de la Bohême ; beaucoup d'autres
s'éteignirent plus tard, au sein de leurs familles, après avoir traîné
une vie languissante et attristée. De ce nombre fut Vauvenargues,
moraliste plein de douceur et de charité, philosophe chrétien par
le sentiment, sinon par le dogme, l'émule de Pascal, de Laroche-
foucauld, de la Bruyère, et l'ami de Voltaire qui lui écrivait le
4 avril 1744 : « Si vous étiez né quelques années plus tôt, mes
+ ouvrages en vaudraient mieux. »
(46) — Campagne de Messieurs les maréchaux de Broglie et de
Belle-Isle, t. VI, p. 280-285, 289-294 et t. VII, p. 1-16.
Il existe plusieurs relations officielles de la retraite de Prague à
Egra. écrites par M. de Belle-Isle lui-même, et j'emprunte à l'une
d'elles, la plus complète et la moins connue, les passages suivants,
qui me paraissent repousser d'une manière catégorique les re-
proches d'imprévoyance et d’inhumantté auxquels quelques his-
toriens modernes se sont laissés trop facilement entraîner.
« .…, J'ai cherché à donner le change à l'ennemi et tandis que
» je ne songeois qu à sortir, j'ai fait toutes les démonstrations de
quelqu'un qui veut faire un établissement solide; j'en supprime
ici tous les détails ; ce n'a pas été la partie la moins difficile,
parce qu'il falloit que je travaillasse aux deux contraires à la fois
et que mon véritable objet füt caché, en tâchant de persuader
l'autre. J'ai fait reconnaître tous les chemins qui conduisent de
Prague à Egra, il yen a deux ordinaires, auxquels le prince de
Lobkowitz a donné toute son attention: j'ai cherché tous les
moyens de pouvoir en prendre un troisième, au milieu des deux
autres ; il m'a fallu y envoyer des généraux intelligents et dé-
guisés et lorsque j'ai vu qu'il n'y avoit plus de diversion à espérer
de nos armées du Danube et de Bavière, et que plus je différerois
et plus les obstacles s'augmenteroient, et que ma retraite pouvoit
devenir impraticable, j'ai pris décisivement toutes mes mesures,
”
DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. 53
et ai mis mon armée en marche la nuit du 46 au 47, menant avec
moi onze mille hommes d'infanterie, trois mille chevaux, ca-
valiers, dragons ou hussards, trente pièces de campagne à la
Suédoise, avec tout leur attirail, des chariots chargés de car-
touches, pierres à fusils, etc., des caissons pour du pain, ou du
riz pour six jours, le trésor, l'hôpital ; le tout comprenant en-
viron trois cents voitures et six mille mulets ou chevaux de bât
d'équipages.
» J'avois fait prendre aux troupes, en partant, du pain et du
riz pour six jours et je conduisois avec moi des bœufs, pour
distribuer la viande journellement ; j'en ai donné une livre par
jour, à chaque soldat, pour suppléer au pain; je leur ai aussi
fait donner du lard et de l'eau-de-vie et une seconde distri-
bution de riz dans la marche; j'avois fait ficeler secrètement
du foin, j'en ai fait prendre à toute la cavalerie et aux équipages
pour deux jours et.pour quatre jours d'avoine.
» Quoique j'aie laissé dans Prague une garnison de plus de
quatre mille hommes, elle n'étoit composée que de convalescents,
infirmes et malingres, qui n'eussent jamais pu faire deux jours
de marche; cette précaution étoit d'ailleurs nécessaire pour la
sûreté de nos hôpitaux et des effets que je ne pouvois emporter,
comme aussi pour faire diversion et empêcher que le prince
Lobkowitz ne füt averti sur-le-champ de men départ. J'omets le
détail d'une infinité de précautions qu'il m'a fallu prendre pour
dérober ma marche, en quoi j'ai parfaitement réussi : le prince
Lobkowitz ayant cru que ce n'étoit qu'un grand fourrage, n'a su
la vérité que le 18. J'avois fait alors huit grandes lieues, car
après que j'eus joint les troupes, à la pointe du jour, par un
brouillard et un verglas qui rendoient ma marche extrêmement
pénible, je la continuai jusqu'à Fachlowitz, où je surpris un
régiment de cuirassiers, qui eût été enlevé, sans le brouillard
qui facilita sa retraite ; on en tua une vingtaine, on fit dix-sept
prisonniers et l’on prit vingt-deux chevaux. Comme le pays est
fort ouvert el qu'il y a douze ou quatorze lieues de plaine à tra-
verser, ayant affaire à un ennemi qui avoit plus de huit mille
chevaux frais et sans bagages, j'avois partagé mon armée en
54 SÉANCE PUBLIQUE.
einq divisions, deux avant-gardes et une grosse arrière-garde ;
chaque division composée d'une brigade d'infanterie de deux
mille deux ou trois cents hommes, de deux brigades de cavalerie
d'environ cinq cents chevaux, d'une brigade d'artillerie de six
pièces et des équipages des officiers généraux et des troupes de
la division. Ma première avant-garde étoit composée alternati-
vement de mes carabiniers ou dragons, de mes hussards et de
dix-huit à vingt compagnies de grenadiers, et h seconde avant-
garde des gardes ordinaires et du campement.
» ]l faut observer que le pays est fait de façon qu'il est im-
possible de marcher sur plus d'une colonne; il est aisé de com-
prendre la file que doit tenir tout ce que je viens de détailler et
c'est pour cette raison que mon armée étant partagée en divisions,
j'étois toujours en état de faire face en force à la tête, à la queue
et le long de ma colonne, parce que faisant à droite ou à gauche.
selon le. côté où paraîtroit l'ennemi, je me trouvois toujours
en bataille, mes armes mêlées, infanterie, cavalerie et canon,
couvrant mes équipages que je faisois mettre derrière et c'est ce
qui est en effet arrivé ; car à mon départ de Tachlowitz, le 18
au soir , les ennemis firent mine d'attaquer mon arrière-garde
avec quantité de hussards et de croates, soutenus par douze
escadrons de cuirassiers avec leurs étendards. Mes grenadiers
qui étoient postés derrière mes chariots, firent feu si à propos.
ce qui, joint à quelques volées de canon, a obligé les ennemis
à se retirer en désordre hors de la portée: ils attaquèrent le
même jour, et presque en même temps, le centre de ma colonne
à la troisième division, où étoient la brigade d'Auvergne et
celles de la Reine et d'Orléans, cavalerie ; le comte de Bavière,
qui la commandoit, fit mettre ses troupes en bataille et tirer du
canon, ce qui les écarta sur-le-champ. Ils se présentèrent aussi
en assez grand nombre à l'avant-garde, où ils furent chargés
encore avec plus de vigueur ; tout cela ralentit un peu la marche
et fit que l'arrière-garde n'arriva qu'un peu après minuit ; la
terre étoit couverte de neige ; l'armée fit néanmoins ce jour-là
oarde:
e deur
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DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. 55
Re J'arrivai à onze heures du soir à Teusing,-où je restai
encore jusqu'au lendemain à midi pour laisser le temps aux
» troupes de faire leur soupe, de bien manger et dormir. C'est là
. que j'appris que le prince Lobkowitz avoit fait rompre et brûler
» les ponts de Carlsbadt, sur la rivière d'Eger et tous ceux de la
» route de Pilsen, où il avoit jeté plusieurs milliers de chasseurs,
» croates ou pandours, n'ayant jamais voulu croire que j'eusse pu
» passer par le chemin que j'avois tenu ; celui qui me restoit à
» faire étoit encore bien pis...
+ J'ai omis de dire qu'à mesure que j'ai fait faire des distri-
butions, j'ai fait brûler les voitures qui n'eussent pu passer et
qui m'embarrassoient beaucoup ; par la même raison je fis
également brûler les caissons. …
» .… Enfin, par précaution et pour faciliter la capitulation,
j'ai emmené avec moi vingt personnages des plus notables,
chargés de tous les ordres de la ville, pour me servir d'otages
et de représailles de ce qui se passeroit après mon départ:
tout cela joint à toutes les autres précautions secrètes et à Ja
bonne conduite qu'a tenue M. de Chevert, auquel j'avois laissé
en partant le commandement de la place, a produit ce que
javois prévu, qui est, qu'il a obtenu une capitulation très-
honorable... ,
Ce fut, en effet, à M. de Chevert, qui avait pris Prague, que
M. de Belle-Isle confia le soin de rendre cette place à des con-
dilions honorables ; et, pour obtenir ces conditions, le brave
colonel menaca de faire sauter la ville avec lui, si elles lui étaient
refusées. On le savait capable d'exécuter cette menace, et le prince
Lobkowitz, désireux de sauver la capitale de la Bohême, s’em-
pressa de lui accorder tout ce qu'il demandait. Le nom de notre
intrépide compatriote se lie ainsi à deux des plus glorieux épisodes
de la guerre de la succession d'Autriche.
sw
s
(47) — Vie politique et militaire, p. 178. — 11 février 1743.
(48) — Voltaire, Précis du siècle de Louis XV, chap. XIV,
t. XIX, p. 114-115. — Vie politique, p. 183-186. — Théophile
Lavallée, Histoire des Français, liv. II, sect. I, ch. II, 22 9 et 10.
36 SÉANCE RUÜBLIQUE,
Marie-Thérèse venait de conclure à Worms, avec l'Angle-
terre, la Sardaigne et l'électeur de Saxe, un traité d'alliance
dans le but avoué de défendre la pragmatique sanction et l'équi-
libre européen, et avec le secret espoir de reprendre la couronne
impériale à Charles VIT, la Silésie à la Prusse, la Franche-Comté,
Ja Lorraine et l'Alsace à la France. A cette nouvelle ligue,
Louis XV et le roi de Prusse opposèrent l'union de Francfort,
que M. de Belle-Isle cherchait à fortifier et à grandir, quand il
fut arrêté, le 20 décembre 17 {4, par le bailli d'Elbingerode, petit
bourg du Hanovre, et conduit en Angleterre, où il demeura
prisonnier, dans le château de Windsor. mais entouré des attentions
les plus délicates, jusqu'au 17 août 1745, malgré les réclamations
de l'empereur et des cabinets de Versailles et de Berlin. — Dans
les mêmes circonstances, l'ambition la plus étrange faisait de Vol-
taire un diplomate et le marquis d'Argenson l'envoyait à Frédéric.
(49) — Cuvelier, la Vie de vaillant Bertran Du Guesclin, pu-
bliée par E. Charrière, dans la collection des Mémoires inédits de
l'Histoire de France, v. 13301-13655.
(50) — Voltaire, Précis du siècle de Louis XV, chap. XX, p.166-
467. — Vie politique et militaire, p. 198-226. — Henri Martin,
Histoire de France, t. XV, liv. XCV, p. 299-300 et 319-320.
Général en chef, intendant, munitionnaire, M. de Belle-Isle
sait pourvoir à toutes les exigences d'une situation désespérée. Il
se procure les choses nécessaires aux soldats, en empruntant, en
son nom, cinquante mille écus; il assure la nourriture des che-
vaux, en faisant venir de plus de quarante lieues des fourrages
à dos d'hommes, parce que les mulets, ordinairement employés
au transport des foins, en consommeraient en route plus de
moitié ; il se concilie enfin la bienveillance des populations, en
imposant à ses troupes la plus sévère discipline ; au milieu d'un
hiver rigoureux, en l'absence d'autres combustibles, il ne permet
pas de couper un seul arbre fruitier pour se chauffer, et, quand
dans le comté de Nice, on lui propose de brüler les oliviers, en
souvenir et en représailles des dévastations que l'ennemi a com-
mises dans la Provence et dans le Dauphiné, il impose silence
DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. 97
à son interlocuteur par cette noble réponse : « N'imitons, Mon-
» sieur, que les bons exemples. »
(51) — Vie politique et militaire, p. 281. — Le marquis d'Ar-
genson, t. HI, p. 186-187.
Le congrès de Nice fut tenu en exécution de l'article VIIL du
traité de paix signé à Aix-la-Chapelle, le 18 octobre 1748. Au
début des conférences, le marquis d'Argenson, alors ministre des
affaires étrangères aurait voulu qu'on assignât à M. de Belle-fsle
un rôle moins secondaire et qu'on le chargeât de traiter. Il est,
« disait-il, puissant en moyens, et en activité. {1 subjuguera les
* conseils par son éloquence ; il leur parlera comme j'aurois dû leur
» parler. C'est le seul homme capable de nous tirer du mauvais
» pas où nous sommes engagés. »
(52) — Moreri, t. V. p. 768.— Mars 1742, duc de Gisors.
(53) — De Courcelles, t. VI, p. 115. — 24 avril 1749.
(54) — L'avocat Barbier écrivait dans son curieux journal,
le 26 mars 1758, t. IV, p. 258: « Le roi a donné le détail
* des affaires de la guerre à M. le maréchal de Belle-Isle,
»* homme très-habile, qui étoit déjà ministre d'État, mais qui à
- soixante-seize ans! » — Henri Martin, t. XV, p. 526, reporte
la nomination au 29 février 1758, tandis que M. de Courcelles,
t: VI, p. 115, la fixe au 3 mars. Cette dernière date me paraît
être la vraie.
(99) — Vie politique et militaire, p. 236-237.
(56) — Louis Susane, Histoire de l'ancienne infanterie fran-
gaise, t. |. p. 282.
(57) — Archenholtz, Histoire de la dur de sept ans, p. 119.
(58) — ORDONNANCE pour régler les équipages et les tables
dans les armées. Versailles, 3 juin 1758. Archives.
8
08 SÉANCE PUBLIQUE.
(59) — Lettre-circulaire à tous les colonels d'infanterie au ser-
vice du roi, fin de mai 1758. — Vie politique et militaire, p. 245-
251.
(60) — RÉGLEMENT sur l’anciennelé de service que devront avoir
les officiers qui seront proposés pour commander des régiments.
Versailles, 29 avril 1758. Archives.
(61) — Vie politique et militaire, p. 243.
(62) — ORDONNANCE pour séparer le corps du Génie de celui de.
l'Artillerie. Versailles, 5 mai 1758. Archives.
(63) — ORDONNANCE concernant le corps royal de l'Artillerie.
Versailles, 5 novembre 1758. Archives. — ORDONNANCE concer-
nant le corps du Génie et les compagnies de sapeurs et de mineurs.
Versailles, 10 mars 1759. Archives.
(64) — ORDONNANCE sur la discipline, subordination et service
des maréchaussées du royaume. Versailles, 19 avril 1 760.— Recueil
général des: anciennes lois françaises, depuis l'an 420 jusqu'à la
révolution de 1789, par MM. Isambert, Decrusy et AAApuers
t. XXII, ne 794, p. 299,
(65) — ORDONNANCE pour la réforme des abus qui se commetlent
dans les engagements militaires. Versailles, 27 mars 17160. Recueil
du conseil d'Etat.
(66) — ORDoNNANCE pour la levée des recrues dans les diffé-
rentes provinces du royaume. Versailles, 25 novembre 1760. Recueil
du conseil d'Etat.
(67) — DÉCLARATION concernant l'École royale militaire. Ver-
sailles, 24 août 1760. — Recueil général des anciennes lois fran-
çaises, t. XXII, n° 798, p. 303-305. — L'École militaire avait été
fondée, sous le ministère du comte d'Argenson, en janvier 1791,
_même recueil et même volume, n° 665, p. 242-246.
M. de Belle-Isle voulait compléter l'instruction des offciérs
par l'établissement d'Académies militaires, où les généraux, les
colonels et les capitaines après dix ans de commission, auraient
DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. 59
discuté entre eux, en s'aidant des Commentaires de César, des
œuvres de Vauban, des mémoires de Montécuculli, de Folard, de
Feuquières, de -Berwick, du prince Eugène, de Villars et même
des Rêveries du maréchal de Saxe, toutes les questions relatives
à la guerre, à la défense et à l'attaque des places, au choix d'un
champ de bataille, à la science des campements, aux movens
d'opérer une retraite ou de profiter d'une victoire. Testament
politique, chap. TI. Et on ne s'étonne pas de son désir de former
des officiers quand on connaît l'idée qu'il se faisait de leur in-
fluence et de leur action. « Tout dépend du chef, et de cent
» batailles perdues, il n'y en a pas cinq qu'on peut imputer à la
* honte des troupes; soldats du pape, soldats génoïs, dit-on, tous
» mauvais soldats; contes en l'air! Îl n'y a pas un fantassin de la
* sainte Église ou de la sérénissime république de Gênes qui ne
» valüt un de nos grenadiers, s'il étoit bien mené; et il n’est pas
» un grenadier françois qui ne méritât le titre huiniliant de soldat
» du pape, s'il étoit mal discipliné ou mal conduit. L'officier fait
* le soldat, le général forme l'officier, vérité essentielle que les
‘ princes ne perdent jamais de vue qu ‘à leur détriment. » (Tes-
tament, chap. VI.) |
(68) — Vie politique et militaire, p. 253-256.
(69) — Louis Susane, t. [, p. 298. — 12 janvier 1759.
(10) — ORDONNANCE portant création de l’ordre du Mérite mih-
taire. Versailles, 10 mars 1759. — Recueil général des anciennes
lois françaises, t. XXI, n° 760, p. 280-282.
Le préambule de cette ordonnance explique que les officiers
de la religion protestante « ne pouvant être admis dans l'ordre
» de Saint-Louis, parce que, suivant l'institution de cet ordre,
» l'entrée ne doit en être ouverte qu'aux seuls catholiques,
» S. M. a voulu les dédommager par une distinction de même
* espèce, qui soit un témoignage public de son estime et de
» Sa considération. » Et pour que l'assimilation entre les deux
ordres soit entière :
60 SÉANCE PUBLIQUE.
Art. 3.... « Il y aura dans l'ordre du Mérite militaire trois
degrés supérieurs l'un à l’autre, comme dans l'ordre de Saint-
Louis, où un chevalier peut monter à la dignité de comman-
» deur et un commandeur à celle de grand'croix.…
» Art. 4. Tous ceux que S. M. aura jugé à propos d'admettre
au premier de ces degrés auront une croix d'or sur un des côtés
de laquelle il y aura une épée en pal, avec ces mots pour lé-
gende : pro virtute bellicä; et sur le revers une couronne de
lauriers, avec cette légende : Ludovicus XV instiluit 1759; et
ils la porteront attachée à la boutonnière avec un petit ruban
couleur de bleu foncé, sans être ondé. Ceux qui monteront au
second degré, la porteront attachée à un large ruban de la
même couleur, mis en écharpe, et ils seront au nombre de
quatre seulement. À l'égard de ceux que S. M. fera passer au
troisième degré, ils porteront, indépendamment de ce grand
cordon, une broderie d'or sur l'habit et sur le manteau, et ils
seront au nombre de deux seulement. »
Une ordonnance du roi, en date des 28 novembre-6 dé-
cembre 1814, à remis en vigueur celle du 10 mars 1759, en
assignant à la décoration du Mérite militaire le même ruban qu'à
la décoration de Saint-Louis. Une seconde ordonnance des 22 mai-
8 juin 1816 détermine le rang que prendront, entre eux, dans les
cérémonies publiques, les membres des ordres royaux de Saint-
Louis, du Mérite militaire et de la Légion d'honneur.
(71) — Emmanuel Michel, Biographie du parlement de Metz,
p 171-172.
(12) — Emmanuel Michel, Biographie du parlement de Metz,
p. 172.
(13) — ANNALES DE Merz, depuis l'an 17124 inclusivement, par
feu Baltus, notaire, ancien conseiller-échevin de l'hôtel de ville,
pour servir de supplément aux Preuves de l'histoire de Metz,
p. 6-7 et 30. — Emmanuel Michel, Histoire du parlement de
Metz, p. 342-344.
M. de Belle-isle fut pourvu de la charge de gouverneur et de
lieutenant général des évêchés de Metz et de Verdun le 9 mars
DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. 61
1733; il prêta serment, le 17 même mois, entre les mains de
S. M.; et il fit enregistrer ses provisions au parlement de Metz,
le 18 mai suivant. Mais, dès le 43 octobre 4727, à la suite d'un
camp de plaisance formé sur les bords de la Moselle, à Richemont,
près Thionville, il suppléait déjà le vieux maréchal Yves d'Alègre,
comme une sorte de coadjuteur avec future succession; et, pour
lui rendre son intérim plus facile, il avait. à la date précitée,
reçu le titre de commandant en chef dans les Trois-Évêchés, et
dans les prévôtés, villes et dépendances de Thionville, Mont-
médy, Marville, Château et Bouillon, Longwy, Sarrelouis, Sierck
et Marsal. Ainsi s'expliquent les nombreux travaux qu'on lui
attribue, et avec raison, quoique antérieurs à 1 793.
(14) — Annales de Metz, p. 18-19, 30-31.
La première pierre du fort BELLE-Croix, élevé sur l'emplace-
ment de l'ancien village de Saint-Julien, fut posée par M. de
Bavière et Mme la comtesse de Belle-Isle en 1731, et le nouveau
village de Saint-Julien était entièrement bâti et achevé pour les
vendanges de 1733. |
(15) — Annales de Metz, p. 8, 22.
Le fort Mosecce, dont M. de Belle-Isle avait posé la première
pierre le 29 juin 1728, à l'angle droit d'un bastion, fut achevé
en 1731, et différents particuliers reçurent aussitôt le terrain
nécessaire à la création d'une grande rue, appelée aujourd'hui la
rue du Fort ou de Paris.
(76) — Annales de Metz, p. 4-6, 20-21, 25, 28, 45, 50, 82,
919-327.
1732-1734, l'hôpital militaire, ses annexes. — 1732-1734,
1740, les casernes. — 1737-1740, l'église, sous l'invocation de
saint Simon, et les. deux corps de logis y attenant où les chanoines
réguliers de Saint-Pierremont, titulaires de la cure, fondèrent un
collége, pour lequel M. de Belle-Isle obtint, en mai 1755, avec
d'importantes immunités, le titre de collége royal de Saint-Louis.
Ce collége acquit bientôt une grande réputation et fit la plus
redoutable concurrence au collége de LS AL dirigé
62 SÉANCE PUBLIQUE.
d'abord par des laïcs, puis par les jésuites. puis D les bénédic-
tins de Saint-Vannes.
Les soins donnés à la ville neuve ne issieut, point oublier
l'ancienne, et celle-ci s'enrichissait à son tour des casernes
Chambière, 1127-1733, 1132-1736, et de la caserne Coislin,
due à la munificence aussi constante qu ‘éclairée d'un saint prélat,
1726-1731.
(77) — Annales de Metz, p. 54-55. — 1738.
(18) — Annales de Metz, p. 62-68, 19-80, 91. — 1739-1742.
(19) — Chabert, l'Austrasie, t. V, p. 229.
La maison de Cormontaigne occupait une partie du jardin
actuel de M. le baron de Salis, plus du côté de la rue des Prisons-
” Militaires que de la rue du Rempart-Saint-Thiébault ; non loin de
là, à l'angle de la rue Chôtillon, on remarque-encore aujourd'hui
le magnifique hôtel construit par l'abbé de Châtillon pour servir
de retraite à ses religieux en temps de guerre et que la ville a
acheté, le 5 juin 1778, pour y loger les premiers présidents du
parlement.
(80) — Annales de Metz, p. 51. — 17151.
(81) — Cette lettre, très-développée et bien des fois reproduite,
appartient en original à M. Dufresne, conseiller de préfecture, qui
me l'a confiée, ainsi que beaucoup d'autres, avec une obligeance
parfaite dont je me plais à le remercier ici: elle porte la date du
17 novembre 1756 et elle est adressée à M. d'Araincourt, procu-
reur du roi au bureau des finances.
(82) — Annales de Metz, p. 11, 26, 34, 51-38, 46, 50, 99,
116, 121, 134, 295, 259-240, 273-276. — M. F. M. Chabert,
Notice sur Charles-Louis-Auguste Foucquet, duc de Bellersle, avec
un précis historique des travaux et des embellissements exéculés dans
la ville de Metz, de 1727 à 1761, p. 196.
1728, les rues Derrière-le-Palais et de la Pierre-Hardie;
1739, la rue Derrière-le-Palais: 1734, la rue de la Bonne-Ruelle;
DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. 63
1759, les rucs de la Tour-aux-Rats, de Braïllon et de la Téte-
d'Or; 1136, la rue Nexirue; 17317, les rues Serpenoise, des
Précheresses, de l’'Esplanade, aux Ours; 1144, la rue neuve de
Chauelurelle ; 1747, la rue Vigne-Saint-Avold ; 1749, la rue du
Plat-d'Étain ; 1751, la rue Fournirue; 1754, la rue du Plat-
d'Étain ; 1754-1755, la rue de la Garde; 1159-1760, les rues
de la Chèvre, des Clercs, du Heaume, du Lancieu, aux Ours, de
la Princerie, Taison ; etc., etc. j
(83) — Annales de Metz, p. 12-13, 50-51, 260-261, 266-269.
1729, la place de Chambre, les rues des Roches, de l’Abreuvoir
et de la Pierre-Hardie; 1737, la rue de la Haute-Pierre; 1755-
1756, les rues Neuve, du Four-du-Cloître, du Haut- Poirier,
Chévremont, des Carmes-Dechaux, de la Vieille-Tappe, Fournirue,
la place Saint-Jacques. |
(84) — Annales de Metz, p. 12, 23-26, 50, 163. — Ordon-
nances du bureau des finances des 1° avril 1732, 18 juin 1737,
24 mars 1749, 4 août 1752.
(85) — Annales de Metz, p. 28, 46, 49-50, 62, 104, 123-
195, 230-231.
1732, la rue des Fumiers; 1731, les rues d'Eltz, des Béné-
dictins : 1738, la rue de Gisors; 1759, la rue du Pont-des-Roches
ou de la Comédie : 1745, la rue Sainte-Glossinde ; 1749, la rue
Neuve-Saint-Louis: 1154, la rue des Jardins.
(86) — Annales de Metz, p. 38-39, 47, 82, 99-101, 126-128.
1735, le pont de Grève et le pont des Portières; 1737, le
pont Moreau; 1740, le moyen pont des Morts; 1745, le pont des
Basses-Grilles ou pont Royal; 1750, le Pontffroy.
(87) — Annales de Metz, p. 51, 62. |
17317, le pont Saint-Marcel ; 1739, le pont de Chambre ou
des Roches.
(88) — Annales de Metz, p. 55, 98, 61-62, 116, 122. —
Emm. Michel, discours, p. VI.
. 1738, les places du Pont-des-Morts, de la Comédie et de
64 ‘SÉANCE PUBLIQUE.
l'Intendance ; 1747, la place des Charrons; 1149, la place Saint-
Martin. Le jardin d'Amour, qui est contemporain de la place de
la Comédie, dont il forme une dépendance, n'a été livré au public
qu'en 1750, « temps auquel la ville y a fait mettre des bancs de
» pierre : » M. de Belle-Isle en prenait un soin tout particulier
et en fit élaguer les jeunes arbres en 1755, par un homme habile
qu'il envoya tout exprès de sa terre de Bizy.
(89) — Annales de Metz, p. 117.
Notamment en 1748-1749, celui où aboutissent les rues du
Pont-Sailly, du Champé et des Allemands. M. de Belle-lsle écrivait
à cette occasion, de Nice, le 11. janvier 1749, à MM. du bureau
des finances : + J'espère être cet été prochain à portée de juger
du bon effet que produira la démolition de l'illot Saint-Martin
que vous me prometlez devoir être faitte à la saint-Jean et de
trauailler avec vous aux moyens les plus conuenables pour
effectuer le projet de l'agrandissement de la petite place à la
descente du Pont Sailly qui doit procurer, auec le coup d'œil
agréable, le dégagement dont vous reconnaissez l'utilité pour
les trois rües qui y aboutissent, » (Collection Dufresne.)
(90) — Annales de Metz, p. 68, 82. 184, 271.
1789, le quai Saint-Pierre ; 1740 et 1755, le quai Saint-Louis;
1755, le quai du Fort- Moselle.
(91) — Annales de Metz, p. 35, 108-110. — 1734 et 1746.
(92) — Annales de Metz, p. 21-28, 70-78, 102-104.
(93) — Chabert, Notice, p. 65. |
Lettre de M. de Belle-Isle à Messieurs les conserllers-échevins,
le 27 août 1745 : « La question de la suffisance des eaux dans
» Metz m'a beaucoup occupé. Il seroit bien agréable pour moy,
» Messieurs, si vous pouuiez en accroistre l'abondance, en même
» tems qu'augmenter les fontaines de la ville. Peut estre si uous
» poussiez vos estudes vers le vieil ouvrage romain qui se voit
» proche de Jouï, ces estudes vous seroient profitables, mais il
DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. 65
ne faudroit pas pour cela abandonner ce qui a été fait ailleur
jusqu'à present, particulierement les trauaux aux sources de
Scy. Je n'ignore pas le peu d'argent que vous auez à dépenser,
aussy je serois heureux d'en obtenir de l'État pour cette cir-
constance, bientôt je uous informeray de mes nouueaux des-
seins... »
(94) — Annales de Metz, p. 231. :
(95) — Chabert, Nolice, p. 10.
-(96) — Annales de Metz, p. 226-228.
(97) — Annales de Metz, p.268. — Nuit du 9 au 10 aoû 11755.
(98) — Annales de Metz, p. 22. 46-47, 64.
(99) — Annales de Metz, p. 225-259. — C. À. Bégin, Histoire
de la cathédrale de Metz, t. 11, p. 334-340. — Auguste Prost,
Blondel et son œuvre, p. 38-49 et 56-71.
(100) — Annales de Metz, p. 47, 56, 61-62, 131, 182-183,
258-259.— M. Viville, Dictionnaire du département de la Moselle,
t.1, p 463. — Tessier, Essai philologique sur les commencements
de la typographie à Melz et sur les imprimeurs de cetie ville,
p. 52-56.
L'Hôtel des spectacles commencé en 1739 sur les plans et dessins
du sieur Oger, ingénieur et inspecteur des bâtiments de la ville,
a été inauguré par un bal, le jeudi 3 février 1752, et par une pre-
mière représentation théâtrale le dimanche suivant. — Les pavillons
qui touchent de chaque côté à cet hôtel et qui complètent avec
lui la décoration de la place de la Comédie, sont postérieurs de
quelques années, 1753-1755. — L'Hôtel de l'intendance, cons-
truit de 1739 à 1742, brûlé au mois de septembre 1803 et
reconstruit en 1806, comprend aujourd hui l'hôtel et les bureaux
de la Préfecture.
Avant que ces différents édifices ne constituassent un remar-
quable ensemble, on ne voyait guère, dans l'ile du Saulcy, que
des chantiers de bois, une tuerie commune à tous les bouchers
de Metz, deux moulins, la maison où se distribuait l'étape aux
9
e
66 SÉANCE PUBLIQUE.
troupes et cette autre maison qu'Abraham Fabert avait fait « ériger
» et bastir sienne, pour l'embellition et décoration de la uille, sur
* la place des deux petites grangettes gissants au petit Sauley.
+ à lui cédée à cens et perpétuité, » en vertu d'une transaction
du 21 octobre 1603. Par cette transaction, Fabert renonçait à
exiger de la ville, moyennant la cession susdite, les trois cents
écus à lui promis pour l'impression d'un livre aujourd'hui fort
recherché à cause de ses gravures et de son plan, et dont voici
le titre : Voyage du Roy à Metz, l'occasion d'iceluy : ensemble les
signes de resiouyssance faits par ses habitans, pour honorer l'entrée
de Sa Majesté. Par Abr. Fabert, 1603.
(101) — Emmanuel Michel, Histoire du parlement, p. 343.
Les édiles du temps étaient Messieurs du bureau des finances
de la généralité de Metz, dont les décisions se portaient en appel
au parlement.
(102) — Collection de M. Dufresne : Lettre de M. de Belle-
Isle à Messieurs du bureau des finances, Paris, le 9 avril 1733.
(103) — Chabert, Notice, p. 43.
(104) — Collection de M. Dufresne: Lettre de M. de Belle-Isle
à Messieurs du bureau des finances, Paris, le T avril 1738:
« Quant au motif de ce que la compagnie a permis à Marly
en 1735 et à Oudet, représenté par Gibout en 1734, de faire
des croisées et de recrépir leurs maisons, c’est de quoy j'aurois
lieu de me plaindre parce qu'après tout ce que je vous ay dit,
Messieurs, à plus d'une reprise du projet général que j'auois
pour l'élargissement des rües et de la nécessité que nous
agissions de concert et que vous voûlussiez bien ne point
donner d'allignement sans m'en faire part, en attendant que
le plan détaillé de toutes les rües de la ville, au quel je fais
trauailler depuis quatre ans, fût acheué, vous auriez bien pu
ne pas donner cette permission à ces deux particuliers eù 1734
et 1735; mais tout ce qui peut résulter de cette permission,
c'est qu'il ne seroit pas juste de les obliger à démolir à présent,
» à moins qu'on ne trouuât moïen de les y engager de bon gré:
DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. 67
c'est aussy à quoy je ne pense point; mais ils doiuent rester
en saillie jusqu'à ce que le cas s'en présente et ce n'a jamais
été une raison proposée ny receüe en pareille matière qu'à
cause que cette saillie annoncera que ces maisons doivent un
jour estre coupées et que cette annonce les dépréciera en cas
de vente, l'on doiue pour cela faire auancer les maisons voi-
sinnes dans la rüe au même niveau et laisser subsister, par cette
fausse considération, le mal que l'on est occupé de détruire.
La ville de Paris est pleine de pareilles saillies qui sont très-
défectueuses tant qu'elles subsistent, mais par la suite du
temps elles auront une fin et les rües se trouueront plus larges.
Il en doit estre usé de même pour les deux maisons de Gibout
et de Marly, ainsy que pour toutes les autres de la ville qui se
trouueront dans le cas de ne pouuoir être coupées à présent.
C'est par cette raison que j'ay fait trauailler aux plans détaillés
de chaque rüe, pour qu'en grande connaissance de cause, l'on
puisse former un plan général qui soit déposé à votre greffe,
et qui, après auoir été bien discuté, examiné et constaté, fasse
une loy et une règle pour le présent et pour l'avenir; c'est
ce que j'espère qui pourra être fini dans le courant de cette
année, mais il ne faut pas en attendant laisser gâter la besogne
par des motifs aussy frivoles que ceux dont vous me dans de
Marly et de Gibout auxquels on ne demande rien.
Même collection. Lettre de M. de Belle-Ilsle à M. oies
procureur du roi au bureau des finances, Paris, le 1° janvier 1733 :
« Je suis très satisfait de la viuacité auec laquelle vous vous
estes portés à faire démolir toute l'encogneure de la Croix d'or
et de la boutique voisine. Rien n’est plus loüable que le zèle
avec lequel vous avez trauaillé en cette occasion pour le bien
public...»
Le 13 décembre 1739, il écrivait déjà, de son château de Bizy,
au même fonctionnaire :
« Îl n’y a rien de mieux que le jugement que vous vous pro-
» posez de faire rendre au bureau des finances pour la démoli-
* tion de la Croix d'or et de la plus grande partie de la boutique
» qui y est contigüe... » |
68 SÉANCE PUBLIQUE.
(105) — Le marquis d'Argenson, t. I, p. 144: « Il lasse les
» secrétaires les plus infatigables, dictant à plusieurs à la fois. »
Parmi les nombreuses lettres que j'ai vues, les unes, quelquefois
très-longues, sont entièrement de la main de M. de Belle-lsle,
et sur les autres, écrites par une main étrangère, il ajoute souvent
lui-même une ou deux lignes, soit pour les compléter, soit pour :
donner au destinataire la certitude qu'elles expriment bien sa
pensée.
(106) — On en trouve la preuve dans ce post-scriptum qu'il
crut devoir mettre, le 23 août 1754, à une lettre adressée à
M. l'abbé de Saint-Ignon ; collection de M. Dufresne :
« Personne n'a uu uotre lettre: c'est toujours moy qui ouure
» touttes mes lettres. »
(107) — Le marquis d'Argenson, t. I, p. 144: « Son tem-
pérament a paru jusqu'à présent délicat, son estomac faible,
sa poitrine attaquée. Depuis la blessure qu'il reçut au siége de
Lille, il paroît obligé à de grands ménagemens de santé, et les
observe en effet, lorsque les circonstances ne le forcent pas
à yrenoncer; mais, dès qu'il se sent animé par le désir de
s'acquérir de la gloire et de faire réussir un plan d'ambition,
l'activité de son âme lui fait trouver des forces que lui refuse
la faiblesse de son corps. Il travaille continuellement, ne dort
point... ,
5 5 Li [2 L_ 2 » e s
(108) — Testament politique, ch. 1.— Vie polilique et militaire,
p. 200.— Auguste Prost, J. F. Blondel et son œuvre, p. 51-59,
Il n'en est point qui ait plus audacieusement trompé M. de
Belle-Isle que Jean Gautier, se disant architecte du roi Stanislas,
et dont M. Auguste Prost a, après Durival et le duc lui-même,
raconté l'histoire avec cette verve moitié sérieuse, moitié plaisante,
qui est souvent l'un des attraits de sa conversation.
M. de Belle-[sle accueillit moins bien le grossier flatteur qui,
pendant sa campagne de Provence, lorsqu'il faisait venir au Puget
les foürrages à dos d'hommes, lui apporta un exemplaire des
DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. 69
Prophéties de Nostradamus dans lequelle on lisait, sur un feuillet
imprimé après coup, ces deux mauvais vers :
En mil sept cent quarante-sept,
Le provençal sera mulet.
(109) — Le marquis d'Argenson, t. II, p. 224:
« C'est un esprit juste, précis, grave, s'exprimant avec net-
» teté et force. »
M. le duc de Nivernois, Réponse à l'abbé Trublet :
« Sa mémoire, meublée de tout ce qui lui avoit passé par les
» mains ou sous les yeux, n'avoit rien perdu de cette immense
» Collection dont les matériaux rendoient son entretien précieux
» pour quiconque cherche à s'instruire. On pouvoit, on devoit
» l'interroger avec confiance, parce qu'il aimoit à répandre ses
» trésors. Îl étendoit ses récits avec plus ou moins de complai-
sance en raison de la distance des temps, et les anecdotes les
plus reculées étoient celles qu'il se plaisoit le plus à détailler.
Ainsi, il parloit très-volontiers de ce qu'il avoit fait jadis, ra-
rement de ce qui l'occupoit actuellement, jamais de ce qu'il
méditoit de faire... Il s'exprimoit avec cette facilité entrai-
pante que donne la parfaite possession des matières qu'on traite ;
il écrivoit avec cette clarté qui est la vraie élégance du style
des affaires, non pas avec cette élégance qui est le fruit de
l'art, de l'étude et du raffinement de l'esprit. »
(110) — Vie politique et militaire, p. 268.
(111) — Testament politique, chap. I.
(1142) — Testament politique, chap. II.
(113) — Vie politique et militaire, p. 23-25. — Charles Lacre-
telle, Histoire de France pendant le dix-huitième siècle, t. II,
liv. VI, p. 97, 4* édit.
Jean-Charles de Folard, surnommé le Végèce français, auteur
de l'Histoire de Polybe, avec commentaires: Paris, 1723-1730,
6 vol. in-4o. C'est lui qui a le premier enseigné le système d'at-
laque en colonnes serrées et puissamment contribué par là à
modifier la tactique européenne.
70 SÉANCE PUBLIQUE.
(114) — Le marquis d'Argenson, t. Il, p. 201. — Le duc de
Saint-Simon, t. XVII, p. 108. — Vie politique et militaire, p. 210.
(115) — C'est le notaire Balitus, dans ses Annales de Metz,
p. 143-199.
(116) — Soulavie, Mémoires de Richelieu, t. VII, chap. Il,
p. 31-42. — Mélanges historiques, article Châteauroux, t. Il,
p. 261. — Journal de ce qui s’est fait pour la réception du Roy
dans sa ville de Metz, le À aoust 1 744, avec un recuëil de plusieurs
pièces sur le même sujet et sur les accidens survenus pendant son
séjour, p. 82. — Correspondance inédite de Madame de Château-
roux, t. 11, p. 150-152. — Simonde de Sismondi, Histoire des
Français, t. XXVIII, chap. XLIX, p. 314-319.
= La duchesse de Châteauroux était la quatrième fille de la mai-
son de Nesle qui devint la maîtresse de Louis XV: mais plus belle,
plus intelligente, plus ambitieuse, plus fière que ses sœurs, elle
n'admit point, comme elles, une sorte d'incestueux partage dans
les faveurs du roi: elle voulut régner seule sur ce cœur sans
énergie et sans noblesse pour lui inspirer, au profit de la France, :
quelque chose de viril et de grand. Elle avait commencé cette
œuvre méritoire, en le menant en Flandres, et elle la continuait
en courant avec lui au secours de l'Alsace... De là la jalousie et
la haine qui attendaient, avec une secrète impatience, l'occasion
de briser ce fragile pouvoir; une maladie, d'apparence mortelle
et habilement exploitée, la leur offrit à Metz. Les ennemis de
Mre de Châteauroux ne se contentèrent pas de son renvoi, ils
soulevèrent contre elle l'opinion, et sans la fermeté dévouée de
M. de Belle-lsle, elle se voyait en butte à tous les outrages et
à tous les périls. |
Mme de Lauraguais, qui accompagnait sa sœur, raconte ainsi
leur départ :
« Comme on étoit persuadé que le roi ne renverroit pas Ma-
+ dame de Châteauroux sans de fortes raisons, on les a employées
» toutes, et surtout le danger où il se trouvoit. M. de Richelieu
* a eu beau le rassurer et lui protester qu'on exagéroit pour le
» priver de la présence de son amie, la peur s'est emparée du
L 2] » v
DISCOURS DU PRÉSIDENT. —— NOTES. 74
roi; il a été frappé de terreurs religieuses et n’a pas eu le cou-
rage de résister à la cabale. M. de Richelieu a fait inutilement
de nouveaux efforts; S. M. lui a répondu : « Que voulez-vous,
chacun le désire, il le faut bien ; je vous recommande Madame
de Châteauroux. »
» Tout était parfaitement combiné. On annonça l'arrivée de la
reine; cela détermina ma sœur à partir; mais cela ne se pouvoit
sans danger. La veille elle avoit été insultée fortement en
sortant de l'église : le peuple remplissoit le temple pour re-
demander à Dieu son roi, et quoique Madame de Châteauroux
fût enveloppée dans ses coëlfes, elle fut reconnue et reconduite
jusqu'à chez elle avec des huées indécentes.
» Le comte d'A... n’a plus gardé de mesure: une heure
auparavant il étoit aux pieds de la duchesse, et, lorsqu'il a
cru ne pouvoir plus la craindre, il s'est chargé de lui intimer
l'ordre de se retirer; il l'a fait avec la hauteur d'un courtisan
qui insulte l'idole qu'il avoit été forcé d'encenser.
* Madame de Châteauroux a montré plus de grandeur que dans
l'instant de son triomphe : « Si je pouvois penser, lui a-t-elle
dit, qu'un courtisan put rendre les choses avec vérité, je vous
chargeroïs de dire au roi que ses moindres désirs seront toujours
pour moi des ordres. S. M., je l'espère, sera rendue à l'amour
de ses sujets, et uppréciera la conduite de ceux qui l'entourent.
Elle lui a tourné le dos, sans attendre sa réponse.
» Dans cette circonstance, MM. de Richelieu et de Belle-Isle
se sont montrés seuls nos amis. Une chose qu'on croira diffici-
lement et qui prouve, sans réplique, l'esprit de la cour, c’est
qu'on nous a refusé une voiture aux écuries du roi; une heure
avant elle auroit commandé et auroit été obéie.
» Aucun de ceux qui briguoient un de ses regards n'a osé
venir partager sa douleur: enfin, sans M. de Belle-Isle, qui
nous a prêlé une voiture el fourni de ses propres chevaux,
nous eussions encore été à Metz lors de la cérémonie religieuse
projetée etexécutée pour déterminer le renvoi de la duchesse.»
Pendant que Mme de Châteauroux cherchait à se remettre
d'émotions cruelles, à Plaisance, chez Pâris Duverney, son ami,
72 SÉANCE PUBLIQUE.
le roi entrait en convalescence et recevait, non pas d'un poëte de
carrefours, comme on l'a prétendu, mais d'un ministre de Dieu,
le surnom dont il n’était pas digne, et que l'histoire, trop indul-
gente, lui a cependant conservé. Le 25 août, la reine assistant à
un sermon chez les jésuites, le prédicateur, M. Josset, chanoine
de la cathédrale, lui adressa un compliment dans lequel il disait
de Louis XV :
« Non, jamais prince ne fut plus sincèrement regretté, plus
»* amèrement pleuré, plus ardemment demandé ; et si l'histoire
s lui donne un jour quelque titre, quel titre mieux mérité, plus
* justement acquis, et qui fasse plus d'honneur à un roi, que celui
» de Louis LE BIEN-AIMÉ. »
Ge mot, répété de bouche en bouche, fut bientôt le cri de la
France, et Vadé, le chantre des poissardes, n’en a point été l'in-
venteur, il n'en a été que l'écho.
(117) — Leitre de M. de Belle-Isle à MM. les échevins de Metz.
Paris, le A1 février 1154, citée par Baltus, p. 208.
(118) — Annales de Metz, p.151, 174, 203-221. — Chabert,
Notice, p. 116-134.
L'hôtel des spectacles coûta à la ville des sommes énormes,
qu'augmentèrent encore l'ignorance et l'improbité d'un sieur Vir-
lois, architecte de Paris, substitué à Oger, de la manière la plus
._ malencontreuse et la plus injuste, par l'intendant, M. de Creil.
11 fallut refaire tout ce que cet homme avait fait et payer les
ouvriers dont il avait touché et dissipé le salaire.
Le spectacle fut d'abord très-suivi, mais peu à peu ce beau
zèle diminua, et le premier directeur ayant fait faillite, ou à peu
près, on dut mettre le théâtre en régie et placer à sa tête le
syndic royal ou procureur du roi de l'hôtel commun. — Dans
Ja suite, la ville fatiguée d’une administration onéreuse s'en dé-
chargea de nouveau sur un directeur auquel elle fournit une sub-
vention.
On ne lira pas sans curiosité le budget des dépenses et des
recettes du théâtre en 1754 : |
DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. 73
« Gages des acteurs et actrices, par mois. 4,606*
» Appointements des receveurs, répéti-
»* teurs, portier, etc............:....., 150
» Au chandelier. .............,..... 400
» Frais extraordinaires de magasin, etc. ,
CL LU PAR 500
10-55 ,456#
* ce qui forme pour les douze mois de l'année. ... 65,472#
» La recette à la porte de la comédie a produit
+ par mois, l'un portant l'autre, environ... 1,200
» Les abonnements de la garnison, en-
* Les abonnements particuliers, environ. 250
s Total par mois. ..... .. 9,450
ce qui a fait pendant l'année, un produit de...... 41,400
»s Déficit à la charge de la ville......,..,..... 24,072#
Le passé, comme on voit, était plus triste encore que le présent.
(119) — Vie politique et militaire, avis du libraire, p. IX-X,
60, 197-198, 232. — Voltaire, Lettres à M. Damilaville et au
comte d'Argental, Ferney, les 11 et 27 novembre 1161. Corres-
pondance générale, t. LI, p. 275 et 287. — Idem, Mélanges
littéraires. À M... sur les prétendues lettres du pape Ganganelli,
Clément XIV, le 2 mai 1776, t. XLIII, p. 542-543, note de
l'éditeur Renouard. — Dictionnuire des œuvres anonymes et pseu-
donymes, t. I, p. 186, n° 2437, et t. 111, p. 315, n° 17690.
— Jacques Lelong, Bibliothèque historique de la France, édition
de 1768-1778, t. If, p. 625, n°5 24781-82-85. — Almanach
des gens d'esprit pour l’année 1163. — Biographie universelle
de Michaud, fre édit., t. IV, p. 105.
Quoique la Vie politique et militaire renferme plusieurs allu-
sions très-directes aux mémoires de M. de Belle-lsle, quoique
M. Salaberry en atteste l'existence dans la Biographie universelle
de Michaud, quoiqu'un autre biographe aille plus loin encore et
les dise imprimés en Angleterre, j'ai vainement cherché à me les
procurer ou, au moins, à savoir où ils posent. Aucune biblio-
10
74 SÉANCE PUBLIQUE.
thèque publique ou particulière. aucunes archives étrangères ou
françaises, n'ont pu me les montrer, et je crois fermement qu'ils
se résument dans le Testament politique, publié douze fois pendant
l’année 1762. ‘
Ces éditions successives et si promptes témoignent assez de
l'importance et de l'autorité que les contemporains attachaient
au Testament politique; ils en entendaient autour d'eux désigner
l'auteur, et s'ils n'y avaient vu que ses idées personnelles, sans
relations avec les idées et les principes de celui dont il invoquait
le patronage et le nom, il semble manifeste qu'ils l’auraient accueilli
avec moins d'empressement et de faveur. |
Chevrier a hautement revendiqué la rédaction du Testament
politique ; Barbier la lui attribue, et personne depuis un siecle,
à part Voltaire, ne songe à la lui contester; la forme lui appartient
donc, il nous apprend lui-même, jour par jour, ce qu'elle Jui a
coûté de labeur à Bruxelles; mais le fond reste la propriété de
M. de Belle-lsle. Ce grand seigneur, qui aimait à écrire, a dû
laisser, à l'exemple des grands seigneurs de son temps, sinon
des Mémoires proprement dits, du moins des notes étendues dont
Chevrier s'est aidé, comme il s’est aidé aussi, peut-être, de ses
conversations et de ses récits; on s'en convainc à chaque instant.
par la citation d'anecdotes ou de faits que le maréchal seul pou-
vait connaître et qu'il a pu seul aussi écrire ou raconter.
Le Codicille m'inspire beaucoup moins de confiance ; encouragé
par le prodigieux succès de sa première œuvre, Chevrier en a tenté
une seconde, sans prendre garde que, dans sa précipitation ex-
trême, il exposait le prétendu testateur à se contredire en plus d’un
endroit essentiel. Le Codicille ressemble moins à un livre sérieux
qu'à un pamphlet; sous l'armure et sous le manteau du duc et
pair de France, le philosophe du dix-huitième siècle et l'écrivain
satirique se devinent et ne font pas la plus petite illusion.
Uno de mes bons amis, M. Gillet, vice-président du Tribunal de
Nancy, qui s occupe depuis très-longtemps de Chevrier, déchi-
rera bientôt tous les voiles, et ce qu'il m'a lu de sa curieuse et
savante notice m'autorise à affirmer que je serai, avec lui, en
parfaite conformité d'opinion.
DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. 75
Les douze éditions du Testament politique ont toutes le même
format. in-12: elles ont toutes aussi le même texte, moins aux
chapitres IT et VIIT, deux petites notes sans intérêt, lesquelles
ne se rencontrent pas toujours ; il n'existe entre elles d'autre
différence que celle des caractères et de la pagination; on n'a
pas même pris la peine d'assigner son rang à chacune par un
puméro ou par un chiffre, et nul ne saurait dire s'il possède la
seconde édition plutôt que la onzième: de telle sorte qu'il devient
impossible de renvoyer à l’une ou à l’autre, avec la certitude de
faciliter les recherches du lecteur.
Le Codicille n'a pas été aussi souvenf reproduit; on le trouve
pour la première fois dans le même volume que le Testament
polilique et la Vie politique et militaire sous ce titre : Le Codicille
et l'Esprit ou Commentaire des maximes politiques de M. le maré-
chal de Belle-Isle, avec des notes apologétiques, historiques et cri-
tiques. — De ces deux derniers ouvrages, l'Esprit ou Commentaire
des muximes politiques de M. le maréchal de Belle-Isle vaut encore
moins que le Codicille.
Si M. de Belle-lsle n'a point laissé de Mémoires, il n'a cessé
de provoquer chez les autres d'utiles travaux. On lui doit un
projet et des études sur la réunion, par des canaux, de la Sarre
à la Seille, de la Moselle à la Marne et de la Marne à la Seine.
On lui doit aussi de magnifiques cartes, tracées à la main dans
des proportions considérables, du vaste territoire soumis à son
commandement militaire ; quelques-unes ont péri faute de soins,
mais les autres, au nombre de six, confiées à notre intelligent
bibliothécaire M. Clerex, sont dans un état très-satisfaisant de
conservation et offrent les données les plus exactes et les plus
minutieuses à ceux qu'intéresse la topographie du pays.
En même temps que M. de Belle-lsle avait sous les yeux les
villes, les villages, les rivières, les chaussées, les forêts, les
montagnes, tous les points stratégiques des Trois-Evêchés et de
la Lorraine, il voulut s'instruire des origines, des institutions,
des coutumes, des mœurs de ces deux provinces, et il demanda
aux érudits et aux fonctionnaires des renseignements, dont la riche
collection manuscrite fait actuellement partie des archives de la
76 SÉANCE PUBLIQUE.
préfecture de la Moselle. — M. Dufresne a eu l'heureuse idée de
publier déjà dans l’Austrasie, année 1856, t. IV, p. 134-146.
avec une note explicative, ce qui concerne la ville de Toul. Je lui
souhaite des imitateurs.
C'est encore dans la même pensée et dans le même but que
M. de Belle-Isle chargea un expert, mandé de Paris, du récole-
ment et de l'inventaire des chartes, vieux titres, registres, tirés
des archives municipales et du grand moulier. Il recommandait,
dans une lettre du 19 avril 1738, qu'on apportât « la plus active
« vigilance » à l'examen et au classement de tous les actes et
papiers récolés ct inventoriés. afin de pouvoir ensuite « mettre
» de côté ceux ayant une importance politique pour l'État et de
» restituer à qui de droit le bien de la cité, c'est-à-dire celles
» des pièces ayant rapport surtout à ses intérêts privés. »
(1920) — Annales de Metz, p. 319-327. — Chabert, Notice,
p. 110.
En 1747 M. de Belle-lsle procura aux frères des écoles chré-
tiennes ou de charité une maison spacieuse et commode pour y
ouvrir leur école, dans le quartier Saint-Marcel. Il n’est peut-
être pas non plus hors de propos de rappeler ici qu'en autorisant
la fondation du collége Saint-Louis, il y réservait douze places
dont Louis XV et Stanislas disposeraient, à titre gratuit, en faveur.
de jeunes gentilshommes sans fortune.
(121) — Dom Fangé, la Vie du très-révérend père D. Augustin
Calmet, abbé de Senones, p. 451-452. — Noël, Mémoires pour
servir à l'histoire de Lorraine, n° 1, p. 2-4. — Aug. Digot,
Notice biographique et littéraire sur Dom Augustin Calmet, abbé de
Senones. Mémoires de la Société d'archéologie lorraine, 2° série,
t. IL, p. 57-61. — Lettre de M. de Belle-Isle à Dom Calmet,
Metz, le 14 avril 1740. |
Après avoir lu cette lettre, on ne s'explique guère comment
M. Noël a pu croire que le gouverneur de Melz avait réclamé,
pour les détruire, les feuillets supprimés, et faire d'un remerci-
ment très-explicite presqu'un abus d'autorité.
(122) — Martial, lib. IV, épig. 29.
DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. 11:
1423) — Vie politique et militaire, p. 232.
M. de Belle-lsle succédait à M. Amelot, ministre des affaires
étrangères, et il vint s'asseoir dans Île fauteuil n° 34 qu'avaient
occupé avant lui Godeau, Fléchier, Nesmond, et qu'occupérent
après lui l'abbé Trublet, Saint-Lambert, Maret, Lainé, Dupaty,
Alfred de Musset, et M. de Laprade.
(124) — Recueil des pièces d'éloquence et de poésie qui ont rem-
porté les prix de l'Académie française depuis 1147 jusqu'en 1158,
in-12; Paris, 1753, p. 1929 et suiv.
Plus tard, en qualité de directeur de l'Académie, M. de Belle-
Isle eut à répondre au comte de Bissy, jeune militaire, que son
excellente traduction du Patriotisme avait désigné aux suffrages
de la docte assemblée. I le félicita « de chercher tous les moyens
» d'être utile, surtout à un âge et dans une profession où, souvent
» trop occupé de se rendre agréable, l'on finit presque toujours
* par rester frivole. » Et, en lui recommandant l'assiduité aux
séances, il ajoute : « Que ne puis-je moi-même en donncr l'exemple
» et suivre mon inclination. J'y donne du moins mes regrets, et
» des regrets sincères, dans la forte persuasion où je suis com-
* bien les lettres servent à la gloire des empires. »
(125) — L'Académie royale de Metz a commencé comme l'Aca-
démie française, et il semble que Pellisson parle de toutes deux
dans le t. 1, ch. 1. p. 5-12 de son Histoire de l'Académie fran-
çoise; Paris. MDOCXXIX.
(126) — Bégin, Histoire des sciences, des lettres, des arts et de
la civilisation dans le pays messin, p. 553-559. — Chabert, Notice,
p. 200-205. Lettres patentes du roi portant établissement d'une
Sociélé royale des sciences et des arts dans la ville de Metz, fondée
par M. le maréchal duc de Belle-Isle, données à Versuilles au mois
de juillet 1760. — Les statuts, en trente-neuf articles. avaient
été approuvés le 28 juin précédent.
(127) — Chabert, Notice, p. 203-207.
22 octobre 1760, acte authentique par lequel M. de Belle-Isle
78 SÉANCR PUBLIQUE.
« fait donation entre vifs, pure, simple et irrévocable, à la Société
+ royale des sciences et des arts de la ville de Metz, de trois
mille livres de rente annuelle et perpétuelle, au principal, au
denier vingt, de soixante mille livres due au donateur, sur les
biens, domaines et revenus de la ville de Metz et à lui cons-
tituée par contrat passé le 25 avril de la présente année.. »
(128) — Mémoires de l'Académie impériale de Melz, année
1860-1861. p. 475-474. Lettre de M. de Belle-Isle à MM. les
échevins de Metz, le 2 avût 1860.
(129) — Vie politique et mililaire, p. 265-266. — Codicille
politique de M. le maréchal duc de Belle-Isle, chap. I. — M. le
duc de Nivernois, Réponse au discours de l'abbé Trublet. — Cha-
bert, Notice, p. 209. — Lettre de M. de Belle-Isle à M. de Sain-
tignon, procureur général des chanoines réguliers de la congré-
gation de Saint-Sauveur et prieur de la maison de Suint-Louis,
le 27 novembre 1760. |
M. de Belle-{sle terminait sa lettre par ces mots :
« Exprimés à ces Messieurs de l'Académie toute mon amitié
» pour leurs bons services; je compte sur leurs efforts pour
» qu'après moy on continue la prospérité d'une ville que j'ai
»s beaucoup affectionnée. S. M. a bien voulu commander mon
» portrait pour estre placé à Versailles. Je vous enverray pro-
* chainement (si cela n'a été fait, car j'avois donné des ordres à
* cet esgard) le portrait en pied que vous m'avés demandé pour
* estre mis dans la salle de vos séances à l'hôtel de ville. Ma
» pensée est toujours au milieu de vous et se reportera constam-
ment vers la bonne ville de Metz, tant que je conserveray
souffle de vie. »
M. de Belle-Isle ne pouvait, à l'avance, plus victorieusement
répondre à cette supposition de Chevrier qu'il avait fondé l'Aca-
démie de.Metz en quelque sorte malgré lui, et qu'en mourant il
. en regrettait assez l'existence pour révoquer, dans son codicille,
la donation destinée à la soutenir.
M. le duc de Nivernois, qui était intimement lié avec M. de
Belle-Isle et qui a connu sa dernière pensée, nous apporte, d'ail-
DISCOURS DU PRÉSIDENT, — NOTES. 79
leurs, le témoignage le plus autorisé et le plus digne de foi, quand
il dit:
« Sans cultiver les lettres, M. de Belle-lsie. étoit bien loin de
» les dédaigner et il honoroit sincèrement ceux qui les cultivent.
» La ville de Metz possède un monument précieux de son amour
* pour les lettres dans cette Académie née sous ses yeux, formée
* par ses soins, fondée par ses bienfaits, dont il a dirigé toutes
» les vues, tous les travaux vers l'utilité publique. C’est là, c'est
» à cet objet sacré, que M. de Belle-fsle rapportoit tous ses
» vœux, toutes ses pensées, tout son être... » |
(130) —Journal de Metz pour l'an de grâce mil sept cent soixante-
un, p. 145-146. — Bégin, Histoire des sciences, p. 560-561.
L'enregistrement eut lieu le 28 août 1760. — Le premier pré-
sident, membre né, était alors M. Mathieu de Montholon : le pro-
cureur général, membre honoraire, M. le Goulon de Champel :
le président à mortier, aussi membre honoraire, M. Pière de Jouy :
les membres fitulutres, MM. le président à mortier de Chazelles.
Bouttier, Michelet de Vatimont, Pière de Chaté, conseillers laïcs,
et l'abbé de Saintignon, conseiller clerc.
(151) — Journal de Metz, p. 141-144.
(132) — Article 24 des statuts :
« Les jetons auront de même à perpétuité, d'un côté, l'effigie
» du fondateur, et de l’autre seront gravés trois génies, dont l'un
» figurera les fortifications, le second la décoration intérieure de
» la ville, et le troisième les arts de premier besoin, caractérisés
* plus particulièrement par leurs instruments, et pour devise :
» ullitati publicæ. »
(135) — Entre autres, l'Histoire générale de Metz par des re-
ligieux Bénédictins, de la congrégation de Saint-Vannes, 6 vol.
in-4°.— Le Recueil des édits, déclarations, lettres patentes et arrêts
du conseil enregistrés au Parlement de Metz; ensemble des arrêts
de règlement rendus par cette cour, etc., 5 vol. in-4°. — Les An-
liquités de Metz, ou Recherches sur l'origine des médiomatriciens ;
80 SÉANCE PUBLIQUE.
leur premier établissement dans les Gaules, leurs mœurs, leur reli-
gion, 1 vol. in-8°. — Le Vocabulaire austrasien pour servir à l'in-
telligence des Preuves de l'Histoire de Metz, des loix et atours de
la ville, etc., 1 vol. in-8°. — Le Templum metensibus sacrum,
carmen, 1 vol. in-8°.
(134) — Bégin. Histoire des sciences, p. 560-567 :
MM. le duc de Nivernoiïs, le président Hénault, le marquis de
Mirabeau, le comte de Tressan, de Fourcroy, de Calonne, le duc
de la Rochefoucauld, Emmery, Barbé-Marbois, Vicq d'Azir, l'abbé
Soulavie, de Pastoret, Lacépède, etc., etc.
(135) — Bégin, Histoire des sciences, p. 580. — Dumont,
Histoire de la ville de Saint-Mihiel, t. IN, p. 334.
M. de Bousmard, alors capitaine du génie à Verdun, fut cou-
ronné deux fois, la première en 1787, la seconde en 1788.
(136) — Bégin, Histoire des sciences, p. 579.
Au concours de 1788, il fallait indiquer les moyens de rendre
les Juifs plus utiles et plus heureux en France. L'Académie décerna
© trois prix : l'un à Zalkind Hourwits, juif polonais résidant à Paris :
l'autre au sieur Thiery, avocat à Nancy: le troisième à l'abbé
Grégoire. Le Mémoire de celui-ci a été imprimé avec ce titre :
Essai sur la régénérativn physique, morale et politique des Juifs,
in-8°, Metz, 1789.
(137) — Bégin, Histoire des sciences, p. 518-579. — Bio-
graphie universelle de Michaud, 1. XXX VII, 1°e édit., p. 233.—
Mémoires de l'Académie de Metz, année 1838-1839, p. 389.
Les questions à résoudre en 1784 étaient celles-ci : Quelle est
l'origine de l'opinion qui élend sur tous les individus d'une même
famille une partie de la honte attachée aux peines infamantes que
subit le coupable? Celle opinion est-elle plus nuisible qu'utile? Dans
le cas où on se déciderait pour l'affirmative, quels seraient les moyens
de parer aux inconvénients qui en résultent? — Robespierre par-
tagea le prix ex æqguo avec Lacretelle ; son mémoire imprimé à
Amsterdam et à Paris, en 1785, a été réimprimé depuis par
l'Académie de Metz, en 1839.
DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. 81
(138) — Emm. Michel, Histoire du Parlement de Metz, p. 353.
— Moreri, t. V,p 768. — Archives de la ville, Lettre de Mme de
Belle-Isle à Messieurs les échevins de la ville de Metz, Plombières,
le 3 septembre 1153. — Oraison funèbre de très haute et très
puissante dame Madame la maréchale duchesse de Belle-Isle, pro-
noncée, le 5 mars 1196, dans l’église cathédrale de Metz, par le
P. Cherubin Bergeron, récollet. In-4°. Metz, M.DCC.LVI, Joseph
Collignon.
M. de Belle-Isle avait épousé en secondes noces, le 15 oc-
tobre 1729, Marie-Casimire-Thérèse-Geneviève-Emmanuelle de
Béthune, alors âgée de vingt ans, et veuve elle-même de Fran-
çois Rouxel de Medavy, marquis de Grancey.
Jamais union ne fut mieux assortie et plus heureuse. La du-
chesse prêtait à son mari le plus utile concours dans l’accomplis-
sement de tous ces devoirs secondaires que les femmes savent si
bien comprendre et si bien remplir. Ange de douceur, de charité
et de sagesse, elle ne laissa jamais une infortune sans consolation,
une misère sans soulagement, une tentation ou une défaillance
sans appui ou sans conseil. Elle était aimable, elle était belle,
elle possédait « ces grâces puissantes qui gagnent les cœurs après
» avoir enchanté les yeux. » Elle apportait chez elle, dans ses
relations quotidiennes avec le monde, cette politesse exquise et
cet art infini qui traitent chacun selon son désiret selon son droit.
Elle ne perdait aucune occasion de témoigner aux Messins son
affection et son dévouement; dans une lettre qu'on aime toujours
à relire, écrite de Plombières, où elle cherchait un remède à une
maladie incurable, elle se disait leur concitoyenne, elle aurait
voulu se dire leur mère. Aussi quand le maréchal la perdit avant
l'âge, s'associèrent-ils, par les plus unanimes et les plus tou-
chantes démonstrations, à sa profonde et légitime douleur.
Madame de Belle-lsie est morte le 5 mars 1755.
(139) — Le marquis d'Argenson, t. I, p. 146. — Le duc de
Saint-Simon, t. XVII, p. 110. — Vie politique et militaire, p. 215-
223. — Voltaire, Précis du siècle de Louis XV, chap. XXII,
t XIX, p. 176-179. — Biographie universelle, 1. IV, p. 107,
1"° édition.
11
82 SÉANCE PUBLIQUE.
Charles-Louis-Armand Foucquet, chevalier de Belle-Isle, né à
Agde, le 19 septembre 1693. — Il avait, peut-être, « plus de vues,
» d'étendue et de solidité dans les projets que son frère, mais
bien moins de liant, de souplesse, de moyens de séduire et de
persuader... Aussi, dans les grands succès ne prenoit-il
qu'une part de cadet. »
« L'union des deux frères ne fit des deux qu'un cœur et
qu'une âme, sans la plus légère lacune et dans la plus parfaite
indivisibilité et tout commun entre eux, biens, secrets, conseils,
sans partage, ni réserve, même volonté en tout, même autorité
domestique, toute la vie. »
Après avoir délivré la Provence, quand M. de Belle-Isle résolut
d'inquiéter le roi de Sardaigne par une diversion sur Turin, il en
chargea son frère, avec le désir de lui créer un titre au maréchalat.
La petite armée d’invasion devait pénétrer en Piémont en passant
entre Fenestrelle et Exiles, mais elle fut arrêtée dans sa marche
par le col de l'assiette, où quatorze bataillons piémontais se tenaient
abrités derrière un retranchement en bois et en pierres sèches.
Les prodiges de la valeur la plus héroïque échouërent devant cet
obstacle que du gros canon aurait pu seul renverser ; pendant deux
heures, les Français revinrent à la charge, mitraillés à bout portant
par un ennemi qui échappait à leurs coups. Près de cinq mille
hommes y périrent, tous les colonels, la plupart des autres officiers :
et le général en chef, blessé aux deux mains, tachait, dans son
désespoir, d'arracher les palissades avec ses dents, lorsqu'il reçut
lui-même le coup mortel. — C'était le 19 juillet 1747. |
(140) — Vie politique et militaire, p. 209-21+, 253. — Oraison
funèbre de très-haut et très-puissant seigneur Louis-Marie Foucquet,
comte de Gisors, etc, prononcée le 9 août 1158, dans l'église cathé-
drale de Metz, par le R. P. Charles, de la compagnie de Jésus, in-4°,
Metz, M.D.CC.LVIII, Joseph Collignon.— Emm. Michel, Discours,
p. XVII-XXIV.— Et Histoire du Parlement de Metz, p. 348-351.
Louis-Marie Fouquet, comte de Gisors, né à Paris, le 27 mars
1732. — Il devait succéder à son père dans la charge de gouverneur
de Metz, aux termes de lettres de provision du 9 mai 1733. Une
DISCOURS DU PRÉSIDENT. — NOTES. 83
éducation libérale et sérieuse avait fécondé en lui le germe des
qualités les plus solides et les plus brillantes ; l'avenir s'offrait à
lui riant et facile. Il eût, sans doute, continué dans son gouver-
nement les traditions paternelles, s’il n’eût pas été tué à la mal-
beureuse journée de Creveld, le 23 juin 1758, à la tête de son
beau régiment de carabiniers.
M. de Belle-Isle avait eu de Mile de Béthune un second fils,
Marie-Auguste Foucquet, chevalier de Saint-Jean de Jérusalem,
né le 6 juin 1734 et mort à Metz le 19 juin 1739.
(1M1) — Vie politique et militaire, p. 266-267.— Le chevalier
de Courcelles, t. VI, p. 115. — Le marquis d'Argenson, t Ill,
p. 182. — Aubin-Louis Millin, Antiquités nationales, t. II,
n° XXVI, pl. 5, p. 22-25. — Emm. Michel, Biographie du Par-
lement de Metz, p. 172.
M. de Belle-Isle n'est pas mort à Paris, dans son hôtel rue de
Lille, n° 54, mais à Versailles, et ses cendres reposent avec celles
de sa seconde femme et de son fils aîné, dans le chœur de l'église
collégiale de Notre-Dame de Vernon, où l'on voyait en 1791, et où
l'on voit peut-être encore aujourd'hui, leur tombeau.
Avant de mourir, le vieux ministre de Louis XV lui légua tous
ses biens, comme pour les faire remonter à leur source. Le roi
n'hésita point à accepter ce legs qui semblait enfreindre les règles
de l'étiquette et de la hiérarchie sociale, mais inspiré par la recon-
naissance et que grevait d'ailleurs des dettes considérables, dont
le payement importait à l'honneur de l'État. Car ces dettes M. de
Belle-lsle les avait cantractées presque toutes pendant son am-
bassade de Francfort, afin de soutenir dignement, au milieu d'un
congrès de princes, l'éclat du nom français : et depuis on l'a vu
pourvoir encore aux premières nécessités de la guerre de Provence,
à l'aide d'un emprunt souscrit en son nom personnel.
Il faut aussi le reconnaître, M. de Belle-Isle était très-généreux ;
le marquis d'Argenson lui reproche « de prêcher toujours la dé-
* pense et de tailler dans le grand; » il aimait le beau, il aimait
surtout le bien et il le faisait quelquefois sans calculer assez ses
ressources. Les cris du pauvre allaient droit à son cœur; je n'in-
voquerai que deux faits, tous deux relatifs à notre cité et dont j'ai
64 SÉANCE PUBLIQUE.
la preuve écrite : Le 22 février 1745, le maître-échevin, Claude
Pagel, le remercie d’un envoi de 60,000 destinées à l'acquisition
de blé, pendant les années calamiteuses 1741-1742 ; et le 17 oc-
tobre 1759, en transmettant à la ville 20,000#, pour ses établis-
sements charitables , il rehaussait le prix de cette libéralité par
cette émouvante lettre d'adieu :
« .…. J'éprouve, Messieurs, avant de quitter la vie, le besoin
» de vous exprimer ma vive reconnoissance des preuves d'intérêt
» et d'attachement dont vous m'avez honoré pendant ma longue
* carrière. J'aurois souhaité de finir mes jours parmy vous, mais
» j ay dü accepter le poste auquel il a plü à S. M. de m'elever. Je
»* conserverai jusqu'à mon dernier soupir cette heureuse mémoire
» du cœur qui me rappelle la part que les habitants de Metz ont
s prise dans les regrets qui ont été unanimement donnés à la perte
»* de mon fils bienaymé..…. Mes derniers moments seront entourés
» de votre estime affectueuse, puisque, Messieurs, vous avez bien
» voulu me dire que des habitants de Metz je m'étois fait une fa-
mille. Rapportez à vos administrés, je vous supplie, mon amitié
sincère pour eux et assurez les qu'on ne peut rien ajouter aux
»* sentiments que vous me connoissez pour votre ville et pour
» vous mêmes. »
Le nom de M. de Belle-lsle ne s'est pas éteint avec lui dans la
province des Trois-Évêchés ; il y avait appelé, en qualité de lieu-
tenant général au gouvernement des ville et évêché de Metz, un
de ses arrière-cousins, René-François, comte de Foucquet, maré-
chal des camps et des armées du roi, gendre du conseiller au
Parlement Jean-Gabriel-Georges de Lesseville et aïeul de Mme la
vicomtesse Louis de Bertier, de Lagrange, près Thionville.
COLLE 7-2
COMPTE RENDU
DES
TRAVAUX DE L'ANNÉE 1861-1862,
PAR M. ÉMILIEN BOUCHOTTE , SECRÉTAIRE.
Messieurs,
Le secrétaire auquel j'ai eu l’insigne honneur de suc- .
céder, dans une mission qui réclame toute votre indul-
gence, terminait le compte rendu des travaux de l’année
dernière, en revendiquant pour l’Académie, avec un
légitime orgueil, sa part d'initiative et d'influence sur
les grandes assises de l’activité mosellane.
Cette magnifique Exposition a duré près de cinq mois,
communiquant à la ville de Metz un mouvement et une
activité qui la rendaient momentanément l’égale des plus
brillantes cités.
L'histoire de cette importante solennité reste à faire,
et l'honneur de cette œuvre revient de droit au membre
de la Commission générale, M. Marcus, qui tenait en main
les rênes d’une administration difficile et délicate. En
attendant ce souvenir de l’un des grands événements du
pays, l'Académie se borne à constater que l'instruction
industrielle et artistique a rencontré de nombreux élé-
ments de progrès, et que les habitants de la Moselle ont
86 SÉANCE PURLIQUE.
rapidement saisi les avantages qu’ils pouvaient puiser
dans celte Exposition.
‘ L'espace occupé par le palais de l'Industrie, véritable
chef-d'œuvre d'architecture, a recu de nombreux et sé-
rieux visiteurs, chacun portant son atlention vers les
objets qui rentraient le plus dans le centre de ses préoc-
cupations favorites. L’Agriculteur, par exemple, a ren-
contré dans ses explorations bien des sujets de médi-
tation. On avait réuni sous ses yeux l’ensemble le plus
complet des instruments, des machines et des procédés
qui appartiennent à l’industrie nourricière. Il est suppo-
sable que notre département, déjà si fertile, recevra dans
ce sens l'empreinte indélébile de l’année 1861.
Une autre tentative de la Commission est également
destinée à porter ses fruits. Des conférences littéraires et
scientifiques ont eu lieu ; la parole d'hommes distingués
s’est fait entendre au milieu d’un public attentif et pro-
fondément impressionné.
Cette expérience a victorieusement démontré que les
élèves des Poncelet, des Bergery, des Woisard, etc.,
avaient légué à leurs enfants une curiosité traditionnelle
toujours prête à les grouper autour de la chaire du pro-
fesseur.
Les fêtes elles-mêmes étaient plus qu’une simple cause
de plaisir et de distraction ; elles renfermaient un en-
seignement. La dernière d’entre elles, surtout, a laissé
une émotion persistante. Les chars de l’armée, transpor-
tant les arts et l’industrie , étaient l'expression la plus
saisissante de la mission qui est confiée à un grand
peuple. Ce magnifique spectacle frappant tous les yeux,
montrait comment les admirables principes de la civili-
sation chrétienne se répandent sur la surface du globe
terrestre pour arracher à une dégradante immobilité
les nations qui ne vivaient que de traditions séculaires.
COMPTE RENDU DU SECRÉTAIRE. 87
La ville de Metz a repris sa physionomie habituelle,
chacun retournant à ses occupations. On en est aux sou-
venirs ; à cette heure on pense, on médite, et l’Académie
espère recueillir à la suite de cette mémorable année un
ensemble de travaux qu’elle est heureuse d'encourager.
Personnel.
Il est douloureux de commencer le compte rendu de
cette année, en signalant la perte d’un homme qui s’était
attaché de cœur à l’Académie, et comptait parmi ses
membres depuis trente-quatre ans. M. le colonel du génie
Gosselin, continuateur du cours de mécanique industrielle
fondé par M. le général Poncelet, professeur pendant de
longues années à l’École d’application du génie et de
l'artillerie, était rentré à Metz en 1852 pour y jouir de
sa retraite. Sa vie s’est terminée en laissant à l’Académie
un dernier témoignage de son aptitude remarquable pour
les sciences mathématiques. M. le colonel Susane, en
acceplant la mission d’écrire sa notice biographique,
assure à votre compagnie un souvenir digne de l’homme.
qu’elle regrette. |
M. Barral, ancien élève de l’École polytechnique, où il
avait rempli très-jeune encore les fonctions de répétiteur
de chimie, était membre correspondant de l’Académie
depuis 1844; en le nommant membre honoraire, vous
avez désiré vous attacher, par des liens plus étroits encore,
le compatriote dévoué qui s’est signalé comme professeur
et comme propagateur des saines doctrines agricoles,
pendant l’Exposition de 1861.
Parmi les nouveaux membres titulaires vous comptez:
M. de Saint-Martin, qui consacre son talent, avec un dé-
vouement infatigable, à créer une géographie de la Moselle;
M. le docteur Isnard, l’habile médecin mihitatre qui a
85 SÉANCE PUBLIQUE.
su laisser de si honorables souvenirs à Brescia pendant
la glorieuse campagne d'Italie ;
M. Simon-Favier, dont les titres sont nombreux, car il
avait produit, comme membre agrégé, de bons et utiles
renseignements sur l’agriculture.
M. le capitaine Vignotti ne se sépare pas de vous; son
service l’éloigne seulement, il est ainsi passé dans la classe
des associés libres non-résidants.
D'heureuses circonstances ont rappelé à Metz ou dans
ses environs, deux anciens membres de l’Académie :
M. Lapointe et M. l’intendant Robert, qui prennent éga-
lement le titre d’associés libres résidants.
Comme membres correspondants vous avez fait d’heu-
reuses admissions. Vous avez nommé dans cette classe :
M. Nicklès, professeur de chimie à la Faculté des sciences
de Nancy, et auteur de beaux travaux, parmi lesquels se
distinguent ses Imporlantes recherches sur les électro-
aimants, la Diffusion du fluor, l'Isomorphisme du bismuth
avec l’antimoine et l'arsenic ;
M. le docteur Ernest Auburtin, auteur de plusieurs
travaux sur les sciences médicales ;
M. Gaspard Bellin ;
M. de Lacretelle.
M. Pelte a quitté Metz, mais il a tenu à conserver des
liens qui le rattachent à l’Académie; de membre agrégé-
cultivateur il est devenu correspondant.
Vous venez d’être encore frappés dans la personne de
M. Huguenin, professeur à la Faculté des lettres de Nancy.
Notre confrère s’est éteint à un âge où l’homme est dans
toute sa force pour recueillir les fruits d’une érudilion
profonde, en occupant un rang distingué dans l’ensel-
gnement universilaire. M. Chabert répond à votre désir
en préparant la notice nécrologique qui doit rappeler les
travaux de M. Huguenin.
COMPTE RENDU DU SECRÉTAIRE. 89
Histoire et Géographie.
Les travaux historiques occuperont une place impor-
tante dans les Mémoires de 1862. Nous pouvons nous
en féliciter, car l’histoire, qui montre l'avenir de l’hu-
manité, avec d'autant plus de vérité qu’elle a mieux
expliqué son passé, est d’une essence éminemment pro-
gressive. Les lacunes, les erreurs même qu’elle renferme,
se révèlent ou prennent une nouvelle importance à chaque
conquête de l'esprit humain; et l’amour du vrai inspire
aux générations successives le besoin de mieux comprendre
l’enchaînement des événements qui dépendent des siècles
précédents.
Le dix-neuvième siècle a déjà rassemblé une assez grande
somme de découvertes dans les sciences physiques, pour
que l'historien de notre temps retouche avec succès la
page de ses devanciers. Tout s’enchaîne dans notre monde,
parce que la loi du divin créateur est une; l’homme ter-
restre élant lié aux destinées de cette planète, il faut
admettre que l’histoire de la terre prépare celle de l’être
humain. Remercions donc M. Woirhaye d’avoir consacré
sa plume si nette et si éloquente à expliquer la voie dans
laquelle l’histoire moderne doit entrer pour remplir sa
mission.
Sous le titre d’Introduction à des études sur l’hisloire
universelle, nous avons parcouru des yeux les assises de
l'histoire.
La terre n’a donné place, dans ses premiers âges, qu’à
la vie minérale, à cette vie qui s’explique grâce aux re-
cherches des géologues. Peu à peu la surface du globe
terrestre s’est solidifiée et refroidie. L'eau, qui joue un
rôle si important dans la composition des liquides, des
végétaux et des animaux, a pu se condenser, servant ainsi
42
00 SÉANCE PUBLIQUE.
de milieu aux premiers êtres organisés. C’est alors que
les premiers types du règne végétal sont apparus ; d'époque
en époque ils se sont succédé en se multipliant et en
préparant la constitution de l'atmosphère nécessaire à
l'existence des animaux terrestres. En partant de l’origine
du monde, on voit que la vie de la matière revêt pro-
gressivement des formes plus variées et plus complexes ;
enfin, lorsqu'on arrive à l'apparition de l’homme, on
aperçoit un être dont la nature est encore plus insaisis-
sable. La matière n’est plus seule en jeu dans son orga-
.nisme ; le créateur semble avoir voulu le doter d’une vie
privilégiée. L'homme a des aspirations qui ne se révèlent
dans aucune autre espèce d'animaux; il vit non-seulement
par sa propre individualité, mais il prend part encore à
une vie collective, et les sociétés ne sont à bien dire que
des êtres multiples à l'infini, dont la constitution est
d'autant plus puissante que l’harmonie dans toutes ses
parties est mieux observée.
Ainsi, depuis l’origine du monde jusqu’à l’époque de
la naissance de l’homme, la loi immuable paraît être le
progrès. Après l’apparition de notre espèce, comment
entrevoir les conséquences de cette même loi? La solution
de ce problème est intimement liée à la parfaile connais-
sance de l’homme depuis son origine jusqu’à nos jours.
Dans ce cadre immense de l’histoire universelle quels faits
doivent surtout fixer notre altention? Il faut principale:
ment s'attacher à l'examen des sentiments et des idées de
chaque époque; rechercher les créations successives de
la pensée humaine pendant la suite des âges. Mais, pour
marcher dans cetle vole, il ne faut pas perdre de vue que
la vraie matière de l’histoire est l’ensemble des observa-
tions et des découvertes que les hommes ont faites dans
la nature, dans eux-mêmes et dans Dieu.
Notre honorable confrère s'attache à montrer les grandes
COMPTE RENDU DU SECRÉTAIRE. ot
divisions que comporte l’histoire. Les caractères du climat
et les croyances religieuses, expression la plus générale
de la pensée d’un peuple ou d’un groupe de peuple, per-
mettent de séparer l’ancien continent en trois grandes
parties.
Ces trois parties sont : 4° l’Europe chrétienne, qui a
reçu sa première éducalion par les mains de la Grèce et
de l'Italie; qui s’est éclairée ensuite des pures doctrines
sorties de la Palestine, et qui a su profiter même des
gouttes du sang vigoureux inoculé sur notre sol par les
invasions des Barbares.
20 L’Asie orientale qui, semblable au sépulcre du passé,
contient les quatre grandes religions panthéistiques et
matérialistes qui s’obstinent à ne rien demander aux lu-
mières et aux inspirations de l'avenir.
3° L’Asie centrale, septentrionale et orientale, avec
l'Afrique comme espèce d’immense appendice. Ce vaste
pays renferme les sectateurs du mahométisme, croyance
qui a eu le malheur d’honorer les brutalités de la force;
mais qui à puisé dans sa foi en un seul Dieu, des élans de
courage et une dignité de caractère, par lesquels s’expli-
quent les succès des anciens musulmans.
L'histoire doit, d’un autre côté, se diviser en deux
grandes époques, séparées par l’an 410 de l’ère vulgaire.
En deçà de cette date commence l’histoire moderne avec
ses âges successifs ; au delà se déroule l’histoire ancienne
qui présente d’admirables développements scientifiques,
mais qui se résume dans l’oppression des nationalités par
la conquête barbare et l’asservissement des individus par
l'esclavage.
À partir de l’année 410, l'Europe d'occident semble
entrer dans une période d'enfance régénératrice ; elle
oublie la science et perd en même temps la force qui
avait répandu tant d'éclat Sur la domination gréco-ro-
99 SÉANCE PUBLIQUE.
maine ; elle puise dans le christianisme une nouvelle
éducation de l'âme, mais se méprend sur ses doctrines.
En effet, les hommes du moyen âge, dans l’ardeur de
leur foi en une vie supérieure, méprisent la vie terrestre.
Portés vers le surnaturel, ils dédaignent ou persécutent
la science qui conduit à la connaissance de ces lois im-
muables par lesquelles Dieu gouverne le monde ; enfin,
par l’effet des luttes de peuples à peuples, ils mécon-
naissent cette liberté forte et généreuse qui avait été si
féconde en nobles inspirations dans le monde antique de
la Grèce et de l'Italie. Mais vers le quinzième srècle un
progrès immense, résultant du travail occulte des siècles
précédents, vient à se manifester. Le goût de la science
renaît , et les aspirations vers la liberté reparaissent dans
l'Europe occidentale. C’est ainsi que l’histoire moderne
se rattache étroitement à celle du moyen âge, de manière
à ne former qu’un seul tout. Cet ensemble est plein de
jeunesse; et comme aux yeux de ceux qui étudient
l'Évangile, le monde moderne est loin d’avoir accompli
son œuvre, il marche avec confiance vers la conquête
d'un meilleur avenir. | |
Au nom de Louis XI un souvenir familier et populaire
fait apparaître un malade coiffé d’une calotte, enveloppé
d'un manteau fourré et marmolant des patenôtres, ou
suspendu au bras de Tristan l’Hermite et visitant ses ca-
chots pour se distraire. Le règne de ce Louis XI n’a pas
commencé en 1461, il est compris entre 1480 et 1485.
On passe ainsi sous silence les meilleures années du mo-
narque pour ne le voir qu’à son déclin.
Si l’on veut porter sur ce souverain un jugement équi-
table, il faut l’envisager tout entier et ne pas oublier qu’il
vivait dans un temps où les rois, sacrés à Reims, croyaient
encore sincèrement qu’ils étaient pourvus, par la grâce
de Dieu, non-seulement du don de guérir les écrouelles,
COMPTE RENDU DU SECRÉTAIRE. 93
mais aussi d’un pouvoir sans limites, et du droit de vie
et de mort sur leurs sujets de tous rangs.
M. le colonel Susane a été généreusement inspiré en
comparant le Louis XI des romanciers au Louis XI des
chroniqueurs. Au sein de notre société moderne, rien
n’était plus équitable que de songer à réhabiliter un
prince dont Duclos a dit: « Si son règne a fait mur-
> murer une quarantaine de familles, plus de cinq cent
» mille ont dû s’en féliciter ! »
Lorsqu'on se prépare à apprécier consciencieusement
la vie d’un homme, il importe de tenir compte de l’édu-
cation qu’il a reçue, du milieu dans lequel il a vécu, et
des mœurs de ceux qui l’entouraient. En étudiant le règne
de Charles VII, on comprend les tendances et les idées
qui ont dù naître chez son fils. En lisant la vie de ses
contemporains, presque tous cruels, violents ou caute-
leux, Louis XI paraît pâle à côté d’eux. Charles le Témé-
raire, Guillaume de Lamarck, Ferdinand le Catholique et
Sixte IV le surpassent en œuvres criminelles. Si la France
des privilégiés de celte époque a pu maudire le règne de
Louis XI, il appartenait à notre siècle de saluer dans la
personne de ce monarque le fondateur de la politique
moderne.
M. Susane joint à ce portrait une esquisse de Jeanne
d'Arc, cette héroïque jeune fille! Elle aussi s’est dévouée
à Jacques Bonhomme, et cependant Voltaire l’a persiflée
dans sa jeunesse. En l’admirant aujourd’hui notre géné-
ration ne personnifie-t-elle pas en elle la France et ses
aspirations généreuses !
M. de Bouteiller n’a renoncé à ses fonctions de secré-
taire que pour reprendre plus activement ses études fa-
vorites, et en apporter les fruits à l’Académie.
Au milieu des déblais enlevés à la citadelle on a trouvé
une bombarde en fer, qui est entourée de cercles de
04 SÉANCE PUBLIQUE.
même métal, et munie de deux petits tourillons. Notre
confrère a pensé que cette pièce faisait partie d’une bat-
_terie défendant la ville de Metz en 1552, à l’époque du
siége dirigé par Charles-Quint.
Au sujet de cette communication, M. le colonel Susane
a fait remarquer combien les procédés industriels du
seizième siècle méritent déjà l’attention des hommes com-
pétents. Des similaires de ce modéle figurent au musée
d'artillerie ; 1l serait donc possible et heureux pour l’en-
seignement de le conserver dans l’un des établissements
militaires de notre ville.
À côté de cette communicalion, M. de Bouteiller, dans
une intéressante notice sur les Célestins, donne un aperçu
rapide et complet de l’origine, du développement pro-
gressif et enfin de la chute de cet ordre célèbre dans la
cilé messine.
L'église des Célestins, bâtie sur l'emplacement où se
trouve, depuis la fin du dix-huilième siècle, l’arsenal de
construction du génie, fut fondée au quatorzième siècle
par Bertrand, surnommé le Hungre. L'établissement, après
une brillante période d’accroissement, arriva, à la suite
d’une administration peu intelligente, et surtout à cause
de l’état politique du pays, à cacher, sous une apparence de
prospérité, des causes sérieuses de ruines qui, s’augmen-
tant sans cesse, forcèrent monseigneur de Montmorency
à proposer au roi la suppression de l'Ordre, suppression
qui fut ordonnée le 9 décembre 1774. A partir de ce
moment, le couvent et ses dépendances furent complé-
tement dévastés ; tombé dès 1811 en la possession du
génie, cet établissement prit alors l'aspect que nous
lui voyons encore, et qu’un plan général d'améliorations
heureusement combiné ne tardera pas à modifier sensi-
blement. |
A l'historique de cette communauté, M. de Boutciller
COMPTE RENDU DU SECRÉTAIRE. 95
ajoute le tableau que d’actives et consciencieuses recher-
ches lui ont permis de faire sur l’église et le caractère de
son architecture. [l y joint le détail des richesses qu’elle
renfermait, et signale comme ornements aux clefs de
voûle, des médaillons à personnages d’un très-bon style,
dont cinq ont été sauvés, grâce à la bienveillance de
MM. les officiers, et remis au musée archéologique de la
ville. |
M. Abel a fait passer sous les yeux de l’Académie des
cartes qui représentent l'historique des fortifications de la
ville de Metz. Le point de départ de ces travaux remonte
à l’année 882. Hérard de Bar-le-Duc, Vauban et Cormon-
taigne ont successivement établi les défenses de la ville.
La construction du fort Belle-Croix date de 1735.
Les inscriptions épigraphiques répondent au double
objet de récompenser les belles actions en consignant leur
souvenir sur les monuments publics et d'inspirer à cha-
cun, par ces exemples, un noble sentiment d’émulation.
L'Académie, inspirée par celle conviction, a désiré rap-
peler le nom de deux hommes que la ville de Metz compte
parmi ses plus illustres défenseurs. Grâce à la bienveil-
lante autorisation de S. E. le Ministre de la guerre on
peut lire, des deux côtés de la porte Serpenoise, les
épigraphes qui signalent à la postérité le brillant épisode
du siége de Charles-Quint en 1552, dans lequel le duc
de Guise repousse victorieusement l’armée espagnole au
moment d’un assaut, et l’acte de dévouement du boulanger
Harel sauvant Metz surprise par l’ennemi le 9 avril 1473.
M. de Saint-Martin poursuit avec une persévérance digne
des plus grands éloges son projet de doter le département
de la Moselle d’une collection complète de cartes intéres-
sant la géographie locale. Il a fait don à l’Académie, cette
année, de différentes cartes sur les voies romaines et sur
les cours d’eau de la contrée.
96 SÉANCE PUBLIQUE.
Archéologie et Numismatique.
M. Clercx a produit de curieux détails sur une pierre
tombale du douzième siècle, découverte près de l’oratoire
des Templiers, et représentant un chevalier du Temple
avec son épitaphe qui a été exactement déchifirée par
M. de Salis et l’auteur de cette communicalion.
M. Chabert a fait d’intéressantes recherches dans le
domaine de la numismatique.
_ Thionville, colonie teutone, puis maison de plaisance
de Charlemagne, fut définitivement réunie à la France à
la suite de la bataille de Rocroi, pour prix de la capitu-
lalion accordée aux Espagnols par M. le duc d’Enghien.
Des médailles et un jeton furent frappés en souvenir de
ce mémorable événement qui, selon le conseiller d’État
Jean Silhon, mettait le pays messin à l’abri des entreprises
du Luxembourg.
La seconde ville de notre département possédait, pour
permettre de franchir la Moselle, un pont couvert en bois,
dont la construction remonte à l’année 1684.
M. Lejoindre, ingénieur en chef des ponts et chaussées,
fut chargé de substituer à ce monument hislorique, qui
menaçait ruine, un pont en pierre. Îl fut secondé dans
ce remarquable travail par notre autre confrère M. Plas-
siard. L'inauguration de ce magnifique ouvrage d’art eut
lieu le 4er novembre 1846; une médaille commémorative
fut consacrée au souvenir de cette fête.
Il appartenait également à M. Chabert d'offrir à l’Aca-
démie une notice sur la médaille de l'Exposition univer-
selle de Metz. Il a su donner à cette communication un
caractère qui témoigne de l'intérêt que motivait la bril-
lante solennité de 1861.
COMPTE RENDU DU SECRÉTAIRE. 97
Belles-Lettres.
M. de Gérando a fait hommage à l’Académie d’un ma-
nuscrit inédit de son père, intitulé : Considérations phi-
losophiques sur les voyages. L'auteur, après avoir rappelé
que les voyages ont eu leurs partisans et leurs détracteurs,
s'attache à démontrer que leur grande utilité est de dé-
gager notre esprit de l’esclavage où il languissait; de lui
rendre l’activité qui lui est propre; d’accroiître le fonds
d'idées dont nous sommes pourvus; et d'enrichir notre
expérience par l'observation de faits nouveaux pour nous,
en même temps qu’ils nous apprennent mieux les égards
que nous devons à nos semblables, et la dépendance où
nous sommes vis-à-vis d'eux.
M. de Gérando esquisse à grands traits l’utilité spéciale
des voyages pour le philosophe, l’économiste, le commer-
çant, le naturaliste, le philanthrope, l'artiste, etc. Il met
ensuite en contraste leurs fâcheux effets sur les hommes
superficiels, dont l'esprit reste au milieu de tant de
richesses aussi vide et aussi pauvre qu’au moment du
départ.
… M. Soleirol vous a offert un ouvrage de feu son frère,
intitulé : Molière et sa troupe, renfermant de curieuses
et inédites particularités sur notre grand poëte comique.
Le concours de poésie présente, cette année, un grand
nombre d'œuvres de mérite; aussi éprouvez-vous la légi-
time satisfaction de récompenser les plus marquantes
entre toutes. L’honneur de motiver votre décision solen-
nelle et de proclamer le nom des lauréats est réservé au
rapporteur de votre commission. Il faut se borner ici à
espérer dans l'avenir une réponse au chaleureux appel
qu’il adressait, dans cette même enceinte, l’an dernier,
aux plus fervents amis des belles-lettres.
143
O8 SÉANCE PUBLIQUE.
Agriculture.
L'agriculture s’est encore enrichie cette année d’utiles
travaux qui, pour la plupart, ont eu à emprunter leurs
éléments principaux à la science. Il doit en être ainsi,
car de nos jours les progrès de la chimie l’ont amenée
à un point qui lui permet d'expliquer un grand nombre
des phénomènes de la végétalion, el de diriger le culti-
valeur dans les procédés qu’il faut préférer.
La mesure adoptée dès l’année 1854 par le gouverne-
ment, en autorisant dans ce département la culture d’une
nouvelle plante, le Tabac, appelait l'attention de l’Aca-
démie sur cette question. Une commission fut nommée
afin de rechercher les meilleurs moyens de guider les
cultivateurs dans un nouveau genre d’exploitation, qui
est une cause de prospérité pour plusieurs départements
de la France. M. le docteur Dieu, rapporteur de cette
commission, a produit un travail qui est un véritable
traité de la culture du tabac; il l’a rédigé avec la remar-
quable clarté qu’il sait mettre dans tous ses écrits.
Ce traité indique l’ensemble de conditions qu’il faut ren-
contrer au point de vue du climat et du sol pour obtenir
des résultats satisfaisants. |
Afin de démontrer ce que l’on peut espérer obtenir
dans le département de la Moselle par l'effet de la culture
du tabac, l'honorable rapporteur présente l’ensemble des
résultats constatés jusqu’à ce jour, d’où il résulte que le
produit brut par hectare pourrait atteindre 1400 fr. et
qu'il tomberait difficilement au-dessous de 940 fr. Les
frais de culture, par contre, ne dépasseraient pas la somme
de 901 fr. L'avantage immédiat est donc incontestable ;
sans oublier qu'après l’enlèvement de la récolte, le sol
ne ee en
COMPTE RENDU DU SECRÉTAIRE. 99
conserve un pouvoir nutritif qui rejaillit sur les produits
des années suivanles.
Vous vous rappelez, Messieurs, qu'après la lecture de
cette communication, M. de Chastellux est venu vous en
demander l’impression à un grand nombre d'exemplaires,
afin de pouvoir les répandre dans le département. Cette
proposition, après votre agrément, a élé réalisée et l’ad-
ministration départementale a prêté son appui pour fixer
l’attention des agriculteurs sur cette intéressante question
qui a trouvé exceptionnellement place dans les Mémoires
de l’an dernier.
M. Terquem vous a appris qu’un arrêté municipal dé-
fendait de verser désormais dans la Moselle des produits
qui sont bien plus favorables au développement des végé-
taux qu’à la nutrition des poissons. Vous avez tous rendu
hommage à la prudence du magistrat qui a pris une me-
sure aussi sage. Îl est juste de signaler, à celte occasion,
un beau mémoire de M. Dieu, dans lequel 1l démontre,
avec la dernière évidence, les conséquences fâcheuses de
cette ancienne coutume. Nous devons donc nous féliciter
de ce qu’une nouvelle source d’engrais soit ainsi assurée
à l’agriculture mosellane.
La viticuliure est à l’ordre du jour «de vos travaux, el
déjà des mémoires considérables ont été produits dans ce
sens. M. Abel, ne trouvant pas la question suffisamment
élucidée, est venu vous proposer de la remettre à l’étnde.
A l’appui de son opinion, 1l vous a communiqué un his-
torique de la culture des vignes dans ce département ; en
même temps il s’est efforcé de démontrer quels avantages
on retirerait, dans les pays vignobles, d’un emploi fami-
lier des analyses gleucométriques.
On écrit beaucoup sur l’agriculture, mais à côté des
livres ou mémoires qui apportent des idées nouvelles, il
en est d’autres qui ont pour objet de mettre cette science
400 SÉANCE PUBLIQUE.
à la portée des praticiens, en empruntant aux ouvrages
originaux leurs plus saillantes parties. Travailler dans ce
sens est une œuvre. délicate ; on se trouve placé entre la
difficulté de former un tout à l’aide de matériaux hétéro-
gènes et celle de rester inintelligible, malgré une conci-
sion nécessaire. L'Académie est souvent consultée sur des
._ ouvrages de cette nature, et cette année elle à remis à
M. Raillard le soin d'apprécier les Entretiens familiers
d'agriculture et d’horlicullure de M. Lefèbre-Bréand.
L’honorable rapporteur a signalé les difficultés qu’a ren-
contrées le publiciste, et tout en rendant justice aux
bonnes parties que son traité renferme , il a dù exprimer
le désir que M. Lefèbre-Bréand retouche à son œuvre.
M. Simon-Favier vient de clore cette série de travaux
académiques par une note sur les plantations des prome-
nades et des boulevards. Cette question est toute d’actua-
lité, au moment où l’on songe à modifier la physionomie
de l’Esplanade, cette magnifique promenade que l’on envie
à notre cité.
L’honorable membre critique, avec juste raison, le
défaut d'harmonie que l’on constate dans la plupart des
plantations ; il attribue les formes trop dissemblables des
arbres appartenant cependant à une même espèce, à
l'habitude de les obtenir par semis.
M. Simon-Favier, guidé par sa grande expérience et
appuyé dans sa manière de voir par l'approbation sans
réserve de M. Dubreuil, proposerait de recourir aux
greffes; celte méthode assurerait des sujets de même
forme et de même aspect.
Un mémoire sur les baux à ferme a été l’objet d’un
sérieux examen de la part de votre Commission, ainsi
-que le témoigne le rapport de M. Dieu dont vous avez
volé l’impression.
Espérons que l’auteur du travail verra que votre
COMPTE RENDU DU SECRÉTAIRE. 401
décision est un premier encouragement ; quelques heures
de méditation lui vaudront, certainement, un succés.
complet l’année prochaine.
Sciences.
C’est, je crois, payer un légitime tribut de regrets au
confrère dont vous vous êtes séparés si récemment, que
commencer ce chapitre en signalant l’œuvre posthume
de M. le colonel Gosselin. Jusqu’à ses derniers instants
ce mathématicien érudit a su dominer l'influence d’une
maladie mortelle et appliquer son esprit aux questions
qui avaient été pour lui un constant objet de prédilection.
Sous ce titre: Examen sommaire sur la formation et
sur la chaleur interne du globe terrestre, M. le colonel Gos-
selin s’est spécialement attaché à rechercher l'évaluation
du temps que mettrait la terre à atteindre le soleil, sous
l’action unique de la force d’attraction. En tenant compte
de la valeur variable de cette force, qui est fonction du
carré de la distance des deux astres, à chaque instant du
mouvement de la terre, on arrive à la solution suivante : La
terre atteindra le soleil en soixante-quatre jours soixante-
cinq centièmes. Un autre résultat, remarquable par le peu
de différence qu’il présente avec celui de Cavendish, fixe
pour la densité de la terre le nombre de 5,62. On sait
que le célèbre physicien anglais était arrivé à 5,69.
Cette coïncidence très-remarquable entre la conclusion
des deux auteurs mérite une grande attention et indique
que l’on doit trouver dans le dernier travail de votre
confrère d’utiles enseignements.
M. Méline, ancien inspecteur de l’Académie universi-
taire, vous a fait hommage d’une collection de cahiers
préparés pour les exercices de calcul. Par cette méthode
les élèves se familiarisent graduellement avec les difficultés
402 SÉANCE PUBLIQUE.
des quatre opérations fondamentales de l’arithmétique.
M. le général Didion, rapporteur de la commission que
vous aviez constituée, fait le plus grand éloge du système
d'instruction proposé par M. Méline qui a judicieusement
pris en considération les heureux résultats que produit,
dans l’enseignement primaire, la méthode de calligraphie
de M. Taiclet. |
M. André se livre, depuis vingt ans déjà, à des recher-
ches extrêmement intéressantes sur la consommation de
la viande de boucherie à Metz. Ce genre d’étude, qui est
du domaine de la statistique, permet, en suivant le ré-
gime alimentaire, d'apprécier le degré de bien-être des
populations et de prévoir ce que l'avenir exigera de l’agri-
culture.
Si l’on compare les cinq années de 1842 à 1847 aux
cinq dernières qui viennent de s’écouler, on trouve une
augmentation de consommation de 18 kilogrammes par
an et par individu, c’est-à-dire plus de 40 pour cent, et
cela malgré l’accroissement du prix de la viande. Cette
marche progressive dans le commerce de la boucherie
invile nécessairement les cultivateurs à développer l'élève
du bétail. Or, les agronoines sont d’accord aujourd’hui
pour reconnaitre que le sol n’atteint son maximum de
productions qu’à la condition de fournir simultanément
des végétaux et des animaux qui laissent sur le terrain
des principes fécondants. N’est-il pas heureux de cons-
tater que, contrairement à ce que l’on suppose souvent,
les intérêts des producteurs et des consommateurs se
trouvent en parfaite harmonie. |
M. Terquem à communiqué à l’Académie la suite de ses
Jongucs et minutieuses recherches sur les Foraminifères,
coquilles microscopiques jouant aujourd’hui le même rôle
qu'aux temps anciens, à l’époque des grands monstres
marins. Le calcaire des environs de Paris est uniquement
COMPTE RENDU DU SECRÉTAIRE. 103
formé de débris de ces foraminiféres qui sont réunis par
millions dans 80 centimètres cubes de ce carbonate. C’est
également par l’effet de ces coquilles que des ports et des
rades sont aujourd’hui obstrués.
M. Terquem ne s’est pas contenté d'enregistrer les
genres et les espèces que renferment les marnes liasiques
de nos environs; il a cherché à connaître, dans les temps
anciens ou modernes, quel terrain ou bassin présentait
une idenlité de productions avec ces marnes. Îl résulte
de ce travail que le bassin de Rimini, sur l’Adriatique,
présente la plus parfaite analogie avec nos lias : même
température, même genre de coquilles. De plus, les con-
ditions de vitalité sont les mêmes dans les deux terrains,
car l’analyse a démontré qu’on retrouve dans les coquilles
fossiles les mêmes résidus de l’alimentation que dans les
coquilles vivantes. [l n’est pas sans intérêt de faire remar-
quer que ce genre de recherches, à l’aide des renseigne-
ments fournis par les terrains anciens, a pris son origine
dans notre département.
Vous avez reçu de M. le docteur Maréchal et de M. J.
Didion, son collaborateur, un cinquième fascicule sur les
maladies endémiques du pays messin. Ce travail, qui
imite ses aînés par l'intérêt qu'il comporte, a d'autant
plus de valeur que, s’il est préférable de le compter parmi
les communications scienlifiques, 1l ne rentre pas moins
par un côté philosophique dans le domaine de l’histoire.
M. le docteur Haro a été malheureusement empêché
de terminer sa réfutation du système de Gall. Cependant
ses communications suffisent pour indiquer un certain
rapprochement entre les partisans et les détracteurs de
la phrénologie. 11 faut plutôt voir, dans l’état actuel de la
discussion , une nécessité qui incombe aux phrénologues
de présenter un corps de doctrine solidement établi et
conforme aux exigences de notre époque, que la négation
404 | SÉANCE PUBLIQUE.
d’une corrélation intime et immédiate entre le moral et
le cerveau chez l'être humain. Espérons qu’une décou-
verte importante viendra un jour résoudre la difficulté qui
sépare des hommes réunis d'opinions sur tant d’autres
phénomènes physiologiques, tels que la circulation du
sang et la nutrition.
-M. Belhomme a produit une note sur l’Urtica nivea,
plante à fibres textiles, originaire du Japon. Dans la Mo-
selle cette plante ne peut, il est vrai, servir qu’à l’orne-
mentation des jardins ; mais il serait possible de la
cultiver sur une grande échelle dans les parties les plus
chaudes de la France. Cette espèce d’ortie fournit des
fibres d’une finesse et d’une force remarquables.
Architecture.
À côté des concours de poésie, d'archéologie et d’a-
griculture qui présentent cette année des résultats si
satisfaisants dans leur ensemble, vient se placer celui
d'architecture. Vous aviez proposé comme sujet dans ce
genre la construction d'une école rurale.
Un projet très-sérieusement étudié a mérité votre at-
tention ; une mention lui était légitimement acquise dans
notre rapport.
Tel est, Messieurs, l’ensemble des travaux qui ont fixé
votre attention pendant le cours de cette année. Si j'ai
été assez heureux pour en faire pressentir la valeur,
peut-être trouverez-vous qu’ils sont déjà une première
réponse à l’espoir que je manifestais au début de ce
compte rendu sur l'influence bienfaisante de l’année 1861.
RTE TO
CR RS
PT mm mm mme mr mm
RAPPORT
DE LA
COMMISSION" DES CONCOURS DE LITTÉRATURE ET D'HISTOIRE,
PAR M. DE BOUTEILLER.
Messieurs,
L'Académie a le droit d’être satisfaite de la manière
dont la partie lettrée et laborieuse du public, à laquelle
s’adressait son appel, y a répondu celte année. Îl y avait
longtemps que le concours littéraire n'avait présenté ni
cette variété ni cette importance. Il y avait longtemps que
votre Commission n’avait eu à louer des qualités aussi
réelles, à rendre hommage à des talents aussi distingués,
el je suis heureux, pour ma part, que la même voix qui,
lan dernier encore, déplorait avec amertume la stérililé
trop prolongée de cette partie de nos concours, ait au-
jourd’hui à exprimer un sentiment tout contraire et à
constater avec joie que la moisson a été abondante ; à
dire que nous avons trouvé plus d’un épi de pur froment
dans les gerbes que nous ont apportées les travailleurs.
I.
L'Académie, qui se glorifie d’avoir eu sa grande part
dans l’impulsion donnée à la belle œuvre que Metz a
' Cette commission était composée de MM. Blanc, Prost et de
Bouteiller, rapporteur.
14
106 SÉANCE PUBLIQUE.
accomplie l’an dernier avec de généreux efforts couronnés
par le succès, avait désiré voir consacrer aussi dans ses
Mémoires le souvenir de cet épisode brillant de la vie de
notre cité, dans une pièce de vers qui le prît pour objet,
et le programme de vos concours demandait au génie de
nos poëtes de s'exercer sur ce beau sujet, d’un intérêt
tout actuel et tout local : L’Exposition universelle de Metz
en 18614.
Deux pièces de vers portant ce titre nous ont été pré-
sentées ; l’une ayant pour épigraphe : Salve, magne pa-
rens, frugum que, virum que Mosella ; l'autre : Gloria in
excelsis Deo et in terr4 pax hominibus bonæ voluntatis.
La première, en vers alexandrins, affecte la forme
d’une épître, on voit que son auteur a vécu dans une
intime et intelligente fréquentation des classiques, et son
style s’en ressent heureusement.
Après avoir, dans un début quelque peu solennel, fait
valoir les titres de la poésie à une faveur qu’on semble
souvent lui marchander, il faut l’avouer, en un siècle
assez positif, l’auteur fait une supposilion qui n’est point
nouvelle, mais qui s'applique toujours heureusement. Il
suppose un bourgeois de Metz du seizième siècle revenu
à la lumière au moment où notre ville, transformée, ra-
dieuse, pleine de mouvement, de vie, de bruit, appelait
‘les populations à venir assister aux splendeurs de son
Exposition. Îl lui fait admirer tous les perfectionnements
exposés par l’industrie, toutes les élégances de l’art,
toutes les fêtes mullipliées par d’infatigables activités,
puis il termine par l’énergique et patriotique expression
des sentiments qu’un bon citoyen sait éprouver pour sa
. ville natale ou pour sa patrie d’adoption. Tel est le plan
de cette pièce qui compte environ deux cent cinquante
vers et dans laquelle votre Commission a trouvé à louer
une sage ordonnance, un style pur, une poésie élégante
CONCOURS DE LITTERATURE ET D'HISTOIRE. 407
et des idées élevées. Peut-être eût-elle désiré y trouver
un peu plus de mouvement et de passion; mais telle
_ qu’elle est, cette pièce fait honneur à son auteur et met
très-convenablement en lumière l’œuvre à la glorification
de laquelle elle est consacrée.
La seconde pièce lui a causé une impression moins
favorable ; le défaut qu’elle y a surtout rencontré, c’est
une emphase en certains points fatigante et une exagé-
ration que nous n’avons pas pu méconnaître, quelque
convaincus que nous fussions de la grandeur du sujet.
L'auteur a, dans une partie de sa pièce, dont le reste est
écrit en alexandrins, employé le vers de six pieds, coupe
malheureuse qui, à l’audition, semble multiplier à l'infini
les rimes féminines ou les césures fausses.
L’Exposition du Palais de l'Industrie occupe une place
plus importante dans cette pièce que dans la première.
Un grand nombre d'objets parmi ceux qui y étaient étalés
sont décrits avec soin, et il en est même quelques-uns
devant lesquels la foule sera passée indifférente, tel que
le blé provenant d’une sépulture égyptienne, qui y font
l’objet d'un passage assez développé. La pièce se ter-
mine, elle aussi, par un appel chaleureux à notre vieille
cité et par des vœux expressifs pour sa prospérité et sa
gloire.
Comme composition, cette œuvre ne manque pas de
mérile, on y rencontre l’expression des sentiments les
plus honnêtes et des vues les plus droites ; la forme en
est sage, mais un peu dénuée d’originalité. La poésie est
régulière, les rimes assez heureusement accouplées ; on
peut seulement reprocher à l’auteur d’avoir abusé des ad-
jectifs. Il ne s’y rencontre presque pas de nom qui n'ait
son épithète à sa suite. En somme, malgré des qualités
auxquelles votre Commission rend pleinement justice, elle
a trouvé à cette pièce une infériorité marquée sur la pre-
108 SÉANCE PUBLIQUE.
mière, tant sous le rapport de la conception que sous
celui de la versification.
En conséquence, elle a l'honneur de vous proposer de
donner à la première pièce, portant pour épigraphe :
« Salve, magne parens. . . ..... » un prix consistant
en une médaille de vermeil, et d'insérer son œuvre dans
le volume de vos Mémoires.
Conformément à ces conclusions, l’Académie a accordé une
médaille de vermeil à M. Collignon, ancien principal du collége
de Verdun, à Metz.
I.
À la suite de ce concours spécial, l’Académie avait
proclamé dans son programme qu’elle accueillerait toute
pièce littéraire en vers ou en prose. Cet appel a été en-
tendu par cinq autres auteurs qui sont venus lui pré-
senter des pièces de poésie d'importance variée, et ces
pièces, au nombre de sept, ont été de notre part l’objet
d’un examen attentif.
La première pièce qui nous ait été soumise porte pour
ütre : L’Ennut, et pour épigraphe : Fouelte cocher, dit
la Folie, et me voilà sur le chemin. Cette petite pièce se
compose de trois strophes de quatre vers alexandrins et
de quatorze vers de huit pieds. Elle est facilement écrite,
elle déerit avec vérité et avec une philosophie légère à la
surface, mais assez sérieuse au fond, un état dont chacun
de nous a sans doute fait quelquefois l'expérience. La
versificalion en est correcte et non pas dénuée d’élé-
gance; cependant le croisement des rimes, qui est irès-
irrégulier, lui ôte un peu de son charme à la lecture à
haute voix. Votre Commission a trouvé dans cette bluette
une œuvre fort agréable, mais trop peu importante pour
pouvoir compter dans un concours sérieux. ne
CONCOURS DE LITTÉRATURE ET D'HISTOIRE. 409
. La seconde est une œuvre pleine de fantaisie et d’ori-
ginalité, intitulée : Le Vin et l'Eau. Elle a pour devise :
De Dieu vient la science, il en reçoit la gloire. C’est un
combat de paroles entre une carafe d’eau de fontaine et
une bouteille de vieux vin, dans lequel elles ne se mé-
nagent pas les vérités les plus dures. Cette pièce, qui
compte environ deux cent cinquante vers, est trés-faci-
lement écrite et agréablement composée. Elle renferme
des traits véritablement comiques et des saillies d’un bon
esprit français. . . .. j'allais dire gaulois. Mais il y a des
inégalités nombreuses ; à côté d’un trait spirituel, d’un
vers découpé à l’emporte-pièce, on en trouve d’autres
qui languissent et se traînent. Ce qui est le plus grave,
et ce qui pouvait cependant être évité facilement, ce
sont des rimes hasardées, des vers auxquels il manque un
pied, d’autres qui en ont un de trop, de légères violations
de la grammaire ; ce sont, en un mot, des incorrections
que nous devrions demander à l’auteur de réparer si sa
pièce devait être insérée dans vos Mémoires. Enfin, nous
avons regretté qu'il n'ait pas terminé sa pièce par un
trait final qu’il eût aisément trouvé dans son imagination
et qui eût par exemple montré l'Eau et le Vin se disputant
encore dans le verre où ils sont mêlés, jusqu’à ce que
le vieux monsieur, les ait mis d'accord en les avalant.
Telle qu’elle est, et malgré ses imperfections, cette
poésie est loin d’être sans valeur, ni comme invention,
ni comme facilité de versification. Ce n’est pas l’œuvre
de tout le monde.
La troisième pièce porte pour titre : l’Eburonie, et a
pour devise walloune : Quand ji chanta m'patroie ji
codu des lauris. C’est une ode en l'honneur de l'antique
capitale des Éburons, de la ville de Liége ; elle comprend
vingt-cinq strophes, sans compter un long dithyrambe,
remplies d’une passion exaltée pour la patrie et pour ses
410 SÉANCE PUBLIQUE.
splendeurs. Rien n’est plus digne d’éloge que le sentiment
d’amour qui emporte un citoyen pour sa terre natale; il
participe à la grandeur et à la sainteté de l’amour filial ;
mais il y a cependant des bornes que les sentiments les
plus hauts doivent savoir respecter, et ces bornes-là, l’au-
teur de l’Eburonie les a franchies sans trouble. Ni Rome,
ni Athènes, ni Paris, ni Venise, ni les villes les plus
célèbres, ni les peuples les plus illustres n’ont été l’objet
d’exaltations semblables à celles que Liége lui inspire. Mais
sans lui chercher plus longtemps querelle pour une pas-
sion qui, après tout, l’honore, 1l faut bien dire aussi que
votre Commission a trouvé à signaler dans son œuvre plus
d’une imperfection, d’une nature moins excusable, et
qu'en somme, il ne lui a pas paru possible de vous
demander d’ajouter un fleuron à la couronne de l’Ebu-
ronie en la personne d’un de ses enfants.
La quatrième pièce, qui est intitulée : André Chémer,
et porte pour épigraphe : Toul génie est martyr, à
pour objet d'établir une fois de plus, et sur un illustre
exemple, que tout être marqué du signe du génie est
marqué en même temps du signe du malheur. Après
cette consécration « de tout génie au martyre, » l’auteur
place dans la bouche d'André Chénier un long monologue
où il exprime ses colères, ses douleurs, puis sa résignation :
dans des vers imprégnés de l’amour du bien et du droit,
de la haine de la violence et de lhorreur du crime.
Mais pourquoi avoir donné à ses vers, par le choix qu’il
a fait de son sujet, le voisinage écrasant des Jambes el
des Idylles? Pourquoi nous avoir forcés à entendre malgré
nous, pendant que nous lisions cette pièce, une voix qui
murmurait à notre oreille les Adieux de la Jeune captive ?
En présence de ces admirables vers, il ne nous était pas
possible de savoir à l’auteur tout le gré qu’il méritait
peut-être d’avoir refait des choses qui, présentes dans
CONCOURS DE LITTÉRATURE ET D'HISTOIRE. 411
la mémoire et dans le cœur de tout le monde, portent
l’empreinte ineffaçable du génie, et auxquelles, après lui,
il ne faudrait plus toucher.
Le cinquiëmé auteur, qui a choisi pour épigraphe ce
vers expressif : Le champ de l'avenir atlend des mains
viriles, nous a présenté trois pièces qui font voir son ta-
lent sous des aspects différents et tous favorables. La
premiére , de cent soixante-dix vers, intitulée la Petile
fille, est inspirée par ce que le sentiment a de plus délicat,
de plus doux, de plus saint. Il n’y a rien à y reprendre ;
il n’y a qu’à louer, à se sentir atlendri, à être charmé.
La troisième pièce, de plus de deux cents vers, portant
pour titre : Ode française, s'inspire à un des sentiments
les plus nobles et les plus hauts que le cœur de l’homme
connaisse ; c’est l’amour de la patrie qui la dicte, non pas
l'amour banal et emphatique qui ne cherche qu’à aligner
les vers d’un dithyrambe, mais le vrai amour qui a de
ces accents qui remuent le cœur; l'amour qui ne se
berce pas dans les béates expressions d’une admiration
factice, mais celui qui voit la blessure, qui la sonde, qui
verse une larme sur elle et qui, voyant qu’elle n’est pas
mortelle, pousse au ciel un cri de reconnaissance el
d'espoir. C'est là de la poésie, française comme son nom,
c'est-à-dire qu’on n’y trouve que ce qui s’appelle franchise,
noblesse, grandeur, dévouement.
Entre ces deux pièces, il en est une troisième qui est
intitulée la Foire. Cette pièce est un tableau villageois
élégamment et facilement écrit, d’une poésie correcte
el d’une composition agréable ; mais après les sérieuses
émotions qu’avalent excitées en nous les deux autres œu-
vres du même auteur, il ne nous élait pas possible d’y voir
autre chose que le produit d’une imagination ingénieuse
servie par un talent poétique distingué. Nous ne vous en
parlons donc et ne la louons que pour mémoire.
419 SÉANCE PUBLIQUE.
D'après l'étude que nous avons faite des pièces du
concours et les impressions qu’elles nous ont fait res-
sentir, impressions que J'ai cherché à résumer dans le
rapport qui précède, J'ai eu l’honneur de vous proposer,
au nem de la Commission :
40 De donner une médaille de vermeil, grand module,
à l’auteur des trois pièces portant pour épigraphe : Le
champ de l'avenir attend des mains viriles, et d'insérer
la première et la troisième pièce dans le volume de vos
Mémoires ;
20 D’accorder une mention honorable à l’auteur de la
pièce intitulée: L'Eau et le Vin, et de publier également
sa pièce lorsqu'il l'aura purifiée des incorreclions qui la
déparent.
Conformément à cette proposition, l’Académie a accordé une
médaille de vermeil, grand module, à M. Millien, de Beaumont-
la-Ferrière, et une mention honorable à M. de Landremont,
à Metz.
JIE.
J'ai encore à vous demander, Messieurs, une récom-
pense méritée par un travail des plus sérieux et des plus
intéressants. C’est le résultat du concours ouvert par vous
au sujet de l’histoire et de l'archéologie locales. Comme
réponse à une des questions de ce concours, vous avez
reçu un mémoire intitulé : L’arrondissement de Sarre-
guemines, éludes d'histoire et de géographe. — Première
étude. Les Ruines du canton de Biche, et portant pour
épigraphe : Eliam periere ruinæ.
L'auteur s’est attaché à retrouver dans la poudre des
archives les traces de localités disparues, nombreuses
dans l’arrondissement de Sarreguemines, et à fixer leur
emplacement sur un sol qui n’en a pas conservé de ves-
CONCOURS DE LITTÉRATURE ET D'HISTOIRE. 413
tiges. Ses recherches, dans lesquelles on ne sait si l’on
doit le plus admirer l’érudition ou la sagacité, se sont
fixées sur cinquante-huit localités jadis habitées et main-
tenant disparues. Son travail est complété et rendu par-
lant par l'exécution de cartes qui présentent, de la manière
la plus expressive, la topographie ancienne et moderne
du pays. Les ouvrages historiques et diplomatiques, la-
tins, français et allemands, les archives des communes,
celles des villes étrangères voisines de la Lorraine alle-
mande lui ont fourni tous les secrets recélés sous leur
ténébreuse poussière. Malgré la forme simple et sobre
qu’il a adoptée, la lecture de ses notices offre beaucoup
d'intérêt, par suite du grand nombre de faits qu’elles pré-
sentent, du caractère de certitude parfaite qui leur est
imprimé et de la clarté qui y est répandue à flots sur des
faits hier encore ignorés. Mais nous ne nous sommes pas
arrêtés à ce mérite, pour ainsi dire extérieur. Nous avons
vérifié les recherches patientes et difficiles qu’a exigées
un pareil travail, le nombre des sources auxquelles il a
fallu avoir recours, la solidité des déductions, l’ingénio-
sité des hypothèses, et c’est en toute connaissance de cause
que nous sommes venus vous dire que l’auteur de ce mé-
moire a fait faire un pas sérieux à la connaissance de nos
antiquités locales et qu’il y a déployé un remarquable
talent. J’ai donc eu l’honneur de vous demander, au noin
de la Commission, de vouloir Lien lui accorder une mé-
daille de vermeil et de faire paraître son œuvre dans le
volume de vos Mémoires.
Conformément à ce rapport, l’Académie a accordé une médaille
de vermeil à M. Jules Thilloy, procureur impérial à Sarreguemines.
——020 560000 —
45
RAPPORT
DE LA
COMMISSION D'ARCHITECTURE
PAR M. HANRIOT.
_ Messieurs,
La Commission ‘ que vous avez chargée d’examiner
les projets de constructions communales présentés pour
prendre part au concours de 1862, a eu l’année dernière
à s’occuper déjà d’un travail semblable; mais aucun des
_concurrents n'ayant satisfait aux conditions de votre pro-
gramme, vous n'avez pas jugé devoir accorder la récom-
pense offerte et vous avez laissé le concours ouvert pour
l’année 1862. | |
Votre Commission a bien voulu me faire l’honneur d’être
près de vous son interprète, et je me félicite qu’elle m’ait
ainsi fourni l’occasion de vous remercier d’avoir appelé
l'attention de MM. les Architectes sur une question qui se
lie d’une manière étroite à celle d’une bonne organisation
des écoles rurales. | |
Deux mémoires seulement ont été adressés à l’Académie.
L'auteur du mémoire portant pour suscription l’ Abeille,
a présenté trois projets désignés sous les n°5 1, 2 et 3.
* Cette Commission était composée de MM. Salmon, Raïllard,
Chabert et Hanriot, rapporteur.
410 | SÉANCE PUBLIQUE.
Le projet n° 1 comprend: une école pour soixante-douze
garçons, une école de filles pour le même nombre d’élèves,
une salle d’asile, deux logements avec leurs dépendances,
la salle des réunions du conseil municipal, le cabinet des
archives et le magasin de la pompe à incendie.
Les deux classes occupent le rez-de-chaussée du bâti-
ment principal, situé entre cour et jardin, elles sont éta-
blies sur caves voûtées, l’air et la lumière y pénètrent
facilement par trois larges fenêtres percées de chaque
côté. Elles ont 9 mètres de longueur sur 8 mètres de lar-
geur et 4 mètres de hauteur, ce qui donne par élève,
ainsi que le prescrit le réglement, une surface de 1 mètre
carré et un volume d’air de 4 mâtres cubes.
Les lieux d’aisances peuvent être facilement surveillés
de l’intérieur de la classe. |
Le logement du maître et celui de la maitresse sont à
l'étage, avec la salle du conseil municipal, le cabinet du
maire et celui des archives. Ils comprennent chacun une
cuisine, une salle à manger et deux chambres à coucher;
toules ces pièces sont disposées de manière à en rendre
l’usage commode et agréable.
Les deux écoles, et la mairie placée entre l’une et l’autre
de manière à les séparer complétement, ont chacune leur
entrée, une cour, un vestibule et un escalier distincts,
La salle d’asile, détachée du bâtiment principal, occupe,
avec les dépendances du logement des sœurs, un petit
pavillon latéral qui fait pendant à celui où se trouvent les
remises de l’instituteur et de la pompe à incendie.
Un murde 3 mètres de hauteur sépare le jardin en deux
parties, l’une réservée à l’instituteur et l’autre aux insti-
tutrices. Ce mur partage aussi en deux parties le puits
commun à toute la maison.
De vastes greniers règnent dans toutes les parties su-
périeures de ces trois bâtiments.
CONCOURS D'ARCHITECTURE. 417
Ce plan est bien conçu dans son ensemble et les dif-
férentes parties en sont disposées avec beaucoup d'ordre
et une symétrie parfaite. Il remplit toutes les conditions
de votre programme, à l’exception d’une seule ; mais celle-
ci a une importance telle que son omission suffit sinon
pour annuler tout le reste, du moins pour en rendre
l'exécution à peu près impossible. Elle exigerait en effet,
d’après le devis joint au plan, une dépense de 46816 fr.
96 c., c’est-à-dire à peu près le double de ce que doit
coûter une construction de ce genre. Rien que pour le
petit bâtiment destiné à renfermer les dépendances du
logement de l’instituteur et la remise de la pompe à in-
cendie, le devis porte uge somme de 5410 fr. Sans doute,
il convient qu’à la campagne un instituteur ait, dans les
dépendances de sa cuisine un fournil el une buanderie et
qu'il puisse disposer d’une petite écurie ; mais faut-il pour
cela lui bâtir, à côté de sa maison, un pavillon spécial où
il aura son fournil, sa buanderie, une remise, une écurie,
une porcherie, une poulerie et une basse-cour? Il ne sau-
rait que faire de dépendances aussi vastes. Si nous voulons
obtenir des communes qu’elles accordent aux instituteurs
ce qui leur est réellement nécessaire, évitons de demander
pour eux le superflu. |
Le bâtiment principal a 33 mètres de longueur sur
9 mètres de profondeur et 9 mètres de hauteur comptés
depuis le sol jusqu’à la corniche, et coûterait à lui seul
plus de 50000 fr. On n’aurait pas été obligé de lui donner
ces proportions et de le soutenir à l’intérieur par quatre
murs de refend, si, au lieu de prendre sur le rez-de-
chaussée une superficie de 100 mètres carrés pour les
trois vestibules et les trois escaliers, on y avait placé, à
côté des classes, les deux cuisines et leurs salles à manger,
ce qui eût été plus commode pour l'instituteur et les
institutrices, el si on avait installé moins grandement le
418 SÉANCE PUBLIQUE.
service de la mairie, qui occupe tant au rez-de-chaussée
qu’au premier étage une surface de 155 mètres carrés.
Le service ne serait nullement compromis lors même
que MM. les Conseillers municipaux ne se rendraient pas
dans la salle de leurs délibérations par un magnifique
escalier à deux rampes et que M. le Maire n'aurait pas,
pour son usage personnel, un cabinet spécialement ré-
servé à côté de celui des archives. La prison municipale
ne nous paraît pas non plus tout à fait indispensable ;
cependant, pour peu qu’on y tienne, nous l’accorderons
volontiers.
En opérant ces réductions et toutes celles que prescrit
une sage économie, ce qui rédyirait considérablement
les dépenses, l’auteur du projet parviendrait facilement
à le modifier de manière qu’il puisse s’appliquer, ainsi
que vous le demandez, aux communes du département.
Le même auteur a rédigé deux autres projets, lun pour
une école de garçons et l’autre pour une école mixte,
qui sont en quelque sorte des portions détachées du pre-
mier. Îls remplissent moins bien leur objet et donnent
lieu aux mêmes observations.
Le deuxième concurrent a présenté aussi un travail
consciencieux et recommandable sous plusieurs rapports,
dans lequel il a suivi scrupuleusement les indications de
votre programme et les prescriptions de la circulaire
ministérielle du 30 juillet 1858, relative aux maisons
d'école. Il n’a éludé aucune difficulté et a cherché à les
résoudre toutes ; mais il a été moins heureux que son
compétiteur dans la solution qu’il en a donnée, et, par
conséquent, nous croyons devoir le placer après celui-ci.
En résumé, les mémoires envoyés à l’Académie, pour
le concours de 1862, ont une supériorilé marquée sur
ceux qu’elle a reçus l’année dernière. Votre Commission
a constaté avec satisfaction ce progrès ; et, quoique
CONCOURS D'ARCHITECTURE. 419
cette fois encore le but n’ait pas été atteint, l’un des
concurrents s’en est approché d’assez près pour mériter
que ses efforts soient récompensés. En conséquence,
nous avons l'honneur de vous proposer de décerner une
médaille d'argent à l’auteur du projet portant le n° À et
ayant pour suscription l’Abelle.
Conformément à cette conclusion l’Académie a accordé à M. D.
Millet, architecte à Metz, auteur du projet portant pour épigraphe
l’'Abeille.
L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1861.
ÉPITRE
A MM. LES MEMBRES DE L'ACADÉMIE IMPÉRIALE DE METZ,
_ PAR M. COLLIGNON.
Salve, magne parens, frugum que, vfrum que Mosella.
AUSON&.
Après l'accueil flatteur et le succès immense
Qu'ont obtenus à Metz les Arts et la Science,
La Poésie aussi devait avoir son tour;
Messieurs, c'est grâce à vous qu'elle aura son grand jour.
Cette faveur a droit à sa reconnaissance ;
Car, au temps prosaïque où nous vivons en France,
On ne la gâte point; et l'autel de Mammon
Voit plus d’adorateurs que celui d'Apollon.
Triste erreur ! car enfin c'est à la Poésie,
A ses nobles élans qu'ici-bas notre vie
Emprunte ce qu'elle a de grâce et de grandeur.
Doux parfum de l'esprit, rayonnement du cœur,
La Charité, l'Amour, c'est elle! La Victoire
Sans elle fait horreur ; et la plus pure gloire,
La plus sainte lui doit ses lauriers les plus beaux.
Elle ennoblit nos arts, nos plaisirs, nos travaux ;
Et son prestige heureux qui charme et qui console
Prête, même aux tombeaux, sa brillante auréole.
Vous, Messieurs, qui l'aimez, vous, dont le dévouement
Des œuvres de l'esprit s'occupe assidüment,
16
499 SÉANCE PUBLIQUE.
Vous ne pouviez pas voir avec indifférence
Ce qui fit de tout temps la gloire de la France.
Vous avez donc voulu qu'un noble amusement
De vos solennités fût le couronnement,
Et que la Poésie, en consacrant vos fêtes,
D'un âge de travail célébrât les conquêtes.
Parfois, en contemplant ces produits précieux,
Et de récents progrès ces témoins merveilleux,
Ces machines, partout à nos yeux exposées,
Mon esprit s'égarait en d'étranges pensées :
Pour mieux apprécier mon temps, pour le bénir,
Du passé j'évoquais un lointain souvenir;
Je revoyais l'époque où vécut Henri quatre,
Lorsque Metz essayait encor de se débattre
Sous des lois qui pesaient alors à sa fierté.
On dit qu'en ce temps-là, Messieurs, votre cité
Était un vrai chaos d'édifices gothiques,
De pignons crénelés et d'obscures boutiques,
D'impasses, de recoins où truands et filous,
A la barbe du guet faisant leurs meilleurs coups,
Étaient sûrs de trouver en tout temps un asile.
Voyager n'était point alors chose facile.
Le bourgeois de chez lui rarement s'éloignait,
Ou si quelque devoir parfois l'y contraignait,
11 lui fallait, montant un bidet de louage,
Subir tous les ennuis d'un pénible voyage.
Le paysan d'alors, mal nourri, mal vêtu,
Par des soldats rôdeurs vexé, pillé, battu,
Pour se refaire avait la dîime et la corvée.
Par d'ignorantes mains la terre cultivée
Restait, la guerre aidant, stérile: et de ce temps
Les malheureux voyaient, tous les six ou sept ans,
La famine aux yeux creux, à la dent meurtrière,
S'asseoir livide et morne au seuil de leur chaumière.
De quel œil stupéfait un des bourgeois d'alors,
Revenu tout à coup des demeures des morts,
L'EXPOSITION UNIVERSELLE pk 1861.
Eüt-il revu sa ville et plus grande et plus belle ?
Et ce gaz qui, la nuit, en tous lieux étincelle ;
Et ces beaux magasins qu'on voit de foutes parts.
Appeler l'acheteur et tenter les regards :
Ces ponts, ces hôpitaux ouverts à l'indigence ;
Et ces vastes marchés où règne l'abondance.
Qu'eût-il dit en voyant élevés à grands frais,
Et pour trop peu de temps, ces immenses palais
Où l'Art et l'Industrie étalaient leurs merveilles.
Fruits de tant de travaux et de soins et de veilles ?
Ces mille objets divers ; ces glaces, ces émaux,
Ces meubles élégants, ces bronzes, ces cristaux,
Des caprices du goût, monuments éphémères.
Il se fût rappelé les Sphinx ou les Chimères,
En voyant la vapeur dont les puissants efforts,
De machines sans nombre animant les ressorts,
Au docile métal semblaient donner la vie.
S'il eût vu ces jardins où la foule ravie
Admirait chaque jour des prodiges nouveaux :
Ces gazons toujours verts, ces jaillissantes eaux ;
Et ce luxe de fleurs étalant leur parure :
Et le soir, cireulant sous la pâle verdure,
Des flots de spectateurs qu'inondaient de clartés
Les feux éblouissants du Bengale empruntés.
Si par un simple fil il eût vu la pensée
Dans un autre hémisphère en un moment fixée ;
S'il eût pu voir enfin courir, plus prompts que l'air,
Ces longs et lourds convois, vrais ouragans de fer,
De qui les larges flancs ne contenaient qu'à peine
Les foules qui venaient sans fatigue, sans gêne,
Jouir, à peu de frais, avec sécurité
Des spectacles qu’à tous offrait votre cité;
Ï1 me semble, Messieurs, que de tant de prodiges
L'aspect seul à notre homme eût donné des vertiges
Et plus peut-être... à moins toutefois qu'il n’eût eu
L'esprit vif et solide, et ce bon sens du cru
193
494 SÉANCE PUBLIQUE.
Dont quelque part Ausone, en chantant la Moselle,
A parlé dans ses vers. À ce bon sens fidèle
Votre ville, Messieurs, la première a compris
Qu'à ces brillants concours de Londre et de Paris
Quelque chose à manqué; car la seule opulence
Y pouvait prendre part; qu'ainsi du bien immense
Et des grands résultats de ces solennités
Des hommes, par millions, restaient déshérités.
Que de ces saints tournois des Arts, de l'Industrie
Si la pratique un jour s'étend, se multiplie,
Tous les hommes alors, en convives amis,
Aux banquets du progrès sans obstacles admis.
Goûteraient librement les fruits de la science.
Dans le grand mouvement qu inaugura la France,
Et qui, fondant entre eux les intérêts divers.
D'une éternelle paix doit doter l'univers,
Parmi tant de cités d’un ordre secondaire,
Metz, et c'est là sa gloire, a pris rang la première.
Épreuve périlleuse, et dont pouvaient douter
Ceux qui l'avaient conçue et qui l'osaient tenter !
Mais Metz n'hésita point; sa noble confiance
Était justifiée ; elle voyait d'avance
Tous ses fils, animés d'une commune ardeur,
Se porter à l'envi garants de son honneur.
Votre cité vit luire alors une journée
Qui, dans ses souvenirs, n'a pas de sœur aînée,
Quand la foule joyeuse escortait ces chanteurs,
Des combats de la voix harmonieux lutteurs,
Qui, de tous les pays, venaient, ardents athlètes,
Par leurs savants concours inaugurer vos fêtes.
Car dans le même temps que les produits des Arts
Des esprits sérieux attiraient les regards,
Des fêtes, des concerts renouvelés sans cesse,
Aux amis du plaisir offraient leur douce ivresse.
Tantôt, sous l'aviron de canotiers rivaux,
Au loin, de la Moselle on voit blanchir les eaux ;
L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 4861.
A leurs ardents efforts mille voix applaudissent,
Et jusqu'au Saint-Quentin les hourras retentissent.
Tantôt, à l'heure aimée où le calme du soir
Change votre beau fleuve en un vaste miroir
Qui réfléchit du ciel les voûtes étoilées,
De feux étincelants cent barques pavoisées,
Reflétant dans les eaux leurs brillantes couleurs,
Retracent à nos yeux Venise et ses splendeurs.
Parfois, en reportant ma pensée en arrière,
Je crois entendre encor la musique guerrière
De ces concerts du soir, dont les bruyants éclats
D'enfants remplis de grâce animaient les ébats,
Tandis qu'en souriant, plus d'une mère heureuse
Surveillait les plaisirs de la troupe joyeuse.
Vous avez vu, Messieurs, cent mille spectateurs,
Avides d'un plaisir qui n’est pas sans frayeurs,
Suivre d'un œil ému l’agile aéronaute
Qu'un seul moment d'oubli, la plus légère faute
Eût jeté devant eux sanglant et mutilé.
Vous avez entendu tout un peuple assemblé,
Pressé sur les gradins d'un vaste amphithéâtre,
Par les bruyants transports d'un accueil idolâtre
Applaudir au talent des maîtres du savoir.
On dit avec raison que vouloir c'est pouvoir :
Metz fait mieux ; il en est une éclatante preuve:
Car sa grande entreprise, à qui plus d’une épreuve
Devait être. a-t-on dit, funeste dès l’abord,
À marché vers le but sans crise, sans effort,
Et Metz l'a, de tout point, noblement accomplie.
Tel un vaillant semeur dont la tâche est remplie,
Jette sur les sillons des regards satisfaits,
Se repose, et sourit à l'espoir des bienfaits
Dont ses champs ont reçu la féconde semence.
Salut, noble cité, boulevard de la France,
Que n'a jamais flétrie un insolent vainqueur !
125
126 SÉANCE PUBLIQUE.
Reine d'une contrée à qui, dans sa faveur,
Le ciel a prodigué des biens dont l'abondance
Exaltait autrefois ta fière indépendance.
Le blé couvre tes champs, les vignes tes coteaux. -
J'entends mugir au loin, sous les pesants marteaux,
Le fer étincelant forgé pour les batailles
Ou qui d'un sol fécond doit ouvrir les entrailles.
De ce sol plus avant fouillez les profondeurs,
Et bientôt, sous le pic des robustes mineurs,
La houille, en larges blocs, riches dons des vieux âges,
Le grès, la chaux, le sel utile à tant d'usages,
Vous paieront largement vos soins et vos efforts.
La Moselle a vu naître et fleurir sur ses bords
Des saints et des héros, des savants, des artistes,
D'éloquents orateurs et d'éminents légistes ;
Et si jamais la guerre éclatait contre nous,
Comme autrefois, à Metz! tes fils marcheraient tous
Pour chasser l'étranger et punir son audace;
Car tes champs sont peuplés d'une vaillante race ;
Car c’est la joie au front que tes fils, nés soldats,
Du foyer paternel s’élancent aux combats.
O Metz. tu méritais ces brillants avantages !
Puissent-ils, avec toi, braver le cours des âges!
Puissent, en même temps, noble et fière cité,
S'accroître ton renom et ta prospérité !
Puisse enfin, pour payer tes efforts par la gloire,
Dans les fastes futurs, la Muse de l'histoire.
À nos vrais bienfaiteurs ouvrant un Panthéon,
Parmi leurs noms aimés graver aussi ton nom!
LA PETITE FILLE,
PAR M. ACHILLE MILLIRN.
Les deux pièces suivantes ont été adressées à l’Académie avec
l'épigraphe : Le champ de l'avenir attend des mains viriles.
I.
Où l'a-t-elle donc mis, cet argent que naguère
Elle faisait si haut résonner, — toute fière
De montrer dans sa main, qu'elle ouvrait à demi,
Le précieux cadeau du vieillard, son ami? —
Sa mère en souriant l'a près d'elle appelée
Pour lui dire : « Vois-tu là-bas, sous la saulée,
Malade, presque nu, vois-tu cet indigent ?
Comme il serait heureux s'il avait ton argent !... »
— D'abord elle n'a pas répondu; mais ensuite
Au pauvre mendiant elle a porté bien vite
La pièce de vingt sous qui brillait au soleil.
Maintenant la voici venir, le front vermeil,
Courbant d'un pas léger l'herbe de la pelouse;
Elle accourt, elle vole. et la fleur est jalouse
De pencher à ses pieds son calice embaumé.
Elle tient à la main une rose de mai
Et le bleu papillon qui la frôle de l'aile,
La caresse et la suit jusque sous la tonnelle
Où le lierre grimpant enlace ses anneaux
Au vieil orme rempli du babil des linots.
1928 SÉANCE PUBLIQUE.
IL.
Heureuse es-tu, charmante ; heureuse ta famille !
Le ciel dans tes grands yeux reflète son azur
Et ton cœur est une urne, Ô ma petite fille,
Une urne d'or où brûle un encens toujours pur.
C'est un lys virginal, enfant aux tresses blondes,
. Un lys embaumant l'air de ses chastes senteurs,
Et qui, caché dans l'ombre au bord des calmes ondes,
N'entend pas l'ouragan rugir sur les hauteurs.
C'est une source vive où coulent sans mélanges,
— Comme un limpide flot réfléchissant les cieux, —
La charité qui fait descendre à toi les anges,
La Prière par qui tu montes auprès d'eux.
Répands donc en nos cœurs ta gaîté familière ;
Répands, lys fleurissant, tes parfums les plus doux,
Répands autour de toi l'encens et la prière,
* Répands la charité, donne et console-nous!
LUE
Console-nous, cher ange, et fais briller ta joie
Au milieu de nos jours trop souvent obscurcis ;
Messagère du ciel, Dieu lui-même t'envoie
Pour chanter devant nous en marchant dans sa voie
Et relever nos fronts moins chargés de soucis.
Rappelle-toi que Dieu, sur nous veillant en père,
Ne veut pas que le mal soit longtemps triomphant :
S'il le souffre parfois, toujours il le tempère :
Sous les pas du glaneur l’épi jonche la terre
Et le pauvre a besoin des regards de l'enfant.
Toute plante a sa fleur, toute fleur ses aromes —
Les pauvres sont pareils aux épis oubliés
LA PETITE FILLE. 429
Dans ce grand champ du monde où sont semés les hommes :
Nous passons sans les voir, aveugles que nous sommes,
Et, comme un chaume sec, nous les foulons aux pieds.
Souvent leur œil est morne et sourde leur parole ;
Mais quand leur sein gonflé va déborder de fiel,
Vient un enfant qui pose en leur main son obole,
Leur parle avec sa voix qui chante et qui console
Et dans leur coupe amère épanche un peu de miel.
Alors s'épanouit leur âme confiante :
Dans la foule étrangère elle trouve un ami:
Elle espère, elle prie, elle est plus patiente.
Va donc glaner pour Dieu, naïve et souriante,
Les cœurs que l'on oublie, ô sœur de Noémi !
IV.
O toi, petite enfant, si frêle et si charmante,
Tu connaîtras les jours où l'âme se lamente,
Tu sentiras aussi le doigt de la douleur!
Faut-il que sans pitié l'implacable tourmente
Effeuille ce rameau qui n'est pas dans sa fleur !
Ton ingénuité, — robe que l'on t'envie, —
Faut-il que, déchirée aux ronces de la vie,
Elle reste en lambeaux sur le chemin obscur!
Que ton beau ciel se voile et que la paix ravie
Laisse une femme en pleurs au lieu d'un enfant pur!
Ah! ce cœur portera son lourd fardeau d'alarmes !
Ah! ces yeux pétillants se terniront de larmes !
Ton sein se meurtrira sous les serres du deuil !...
Tu prendras pour amie, en implorant ses charmes,
La Résignation veillant sur un cercueil!
Vivre est souffrir !... Enfant, ne grandis pas, demeure
A l’âge bienheureux où les larmes qu'on pleure
Ne laissent dans notre âme, en séchant, rien d'amer;
17
130 SÉANCE PUBLIQUE.
Où les illusions nous bercent d'heure en heure,
Sans redouter demain, sans regretter hier !
Plutôt que de flétrir en notre humaine fange
Ta candeur innocente, et d'avoir en échange
De vrais pleurs à verser, — libre de tes liens,
Prends la meilleure part, ouvre l'aile, à bel ange
Et vole d'un essor vers les cieux d’où tu viens!
V.
Les cieux s'entr'ouvriraient à ta voix bien connue, :
Fauvette de retour aux bosquets reverdis,
Le bon Dieu, d'un sourire accueillant ta venue,
Te mettrait à ses pieds dans son beau Paradis.
Dans son beau Paradis où jamais ne résonne
Le bruit de nos sanglots et le glas de nos pleurs:
Où la mort n'entre pas; où le printemps rayonne,
Sans orage et sans nuit, sur d'immortelles fleurs !
C'est là que tout enfant, brillant comme un blanc cygne,
… Chantant sous les rameaux comme un gai rossignol,
Près du petit Jésus accourt au premier signe,
Au milieu des soleils qu'il effleure en son vol.
Les perles devant lui roulent en flots limpides;
Et la Vierge d'azur, que tu vois sur l'autel,
Le prend sur ses genoux, ferme ses yeux candides
En posant à son front un baiser maternel.
Ah! pour toi Dieu ferait croître des fleurs vermeilles,
Des bouquets inconnus plus splendides que l'or.
Les veux-tu ? Perles, fleurs, l'Eden et ses merveilles ?.…
Non, reste près de nous, reste ici, reste encor!
Songe à ton père, enfant, surtout songe à ta mère,
Quand tu voudras franchir nos étroits horizons :
LA PETITE FILLE. 431
Que tes regards au ciel demandent la lumière,
Mais reste en nos chemins et foule nos gazons.
Nous saurons, si ton cœur a besoin d'un dictame,
Te cueillir tant de fleurs, te donner tant d'amour!
Pourquoi t'en irais-tu, puisqu'ici-bas ton âme
Vit moins de notre nuit que du céleste jour ?
Les Anges, tu les vois venir dans chaque songe ;
Ils descendent dans l'ombre où plus d’un suit tes pas;
Et quand, dans l'éther bleu, ton doux regard se plonge,
Tu parles au Seigneur qui te répond tout bas.
De Jésus, à l'autel, vers toi le front se penche :
Sa mère, qui se tient debout devant la croix,
T'a déjà, m'as-tu dit, dans sa chapelle blanche,
Fait signe de la main et souri quatre fois. —
Si la terre a ses maux dont toute âme est victime,
La Vertu les allége avec le saint espoir,
Et même les malheurs ont leur douceur intime
Et retrempent le cœur, s'ils naissent du devoir!
VI.
Quand de ses flambeaux d'or le firmament s'éclaire,
Quand tu vas t'endormir dans l'ombre tutélaire
Du grand crucifix noir qui veille à ton chevet,
Je vois le Christ sur toi baisser son doux visage,
Comme au temps où l'enfant venait à son passage
Et que son bras divin sur son front se levait.
L'angelus clot le soir en tintant la prière,
Les anges de la nuit vont fermer ta paupière,
Ta mère vient sans bruit t’embrasser, te bénir ;
Le souris commencé reste en fleur sur ta bouche,
Tu dors dans l'innocence... et moi, près de ta couche,
J'aime à faire pour toi des rêves d'avenir.
J'aime à te voir choisir la meilleure des voies
139 SÉANCE PUBLIQUE.
Ouvrir ton cœur naïf au vol des saintes joies,
La pudeur dans les yeux, ignorante du mal,
Je te vois saluer ce jour, beau d'espérance,
Où riant avec toi, mais pleurant en silence,
Ta mère apprêtera l'oranger nuptial.
Épuiser vite, hélas ! un bonheur éphémère,
Mais toujours, tendre épouse, et toujours, jeune mère,
Marcher sans chanceler dans la foi du Seigneur :
Boire l'épreuve amère au terrestre calice,
Vivre de dévouements, t'offrir en sacrifice,
Faire de ton foyer l'asile de l'honneur !
Combattre vaillamment le combat de la vie;
Modeste sans regret et simple sans envie,
Aplanir tout obstacle en courbant les genoux ;
Et, de l'amour sacré dont s'embrase ton âme,
Répandant alentour la chaleur et la flamme,
Douce consolatrice, être un guide pour tous.
Puis lorsque les hivers et les peines vaincues
Auront passé, creusant de leurs serres aiguës
Des rides à ton front, sans dessécher ton cœur,
Demander au Seigneur, — au Dieu qui rémunère, —
Le repos qu'il accorde aux lutteurs de la terre,
Le prix de l'ouvrier, la palme du vainqueur!
Comme un reste d'encens qui parfume le temple,
Laissant derrière toi l'odeur du bon exemple,
Tu livres à tes fils ton pieux souvenir
Et cherches, libre enfin des entraves du monde,
Le bonheur, qui déjà de son reflet inonde
Ton regard que la mort n'osera point ternir !
Ta mère pour toujours va retrouver sa fille :
Son ombre vient des cieux s'unir à ta famille
Qui reçoit en pleurant l'adieu du dernier jour;
Je te vois sur ce lit, méprisant la souffrance,
Pour la dernière fois parler de l'espérance
Et mourir, jeune encor de courage et d'amour !
Béni sera ton nom après ta vie éteinte !
LA PETITE FILLE. 433
Adieu, femme vaillante ! au revoir, âme sainte !…
— Mais pendant que je songe à ton destin, — alors
Un gracieux sourire ouvre tes lèvres roses
Et tu dis en tenant tes paupières mi-closes :
« Le soleil est levé, qu'il ferait bon dehors! »
ODE FRANÇAISE,
PAR M. ACHILLE MILLIEN.
[.
Mon cœur vibre d'orgueil, ô ma mère, ô Patrie !
Je te vois triomphante et ceinte de clarté,
Sur tes fils glorieux tendre ta main chérie
Et marcher au soleil de l’immortalité :
Au grand soleil qui luit sans ombre et sans nuage
— Immuable au milieu du ciel de l'avenir, —
Sur les sommets qu'au prix d'un sublime courage
Les peuples au bras fort peuvent seuls conquérir!
À toi les saints! A toi les martyrs et les justes!
A la France, vous tous, grands d'esprit ou de cœur,
O héros de l'idée, 6 prêtre aux mains augustes,
O chercheur, ô poëte, ô guerrier, — ô vainqueur!
Tu tiens du vrai progrès l'égide tutélaire.
Si Dieu règne infini dans son éternité,
Tu règnes dans le temps : quinze fois séculaire,
Ton front n'a point perdu son antique fierté.
Quand ta voix, éclatant sur un champ de bataille,
Jette ce mâle cri connu de l'univers,
Ce eri qui retentit plus haut que la mitraille, —
La victoire tressaille et plane dans les airs.
436 SÉANCE PUBLIQUE.
Mais, de nobles desseins sans relâche occupée,
Tu veux que l'équité guide toujours ta main:
Tu te souviens que Dieu t'arma de son épée
Pour combattre en son nom et frayer son chemin.
Et ton glaive, planté dans le sol qu'il féconde..
Dans le sol renaissant des peuples transformés,
Grandit comme un rameau pour abriter le monde,
Brille comme une croix aux yeux des opprimés !
Marche, 6 mère! En avant! Maîtresse de l'espace,
Jette le grain au vent et sème l'avenir:
Regarde : devant toi chaque siècle qui passe
S'incline en élevant la voix pour te bénir.
Et quoique de mes vers nul ne garde mémoire,
Je chante la splendeur de tes jours éternels,
Réveur que nul n'entend, — mais jaloux de ta gloire,
Comme l'est un enfant des baisers maternels!
IL.
Terre où fleurit encore
La générosité,
France, à ton nom sonore,
Mes chants sont près d'éclore
En mon cœur exalté!
Le soleil qui t'inonde
Fait, dans tes seins fumants
Qui nourrissent le monde,
Germer la moisson blonde,
Germer les dévouements!
Pour le droit qu’on opprime
Si le sang doit couler,
Ô mère magnanime,
Tu fournis la victime
Fière de s'immoler.
ODE FRANÇAISE.
De l'antique vaillance
Quand tombe l'étendard,
Ta main sans défaillance
Le prend et le balance
Au-dessus du rempart.
Tu l'arroses, Patrie,
Du sang victorieux
De ta veine meurtrie,
Car la chevalerie
Est fille de tes cieux !
De tes fastes la foule
Forme une chaîne d'or
Que la muse déroule;
Chaque jour qui s'écoule
D'un anneau l'orne encor.
A toute heure, l'histoire
À les regards sur toi.
Conserve la mémoire
De tes siècles de gloire,
De tes siècles de foi!
JET.
Tout peuple qui combat pour une cause sainte
Et qui, fidèle au droit, ne veut pas le trahir,
La Pologne qui prie en étouffant sa plainte,
L'irlande, pour sa foi, joyeuse de souffrir ;
Tout peuple torturé t'invoque et te salue
En relevant vers toi son front déshérité :
Pour lui tendre la main, France, tu fus élue
Et c’est ton sol fécond qu'aime la liberté.
Elle a, la liberté, les ailes de l'archange ;
Messagère divine, elle descend des cieux;
Insensés qui cherchez ses traces dans la fange,
18
137
138 SÉANCE PUBLIQUE.
Pour la suivre en son val levez plus haut les veux!
C'est elle qui répand l'énergie en nos âmes,
Anime dans les cœurs les grandes passions,
Retrempe, vivifie et brûle de ses flammes
La mollesse qui fait la mort des nations!
Lorsque la liberté fuit sans trouver d'asile
Et qu'un spectre sanglant en usurpe le nom,
Quand la blanche vertu que l’impudeur exile,
Remonte vers le ciel en se voilant le front,
Le délire s'abat sur la foule abusée,
La terreur se répand comme un souffle de feu ;
On entend s'’écrier la justice offensée
Et le jour est venu des vengeances de Dieu!
IV.
France. crains-tu ce jour? Plus d'une fois la fièvre
À coulé dans ta veine et brülé sur ta lèvre!
Séduite par la voix de quelques imposteurs,
Elle a déjà quitté les sereines hauteurs
D'où son front resplendit au monde comme un phare.
Maudit soit qui la trompe et maudit qui l'égare!
Maudit soit qui lui met un voile sur les yeux
Et la mène à l'abime au lieu d'aller aux cieux!
Si jamais l'on voyait sur notre noble terre
La multitude osant nier le droit austère
Et la vérité sainte et son culte immortel,
Offrir son sacrifice à quelque infâme autel ;.…
Si le Verbe trahi demeurait sans lévite,
Regardant triompher l'égoïsme hypocrite ; …
Si le peuple servile et veuf de liberté
N'avait plus d'énergie et de virilité
Que pour rouler, sans honte, aux fanges de la rue,
En y cherchant de l'or, son immonde cohue ;…
S'il n'était plus qu'un lâche adorateur du fait
Et si l'art éternel... — Ah! qu'en avez-vous fait ?
ODE FRANÇAISE.
L'art, la splendeur de Dieu, qu'on fuit et qu'on méprise,
Pont personne n'entend la parole incomprise !…
Et la foi que l'on raille! et l'espoir égaré
Qui nous guidait jadis de son flambeau sacré
Et qui va maintenant, hagard, de route en route,
Sans pouvoir dissiper les ténèbres du doute !…
O France, est-ce un mensonge? est-ce une illusion?
Ton grand peuple, on l'a dit, manque à sa mission!
On montre ton soleil pâlissant dans la brume ;
Et si de ta splendeur le foyer se rallume,
Vient un souffle empesté qui l'éteint, nous laissant
Errer, la tête basse et le pied languissant !
V.
Réveur, ami des bois, ami des solitudes.
Toi qui faisais chanter les pipeaux des bergers
Et qui, loin de la ville et des inquiétudes,
Murmurais tes accords sous l'ombre des vergers :
Toi qui coulais tes jours à suivre dans les nues
Le vol de l’alouette, à courber sous tes pas
Les fleurs que sème avril, à voir passer les grues
Qui s'en vont comme nous, voyageurs d'ici-bas ;
Pourquoi, sourd au babil des grives familières
Que poursuit la glaneuse en disant son refrain,
— Quittant pour aujourd'hui tes prés et tes bruyères,
Attacher à ta lyre une corde d'airain?
Hélas ! j'ai vu s'enfuir tous les riants mensonges
Qui naissaient devant moi sous les fleurs du printemps
Et la voix des cités, effrayant mes doux songes.
Me montre un sol qui tremble et des cieux palpitants.
Songeur trop soucieux, mûr avant les années.
J'écoute s'élever une sourde clameur,
Comme un sinistre chœur de haïnes déchaïînées
Ou les cris d'un blessé qui se plaint et qui meurt.
139
140 SÉANCE PUBLIQUE.
J'entends un bruit lointain gronder tel qu'un tonnerre,
Tel que le vent d'hiver dans la nuit des forêts.
Horizon, horizon, abaisse ta barrière !
Avenir, avenir, ouvre-moi tes secrets !
Dans la terre où le soc se promène en silence,
Un germe déposé s'élabore et j'entends
Frémir la vive glèbe et sourdre la semence.
La plante va surgir au soleil du printemps!
Un arbre grandira sôr tes flancs, Ô Patrie,
Ses rameaux porteront fleurs et fruits tour à tour;
Fruits d'espoir ou de deuil? fruits de mort ou de vie?
Fruits de bien ou de mal? de vengeance ou d'amour ?.…
Mille étranges lueurs, dans les jours où nous sommes.
— Rayons de l'aube, éclairs dans le ciel ténébreux, —
Brillent à nos regards et présagent aux hommes
Quelque chose de grand, de terrible ou d'affreux.
Signe-toi comme au temps des pieuses conquêtes,
Garde pour t'abriter la croix du Golgotha
Où vinrent se briser tant de folles tempêtes
Depuis que de Jésus le sein y palpita.
Sois forte, prends un cœur digne de toi, ma France!
Pour l'épreuve naissante affermis ta vigueur :
J'# commencé pour toi l'hymne de l'espérance,
Mon chant va-t-il finir par un cri de frayeur!
VL
Oui, malgré moi ma voix s'échappe en traits de flamme
Et les mots menaçants jaillissent de mon âme!
En vain je veux voiler mon regard et je dis:
Sommes-nous maintenant venus aux temps prédits
Où les fleurs du poison, croissant sur notre terre,
Donneront le vertige au peuple qui s'attère?
Est-il vrai qu héritiers des géants des vieux jours,
ODE FRANÇAISE. 141
Leurs beaux fleurons de gloire à nos fronts sont trop lourds?
Que, lambeau par lambeau, nous jetons dans la boue,
— Avant que la pudeur nous rougisse la joue,
Sans qu'un dernier remords nous étreigne le cœur, —
Les restes dédaignés de leur robe d'honneur ?
Nous avons en chantant détruit, pierres à pierres,
L'édifice élevé par leurs mains ouvrières ;
Mais si de leur labeur nous n'avons rien gardé,
Nous endormirons-nous sans avoir rien fondé!
Je crie, en leur donnant l'étreinte fraternelle,
À tous ceux qui n'ont pas sous leur froide mamelle
Un morceau de métal à la place du cœur;
À ceux qui, sous les yeux d'un vain peuple moqueur,
Marchent le front levé, droits dans leur conscience,
Et ne craignent pour nous que notre insouciance :
— Amis, fils comme moi d'un siècle qui vend tout,
11 faut que notre honneur antique soit debout,
Que notre volonté dompte les destinées !
Mon front n'a pas subi l'épreuve des années ;
Comme vous je suis fier et je sens comme vous
Dans mon sein un cœur chaud palpiter à grands coups.
Secouez, jeunes gens, la torpeur d'une foule
Qui ne veut que du pain, des jeux, de l'or qui roule!
Il en est temps, amis! souffrirez-vous encor
Qu'on dise que la France a perdu son essor;
Que son flanc d'où coulaient à flots vie et lumière
Est un débris glacé d'insensible poussière :
Que son sceptre se brise, inutile et trop vieux?
Moi, je veux en jurer par le sang des aïcux:
Que, jeune de splendeur, superbe et souveraine,
Elle ait ses champions, couronnés dans l'arène ;
Qu'elle ait sa majesté comme en son plus beau jour!
Lutteurs, brûlants de foi, d'espérance et d'amour.
À l'œuvre !.. Pourquoi suis-je un combattant débile,
Un poëte au bras faible, un rêveur inhabile?
Mais vous, à l'œuvre!... amis, ressuscitez le beau!
449 SÉANCE PUBLIQUE.
Lazare à votre voix va sortir du tombeau :
Allez! que l'indolent s'épouvante et recule:
Il n'est plus devant vous de colonnes d'Aercule :
Une ère va s'ouvrir, de fertiles travaux,
De viriles vertus et de jours triomphaux!
Et vous, patrons du sol où court la vive sève,
Assis dans la lumière et ceints de nimbes d'or,
O Clotilde et Louis! O Jeanne et Geneviève!
Priez et bénissez : la France est reine encor!
Ombrageant de lauriers votre tête sereine,
Héros, vous qui siégez au-dessus de la mort,
Godefroy, Charlemagne et Bayard et Turenne,
Enorgueillissez-vous : la France est reine encor!
Grands esprits qui, couverts d'une gloire pareille,
Vers le saint Panthéon avez pris votre essor,
Bossuet et Pascal, Fénelon et Corneille. .
Enorgueillissez-vous : la France est reine encor !
O Dieu, par qui son astre est à jamais splendide,
De vos grâces sur elle épanchant le trésor,
Vous qui la protégez d'une invincible égide,
O Dieu, soyez béni: la France est reine encor!
LE VIN ET L'EAU,
PAR M. DE LANDREMONT.
(Une salle de restaurant où se trouve une table couverte de sa
nappe et de son service; un garçon s'occupe à nettoyer une
bouteille de vieux vin. )
LA BOUTEILLE DE VIN AU GARÇON.
C'est bon, c'est bon, garçon, ne me frottez pas tant,
A me trop nettoyer vous perdez votre lemps.
Sur mon cristal terni cette couche mousseuse
Est le cachet certain de ma liqueur fameuse :
Et les vrais connaisseurs me proclament bien haut,
Être un bon vin, caché derrière les fagots,
Quand mes flancs rebondis sont couverts de poussière,
Et qu'un trop vil insecte y file sa lisière. .
Mais qu'apportez-vous là dans ce riche flacon ?
Est-ce un nouveau confrère? Enseignez-moi son nom ?
LE GARÇON.
Ma foi. mon pauvre vieux, sauf à vous faire injure,
Ce n'est tout simplement que de l'eau toute pure.
144 SÉANCE PUBLIQUE.
LE VIN.
Comment? Qu'avez-vous dit? Ai-je bien entendu ?
À mes côtés de l'eau? Je suis un vin perdu!
Faut-il sur mes vieux jours voir ma vieille ennemie
Assise à mes côtés ? Ah! cruelle ironie !
Je frémis, je bouillonne en mon affreux malheur,
Et ce sanglant affront excite ma fureur.
L'EAU.
Calme-toi, pauvre sot: vraiment tu perds la tête
Et troubles sans raison le festin qui s'apprête :
Je crois qu'il serait bon qu'une prudente main
Mit un peu de mon eau dans ton orgueilleux vin.
LE VIN.
Je voudrais bien t'y voir, vieille sempiternelle.
Toi qui n'es bonne au plus qu'à laver la vaisselle !
Ton liquide, enfermé dans ce trop beau flacon,
Serait pour mon nectar un horrible poison.
Comme moi, tu ne sais embellir une table.
Rendre le cœur content et l'humeur agréable,
Échauffer les esprits, inspirer de bons mots,
Par de joyeux vivats réveiller les échos ;
Animer une danse où brille la jeunesse,
Et chasser le chagrin par une douce ivresse.
Je suis reçu partout: sans moi point de banquet,
Pas de royal festin, de joie au cabaret :
Toi, sans discernement, tu donnes ton breuvage
A l'homme, à la prairie, à l'animal sauvage ;
Et caches en ton sein, par trop souvent fangeux,
Des monstres effrayants, des reptiles hideux.
Moi, je choisis mon monde, étant de noble race :
De mon royal blason on suit partout la trace ;
LE VIN ET L'EAU. 445
À la ville, à la cour, à la table des rois,
On redit mes hauts faits, on chante mes exploits!
Je m'appelle Pomard et Sillery-Champagne,
Nuits et Côte-Rôtie, admirable montagne;
Frontignan dit Muscat, Madère, Clos-Vougeot,
Sauterne, Roussillon, enfin Château-Margot.
Je ne saurais compter mes titres à la gloire,
Le nombre en est trop grand, tu ne voudrais y croire!
L'EAU.
Vraiment, mon vieux garçon, ton vin est babillard,
Ton discours est trop long, plein d'emphase et sans art ;
Tu m'appelles, ingrat, laveuse de vaisselle ?
Bien, j'accepte de toi cette injure nouvelle :
Ne te souvient-il plus qu'au fond de tes tonneaux,
Il reste trop souvent d'épais et noirs dépôts?
Je rince ta futaille et je la rends bien nette,
Et sans moi tu serais une horrible piquette,
Un breuvage infernal à déchausser les dents,
À dégoûter de toi, les bêtes et les gens!
Tu fais, dis-tu, danser aux fêtes des villages ?
Mais, hélas! trop souvent tu brouilles les ménages :
Si tu vas à la cour, tu vas au cabaret, |
Et l'on sait, mon garçon, l'on sait ce qu'il en est!
Je puis m'enorgueillir, sans que cela te blesse,
De posséder aussi des titres de noblesse :
Je m'appelle Luxeuil et Bourbonne-lès-Bains,
Bagnères-de-Luchon qu'aiment les souverains ;
Bade. Vichy, Mondorff, Aix, La Caille et Plombières,
Et mes eaux en ces lieux au malade sont chères ;
Le malade. . . . .. c'est toi, malheureux insensé,
Qui causes tous les maux dont il est oppressé!
Oui, ta liqueur maudite, et traîtresse et cruelle,
Engendre le typhus, la goutte et la gravelle ;
Et tes adorateurs demandent à mes eaux
19
440 SÉANCE PUBLIQUE.
La santé qu'ils n'ont plus, le remède à leurs maux.
Et maintenant, petit, targue-toi d'importance,
Parle de tes hauts faits avec ta suffisance :
Il sera bien acquis, d'un mutuel accord,
Que je donne la vie et tu donnes la mort!
LE VIN.
Ouf! ouf! Je n’en puis plus! Mais c'est de la furie
Que vouloir soutenir pareille menterie ;
Ah! tu donnes la vie et je donne la mort?
Souviens-toi que tes eaux, sous le puissant effort,
D'un vent impétueux que l'orage accompagne,
S'élancent en fureur au loin dans la campagne,
Renversant sous leur choc les villes, les hameaux,
Les vergers, les moissons, les champs et les troupeaux ;
Et des petits enfants arrachés à leurs mères,
Ballottés par le flot dans leurs couches légères,
Déchirant tous les cœurs par leurs cris douloureux,
Sont poussés à la mort par un torrent fougueux!.....
Le fils n'a plus de père et la mère est sans fille ;
Partout des malheureux sans abri, sans famille,
Des peuples éperdus s'écroulent les maisons,
La plaine est égalée à la cime des monts ;
Et des siècles entiers ce funeste rivage
Montrera de tes eaux le terrible ravage !
Noé, mon pauvre père, a connu ta fureur;
I vit le monde entier, dont il fut le sauveur,
Succomber sous tes coups, englouti dans l'abime
Que tes vagues creusaient en dépassant la cime
Des monts les plus puissants à jamais écrasés.
Sous le poids de tes flots l'un sur l'autre entassés.
Cet affreux cataclysme a changé tout le monde :
La mer devint le sol, la terre devint l'onde;
Le ciel fut obscurci par de sombres brouillards
Et des maux inconnus sont nés de toutes parts.
*
LE VIN ET L'EAU. 4 47
Viens dire maintenant, dans ta folle ironie,
Que je donne la mort, que tu donnes la vie!
L'EAU.
Ah! ah! vieil ennemi, ton discours est mordant.
Tu gardes contre moi ta plus mauvaise dent;
Mais, pauvre vieux garçon, tu ne sais ton histoire,
Ou bien dans tes flacons tu laisses ta mémoire.
Oui, j'ai causé des maux, j'en conviens avec toi :
Mais, du Dieu tout-puissant, j'en ai reçu la loi :
Je deviens dans sa main la foudre vengeresse
Et montre sa justice aux lois que l'on transgresse.
J'ai fait périr le monde, il était corrompu;
Mais j'ai sauvé du moins autant que je l'ai pu.
J'ai porté dans mes bras ton père et sa nacelle,
Ingrat, que ta mémoire est vraiment peu fidèle !
Qu'elle oublie aisément mes immenses bienfaits, ”
Regarde, et tu verras tout le bien que je fais.
En fertiles ruisseaux parcourant la prairie,
J'y sème la verdure et lui donne la vie;
J'arrose les vallons, les plaines, les guérets,
J'apporte la fraîcheur aux arbres des forûts.
Sans moi le laboureur n'aurait plus de culture
Et tout dépérirait dans l'aride nature.
Bien plus, d’un pôle à l'autre, en promenant mes eaux,
J'emporte sur mon sein tous ces nombreux vaisseaux
Renfermant dans leurs flancs tous les peuples du monde,
Et je les réunis dans une paix profonde.
Ces peuples étrangers en traversant les mers
Échangent en trafic tous leurs produits divers,
Et je deviens pour eux source de leur fortune ;
Tu bouillonnes, mignon ; mon discours t'importune,
Mais je n'ai pas fini Regarde ce moulin :
C'est moi qui fais tourner, et du soir au matin,
Ce joyeux babillard qui te moud ta farine;
448 SÉANCE PUBLIQUE.
Et sans moi, vieil ingrat, tu verrais la famine.
Dans ces bassins, mon eau convertie en vapeur,
A ces monstres de fer sert de puissant moteur.
Là, j'offre à l'industrie une utile assistance,
Par les chemins de fer j'abrége la distance,
Anime le commerce et féconde les arts. . . .
LE VIN.
Qu'un peu de poudre aux yeux obscurcit les regards !
Ah! tu devrais rougir, si tu n'étais si pâle,
De prendre ces grands airs que ton orgueil étale.
Oui. ton calme affecté n'est que sombre fureur,
Trahison, infamie, effroyable noirceur.
Hélas ! que de vaisseaux, devenus tes victimes,
Ont sombré sous tes coups jusqu'au fond des abîmes !
Le nombre en est bien grand de ces monstres de fer
Qu'anime ta vapeur et qu'inventa l'enfer,
Qui, brisant leurs parois, puissants comme la foudre,
Écrasent les mortels et les mettent en poudre!
Je n'ai jamais connu de pareilles fureurs,
Je n'ai jamais causé de semblables malheurs.
Perfide, quant à toi, chaque jour tu t'abreuves
Des pleurs des orphelins et des larmes des veuves!
En poursuivant ton cours lu sèmes sous tes pas
Le sombre désespoir, les ruines, le trépas.
L'EAU.
Arrête, malheureux, cesse ton infamie
Et respecte au moins celle à qui tu dois la vie.
Je donne à ton vieux cep, difforme et tortueux.
La sève qui produit tes raisins savoureux,
Et sans moi lu serais une plante inutile,
Un bois mort, corrompu, demeure du reptile.
Quand de fleurs et de fruits je couvre ton vieux tronc,
LE VIN ET L'EAU 449
Toi tu jettes l'opprobre et l'injure à mon front !
0 fils dénaturé, si tu n'aimes ta mère,
Crains au moins de sentir le poids de sa colére!
LE VIN.
De qui? De toi?
L'EAU.
Oui, de moi.
LE VIN.
Ma colère s'enflamme et je sens dans ma tête
Mon champagne mousser et gronder la tempête.
L'EAU.
Qu'un peu d'eau se mélange avec ton vin mousseux,
Elle saura calmer l'ardeur de si beaux feux.
Tu parles sans raison, comme un vin en colère :
Tu m'accuses de maux que je ne pouvais faire.
Est-ce ma faute, à moi, si l'homme est imprudent,
S'il agit sans calcul et sans discernement ?
Et s'il me conduit mal pourquoi m'en faire injure ?
De tous ces grands malheurs ma conscience est pure.
Je sers l'homme et me plie à ses plus dures lois,
De ma force expansive il abuse parfois.
Mais, comme toi, jamais je ne fis d'homicide :
Et même de Noé, n'es-tu pas parricide ?
En recevant le jour, trop funeste boisson,
Tu fis perdre à Noé le calme et la raison ;
De l'enfant qu'a maudit ce trop malheureux père
La race de ses fils porté encor la colère !
LE VIN.
Ah coquine! Ah pécore' Un si sanglant affront
Fait montcr la rougeur et l'écume à mon front.
150 SÉANCF PUBLIQUE.
L'EAU.
Tu t'emportes beaucoup. ton humeur est bien aigre ;
Prends garde que ton vin ne devienne vinaigre.
Mais tais-toi, malheureux, ne vante plus ton jus,
Souviens-toi des autels de l'immonde Bacchus :
À quels débordements poussais-tu tes Bacchantes
Dans leur délire affreux et leurs fêtes sanglantes ?
L'homme qui te connaît, pour son triste malheur.
Est un homme perdu, sans raison, sans pudeur :
Il ne chérit plus rien, pas même sa famille ;
Insulle ou met à mort ou sa femme ou sa fille !
Et puis que veux-tu dire avec ton doux nectar ?
On connaît, mon mignon, les mélanges de l'art.
Pauvre malade, va, l'oidium te tue,
La santé t'abandonne et c'est peine perdue
Qu'enseigner un malade accablé comme toi.
LE VIN.
Je suis malade, moi ?
Oh! champagne, en ton sein fais bouillonner la foudre.
Frappe cette insolente et la réduis en poudre.
(A ce moment le bouchon de la bouteille saute au plafond en
faisant une formidable explosion; mais à l'instant un vieux mon-
sieur, qui écoutait la dispute depuis le commencement, sélance,
rattrape au vol le bouchon, l’applique solidement sur la bouteille,
prend une chaise, met ses lunettes sur son nez, aspire une forte
prise de tabac d’Espagne, s’assoit à la table, met à sa droite la
bouteille de vin, à sa gauche la carafe et leur tient à peu près ce
discours :)
LE VIEILLARD.
Écoutez mes enfants les conseils d'un vieillard.
Pour avouer ses torts il n’est jamais trop tard.
LE VIN ET L'EAU. 451
Vous avez tort tous deux. Le vin est trop colère.
Et l'eau, qu'on croit si douce, est souvent bien amère.
Voyons à quel propos ce sabbat infernal,
Ces menaces, ces cris, cet affreux bacchanal,
A rendre les gens sourds? Ma foi, pour peu de chose.
C'est vilain, mes enfants, se fâcher quand on cause.
Il faut dans la dispute être toujours prudent,
Sage, aimable et discret, mais sans emportement :
Habilseà se défendre et leste à la réplique,
Mais toujours en mesure et suivant Ja logique.
Tandis que vous, enfants, dénigrant vos bienfaits,
Ne voyez que le mal et ses tristes effets.
Hélas! vous oubliez qu'en ce malheureux monde,
Et le mal et l'erreur ont racine profonde ;
Et qu'il est ici-bas un arrêt bien fatal.
Chaque chose a son bien, chaque chose a son mal :
Et quoique vous fassiez, de cette loi commune,
Il vous faut supporter les revers la fortune.
Faites alors, enfanis, le bien que vous pouvez ;
Cherchez en vos efforts maintes fois éprouvés
À combattre du mal la funeste influence ;
Et pour mieux réussir en cette expérience,
Gardez le mal pour vous; empruntez au prochain
Tout ce qu'il a de bon, tout ce qu'il a de bien:
Donnez à votre cœur cette noble pâture
Et vos instincts mauvais changeront de nature ;
Non pas le premier jour, non pas sans grands combats
Mais bien de chute en chute, avançant pas à pas.
Employez pour le bien votre force expaasive,
Et la vertu chez vous n'en sera que plus vive.
C'est du Dieu tout-puissant l'immuable décret,
Qu'il n’est point aux héros donné de temps d'arrêt:
Qu'il leur faut avancer de combat en victoire :
Que la victoire, seule, a des droits à la gloire.
Allons, enfants, cessez ce débat orageux,
D'un mutuel accord embrassez-vous tous deux :
459 SÉANCE PUBLIQUE.
Que l’eau prenne du vin la chaleur bienfaisante,
Que le vin prenne à l'eau la douceur qu'on lui vante;
En mêlant vos liqueurs tout n'en ira que mieux:
Le repas plus paisible en sera plus joyeux.
(Ayant ainsi parlé, le vieux monsieur verse dans un grand verre
le vin et l’eau auxquels il vient de faire ce beau discours ; il boit
le tout d’un seul trait, remet son verre sur la table et s’endort.
Ainsi finit ce grand combat du vin et de l’eau que j’ai eu l'honneur
de vous raconter.)
TC ROLERS 5-5
LES
RUINES DU COMTÉ DE BITCHE,
PAR M. JULES THILLOY.
Etiam periere ruinæ. . . . . ..
Lucain, Pharsale, lib. IX.
AVANT-PROPOS.
Un jour, en étudiant la carte de l'arrondissement de
Sarreguemines!, je remarquai avec étonnement un large
cercle blanc, inhabité, qu’entourent les villages de Rah-
Jing, Schmittwiller, Etting , Bining, Enchenberg et Mont-
bronn. — Au centre de ce cercle, au milieu des champs,
s'élèvent deux chapelles isolées : Alt-Kirch, la Vieille-
Église, et Weyer-Kirch, qu’au premier moment j'étais
tenté de traduire par ces mots: L’Église-de-l’Étang ?.
Mais, à cet endroit, la configuration du sol ne semble
‘ Carte de l'état-major, feuille 54, canton de Rohrbach.
? Weiher-Kirch. — Il existe une chapelle de ce nom près de
l’ancien étang de Bitche.
ni 20
454 SÉANCE PUBLIQUE.
pas permettre qu’un étang ait Jamais existé ; cette tra-
duction était donc inexacte, et d’ailleurs elle n’expliquait
rien.
Plus tard, — en m "occupant d’autres recherches, — je
trouvai une liste des “villages de la seigneurie de Bitche
au douzième siècle. J’y vis bien des noms aujourd’hui
oubliés, et entr’autres Wigere. Ce fut pour moi comme
un trait de lumière. Wigere-Kirch, Weyer-Kirch, n’était-ce
pas l’humble église d’un village détruit qui s'élevait jadis
au milieu du cercle blanc ? — J’examinai cette question
avec quelque soin et avec beaucoup de plaisir. — Comme
toujours, je fus entraîné plus loin que je n’aurais voulu
l'être. Une recherche en amena une autre. J'ai été ainsi
conduit à étudier la topographie de cinquante-huit loca-
lités, jadis habitées et qui n'existent plus.
Je n’ai pas toujours été heureux dans mes investiga-
tions. Pour quelques-unes de ces localités, mes efforts
ont été inutiles ; — pour d’autres, je n’ai pu présenter
que des conjectures plus ou moins spécieuses ou solides ;
— pour le plus grand nombre, je crois être arrivé à un
résultat et avoir fourni la preuve de ce que j'avance.
Qu’on me permette de le dire, la lâche était ingrate.
Souvent je n’avais qu’un nom pour point de départ, —
et c’est ici mon début dans cette étude si difficile des
siècles reculés. J’ose donc solliciter un peu d’indul-
gence. |
J'ai des remerciments à adresser à bien des personnes,
pour le bienveillant concours qu’elles m’ont si obligeam-
ment prêté ; mais je dois surtout exprimer ma gratitude
à M. l’Inspecteur des forêts Fürst, qui a bien voulu
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 455
mettre à ma disposition un admirable manuscrit du dix-
septième siècle, document précieux où j'ai puisé en
abondance des idées, des arguments et des preuves.
4er août 1861.
‘ Atlas du comté de Bitche, 3 volumes in-fo, grand aigle. —
Mémoires sur les forêts de Bitche, 2 vol. in-fo.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 457
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE.
Si l’on se reporte aux plus anciens documents relatifs
à l’histoire du comté de Bitche ; — si l’on consulte les
auteurs qui se sont occupés de sa géographie, — lon
rencontre les noms de villages qui ont disparu et dont
le souvenir est éteint dans le pays même où ils ont
existé. .
Si, d’un autre côté, l’on fait appel à la mémoire du
peuple, l’on retrouve la tradition des lieux habités dont
aucun monument écrit n’a conservé le souvenir, et dont
le sol lui-même n’a gardé aucune trace apparente.
Il m’a semblé curieux de chercher à tirer de l’oubli ces
villages qui ne sont plus, — de replacer leur nom sur la
carte de France, et, à défaut de leur histoire, de recons-
tituer au moins leur topographie.
En poursuivant ces recherches, j’ai rencontré les traces
de quelques établissements religieux, et les ruines de
ces grandes forteresses qui couronnaient les cimes des
Vosges, ou qui défendaient les routes militaires. — J'ai
recueilli leurs noms au passage. Je n’ai pas eu la pré-
tention d'écrire l’histoire de ces châteaux et de ces mo-
nastères ; — mon seul désir a été de retrouver et de faire
connaître un chapitre ignoré de l’ancienne géographie
de notre pays.
158 SÉANCE PUBLIQUE.
LES VILLAGES.
I.
La seigneurie, habituellement nommée Comté de Bitche,
avait, au douzième siècle, des limites plus étendues que
celles que lui ont assignées plus tard les différents traités
dont elle a été l’objet. Elle comprenait la terre de Lem-
berg (aujourd’hui Bavière), détachée un siècle plus tard
et donnée en fief aux comtes de Deux-Ponts, et tout le
pays situé entre la Bliese et le Schwolb, de Gersheim à
Hornbach.
Partant des environs de Pirmasens, la frontière des-
cendait au sud vers Fischbach, Nieder - Steinbach et
Neuhoffen, passait entre Bœrenthal et Mouterhausen,
coupait la forêt vers l’ouest en suivant à peu près la li-
mite actuelle du département du Bas-Rhin jusqu’à Oer-
mingen et l’embouchure de l’Eichel; puis remontant
brusquement au nord, elle traversait à l’ouest de Wies-
willer l’espace compris entre la Sarre et la Bliese, attei-
gnait cette dernière rivière un peu au-dessus de Blies-
brucken , en remontait le cours jusqu’à Gersheim; enfin, .
tournant au nord-est, elle arrivait à la Schwartzbach,
au-dessus de Neu-Hornbach et regagnait Pirmasens:.
IL.
Bien des villages existaient, dès cette époque reculée,
dans ce pays qui sortait à peine de la barbarie.
Locvillare est cité dans la vie de saint Pirmin qui vivait
au milieu du huitième siècle” ;
* La question des frontières de Bitche sera l’objet d’une étude
séparée.
? Crollii, Origines bipontinæ, I, p. 16, 18, 47, seq.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 459
Rimilinga, Rymelingen est mentionné dans une charte
de l’empereur Lother en 855", et paraît avoir existé du
temps de Charlemagne ; |
Lantolfinga et Medilinesheim sont nommés avec Wa-
halisheim, Felishalba, Roslogow et Appenchiricha, dans
une donation faite en 888° par Arnulf ou Arnould, roi
de Germanie ;
Vrrebach figure dans une charte de l’empereur Otto
le Grand de l’an 9733.
Les documents du douzième siêcle révélent l'existence
de Sturtzelbronn, fondé en 1135 par le duc Simon de
Lorraine # ;
* Schorbach, dont l’église porte la date de 1143;
Wuelfling, donné en 1145 à l’abbaye de Sturtzel-
bronn ;
Bredebach, nommé en 4152 dans une charte de l’ab-
baye de Wadgasse® avec Hesemingen (Sarreinsming).
Deux documents, en particulier, vont nous être une
source féconde : |
1° Une lettre écrite vers 1150 par le duc Matthieu de
Lorraine au comte Volmar de Saarwerden ? donne les
noms des villages suivants, tous compris dans la seigneurie
de Bitche :
Botembach , — Lutzwire, — Vilmunster, — Brenstel-
* Croll, I, 18, 53.
* Croll, I, 19, 55. Ces derniers villages étaient situés hors de la
seigneurie de Bitche.
3 Croll, I, 19, 63, 128. On retrouve Vrrebach avec Blysebrucken
en 1131. |
4 Notice de Lorraine, vo Sturtzelbronn.
; Id. vo Wuelfling.
6 Kremer, Genealogische geschichte des alten Ardennischen
Geschlechts, IT, 294.
7 D. Calmet, Histoire de Lorraine, Preuves, sous l’an 1150. —
” Croll, Orig. bip., I, 499. — Kremer, Ard. gesch., II, 293.
160 SÉANCE PUBLIQUE.
bach, — Medelesheim, — Gelbach, — Wisenwire, —
Rudelkirge, — Bedebur, — Rorbach, —: Wigere, —
Criegelsbach, — Mabrunnen, — Radingen, — Oldingen,
— Wergesenge. |
20 Une délimitation des frontières, faite par les ordres
du même duc Matthieu, en 1170", révèle en outre l’exis-
tence des villages suivants, qui s’élevaient sur la lisière
de la grande forêt des Vosges, du côté de la Lorraine :
Steinbach, — Nunhoven, — Hundenesse, — Ligesbach,
— Smalendal, — Kirsbach, — Durnen, — Walsburn,
— Butewire.
Tel est, d’une manière aussi exacte que possible, l’état
des lieux habités dans le comté de Bitche au moment où
s’ouvrait le treizième siècle.
UT.
De ces villages, beaucoup existent encore et leur iden-
tité ne semble pas pouvoir être discutée:
4. Botembach, aujourd’hui Bavière ;
2. Bredebach, Breidenbach (canton de Volmunster) ;
8. Brenstelbach, Bremschelbach (Bavière);
4. Butewire, Boussewiller (canton de Volmunster) ;
5. Gelbach, Gailbach, Ober et Nieder (le premier, can-
ton de Volmunster, le second, en Bavière);
6. Lantolfinga, Brandelfing (canton de Rohrbach);
7. Ligesbach, Liesbach (canton de Bitche);
8. Locvillare, Lutzwire, Loutzwiller (canton de Vol-
munsler);
9. Mabrunnen, Montbronn (canton de Rohrbach);
10. Medilinesheim, Medelsheim (Bavière) ;
* Alsatia diplomatica, 11, CCLXXIII. — Charta de finibus
Lotharingiæ in Vosago.
LES HUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 461
11. Nunhoven, Neuhoffen (Bas-Rhin);
12. Radingen, Rahling (canton de Rohrbach) ;
13. Rimilinga, Rymelingen, Rimling (canton de Vol-
munster);
14. Rohrbach (chef-lieu du canton de ce nom);
15. Rudelkirge, Guiderkirch (canton de Volmunster) ;
16. Schorbach (canton de Bitche);
17. Sleinbach, Ober et Nieder (Bas-Rhin);
48. Slurtzelbronn (canton de Bitche) ;
19. Vrrebach, Urbach (canton de Volmunster);
20. Vilmunster, Volmunster (chef-lieu du canton de
ce nom);
21. Walsburn, Walschbronn (canton de Volmunster) ;
92. Wisenwire, Wieswiller (canton de Sarreguemines) ;
23. Wuelfling, Waælfling (canton de Sarreguemines).
IV.
Neuf villages manquent donc dans ce récolement des
lieux habités antérieurement à l’an 1200, ce sont:
Bedebur, — Criegelsbach, — Durnen, — Hundenesse,
— Kirsbach, — Oldingen, — Smalendal, — Wigere, —
Wergesenge.
Il n’ont pas été mentionnés par l’histoire; leur nom
n’a jamais figuré sur une carte géographique : leurs
ruines se sont effacées sous le sillon de la charrue ou ont
été recouvertes par les grands arbres de la forêt; — leur
souvenir lui-même s’est éteint dans la mémoire des po-
pulations.
V.
Plus tard, et à des époques indéterminées, d’autres
villages encore ont existé. — Presque tous se sont fondés,
21
462 SÉANCE PUBLIQUE.
ont été habités et ont disparu sans avoir laissé d’autres
traces de leur passage qu’un nom souvent contesté.
Pour quelques-uns, ce nom a été conservé par les
auteurs qui se sont occupés de l’histoire de Lorraine.
Le président Alix, dans sa Description du comté de
Biche, cite:
Kaltenhausen, — Rohr.
Dom Calmet, dans sa liste des villes, placée en tête de
la Notice de Lorraine, donne les noms de:
Paffenhall, — Remerswiller, — Reyersberg, — Walle.
L’édit du mois de juin 1758", comprend dans ses no-
menclatures : |
Mibuwiller, — Würsching.
Durival, dans sa Description de la Lorraine, indique :
Hasselthal, — Horn.
Certaines autres localités n’ont laissé d’autre souvenir
que le nom de leur ban ou territoire, transmis par la
tradition. Ces traditions, encore vivantes au milieu du
siècle dernier, et dont quelques-unes existent encore,
révèlent les noms de:
Eidenheim, — Fussbach, — Lambertsbronn, — Land-
weiler, — Lickershoff, — Meren, — Parelle (la cense
de), — Trusch, — Würschweiller.
Je vais examiner successivement chacun de ces noms;
je dirai aussi quelques mots des bains de Walschbronn,
autrefois si célèbres *. Le village de ce nom existe encore,
mais les sources minérales ont disparu; c’est là une ruine
d’une autre nature que celles que J'ai énumérées jusqu’à
présent, — mais qui m'a semblé devoir être étudiée.
1 Ordonnances de Lorraine, VIII, 291.
* Les Romaïns ont connu Walschbronn. On y a récemment trouvé
des médailles et monnaies de l’impératrice Faustine, de Gallien et
sa femme Salonina, de Posthumus et d’Aurélien.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 1463
Malgré les inconvénients qu’il peut présenter, j'ai cru
devoir adopter l’ordre alphabétique comme plus com-
mode pour les recherches.
VE.
BEDEBUR.
Bedebur est cité, par la charte de 1450, au nombre
des villages de la seigneurie de Bitche. Il paraît avoir fait
partie de ce que l’on nommait Sant-Pirmin'sland, le
domaine de Saint-Pirmin ‘, groupe de paroisses dépen-
dant de l’abbaye de Hornbach, — et portait alors le nom
de Bedeborn.
En 1496 * il était encore compté, sous le nom de Be-
debron, au nombre des paroisses de l’archiprêtré de
Hornbach.
D. Calmet, dans sa liste des villes, se borne à cette
briève mention : « Beddenborn, Metz, à l’abbaye de Horn-
» bach. »
Aujourd'hui, le nom de Bedeborn est complétement
inconnu et l’on ignore dans quelle partie du pays de
Bitche le village était situé *.
\ Croll, Orig. bip., I, 16, note C.
« St-Pirmin’sland. Consistebat hæœc regio ex novem curtibus quæ
» germanicè audiunt Hæfe, seu stylo recensiori Schultheisereyen.
Fuerant vero sequentes : Der oberste Hof oder die Freyheit zu
Hornbach, Pirmasentz, Medelsheim, Altheym, Nünsweiller,
Contwykt, Urbach, Ickesheim, Altenhornbach und Bedeborn,
ein Hof. »
De ces villages, Pirmasentz, Medelsheim et Altheim seuls ont
fait partie de la seigneurie de Bitche.
* Archives de Bitche. — Requête à la cour souveraine de Lorraine
des 7 et 8 août 1772.
% 11 y avait en Alsace deux villages de ce nom, tous deux ruinés;
l’un, près de Zutzendorf (Saverne), l’autre, dans le canton de Truch-
5 SO YS y
464 SÉANCE PUBLIQUE.
Si l’on en croit une charte de l’abbaye de Wissemburg,
de l’an 967 ‘, Bedebur aurait existé au milieu des mon-
tagnes boisées du revers oriental des Vosges. Croll *, de
son côté, pense trouver les restes de ce village sur le sol
bâvarois, dans l’ancienne ferme de Bedingen, près de
Alt-Hornbach. — La première de ces propositions me
paraît devoir être écartée, la localité désignée par la
charte de 967 est beaucoup trop à l’est du pays de Bitche
pour pouvoir être le village cherché.
Quant à la seconde, Croll ne l’émet que sous forme
de supposition, sans l’appuyer d’aucune preuve, d’une
manière plutôt dubitative qu’affirmative, et il faut avouer
que le rapprochement des noms ne donne pas grande
force à sa supposition ?.
Ne doit-on pas plutôt chercher Bedeborn dans le vil-
lage actuel de Bettwiller (Bedweiler, Bettweiler)? — S'il
n'existe aucune preuve décisive, voici les raisons qui peu-
vent venir appuyer cette proposition: .
Dans l’ordre adopté par la lettre de 1150, les noms
des villages sont classés assez méthodiquement d’après
leur position géographique, en allant de l’ouest à l’est et
en descendant du nord au sud. Eh bien! dans cette
énumération, Bedebur se trouve placé au milieu de Gail-
tersheim (As. illust., IT, 249, 454). Un troisième, dans la Meurthe,
entre Fenestrange et Berthelming, porte ds le nom de
Bettborn ou Bettpert.
*: Alsat. diplom., CXLVIII. — Charta quà limites prœdiorum
abb. Weissemburg. Designaniur (interpolée).
Schæpfflin, Alsatia illustrata, 1, 650, 716. Le nom de Bedebur
est reproduit dans une charte de la même abbaye de 1067.
? Croll, Orig. bip., I, 16 (note).
3 Croll ne sait pas davantage si Urbach, également compris dans
le St-Pirmin’sland, désigne Urbach, canton de Volmunster, ou
Auerbach, dans le voisinage de Deux-Ponts.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 465
bach, Wieswiller, Guider-Kirch , Rohrbach, groupe de
villages tous encore existants aujourd’hui; c’est précisé-
ment la situation géographique de Betiwiller.
De plus, Bettwiller, comme Bedeborn, était une paroisse
de l’archiprêtré de Hornbach:, et il ne paraît dans le
Pouillé de l'évêché de Metz que lorsque Bedeborn n’y
figure plus.
= En 1760, le duc de Deux-Ponts était encore collateur
de la cure de Bettwiller, aux droits du chapitre de Horn-
bach, alors même qu'après l'extinction des comtes de
Deux -Ponts-Bitche et le partage de leurs domaines ;
Bettwiller avait été attribué au duc de Lorraine par les
commissaires chargés en 1617 de la délimitation des
frontières.
Enfin, le nom de Bedeburn ou Bedebron signifie
fontaine de la prière ; — or, la source de la fontaine
communale de Bettwiller s'appelle encore aujourd’hui
Bretteborn ou Brettebrunnen”, et le pré où est la chambre
de cette fontaine se nomme Brettewies. C’est évidemment
le nom légèrement corrompu de Betteborn.
Ne peut-on pas admettre que Bedeborn détruit, comme
nous le verrons plus loin, avec tous les villages voisins,
vers la fin du quinzième ou le commencement du seizième
siècle et reconstruit cent ans plus tard, aura changé de
nom, ou plutôt de terminaison, el se sera appelé Bede-
weiler, et plus tard Bettwiller 3°?
‘ Pouillé de l’évêché de Metz de 1760. — Inventaire de Lorraine.
Mss de la Bibl. de Metz, IT, 927, 998.
* Born, dans l’ancien langage, Burn, source; Brunnen, autre-
fois Brun, puits. Bronn est une terminaison francisée.
Bedeborn, Betteborn, fontaine de la prière, de beten, prier Dieu.
Bretteborn, fontaine de la planche.
3 Je ne dois pas dissimuler que Schultz (der Bliesgau, p. 78) fait
mention — mais sans en donner le texte et sans en indiquer la source
166 SÉANCE PUBLIQUE.
VIL.
CRIEGELSBACH.
Criegelsbach, que l’on trouve aussi écrit Griegelsbach,
est également rangé par la lettre de 1150, au nombre
des villages. — Selon la charte de 1170, la limite de la
grande forêt du pays de Bitche allait de « Breidenstein ?
» à Criegelshach , et de Griegelsbach à Kirsbach, » en se
dirigeant de l’est vers l’ouest; c’est donc à l’ouest du
Breitenstein qu'il faut chercher l'emplacement de ce vil-
lage.
Presqu’à la limite du département du Bas-Rhin, — dans
un vallon du ban de Rahling et un peu au sud-ouest du
moulin de Metschbrück, la carte de l’état-major montre
une ferme nommée Hammer ou le Marteau. A la fin du
siècle dernier cette ferme dépendait encore d’une enclave
relevant de la seigneurie de Diemeringen (Empire) *. L'Atlas
de Bitche la désigne sous le nom de Griesbach-Hammer
et toute la colline voisine porte le même nom de Griesbach.
N'est-ce point là (en tenant compte de la contraction
— d’un titre de 1445 où il est question de Bedewilre. — Ne s’agit-
ilpas ici peut-être du village de Beckweiler ou Beckwiller, situé près
de Altheim (Bavière), que D. Calmet, dans sa Notice de Lorraine
(vo Altheim), a confondu avec le village français et qu’il a égale-
ment écrit Bettwiller ? Beckwiller existait dès 4318 (Croll, I, 303).
! Charte de 1170, citée plus haut.
* Le Breidenstein est un Men-hir situé sur le territoire de Mei-
senthal, au point où la route no 43 pénètre dans le département du
Bas-Rhin.
V. Schweighœuser, Antiquités de l’Alsace, Bas-Rhin, p. 131 et
pl. 30.
3 Cette enclave comprenait les censes de Griesbach, Altmatt,
Neumatt et la forêt située au milieu d'elles, le tout territoire de la
commune actuelle de Montbronn.
4 Feuille 124.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 467
de la syllabe gel) le nom de Criegelsbach et probablement
le seul souvenir du village détruit ?
Aujourd’hui le nom de Griesbach commence à s’effacer.
Le canton ne s'appelle plus que das Thal, le Vallon, et
la ferme que Hammer, le Marteau ; mais la tradition d’un
village en ce lieu existe et a été ranimée par la découverte
assez récente, el à peu de distance de Hammer, de débris
d'habitations — et d’un cimetière où l’on a trouvé un
cercueil en pierre ‘.
La destruction de Criegelsbach doit remonter à une
époque bien reculée, puisque le territoire n’a couservé
ni le nom ni le souvenir de son ban.
VOL.
/ DURNEN.
Durnen, que mentionne la charte de 1170, est abso-
lument inconnu. Je n’ai pu trouver nulle part la moindre
trace de son existence.
Son nom (Dornen, épines), placé dans cette charte entre
ceux de Kirsbach et de Butewire, pourrait faire supposer
que ce village (si jamais 1l a existé) était au plus épais
du massif de forêt compris entre le Schwolb et la Horn.
Ce n'est toutefois qu’une simple conjecture, puisque
Durnen n’a pas laissé le souvenir le plus fugitif.
IX.
EIDENHEIM.
« Les terres du ban d’'Eidenheim, dit l’Atlas de Bitche”,
» sont limitées au midi par la forêt de Kleeberg, — au
* Renseignements du maire de Rahling.
? Atlas, feuilles 142, 143. — Mémoires, II, 89.
168 SÉANCE PUBLIQUE.
» nord par le ruisseau principal de la vallée de Münzthal
» qui fail la séparation des prés de la Hart et de Mont-
» bronn.
» Cette partie renferme les vestiges d’une ancienne
église qui a une perche carrée'. Le cimetière était
environné d’un mur, dans lequel est un chêne de dix
» pieds de tour.
» Superficie : Prés. . . . . . 302 14P
» Terres. . . .. 20 17
> Total. .. 50 31 »
Ce petit ban tout entier était compris dans le vallon
resserré entre la Hart de Montbronn et la forêt de Klee-
berg. L’on y voyait encore au siècle dernier les vestiges
« la mazure » d’une ancienne verrerie.
Eidenheim a probablement été l’une des verreries pri-
mitives établies au fond des forêts de Bitche, dans le
courant du seizième siècle. Ces verreries, détruites par
la guerre, se sont rebâties de 1660 à 1720, mais presque
toutes sur un emplacement différent de celui qu’elles
?
avaient d’abord occupé *.
S +
À.
FOUSBACH.
Fousbach ou Fussbach est sans doute le nom d’une
ancienne cense qui a disparu. Aucune tradition de village
‘ Toutes les superficies empruntées à l’Atlas de Bitche sont me-
surées en arpents et en perches.
L’arpent contient 400 perches et la perche est de 22 pieds, il
vaut 0h,51072. En mètres carrés, l’arpent vaut 5107mc,20 et la
perche 51,07. L’hectare vaut 1a,95802.
? Ursprung der Glasshütten von Saint-Louis, Meisenthal und
Goetzenbrück, par Georges Walter, brochure lithographiée, 1850.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 469
ne se rattache à ce petit territoire. Le ban de Fussbach est
nommé dans un procès-verbal d’abornement judiciaire!
du mois d'août 1726; — il en est également fait mention
dans l’arrêt du conseil de Lorraine du 18 juin 1771 :.
L'Atlas de Bitche délimite le ban de Fousbach de la
manière suivante À :
« Il a au nord les bans de Kalhausen et de Etlingen
» qui sont limités par le ruisseau qui les sépare;
» Au midi, celui de Schmitiwiller ;
» À l’orient, les prés d’Ettingen ;
» À l’occident, il est séparé du ban de Lambertsbronn
> par un ruisseau.
» Superficie : Bois. . . . . . 54a D4p
» Paquis. . . .. 45 47
» Prés. . . . .. 17 93
» Terres. . . .. 39 98
» Total. . . 153 392 »
Aujourd'hui les bois ont été défrichés.
Je n'ai parlé de Fousbach, sur lequel toutes les tradi-
tions se laisent, que dans l'espoir d'attirer l'attention et
de provoquer des investigations plus heureuses que les
miennes. |
XI.
HASSELTHAL,
« Hasselthal, vallon habité et rempli de baraques, entre
» Althorn et Moderhauz, » dit Durival À.
* Archives de la commune d’Achen. Procès-verbal d’abornement
des bans d’Achen, Bening, Singling, etc., par Jean-Antoine Gui-
chenon, avocat, etc., commissaire à cet effet, 7-9 août 1726.
? Ordonnances de Lorraine, XII, 437.
3 Atlas, pl. 82, 100, 101. — Mémoires, Il, 429.
4 Durival, La Lorraine, II, 189.
22
470 SÉANCE PUBLIQUE.
En 1753, ces baraques avaient disparu et la vallée était
inhabitée. « Celte gorge est unie et gazonnée, dit l'Atlas
» de Bitche'; elle a été ci-devant cultivée. »
Il est probable que pendant l'invasion suédoise le Has-
selthal a servi d’asile et de refuge momentanés aux mal-
heureux habitants des villages détruits.
Depuis quelques années la ferme de Hasselthal a été
construite dans le vallon, au point où il se réunit à la
vallée de Breidenbach *.
XIL.
HORN.
« Horn, village ruiné du comté de Bitche, vers Mo-
» terhauz ; on en voit encore des ruines. »
Horn, dont l’origine est inconnue, a été détruit par
les Suédois en 1633. — Un siècle plus tard le village
commença à se repeupler. Quelques baraques, groupées
autour d’une vieille chapelle, prirent le nom d’Al4-Horn
(Vieux-Horn) { et furent l’origine du hameau de ce nom
qui s’est élendu en suivant le cours du ruisseau et qui
fait partie de la commune de Sarreinsberg.
Il est probable que la population campée à Hasselthal
quitta peu à peu ce vallon écarté et vint se réunir aux
habitants du village renaissant.
XIE.
HUNDENESSE.
Il m'a été impossible de recueillir le moindre rensei-
* Mémotres de Bitche, 1, 899; Atlas, f. 172.
? Carte de l’état-major, f. 54. — Creutzer, Statistique du canton
de Biche, p. 217.
3 Durival, La Lorraine, III, 203.
4 Atlas de Bitche, f. 171.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 471
gnement sur ce nom tout à fait inconnu. D'après la
place qu’elle occupe dans l’énumération des villages li-
mites, cités par la charte de 1170, cette localité devait
être siluée entre Neuhoffen (Bas-Rhin) et Liesbach (canton
de Bitche). J’ai fait de vaines recherches sur le territoire
des communes de Sturtzelbronn et de Bœrenthal. — Si
Hundenesse a été un lieu habité, il était bien certaine-
ment situé hors de l’arrondissement de Sarreguemines,
et probablement dans le canton actuel de Niederbronn
(Bas-Rhin).
XIV.
KALTENHAUSEN.
« Kaltenhausen under Bitsch, » Kaltenhausen - sous-
Bitche, dit, en 1442, l’empereur Friederich, dans une
charte par laquelle il permet d’y établir un marché heb-
domadaire *.
« Kaltenhausen, villette sise au pied de la montagne, »
dit le, président Alix dans sa Description de Biche, et un
peu plus loin il ajoute: « La ville de Bitche appelée
» Kaltenhausen. »
En effet, la ville de Bitche allait naître.
Une requête des habitants de « Kalthaus assis soubs
» Bisch », en date du mois de décembre 1604 °, et un
compte du domaine de Bitche, en 1626”, démontrent
qu’outre cette villette, un autre hameau, nommé Rohr ou
le Rozeau, et un faubourg avaient été construits au pied
de la montagne elliptique que couronne le fort de Bitche.
Ces trois hameaux, incendiés par les Suédois le 6 sep-
* Bernhard Hertzog, Edelsasser Ghronick, V. 417.
* Arehives de la ville de Bitche.
3 Ma bibliothèque.
479 SÉANCE PUBLIQUE.
tembre 1633, se sont bientôt reconstruits, et par leur
développement et leur réunion, ont donné naissance à
la ville de Bitche. — Le nom de Kaltenhausen s’est effacé
peu à peu et la cité nouvelle a définitivement adopté Île
nom si connu de l'antique manoir de ses seigneurs.
(V. infrà Rohr.)
XV.
KIRSCHBACH.
Au nord du ban de Montbron, un espace de terrain
assez vaste est désigné par l’Atlas de Bitche! sous le nom
de ban de Kirschbach. Ce ban, occupé en partie par la
forêt de Kurtersch-Wald, comprenait une partie des bans
actuels de Bining et de Rohrbach.
« Le ban de Kirschbach* a au nord celui de Rohr-
> bach:
» Au midi, Montbronn, principauté de Lixheim ;
» À l’orient , il est limité de ceux de Mihweiller et de
» Gischberg par le ruisseau de Mihweillerthal ;
» À l'occident, il est séparé des bans de Wever et de
» Bieningen par le vallon de Siebersthal.
» Îl contient : Bois. . . . . 4143 94
» Prés. . . . . 87 90
» Terres. . . . 343 36
» Total.. . 846 20 »
C'est bien évidemment là le ban du village de Kirsch-
bach mentionné dans la charte de 1170.
Le procès-verbal d’arpentage de 1726, déjà cité”, parle
" Atlas, f. 104, 105, 106, 124, 1925.
_ ? Mémoires, IT, 19.
3 Archives d’Achen.
LES RUINES DU GOMTÉ DE BITCHE. 173 -
du vieux ban de Kirschbronn' que les habitants de
Biening ont ascensé avec celui de Rohrbach, et il en
donne une délimitation parfaitement conforme à celle que
présente l’Atlas de Bitche.
Il y a donc identité entre les lieux indiqués sous les
noms de Kirschbach et de Kirschbronn.
Mais sur quel point précis du ban était situé le village
de Kirschbach ? — Nul indice certain ne vient l’indiquer.
— On conçoit, du reste, qu'après tant de siècles les ha-
meaux du comté de Bitche, en partie construits en bois,
ont pu disparaître sans laisser de traces de leur existence.
D’après la disposition des lieux, on est tenté de croire
que Kirschbach s'élevait non loin de l’un des deux ruis-
seaux qui limitent son ban. — A l’est de ce ban, sur
l’autre rive du ruisseau de Mihweiller-Thal, s’étend le petit
ban de Gischberg ou Guischberg, ferme bâtie en 1736
par les moines de Sturtzelbronn. Guischberg ne serait-il
pas un souvenir de Kirschbach ?
Au fond du vallon, sur la limite des deux bans, on a
vu s'élever successivement un moulin, une forge, une
cense”, est-ce la tradition du hameau de Kirschbach qui
s’est transmise jusqu'à nous ?
Un peu plus haut, sur la colline, vers la ferme de
Felsenhoff, l’on rencontre des masses de pierres brutes
“amoncelées sans aucun ordre ; seraient-ce les débris in-
formes et méconnaissables du villäge détruit ?
Quoi qu’il en soit, et encore bien que l’on ne puisse
en préciser l'emplacement, le village du douzième siècle
a positivement existé sur le ban qui a conservé presque
* Un titre de 1613, dont nous donnerons plus loin le texte, parle
de Keisbrowwer-ban; c’est évidemment une mauvaise leçon de
Kirsbronner-ban.
? Atlas de Bitche, f. 105.
174 SÉANCE PUBLIQUE.
jusqu’à nos jours le nom de Kirschbach ou de Kirsch-
bronn.
XVI.
LAMBERTSBRONN.
« Au nord', le ban de Lambertsbronn est limité par
» le ruisseau d’une gorge nommée Lange-Weissenbronn ;
» Au midi, la forêt de Langenwald (aujourd’hui Bas-
» Rhin);
» À l’orient, le ruisseau appelé Scheidgraben le sé-
» pare du ban de Schmittwiller ;
» À l'occident, il est limité du ban d’Oermingen (Bas-
» Rhin) et de celui de Kalhausen par un chemin courbe.
s Superficie : Prés. . . . . 64 44
» Terres.. . . . 84 89
» Total. 91 33»
Ce ban est aujourd'hui confondu avec celui de Kal-
hausen. Le nom même de Lambertsbronn paraît ne plus
être usité dans la commune. — Ce nom est probablement
celui d’une ancienne cense dont on a perdu le souvenir.
— J'en ai fail mention par les motifs qui m’ont porté à
parler du ban de Fussbach et dans l’espoir de provoquer
des recherches nouvelles.
XVIL.
LAND WEILER.
L'existence d’un village de ce nom est révélée par le
procès-verbal d'abornement judiciaire des 7-9 août 1726 ?
dont il a déjà été fait mention.
‘ Atlas, f. 100. — Mémoires, II, 453.
? Archives d’Achen.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 475
« Suivant la teneur des titres des habitants de Bening,
il se trouve justifié qu’à l’orient de Singling en tirant
du côté du village de Bening, l’ancien ban de Land-
weiller est situé, si vray que suivant qu’il nous a été
remarqué, les vestiges du village de Landweiller actuel-
lement ruiné subsistent encore, d’où il résulte que les
prétendues bornes ne font point la séparation du ban
de Bening d’avec celui de Singling, puisque celui de
Landweiller est intermédiaire et attenant à celui de
Singling, preuve si certaine de pareil fait que par le
registre de recettes de rentes du domaine de Bitche,
de l’année 1627, il est jusuüifié que les bans desdits
Singling, Landweiller et Olding, ont été ascensés par
un seul et même ascensement comme étant attenant
les uns aux autres, celui de Landweiller étant entre
celui d’Olding et Singling..….". »
Les vestiges dont parle ce document ne consistent plus
qu’en énormes monceaux de pierres sans forme appré-
ciable. — Le nom de Landweiler est oublié, mais la tra-
dition confuse d’un village sur ce point est restée dans
l'esprit des habitants des communes voisines.
EE SOU SU SOS ST SO %
XVIIT.
LICKERSHOFF.
Le Lickershoff * était une cense de la paroisse de
Walschbronn, à trois quarts de lieue de ce village. —
Elle était située à gauche du vallon de Lichersbach qui
passe à Breidenbach, presqu’à l'extrémité et à la jonction
de son ruisseau au-dessous de la cense de Dorst.
* Il est assez remarquable que l’Atlas de Bitche ne fasse aucune
mention du ban de Landweiler. La tradition s’en était-elle donc
éteinte de 1726 à 1752?
2 Atlas de Bitche, f. 26, 42. — Mémoires, IT, 323.
476 SÉANCE PUBLIQUE.
« Le ban de Lickershoff était borné au nord par le
» ban de Trousch;
» À l’ouest, par celui de Breidenbach;
» Au midi, il éläit séparé du ban de Waldhausen par
» la Lichersbach ;
» À l’est, de celui de Walschbronn par la rivière de
» Horn. |
» [l contenait : Bois. . ... . . .. 44a 08e
» Prés. ........ 24 32
» Terres... ...... 143 35
» Habitalions. . . .. » 79
» Total. . . . ... 489 54»
Le nom seul de Lickershoff paraît avoir disparu. Le lieu
qu’il désignait porte aujourd’hui le nom de Dorsterhoff
ou cense de Dorst ‘.
XIX.
MEREN.
« Le ban de Meren * est limité par les bans de Guising,
» au nord; — de Rohrbach, à l’ouest et au sud; — de
» Helling et de Petit-Rederching, à l’est.
» [l comprend: en prés. . .. 1114 55
» en terres... .. 1435 70
» Total... . 247 95»
Aujourd’hui, ce ban a été partagé entre les communes
de Bettwiller et de Petit-Rederching.
A côté du ban de Meren, vers Guising, se trouve le lieu
dit Hof-Güth, bien de la ferme; — vers Hælling, une
‘Il y a deux censes de Dorst : l’une est située près du hameau
de ce nom; l’autre, un peu plus éloignée, est l’ancien Lickershoff.
* Atlas de Bitche, f. 68, 69, 37. — Mémoires, II, 157.
Les gens du pays prononcent et écrivent Merren-ban.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 47:
montagne porte le nom de Toden-Krierfeld (champ des
morts ou des guerriers morts); ces indications suffirsient
par elles seules, pour indiquer que sur le ban de Meren
a existé un lieu habité. L'emplacement de ce lieu peut
même être déterminé par des débris de constructions et
des traces de Jardins encore entourés de vieux murs, au
lieu dit Merenwies (pré de Meren), entre Guising et Rohr-
bach, et tout près du lieu dit Hof-Güth.
Ces constructions, qu’ont-elles été? — On l’ignore. Les
ruines qui subsistent, trop importantes pour une simple
ferme, ne sont pas assez étendues pour un village. La
tradition prétend qu’il a existé là un couvent; malheu-
reusement pas un nom du sol ne vient appuyer cette
tradition. Si on l’admet, ne peut-on pas penser que sur
les ruines antiques d’un établissement religieux, — une
ferme s’est élevée, ferme qui a elle-même disparu en lais-
sant son nom au ban?
" XX.
MIHWEILER.
L’Inventaire de Lorraine, manuscrit de la bibliothèque
de Metz, analyse, à la date de 1615, des leltres reversales
de l’ascensement du vieux ban de Mühweiller ".
« Mihuwiller, cense, commune de Rohrbach, » dit, en
4779, Durival * qui emprunte ce nom à l’édit du mois de
juin 1751 *.
« Mihweiller, ban sans habitations », dit l’Atlas de
Bitchei, et il ajoute: « Îl a au nord, celui de Klein-Reder-
» ching;
\
* II, 986. Ce document est rapporté plus loin.
? La Lorraine, TI, 277.
3 Ordonnances de Lorraine, VIII, 291.
4 Atlas de Bitche, f. 87, 88, 106, 107, 126, 127. —-- Mémorres,
I, 35.
93
478 SÉANCE PUBLIQUE.
» Au midi, celui de Guischberg et en est séparé par
» les vallons et gorge de Glassethal et Absthal;
» À l’orient, encore Riderchingen et le ban d’Enchen-
berg ;
» À l'occident, il est limité par le ruisseau de la vallée
» de Mihweiller' des bans de Rohrbach et de Kirschbach.
» Dans son étendue il contient : |
» Bois en état. 315 9
» Vuide et clair. 194 4 48%» 93°
» Pré. 22453402 42 68 .
» Terres. . .... ous. 967 50
» Total...... .. 4100 11 »
Le procès-verbal d’abornement de 1726 parle à plu-
sieurs reprises du ban de Myhweiller et dit que: « le
» ruisseau de Mimbach, en descendant jusqu’à Guisch-
» berg, faisait la séparation entre ce ban et celui de
» Kirschbronn..…. »
Mihweiler a donc existé comme lieu habité. A-t-il été
un village ou une simple cense, comme le disait Durival,
à la fin du siècle dernier ? — L’étendue de son ban doit
faire supposer que c’était au moins un fort hameau. —
Les renseignements que fournissent les lieux donnent de
la force à cette supposilion. — Dans le vallon nommé
Mihweiler-Thal, un peu au nord du moulin actuel de
Lux-Mühl , on trouve des ruines enfouies sous le sol et
que la charrue met à jour. — Une source, au milieu de
ces débris, a conservé le nom de Dorfbron (la Fon-
taine-du-Village), et le coteau voisin s’appelle encore le
Toden-Berg ou Montagne-des-Morts. C’est là que la tra-
dition veut qu’ait existé un village qui renfermait au
moins 300 habitants.
* Le ruissean de Mimbach.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 479
La carte de l’état-major indique une chapelle située
un peu au nord du Lux-Mühl, et au point précisément
où tous les renseignements s'accordent à placer le village
de Mihweiler. Cette chapelle, qui paraît remonter à une
haute antiquité, était complétement ruinée, lorsqu'il y a
peu d'années des habitants de Rohrbach formèérent le
projet de la relever et de l'agrandir. On a rebâti les murs
et refait le toit, mais la chapelle n’a point été achevée.
XXI.
OLDINGEN.
Oldingen est, en 1150, au nombre des villages du do-
maine de Bitche'. è
Au treizième siècle, il n'appartient plus à cette sei-
gneurie.
En 1291° le comte Simon [V de Sarbrück confirme le
domaine que le chevalier Jean de Rozières, son vassal,
avait assigné à sa femme, fille du chevalier de Fontenai,
sire de Bassompierre, sur la vouerie de Herbitzheim,
Keskastel et Oldingen. |
En 1342 * Oldingen faisait partie de domaines que
Jean IT, comte de Sarbrück, donna en fief à Boemond,
Jean et Nicolas, sires de Dagstul, domaines que leur père
avait déjà possédés auparavant. Il y est, comme en 1291,
réuni à Herbitzheim et Keskastel.
En 13765, il est également compris, sous le nom de
‘ Croll, Orig. bip., I, 202. Il suppose à tort (note M) que le
.nom d’Oldingen est une mauvaise leçon d’Oedingen, Etting.
? Fr. Kôllner, Geschichte des Nassau-Sarbrück’schen Landes,
p. 112.
3 Kremer, Ardenn. gesch., II, 455. — Fr. Kôllner, Gesch. des
N. Sarbrück’schen Landes, 141.
4 Kremer, 1bid., II, 537. — Fr. Küllner, Ibid., 145.
4 80 SÉANCE PUBLIQUE.
Uldingen, avec Herbitzheim et Keskastel, dans l’énumé-
ration des fiefs donnés par le comte Jean IT de Sarbrück,
à Jean de Brück, sire de Hinguesange, Henri de Flec-
kenstein, Jean et Jacob de Ruldingen, sires de Benestroff,
aux droits des sires de Dagstul.
En 16143", des lettres reversales d’ascensement, don-
nées par les communes de Rahling, Rohrbach, etc.,
parlent du vieux ban d’Oldingen en même temps que du
vieux ban de Mihweiler.
Le procès-verbal de bornage de 1726”, déjà plusieurs
fois cité, indique en partie les limites du vieux ban d’OI-
dingen. « Il est ascensé, dit-il, aux habitants de Bening
» et de Rahling, mais il est possédé pour la plus grande
» parlie par ces derniers. »
L'Atlas de Bitche me parait avoir établi de la manière
la plus indiscutable la situation de l’ancien village de
Oldingen*. Il le place autour d’une chapelle indiquée par
la carte de l’état-majoré sous le nom d’Altkirch, la
Vieille-Église, entre Bining et Rahkngs.
« Îl y a dans la vallée de Rahlingen, dit l’Atlas, une
» petite chapelle où l’on dit quelquefois la messe, dédiée
» à saint Eubert. Elle est ancienne. Il y avait autrefois
» tout proche un village qu’on nommait Oldingen, qui
» est entièrement détruit ; il ne reste plus sur place que
» des tas de pierres.
» À la rive droite de la vallée de Rahlingen, ajoutent
1 Invent. de Lorraine, II, 986, vide infru.
2 Archives d’Achen. Ce village y est nommé tantôt Oldingen,
tantôt Aldingen; cette dernière leçon paraît une faute de copie.
3 F. 83, 102, 103.
4 F. 54. Vis-à-vis le vingt-quatriëème kilomètre de la route dé-
partementale no 8 et à 4 kilomètre sur le côté gauche de cette route.
$ Le docteur Namur a publié récemment une notice sur une
monnaie carlovingienne trouvée à Altkirch.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 481
» les Mémoires', et au retour d’une gorge que lon
» nomme Ingefeld”?, sont les mazures des habitations
» d'Oldingen. De ces vestiges il ne reste plus qu’une
» petite chapelle dédiée à saint Hubert.
» Le ban d’Oldingen a , au nord, le ban de Beningen;
» Au midi, celui de Rahlingen ;
» À lorient, celui de Weyer;
» À l’occident, celui d’Ettingen.
» Superficie : Prés. . . . . 71e 72p
» Terres. . . . 4921 61
» Total. .. 493 33 »
XXII.
PAFFENHALL,
« Paflenhall, village dans le finage d’Achen, » selon
dom Calmet *. |
Ce village, s’il a jamais existé, n’a laissé aucun sou-
venir. °
Le radical paff#, avec des terminaisons diverses, se
rencontre dans beaucoup de communes, appliqué à di-
verses parlies de leur territoire; ainsi:
Paffen-berg, à Bitche ;
Paffen-doll, à Kalhausen ;
Paffen-kôll, à Ormeswiller ;
Paffen-thal, à Singling, à Rimling, à Walschbronn ;
Paffen-weyer, à Haspelscheidt.
* Mémoires, II, 457.
? La carte porte: In gesel, Oldingerdorf.
3 D. Calmet, Liste des villes.
4 Le mot paff (pluriel paffen), corruption de l’ancien mot alle-
mand Pfaff, prêtre, a aujourd’hui un sens grossier et injurieux;
c'est plus que frocard. Dans l’ancien langage il n’avait pas cette
acception outrageante.
482 SÉANCE PUBLIQUE.
Aucune de ces dénominations n’a impliqué l’existence
d’un village ou d’un lieu habité; elles désignaient seule-
ment des propriétés religieuses ou des biens dont la
jouissance avait été abandonnée au curé. (Voyez plus
loin. — Les Couvents, vo Paffenthal.)
XXIIL.
PARELLE (LA CENSE DE).
La cense de Parelle était située tout prés de Bitche,
à l'entrée de la vallée d’Egelshard, vers l’endroit où la
route de Niederbronn est resserrée par les montagnes
du Kindel et du Kænigsberg, au nord, et du grand et du
petit Lemberg, au sud". |
L’Atlas de Bitche la nomme Bareil’s-hoff. Ses bâtiments
étaient déjà détruits en 1753 ; — il en restait cependant
des traces: « la mazure dite Bareïlshof*. » Son territoire
en friche « percru de bouleaux » comprenait :
« Terres labourables. . . . . . . . . .. 84a 39?
» Mauvaise futaye, taillis et places vuides. 24 10
» Total. . . 4108 425»
Cette cense fut construite par le sieur Parelle ou Parel,
commis de la fourniture des lits militaires de la place de
Bitche, en vertu d’une autorisation donnée le 15 juin
1692, par M. de la Goupillère, intendant de la province
de la Sarre. — Parelle commença par bâtir « une
» barraque éloignée seulement d’un coup de mousquet
» de la ville de Bitche, » — puis il opéra des défriche-
ments qui suscitèrent, en 1695, les réclamations des
bourgeois de Bitche*.
* Atlas de Bitche, f. 112, 193.
? Mémoires, II, 290, 296.
* Archives de Bitche. Requête des bourgeois de Bitche à M. de
la Goupillère, 1695.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 483
En 1698", après la paix de Ryswick, les bourgeois de
Bitche revendiquérent la propriété de cette cense, en se
fondant sur la disposition du traité de paix, portant que
chacun devait rentrer dans sa possession légitime. Le duc
Léopold renvoya l’affaire au bailliage d'Allemagne.
Un peu au nord de la cense de Parelle, entre le gros
et le petit Kindelberg, une autre ferme parait avoir existé?,
Elle provenait des défrichements faits par le comte du
Repaire, gouverneur de Bitche de 1680 à 1698. « A
» cette époque, dit le comte de Bombelles *, les bourgeois
de Bitche partagèrent entr’eux les terres défrichées par
M. du Repaire... La ferme qu’il avait fait bâtir pour
engranger les fruits provenant de 265 arpents qu’il
avait fait défricher, et dont 1l jouissait, fut abandonnée
au nommé Lafleur, son ancien domestique, qui vivait
encore en 1741. Ce particulier mourut sans enfants,
et la jouissance de cette ferme est restée au comman-
dant de Bitche... »
Dix ans plus tard, il n’en existait plus aucune trace,
car ni l’Atlas de Bitche, ni les Mémoires qui l’accom-
pagnent, n’en font la moindre mention.
UV vVvYSS VC y
XXIV.
REMSCHWEILER.
Une charte de 1273 parle du village de Rimeswilre,
où étaient situés des biens appartenant à l'abbaye de
‘ Archives de Bitche. Requête des ‘bourgeois de Bitche à S. A.S.
le ducde Lorraine, ordonnancée le 4octobre 1698 parle duc Léopold.
En 1698 Parellé habitait Marsal.
? Renseignement de M. Bècker, juge de paix à Bitche.
$ Mémoire manuscrit sur le canton de Bitche. — Creutzer,
Statistique du canton de Bitche, p. 105. |
484 SÉANCE PUBLIQUE.
Hornbach. Croll', qui cite celte charte, démontre qu'il
ne peut s’agir du village de Rimschweiler, près de Deux-
Ponts; — puis, cherchant où pouvait être situé Rimes-
wilre : « Villa quæ haud amplius supersit, » dit-il. Il
ajoute cependant, à titre de renseignement, qu'un pont
de bois, sur la Trualb, porte le nom de Rimsweiler-
Steeg.
La Trualb est le ruisseau qui vient d'Eppenbronn et
passe à Walschbronn; c'est dénc dans cette partie de la
forêt de Bitche qu’il faut faire des recherches.
« Bemerswiller, village ruiné de la mairie de Wals-
bronn , a dit D. Calmet”.
_, Ramsweiler, ajoute Durival”, village détruit, entre les
» communes de Walschbron, Waldhausen, Boussewiller
» et Liederscheidt. »
Ce renseignement est exacl.
L'Atlas de Bitche#, au point indiqué, donne le ban de
Remschweiller.
€ Ï a au nord, ceux de Walschbronn et Waldhausen ;
» Au midi, Bussweiler ;
» À lorient, Liederscheidt ;
» À l'occident, encore le ban de Waldhausen.
» ÎLest enclavé dans les quatre bans.
C2
» Superficie: Bois. . . . . . 1482 90
» Prés. . . . . . 41 67
» Triesch.. . . . 10 40
» Terres. . . . . 238 73
» Total. .. 439 70 »
| Orig. bip. I, 122.
2 Liste des villes.
3 La Lorraine, XII, 345.
Feuilles 59, 60, 61. — Mémoires, II, 359.
)
DA
ww
w
C2
LES RUINES DU OOMTÉ DE BITCHE. 1485
» Le Roy a un tiers de la dixme, et l’abbaye de Sturt-
zelbron deux tiers.
» Les habitants des villages ci-dessus sont possesseurs
des terres et des prés de ce ban depuis un temps im-
mémorial, et jouissent en commun de la pâture, de
même que dans les boqueteaux.
» Les habitants de Waldhausen possèdent 158 arpents
de terres et 11 de prés ;
» Ceux de Walschbronn, 42 de terres et 2 et demi
de prés;
» Ceux de Boussevwiller, 79 de terres et 9 de prés;
» Ceux de Liederscheidt , 168 de terres et 78 de prés,
mesure du pays, qui est celle d'Allemagne, plus grande
que celle de Lorraine.
» L’on ne remarque aucunes mazures, las de pierres
ou autres marques qui puissent faire connaître s’il y a
eu aucun village de ce nom. »
XXV.
REYERSBERG,
« Reyersberg, hameau à deux lieues de Bitche »,
d’après D. Calmet".
Ce nom est inconnu. Le savant bénédictin a-1-1l voulu
parler de Redelberg ou Riedelberg, qui, jadis, dépendait
de la paroisse de Walschbronn, et qui n’est plus français ?
— Il y a bien le village de Reyerswiller, dans la grande
vallée de ce nom, mais pas une hauteur du voisinage ne
porte le nom de Reyersberg.
: Liste des villes.
24
486 SÉANCE PUBLIQUE.
XX VI.
ROHR.
« Ror alias le Rozeau, village de la mairie de Schor-
» bach. » Ainsi s’exprime le président Alix, et 1l est: à
remarquer que cette mention n’est reproduite ni par
D. Calmet ni par Durival. Le président Alix est cependant
‘exact. L’existence de Rohr est constatée par Bernard
Hertzog, qui, dans sa relation du siége de Bitche, en 1447,
rapporte que le comte Friederich, « en s’échappant de sa
» forteresse surprise par l’ennemi, tomba sur les rochers,
» et parvint à Rohr, où seulement il repril connaissance,
» après s'être évanoui trois fois'. »
Mais où ce village était-il situé? — Il ne fant pas le
chercher dans Îles environs de Bitche ; il faut le voir dans
la ville de Bitche elle-même. J'ai déjà fait pressentir cetle
solution au mot Kaltenhausen.
Il est certain, en effet, qu’outre Kaltenhausen, diverses
constructions s'étaient élevées au pied de la montagne
elliptique que couronne le fort de Bitche. |
Le président Alix s’est servi (p. 174) de cette locution :
« Le fauxbourg de Rohr. » Une requête des habitants
« de Kalthaus assis soubs Bitsch » du mois de décembre
1604, revendique à leur profit un droit de passage contre
les habitants du Rozeau et faulbourg dudit Bitche*.
Un compte manuscrit du domaine de Bitche, en 1626”,
parle à plusieurs reprises de « Kaltenhausen soub Bitche,
» Rozeau et faulbourg. »
Enfin, une autre requête, sans date, mais qui paraît
* Edels. chron. V, 48. « Fülen beide herab auf den Felsen,
» kamen zu Rhor...……. »
? Archives de Bitche.
3 Ma bibliothèque.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 187
être aussi de 1604", est plus précise encore. Les habi-
tants de la « ville basse de Bitche dite Kalthaus » reven-
diquent divers droits contre les habitants de « Rohr, fau-
» bourg de Bilche», et plus loin « du faubourg de Rohr. »
Ainsi les trois hameaux, primitivement séparés, se
sont étendus, réunis, confondus, et ont formé la ville
actuelle de Bitche.
XXVIE.
SMALENDAL.
L’énuméralion de la Charte de 1170 fait supposer
qu’à cetle époque Smalendal était un lieu habité.
Aujourd’hui, le Schmalenthal est un vallon situé entre
Bærenthal et Mouterhausen, un peu au-dessous du point
où vient aboutir le vallon de la Lindel. Il y existe une
seule maison, bâtie il y a environ soixante ans. Les ruines
des fondations d’un moulin se voyaient encore il y a peu
d'années à l’entrée du vallon. — Dans la mémoire des
populations, on retrouve la tradition très-vague de lexis-
tence en ce lieu d’un hameau de Schmalenthal?; ce serait
le Smalendal de 1170.
XXVIIT.
TROUS CH.
Trousch ou Trusch. « Ce ban * est limité au nord par
» celui de Rolbingen; |
» Au sud, par ceux de Breidenbach et de Lickershoff ;
» À l’est, par celui de Riedelsberg et la Horn;
» A l’ouest, par celui de Schweyen.
‘ Archives de Bitche.
* Renseignements du maire de Bæœrenthal.
? Atlas de Bitche, f. 25, 26, 27, 1. — Mémoires, Il, 384.
188 SÉANCR PUBLIQUE.
» La superficie comprend:
» Bois. . . . . . . .. 4592 72
» Prés. . . . . . . . .. 217 93
s TOerlés:. 2 20 319 4
» Total. .. 565 99 »
La tradition du pays garde le souvenir d’un hameau
situé dans le vallon qui descend du Gross-wald vers le
bois de Birck (vallon qui, selon l’Atlas de Bitche, porte
le nom de Trouscher-thal), — et place ce hameau à peu
près au centre d’un triangle formé par Rolbing, le Gross-
wald et les censes de Dorst'.
Les débris de constructions que la charrue rencontre
encore chaque jour, donnent à celte tradition un certain
degré de probabilité.
XXIX.
WALLE.
« Hameau à deux lieues de Bitchie », selon D. Calmet*.
Ce nom est probablement une mauvaise leçon de Wal-
leck, nom assez souvent employé pour indiquer les censes
qui sont au pied des rochers et des tours de Waldeck.
Wallecken, dit l’édit de 1751 °.
Walleck, dit Durival4.
XXX.
WALSCHBRONN (LES BAINS DE).
« Au village de Walschbronn souloient être des baings
* Renseignements de M. Kehl, juge de paix à Volmunster.
? Liste des villes. |
3 Ordonn. de Lorraine, VIII, 254.
4 La Lorraine, III, 409.
$ Extrait des Déclarations fournies des mairies, etc., de la terre
et seigneurie de Bitche, 18 juin 1577 (ma bibliothèque).
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LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 189
jadis fort fréquentés pour la guérison de ceux qui les
visitoient ou recevoicent et notamment les paralytiques
et percluz des membres. L’on a depuis peu d’années
laissé ruiner le puits qui pour moins de cinquante
francs pourrait être remis en état. Au fonds d’iceluy
se trouve un grand nombre de pierres qui y sont ainsi
naturellement noirâtres et dures, lesquelles étant mises
par l’espace d’un quart ou d’une demi-heure en eau
tiède, deviennent molles et maniables comme cire et
ont odeur retirant sur celuy de la poix résine; — ils
appellent cela Berg-wachs qui est autant que Cire ou
Bitume de montagne. Joignant ledit puits est assise une
belle et grande maison appartenant à Monseigneur, à
laquelle souloit résider le maître desdits baings et y est
encore le lieu où étoient les cuves à baigner. Le fo-
rêtier de cette contrée la tient à titre de location et
y tient taverne : il est nécessaire de la faire réparer
en plusieurs endroits aulirement se ruinera en peu
de temps. »
« Walschbronn était autrefois renommé et fréquenté,
dit M. de Bombelles', par un grand nombre de per-
sonnes infirmes, à cause d’une source d’eau savon-
neuse et sulfureuse dont les bains étaient salutaires
principalement pour les rhumatismes et pour ceux qui
avaient les membres affectés... )
« Ce qui rend cet endroit remarquable, ajoute Dom
Calmet”, c’est une source d’eau minérale et l'huile de
pétrole qui découlent de la montagne. Cette source
était autrefois trés-fréquentée et elle a été célébrée par
d’habiles médecins. — On voyait encore en 1590 les
vestiges des bains qu’on y avait construits; depuis ce
* Mémoire sur Bitche.
* Notice de Lorraine, v° Walsbronn.
490 SÉANCE PUBLIQUE.
» temps-là le bassin où se rassemblaient les eaux salu-
» laires avait été comblé et couvert du chemin public. »
« La fontaine de pétrole blanc, dit enfin Durival', est
» au pié d’un petit jardin fermé de murs au-dessous du
» château. L'eau était reçue dans un bassin de bois *.
» Elle était trés-fréquentée autrefois et même connue des
» Romains... Le village ayant été ruiné dans le siècle der-
» nier par les troupes palatines, la fontaine est tombée
» dans l'oubli: le bassin était comblé et couvert par le
» chemin public. — Sous le règne de Stanislas, l’on
» pensa recouvrer ce trésor. Le prince envoya sur les
» lieux le sieur Baligand, son ingénieur, qui fit, au
» mois de mars 4756, la recherche du bassin ; il le
» découvrit... »
Disons plutôt que l'ingénieur Baligand crut le découvrir;
— le bassin réparé, le pétrole ne vint qu’en petite quan-
lilé et finit par disparaître.
De nos jours, on a cherché à retrouver cette précieuse
source minérale ; — la question a même été agitée au sein
du Conseil général de la Moselle ?. L’on demandait un
crédit pour faire des fouilles ; un membre fit observer que
MM. les ingénieurs Reverchon et Jacquot se sont livrés à
beaucoup de recherches qui n’ont point été couronnées
de succès ; —- on attribue même aux travaux exécutés par
les médecins de Nancy qui accompagnaient l'ingénieur du
roi Stanislas, le tarissement de la source... La question
fut renvoyée à l’Académie impériale de Metz el aux in-
génieurs des mines dont on désira avoir l’avis..….
* La Lorraine, II, 257.
? La Statistique de la Moselle, par le comte Colchen (p. 173),
prétend que le bassin avait été construit au milieu de la cour du
château.
3 Séance du 26 août 1857.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 491
L 3
XXXI.
WERGESENGEN.
Wergesengen ‘, lieu inconnu. Croll * suppose que ce
village pourrait être Gesengen ou Guising. — Serait-ce
peut-être Wising que Durival* dit être une cense ancienne
et qu’il nomme Wisengen ou Wigensen?
D'un autre côté, D. Calmet en reproduisant la lettre de
4150 dit#: « Wergesengen alias Hotienbach. » A-t-il
voulu écrire Hollenbach et parler de Holbach, annexe de
Siersthal? C’est là un problème que je me contente de
poser sans essayer de le résoudre.
XXXIE.
WIGERE. — WEYER
Wigere est dénommé dans la lettre du duc Matthieu,
en 4150. « Wigere, sine dubio Weyer, dit Croll *, nescio
» ubi sit. »
D. Calmet dans sa Liste des villes dit: « Weyer, village
» ruiné, mairie de Rollingen (Rahling). »
Le vieux ban de Weyer est mentionné avec ceux de
Mihweiller et d'Oldingen, dans les Lettres reversales déjà
plusieurs fois citées, de l’ascensement de 1613 °.
Durival ? au mot Janans, s'exprime en ces termes:
« Cense, communauté de Rahling... Cette métairie s’ap-
» pelait Wayer. »
1 Lettre de 1150.
2 Orig. bip., I, 202.
3 La Lorraine, III, 440, 452.
4 Preuves sous l’an 1150 et note.
5 Orig. bip., 1, 202 et note H.
6 Invent. de Lorraine, IL, 986.
7 La Lorraine, III, 208.
492 SÉANCE PUBLIQUE.
L'Atlas de Bitche', d'accord avec toutes ces indications,
montre autour des censes de Janans, un vasle territoire
appelé ban de Weyer, au milieu duquel se trouve Weyer-
Kirch ?, humble église du village détruit.
La feuille 118 porte même cette mention: « La mazure
» de l’église de l’ancien village de Wever: il se voit en-
» core plusieurs mazures... »
« Weyer était autrefois un village, lit-on dans les Mé-
» moires *, les mazures duquel se trouvent encore. Les
» habitations ne sont plus qu’un tas de pierres, — il ne
» reste plus que quelques débris d’une petite église. Le
» fief de Janans est élabli depuis quelques années sur ce
» ban. » |
« Le ban de Weyer a au nord, ceux d’Oldingen et de
=» Béningen; |
» Au midi, ceux de Rahlingen et de Montbronn;
» À lorient, la rigole de la fontaine et gorge du nom
» de Hirschbronn le sépare du ban de Montbronn,; du
» même côté lé ruisseau du vallon de Silberthal le limite
» du ban de Kirschbach ;
» À l'occident, encore les bans de Rahlingen et d’OI-
» dingen.
» Superficie dudit ban:
N'BOIS era moe der cum et ce 167a 10p
D'PRÉSS esse eee heu 330 24
» Terres. ........ RS 852 17
» Habitation du gentilhomme de Janans
D'élJAPdi ses error euNen du 13 74
: Feuilles 103, 104, 118, 193 et 124.
? Carte de l’état-major, f. 54.
3 Tome Il, 81.
4 Ces bois n'existent plus.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 193
» Le domaine seul a la dime sur le ban de Weyer. »
Il est souvent question du vieux ban de Weyher dans
le procès-verbal d’abornement de 4726, déjà plusieurs fois
cité". Les limites que lui assigne ce document sont
parfaitement conformes à celles qu’a tracées l’Atlas de
Bitche. « Ce ban est ascensé, dit-il, aux communes de
» Rahling et de Bening. » — Mais l’on voit, par l'exposé,
que la première de ces communes avait la prétention
d’exclure complétement sa voisine, et qu’elle lui contestait
toute part dans la jouissance des terrains ascensés,
Weyer, au quinzième siècle, ne faisait point partie du
domaine des sires de Bitche ; il dépendait de la sei-
gneurie de Diemeringen, qui elle-même relevait de
l'Empire. |
En 1421° Henri, sire de Vinstingen (Fenestrange), donna
en engagère à Philippe Ier, comte de Nassau-Sarbruck,
Diemeringen, le château et la ville, Dellingen, Bütten,
Wellerdingen et Wyher à.
XXXIIL.
WURSCHINGEN.
Wärschingen où Wursching était une cense située à
environ 4200 mètres de Rimling, sur le chemin qui de
ce village va à Gros-Rederching et à l'embranchement
du sentier qui conduit à Guising *. Cette cense n’avail pas
de ban séparé.
\ Archives d’Achen.
? Fr. Küllner, Geschichte des Nassau Sarbruck’schen Landes,
187, 190.
8 Tous ces villages, voisins de Rahling, existent encore dans le
Bas-Rhin.
4 Atlas de Bitche, f. 50.
25
194 SÉANCE PUBLIQUE.
« Les terres du Würschingerbüsch conte-
Ales à és aenses se TT. 68a 94
» Un boqueteau dépéri qui n’élait plus
> Qu'un paquiS. . .............. 10 73
» Les prés dits Würschingenwies. . .. 68 16
» Total. ......... 147 83 »
Cette cense est mentionnée dans l’édit du mois de
juin 1751, sous le nom de Werching !.
Durival * la nomme Wersching et la carte de Cassini ?
Wirschingen.
Elle a été détruite vers 1809.
XXXIV.
WURSCHWEILER.
Il existe sur le ban de Bitche, une montagne nommée
Wäürschweiler-Berg. « Au nord, elle se termine en
» rondeur sur le chemin venant du vallon de la Muss-
» bach, vers le moulin de Schwing-Mühl.
» Au midi, elle est séparée de la montagne du Hunds-
» Kopff par une gorge sans eau et le sentier de Haspels-
» cheidt.
» À lorient, le vallon de la Mussbach la sépare des
» montagnes couvertes de bois de la’ forêt de Haspels-
» cheidt. |
» À l’occident, les prés, étang et marais de la gorge
» de Damen-Capeller-Thal la séparent des montagnes de
» Gros et Klein-Otterbill, et ensuite la vallée de Bitche.
» Sa superficie est de 5174 74. »
' Ordonn. de Lorraine, VIII, 291.
? La Lorraine, III, 451.
3 Feuille Landau.
4 Mémoires, II, 185.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 495
L’Atlas de Bitche : indique au pied du revers occidental
de la montagne un point « où était autrefois le village de
» Würschweiler, dont il ne reste plus aucun vestige. En ce
> lieu le bois est fort épais et plus beau qu'aux environs.»
Un peu au sud-ouest de ce point, l’on rencontre Île
moulin du Bœuf, ou Ochsenmühl * et tout auprès s'élevait
jadis une chapelle que l’on nommait Damen-Capelle ou
chapelle de madame de Renoncourt.
XXXV.
Qui a fait ces ruines? — Quand ont péri ces villages?
Il est difficile de le dire d’une manière précise. — À ces
questions, la voix du peuple répondra: « c’est l’œuvre
des Suédois! » — La voix du peuple se trompe; — elle
rapporte à une époque relativement récente, des faits de
beaucoup antérieurs; elle confond dans une catastrophe
dont le souvenir est encore vivant, les désastres successifs
des siècles précédents.
Certes, l'invasion suédoise a ravagé toute la province
de la manière la plus effroyable ; la peste qui l’a suivie a
achevé l’œuvre des terribles destructeurs. Après 1635, le
pays de Bitche lout entier n’est plus qu’un vaste désert
« où l’on rencontre plus de bêtes fauves que d’hommes”»;
les villages rasés, incendiés ont été abandonnés et leurs
ruines sont muettes. — Ce n’est que longtemps après, et
bien lentement, que de rares habitants y sont revenus.
H a fallu le bienfaisant arrêt du conseil de 4682 4 pour
repeupler le pays el reconstruire les villages. Et pourtant
Atlas, f. 76, 94, 95.
? Ce moulin est également connu sous le nom de Würschweïler-
Mühl.
3 M. de Bombelles, Mém. sur Bitche.
4 8 avril 1682, Règne de Louis XIV.
496 SÉANCE PUBLIQUE.
l'invasion suédoise n’a pas seule fait toutes ces ruines.
La description du comté de Bitche, donnée en 1577, par
le président Alix, nous en fournit la preuve.
Après l’extinction de la maison de Deux-Ponts-Bitche,
chargé de tenter une transaction entre le duc de Lorraine
et le comte de Hanau, le président Alix paraît avoir eu
pour mission de reconnaître et de constater l’élat de la
terre de Bitche ; il a laissé un document aussi exact que
curieux de géographie et de statistique contemporaines.
— Eh bien! la nomenclature du président Alix ne com-
prend pas un seul de tous ces villages. Ni Weyher, ni
Oldingen, ni Landweiler, ni Kirschbach, ni Mihweiler, ni
aucun des autres noms que j'ai recueillis ne se rencon-
trent dans son travail. Ne faut-il pas en conclure qu’ils
avaient disparu dès 1577 et longtemps avant les Suédois ?
Un document plus précis vient compléter cette démons-
tration : |
« Le 12 mars 1613 : lettres reversales par les habitants
» des communautés de Rollingen (Rahling), Rohrbach,
» Bieningen, Rederchingen, Achen et Kalhausen, à cause
» qu'il a plu au duc Henri de leur ascencer... les vieux
» bans * qui sont ès environs desdits villages et des quels
» ils jouissent de passé, savoir: Weyerban, Kirsbronner
» ban 3, Muhweiller et Oldingen, pour iceux en jouir,
» moyennant 70 malder d'avoine de cens...….. »
Il faut donc chercher: ailleurs que dans l'invasion
suédoise la cause de toutes ces ruines. |
L'histoire de Lorraine n’enregistre malheureusement
! Invent. de Lorraine, IT, 986. Acte reçu par Hueter, notaire.
? Cette expression, les Vieux bans, appliquée aux mêmes lieux,
se retrouve dans l’abornement de 1726 et dans l’arrêt du conseil
du 18 juin 1771 (Ordonn. de Lorraine, XII, 493).
3 L’Inventaire de Lorraine écrit Keisbrowwerban; c’est une
faute de copie évidente.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 497
que trop de guerres désastreuses. Sans remonter aux
luttes privées du moyen âge, — les ravages des grandes
compagnies au quatorzième siècle ; — l'invasion des An-
glais et celle des Armagnacs au quinzième suffiraient déjà
pour expliquer ces destructions !.
Mais d’autres catastrophes ont frappé plus particulière-
went, et d’une manière presque périodique, ce malheureux
pays. |
Au milieu du quinzième siècle, des contestations s’éle-
vérent entre le pfaltzgraf Louis le Noir, duc de Deux-
Ponts, et le comte Jean III de Nassau-Sarbruck , au sujet
de la seigneurie de Diemeringen que le comte tenait en
engagère. La guerre éclata en 1461. Le pfaltzgraf en-
vahit les pays contestés et les ravagea de la manière la
plus épouvantable. Herbitzheim, Keskastel, Diemering et
leurs dépendances furent pillés, incendiés, détruits”, et
nous avons vu qu'Oldingen dépendait de Herbitzheim; et
que Weyer appartenait à la seigneurie de Diemering. —
Entre la Bliese et l’Eichel, sur le passage des troupes
ennemies, se trouvaient Bedborn, Meren, Landweiler,
Kirsbach; ces villages durent être en partie détruits dans
cette guerre dévastatrice, dont un chroniqueur de Sar-
brück (Andraë) nous a conservé le souvenir.
En 1525, lors de la guerre des Paysans ou des Ana-
baptistes*, les populations du comté de Bitche se sou-
* On rapporte à cette époque la destruction du hameau de Sin-
gling qui n’a été reconstruit qu’au bout de trois cents ans et qui,
au commencement du dix-huitième siècle, n'avait que dix habi-
tants.
? Fr. Kôllner, Gesch. des Sarbr. Landes, 210. — Ad. Küliner,
Gesch. der Herschafft Stauf, 189.
3 Connue aussi sous le nom de guerre des Rustauds. V. Pilladi
Rusticiados, II, 26.
198 SÉANCE PUBLIQUE.
levérent en masse, se joignirent aux révoltés allemands,
et se livrérent avec eux aux plus affreux excès sur les
églises et les monastères. L'abbaye de Sturtzelbronn,
l'antique monastère de Herbitzheim furent détruits de
fond en comble*. Le comte Rheinhart de Bitche, réfugié
à Vic, auprés du duc Antoine, disait « dans son langage
» allemand, que de 6000 hommes qu’il avait devant dans
» ses terres, 1l n’en avait pas six qui lui obéissent..…… »
On sait l'issue de cette jacquerie ; elle s’éteignit dans des
torrents de sang. Puis le duc Antoine permit au comte
Rheinhart « de punir et châtier corporellement pour
» celte fois ceux de ses sujets qui avaient adhéré au
» parti des paysans d'Allemagne et qui avaient fait ir-
» ruption en Lorraine*. »
L'histoire ne dit pas quels furent ces châtiments ex-
ceptionnels, mais il n’est que trop facile de les deviner.
Soixante ans plus tard, un autre fléau s’abattait sur
nos malheureuses provinces. Au moment des grandes
luttes de Henri IV contre la ligue, les protestants d’AIl-
lemagne organisérent à plusieurs reprises, dans le duché
de Deux-Ponts, de petits corps d’armée qu’ils envoyaient
au roi de France. En 1591, une troupe d’environ
10000 hommes, sous le commandement du prince Chris-
.tian d’Anhalt, traversa la Lorraine allemande, et par
haine des Guises et des Catholiques, pilla et détruisit
‘ Hertzog, Edels. chron., II, 169. — D. Calmet, Hist. de Lor-
raine, Il, 1156.
; Sturtzelbronn date de 4135; Herbitzheim figure sous le nom
d’'Heril:odesheim dans le partage de 870 entre Charles le Chauve
et Louis le Germanique.
3 Invent. de Lorraine, Il, 453; X, 2% p., 230. Cette autorisation
est à la date du 8 janvier 1525-1596.
4 Hertzog, Edels. chron., IT, 170, 171, donne les conditions faites
à ses sujets par l’électeur palatin.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 499
tout ce qui appartenait à la maison de Lorraine. Des
bandes de ces aventuriers, au lieu de poursuivre leur
route vers Paris, se cantonnérent un instant sur les bords
de la Sarre, et les chroniques nous ont conservé le sou-
venir de leurs dévastations".
À toutes ces calamités, en quelque sorte périodiques,
Joignez les famines et les pestes que l’histoire enregistre
à la suite de chaque guerre et qui ont si cruellement sévi
dans nos provinces, vous y lrouverez des causes plus que
suffisantes pour expliquer la destruction de ces hameaux
clair-semés dans la forêt de Bitche. Une paix prolongée
leur eût permis de se reconstruire et de se repeupler;
l'effroyable invasion suédoise (1632) survint comme un
torrent dévastateur. Pendant trois ans, la malheureuse
Lorraine allemande subit tout ce que la guerre au dix-
septième siècle présentait d'horreurs, tout ce que la bar-
barie la plus sauvage peut allier à la cruauté la plus
raffinée *?.
Quarante ans plus tard, les Français devaient, par sys-
tème de guerre, reproduire ces calamités. « Le maréchal
» de Créquy (1677) fit démolir et brûler tous les villages ;
» les paysans furent réduits à se réfugier comme des
» bêtes fauves dans les bois et les montagnes; une mul-
» litude de femmes et d'enfants périrent de misère, »
La paix se rétablit enfin, et une administration pater-
nelle et bienfaisante vint faire oublier tant de calamités.
Les tristes restes des populations, sortant du plus pro-
fond des forêts où elles avaient cherché un asile, n’es-
" B. Hertzog, Edels. chron., II, 239, août 1591. Le capitaine
Flavani pilla et incendia Forbach et Saint-Avold ; le capitaine Temple
s’'empara de Bliescastel, etc.
* Manuscrit de Henri Champlon, curé d’Ottonville, dans 4 Revue
d'Austrasie, 1854, p. 7 et 274.
* Henri Martin, Hist. de France, XIII, 508.
Y00 SÉANCE PUBLIQUE.
sayérent plus de rallumer leurs foyers depuis si longtemps
éleints ; ils se groupèrent autour de ceux de leurs villages
qui avaient le moins souffert ou qui offraient le plus de
conditions de vitalité. — De cette nouvelle répartition
des populations datent presque toutes les grandes com-
munes du conté de Bitche. Un siècle de paix compléta
leur développement. Pendant ces années de prospérité,
les récits de la veillée racontèrent aux enfantsles malheurs
qu’avaient subis les pères. Peu à peu l’histoire de toutes
ces catastrophes s’altéra el se confondit dans la mémoire
des populations; les noms et les dates s’oublièrent. —
Les Suédois avaient fait souffrir à un peuple tout ee qu’il
est possible de souffrir ; leur souvenir ne fut plus rappelé
qu'avec un sentiment d'épouvante et d'horreur, et la
tradition fit du nom des Suédois l'image et le symbole
de la destruction elle-même.
LES COUVENTS.
L.
A la fin du septième siècle, le pays de Bitche était .
encore un désert affreux, inhabité, couvert de forêts
impénétrables, retraite des loups et des ours, des san-
gliers et des aurochs. Peu d'années après, des légions
de moines, sortis des monastères de Saint-Nabor, de
Tholey, de Wissembourg', attaquèrent sur tous les points
la grande forêt des Vosges et, la serpe et l'Evangile à la
main, pénétrèrent au plus profond du désert. Un siècle
plus tard, saint Pirmin et les moines de Gemünd”’, re-
: Saïint-Nabor (Saint-Avold) fondé vers 540; Fos en 596-627;
Weissenburg en 623.
* Gemünd (Hornbach) date de 750.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 201
montérent les affluents de la Bliese, et vinrent établir
leurs ermitages au milieu des défrichements.
De ces ermitages, les uns sont parvenus jusqu’à notre
époque, objets de la vénération populaire"; — d’autres,
développés, agrandis, ont donné naissance aux hameaux,
aux paroisses; — d’autres, enfin, sont devenus de petits
monastères qui n'existent plus aujourd’hui.
Plus tard, des fondations pieuses, plus favorisées par
le temps et les hommes, ont marqué dans l’histoire
religieuse du pays, — sont parvenues jusqu’à notre
époque, et n’ont péri que sous les yeux de nos con-
temporains.
Je ne veux ni ne puis écrire ici l’histoire de ces lieux
consacrés ; fidèle à mon plan, je me bornerai à d’humbles
notes sur ceux qui ont disparu et qui nous ont transmis
à travers les âges leur nom et leur souvenir.
IT.
BITCHE.
La fondation du couvent de Biche est attribuée à
Henri de Bourbon; duc de Verneuil, évêque de Metz de
4621 à 1652. Si l’on en croit Meurisse?’, ce monastère fut
d’abord occupé par des Capucins. Donné plus tard* à des
religieux Augustins, il subsista jusqu’à la Révolution,
' Sainte-Vérène ou Sainte-Véronique, près d’Enchenberg; Gui-
derkirch, et probablement la Hermescapell, près de Wising.
? Hist. des évêques de Metz, 763.
3 Bénéd., Hist. de Metz, TT, 284. — M. Creutzer (Statistique
du canton de Bitche, p. 118) dit que l'établissement de ce couvent
ne remonte qu’à 4655. Comment en aurait parlé Meurisse, mort
en 1644? Il est probable que, fondé au commencement du dix-
septième siècle pour les Capucins, il aura été donné aux Augustins
vers 1651.
26
2092 SÉANCE PUBLIQUE.
époque à laquelle il renfermait neuf religieux et quatre
frères lais.
L'église et les bâtiments claustraux n’ont point été
détruits ; ils sont aujourd’hui affectés à un collége ecclé-
siastique.
LT.
KLOSTERBACH.
« Closterbach, ancien couvent de moines, situé dans
» le ressort de la mairie de Biningen », dit Dom
Calmet".
Ce nom signifie Ruisseau-du-Monastére ; il est abso-
lument inconnu dans le pays. Je n’ai pu trouver une
lrace, un souvenir qui füt un indice de l’existence ou de
la situation de ce couvent. Pas un canton de terres ou
de forêts ne porte un nom qui puisse servir d’indication
ou de repère. |
IV.
MEREN.
En traitant du village ou de la cense de ce nom, j'ai
dit que la tradition prétend qu’un couvent ait jadis existé
entre Rohrbach et Guising, au lieu actuellement dit
Merrenwies. L’on y voit les ruines encore très-visibles de
grandes constructions et des jardins encore entourés de
murs.
Ce lieu était compris dans le ressort de l’ancienne
mairie de Biningen ; — serait-ce peut-être le Closter-
bach de D. Calmet, dont je n’ai pu trouver la moindre
trace ?
: Liste des villes.
-
ee —
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 9203
V.
OLBERDING.
Il existe, sur le territoire de Gros-Rederching, une
chapelle gothique dont la construction semble remonter
au treizième siècle. Cette chapelle, dit la tradition', a
jadis servi d'église à un couvent de femmes. Lors de
l'invasion suédoise, le couvent fut incendié et l’église
saccagée. Les religieuses s'étaient réfugiées au pied de
l'autel; elles y furent toutes massacrées, et un siècle
plus tard la trace de leur sang était encore apparente
sur les dalles du sanctuaire.
. Quoi qu’il en soit de cette tradition, il est bien évident
que la catastrophe qu’elle rappelle doit remonter à une
époque de beaucoup antérieure au dix-septième siècle
et à l'invasion suédoise. Ni l’ouvrage déjà cité du prési-
dent Alix, ni le Pouillé de l’évêché de 1571, ne parlent
du couvent d’Olberding ; il avait donc péri depuis long-
temps.
Olberding est aujourd’hui une ferme; — l’on n’y voit
aucune trace de bâtiments claustraux, mais la chapelle
existe loujours”?.
VI.
PAFFENTHAL.
Le territoire actuel de la commune de Singling com-
prend un vallon nommé le Paffenthal. Traversant l’ancien
" J’ai trouvé cette tradition mentionnée dans des pièces qu’a bien
voulu me communiquer M. l'abbé Lemmé, curé de Gros-Reder-
.Ching. | |
? Cette chapelle est interdite par suite d’une question de pro-
priété soulevée entre le possesseur actuel et la fabrique de l’église
de Gros-Rederching.
904 SÉANCE PUBLIQUE.
ban de Landweiler, il se dirige vers la commune de Achen.
— Ce vallon présente un assez vaste amoncellement de
ruines . Une butte formée de briques, de tuiles et de
fragments de maçonnerie, est évidemment tout ce qui
reste d’un vaste bâtiment entouré de jardins. — Un grand
chemin, large de près de 8 mètres, part de Singling et
aboutit au Paffenthal ; un embranchement s’en détache et
se dirige vers l’ancien village de Landweiler.
La tradition du pays prétend qu’un couvent a existé
sur ce point; on ajoute qu’à une époque récente, l’on y
a trouvé un cœur en argent, probablement un ex-voto.
VII.
STURTZELBRONN.
Cette antique et célèbre abbaye de l’ordre de Citeaux fut
fondée en 1135, à la demande de saint Bernard, par le
duc Simon Ier de Lorraine, au plus profond de la forêt de
Bitche. Lieu de sépulture des premiers ducs de Lorraine,
enrichie par leurs bienfaits et les dons pieux des petits
princes des environs, elle acquit bientôt une grande cé-
lébrité. — Son opulence, son isolement en firent l’objet
de toutes les convoitises. Depuis le douzième siècle, elle
se vit souvent pillée et dévastée; plusieurs fois elle fut
détruite, par les Grandes compagnies, au quatorzième
siècle ; en 1925 par les Anabaptistes; — par les protes-
: Renseignements de M. Johann, conducteur des ponts et chaus-
-sées à Sarreguemines.
? Voyez sur Sturtzelbronn : Hertzog Edels. chron., IIT, 51;
D. Calmet, Notice, vo Sturtzelbronn, et Histoire de Lorraine :
passim. Voir aussi les deux articles publiés par M. G. Boulangé,
dans la Revue d’'Austrasie, tomes II et III, et quelques autres
notices insérées au Bulletin archéologique de la Moselle, 1858,
p. 92; 1859, p. 196; 1860, p. 108.
SE 7
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 205
tants d'Allemagne lors des guerres de la réforme, enfin
en 1633 par les Suédois. — Inhabitée pendant de longues
années, elle fut reconstruite par ses abbés commendataires
Fournier. et Mahuet au commencement du siècle dernier,
et était riche et florissante au moment de la Révolution.
Vendus comme biens nationaux, l’église du monastère
et les bâtiments claustraux furent démolis par spéculation.
De toute l’ancienne splendeur de Sturtzelbronn, il ne reste
plus qu’une chapelle devenue l’église du village et quel-
ques pans de murs écroulés, — tristes débris, ruines
prosaïques et vulgaires, au milieu d’une vallée pittoresque
et charmante.
VAL.
TROUSCH.
J'ai parlé de l’ancien village de Trousch ou Trusch qui
était situé entre les communes de Rolbing, Riedelberg,
Breidenbach et Schweyen. — Les habilants du pays pré-
tendent qu’un couvent de femmes a existé sur le même
ban, à l’angle est du bois dit le Gross-Wald, au lieu où
l'on voit encore aujourd’hui une petite chapelle. Ils at-
tribuent aux Suédois la ruine de ce petit couvent; — mais
il est bien certain que Trousch et ses religieuses avaient
disparu longtemps avant le dix-huitième siècle.
LES CHATEAUX.
I.
Jusqu'à présent, jene me suis occupé que des villages ou
des fondations religieuses ; le comté de Bitche renferme
encore d’autres ruines moins humbles par leur origine,
plus fameuses par leur destinée, mais presque aussi ef-
facées : celles des châteaux qui couronnaient les mon-
206 : SÉANCE PUBLIQUE.
tagnes, des forteresses à l'ombre desquelles se sont élevés
les villages. Sauf Waldeck et Falkenstein qui existent en-
core en partie, ces ruines n'offrent au voyageur désap-
pointé que quelques pierres en de mousse, un
souvenir, un nom.
Fidèle à mon plan, je ne dirai de leur histoire que ce
qui sera indispensable pour reconnaître leur identité.
IT.
De ces châteaux, les uns sont situés dans la partie
découverte du pays, à l’entrée de la grande forêt des
Vosges : ils défendaient les voies de communication qui
sillonnaicnt le comté de Bitche. Ainsi Lotthringen s’éle-
vait à la jonction des routes de Gemünd' et de Castres”,
près de Rimling; — Epping, Weiskirch, Eschweiler do-
mipaient la vallée du Schwolb; — Rahling et Lemberg
commandaient les chemins qui conduisent en Alsace. Îls
remontaient sans doute aux premiers âges de la féodalité ;
peut-être avaient-ils été bâtis sur les ruines des camps ou
des forts dont les Romains avaient jalonné leurs voies
militaires. — Constructions lourdes, massives et sombres,
ces forteresses servaient, sous les faibles successeurs de
Charlemagne, de demeures, j'allais dire de repaires, à de
petits seigneurs, aujourd’hui OUDHÉES qui tyrannisaient le
pays:
À la fin du onzième “eh les comtes d’Alsace, depuis
ducs de Lorraine, devinrent les souverains héréditaires
de cette baronnie et les suzerains de tous ces pelits.
seigneurs. À cette époque, une révolution se fit dans l'art
de la guerre: partout les tours hautes et élancées sur la
cime des rocs remplacèrent les vieux donjons et Îles
épaisses masses de pierre en rase campagne. — D'un
1: Sarreguemines.
? Bliescastel.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 207
autre côté, la civilisation avait pénétré plus avant dans
les montagnes et les forêts du pays de Bitche. La vallée
d'Egelshard, celle de Sturtzelbronn, mieux connues, étaient
devenues les voies nouvelles des communications avec
l'Alsace ; la ligne de défense se déplaça et se porta plus
avant vers les sommets des Vosges. Le château de Bitche
fut reconstruit; Falkenstein, Waldeck, Arnsperg, Rams-
tein s’élevèrent, et leur masse élégante ‘ et solide nous
a transmis ses débris à travers les âges.
Quelques-uns de ces châteaux sont situés hors des li-
mites actuelles de l'arrondissement de Sarreguemines,
mais tout près de sa frontière ; J'ai cru devoir en faire
mention, les uns parce qu’ils étaient compris dans les
anciennes limites de la baronnie, les autres parce qu’ils
ont appartenu aux comtes de Deux- Ponts, en leur qua-
lité de sires de Bitche *.
UE.
ARNSBERG (LE GRAND).
Le château d’Arnsberg ou Arnsperg était situé sur le
terriloire dela commune de Bærenthal, à l'extrême pointe
sud-est de l'arrondissement, et au sommet d’une mon-
tagne dont la pente domine la vallée de Zinzel. La carte
de l’état-major le désigne sous le nom de Chäleau ruiné:.
Deux familles d’Alsace ont porté le nom de ce château“:
* Alexis Monteil, Histoire des Français de divers États, les
Grands châteaux, 1, ép. XIX. — Guizot, Histoire de la civilisa-
tion, III, 122.
? Ce sont: Arnsperg (le petit), — Blumenstein, — Hohenfels, —
Lützelhart, — Schœneck.
3 F. 54.
4 Hertzog, Edels. chron., III, 52.
208 SÉANCE PUBLIQUE.
La maison d'Arnsperg, éleinte vers le quatorzième
siècle” ; et la maison Fessler d’Arnsperg, éteinte en 1544.
Jean et Philippe, comtes d'Œttingen, landgraves d’Al-
sace, vendirent, en 133%, à Louis et Jean, sires de Lich-
temberg, et à Hermann, leur cousin, — Arnsperg et ses
dépendances, ainsi que Niederbronn et Brumath *.
Les sires de Lichtemberg donnèrent le château d’Arns-
perg en arrière-fief aux sires de Utiweiler, en 1358 4.
À l'extinction de la maison de Lichtemberg (1480), le
comte Simon Wecker Jde Deux-Ponts-Bitche et le comte
de Hanau se pariagèrent les seigneuries qu’elle avait
possédées. Le château d’Arnsperg demeura en commun
avec Lichtemberg et Wiustein *
Arnsperg, mentionné dans les lettres d’investiture don-
nées aux sires de Lichtemberg par les empereurs d’Alle-
magne, de 1405 à 4480°, figure encore, bien que ruiné,
dans les lettres patentes accordées en 1717 au comte de
. Hanau par le roi Louis XV, comme fief FépeRUent de la
baronnie de Lichtemberg 7.
* Hertzog, VI, 152.
2 Id., id. 169.
3 Id, II, 24. — Schæpflin, Als. illust., II, 232.
4 Schæpflin, Ale. illust., II, 675.
a Gôtz, Fridericus, Nicolaus, Otto et Heyckelmannus de Uttweiler
Arnspergensium nobilium in feudis quæ ab imperio tenebant à
Carolo IV. Imp. an 1358 designati sunt. » C’est évidemment par
erreur que Hertzog (VI, 210) indique à cet acte la date de 1458.
5 Schœpflin, Als. illust., II, 2384, note H.
6 Les lettres patentes données en 1405 par l’empereur Rupert à
Louis, sire de Lichtemberg, ne parlent que de la moitié d’Arnsperg.
Il en est de même des lettres patentes de 1717. Toutes les autres
patentes impériales disent simplement Arnsperg.
7 Als. dipiom., MDLI.
= OR ie me me que
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 209
IV.
ARNSBERG (LE PETIT).
Situé au nord et tout près d’Obersteinbach (Bas-Rhin),
entre Lutzelhart et Wasenstein ‘, le petit Arnsberg occu-
pait l'extrémité d’un grand rocher, dont la pointe avancée
« s'élève à plus de #30 pieds* ». |
Il appartint d’abord à la noble famille de Wasichenstein.
En 1335 *, les gardiens de la paix publique enlevérent
de force le château d’Arnsperg à Cuno de Wasichenstein,
pour le punir d’avoir rompu la paix.
Arnsperg fut un long sujet de discordes entre les sires
d’Ochsenstein et l’abbaye de Wissembourg. Plus tard, il
appartint aux comtes de Deux-Ponts-Bitche, héritiers de
la baronnie d’Ochsenstein *.
Lors du partage de la succession de Bitche, en 1606,
le duc de Lorraine, Charles III, abandonna au comte de
Hanau-Lichtemberg, les ruines du petit Arnsperg *.
V.
BITCHE-LE-VIEUX.
« Bitche-le-Vieux, dit D. Calmet®, est un château ruiné
» proche de Limberg 7. »
! Carte de Cassini, f. Landau.
* Schweighœuser, Antiq. de l’Alsace, Bas-Rhin, pl. 38, p. 165.
3 Schæpflin, Als. illust., II, 232.
4 Le dernier sire d'Ochsenstein est mort en 1485.
5 Schæpflin, Als. illust., IL, 176, 232. « ….. duabus vetustis ac
» jacentibus ædibus parvæ Arneperg et Lützelhard renunciat... »
6 Notice de Lorraine. Liste des villes.
7 Lemberg, près Bitche. Ce village ne doit pas être confondu avec
Lemberg, près de Pirmasens (Bavière), ancien fief des comtes de
Deux-Ponts et fréquamment cité dans l’histoire de la Lorraine.
27
910 SÉANCE PUBLIQUE.
» [l y a près de Lemberg les ruines d’un ancien châ-
» teau appelé Bitche-le-Vieux », ajoute Durival*.
Au nord-ouest de Lemberg, en effet, sur une hauteur
nommée le Schloss-Berg”, se voyaient encore il y a un
siècle « trois mazures d’un château qui se nommait All-
» Schloss. Il y a encore partie d’un fossé qui l’environnait;
» l’autre partie est applanie par le labourage. » Les débris
occupaient un espace d'environ 30 mètres sur 40.
On ne sait rien de plus de l’histoire de ce château.
En 1297-1309, le comte Eberhard de Deux-Ponts acquit,
par voie d'échange, du duc de Lorraine Ferry IIE, la sei-
gneurie de Bitche qu'avait possédée Rainald de Lorraine,
comte de Castres, mort en 1274, et le château fameux
depuis longtemps « ubi comes de Castris residere solebat.? »
Suivant une tradition rapportée par M. de Bombelles”,
le comte Eberhard, aussitôt après celte acquisition, vint
s'établir dans son nouveau domaine. « Le comte, ajoute
s M. de Bombelles, qui aimait passionnément la chasse,
» trouva la solitude de la montagne du bassin de Bitche
» si convenable à son goût, qu’il y fit bâtir le château
> qui existail encore au dix-septième siècle. »
Le château primitif de Biche, Bytis castrum*, la ré-
sidence du comte Raynald, ne s’élevait donc pas sur la
montagne que couronne aujourd’hui le fort de Bitche.
Dom Calmet® et l’Inventaire de Lorraine? disent tous
‘ La Lorraine, III, 299.
* Atlas de Bitche, f. 199.
Schlossberg, montagne du château; Alt-Schloss, vieux château.
3 Kremer, Ardenn. gesch., II, 154. Permutatio inter Eberhar-
dum comitem, etc.
4 Mémoire sur le comté de Bitche.
$ Als. diplom., CCCIX. — Ch. abb. de Neuburg, ao 1172.
ô Notice de Lorraine, vo Lichtemberg.
7 II, 383.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 91
deux qu’en 1339, Agnès de Lichtemberg, comtesse de
Deux-Ponts et dame de Bitche, lenait en fief du duc Raoul
de Lorraine l’ancien châleau de Bitche, sur lequel Simon,
comte de Deux-Ponts, son mari, lui avait assigné 1 000
marcs d'argent de douaire ‘.
Cet ancien château, n’est-ce pas Bitche-le-Vieux ? — La
forteresse qui domine Lemberg ne serait-elle pas le vieux
donjon qui remontait aux premiers âges de la féodalité
et dont le nom et l’antique renommée furent absorbés
par le château plus moderne de Bitche actuel” ?
VI.
_BLUMENSTEIN.
Les ruines de ce château se trouvent dans le duché de
Deux-Ponts, un peu au sud du village de Gebüg, tout
prés de la frontière française actuelle °.
Il paraît avoir été un arrière-fief du château de Lin-
delbronn, propriété des comtes de Deux-Ponts, puis des
sires de Bitchef,
En 1347 *, Anselm de Blumenstein, avec le consente-
ment du comte Walram de Deux-Ponts, transmit sa part
* Kremer, Ard. gesch., Il, 159, rapporte le texte des letires de
douaire de 1334. Ces lettres disent simplement : « Uff unsere Burg
» zu Bitsche », sur notre château de Bitche. L'expression vieux
château paraît empruntée aux reprises de 1339.
* L'Atlas de la haute et basse Allemagne, de Tassin (1633, f. 39),
place Bitsch au lieu occupé par Lembeïrg, et Kaltenhausen au lieu
où se trouve aujourd’hui Bitche; mais cet Atlas n’est pas un argu-
ment...
3 Cassini, f. Landau.
4 Lindelbronn, canton d’Annweiler (Bavière rhénane). Au quin-
zième siècle cette forteresse appartenait en commun aux comtes de
Deux-Ponts-Bitche et de Leiningen.
$ Hertzog, Edels. chron., NI, 246, vo Fleckenstein.
919 SÉANCE PUBLIQUE.
de Blumenstein au sire Henri de Fleckenstein, pour le
cas où il mourrait sans enfants. Plus tard, l’église de
Wissembourg et les sires de Lichtemberg eurent aussi:
des parts dans ce château qui finit par appartenir en
entier aux barons de Fleckenstein.
Blumenstein était déjà en ruines au seizième siècle ; —
Hertzog' l’appelle : « Ein zerbrochen Haûs », un château
détruit.
VIE.
EPPING.
« On y voit, dit Durival?, les vestiges d’un vieux chä-
x teau et d’une tour forte. »
Aujourd’hui ces ruines elles-mêmes ont disparu. Ce-
pendant sur le ban du village, au canton nommé Burg
(la forteresse), on trouve, sous le sol, des briques, des
restes de voûtes; on y a même rencontré des fragments
de statues grossièrement sculptées.
Cet emplacement est situé entre Epping et Uttweiler
(Bavière), sur un plateau élevé que traversait jadis une
route se dirigeant du nord au sud, et à laquelle la tra-
dition donne le nom de Kænigs-strasse®.
Il n’y a jamais eu de sires d’'Epping ; ce château ne
serait-il pas le donjon des vieux sires de Uttweiler, qui
héritèrent, comme nous l’avons vu, du grand Arns-
berg *? |
‘ Hertzog, IIT, 58. — Schæpflin, Als. illust., IT, 274.
? La Lorraine, IIX, 127.
* La Kônigs-strasse reliait probablement Deux-Ponts à la grande
voie de Gemünd à Rimling et Ingwiller.
4 Uttweiler n’avait qu’une habitation moderne, mais pas de vieux
château.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 915
VIE.
ESCHWEILER.
« Il y a des ruines d’un ancien château". »
Histoire absolument inconnue. L’on rencontre des sires
d'Eckeswilre ou Ecksiwilre en 1271 et 1296 *.
L’habitation moderne construite près du châleau
d'Eschweiler appartenait à M. le baron Witzthum d’Egers-
berg, mort il y a peu d'années, et dont les ancêtres
avaient hérité des biens des barons de Fleckenstein, lors
de l’extinction de cette maison au commencement du dix-
huitième siècle.
IX.
FALKENSTEIN.
Falkenstein est situé sur le territoire de la commune
de Bærenthal, au nord de Philippsbourg, au milieu de
la forêt de Waldeck. Son histoire et sa position même ont
été confondues par les géographes avec celles de plusieurs
châteaux du même nom i.
La Statistique de la Moselle * détermine ainsi sa position
géodésique :
Latitude. . . 490 00 21"
Longitude. . o 13 91
Altitude. . . 386m,9
* Durival, La Lorraine, III, 129.
ge Kremer, Ard. gesch., II, 355-383.
3 Schœpflin, Als. illust., Il, 025. Henri Jacques, dernier _—
de Fleckenstein, mourut en 1720. Sa fille, Julie-Sydonie, avait
épousé Tenace-Louis de Vitzthum d’Egersberg.
4 Il y a Falkenstein en Luxembourg, Falkeinstein sur le Taunus,
Falkenstein du Donnersberg, etc. C’est ce dernier qui paraît avoir
absorbé l’histoire des autres.
$ Chastellux, I, p. 26.
914 SÉANCE PUBLIQUE.
Construit au sommet d’une roche conique, à demi
caché par les grands arbres de la forêt, Falkenstein
présente encore des ruines imposantes. — De larges
fossés creusés dans le roc, des souterrains, de hautes
murailles couronnées d’une plate-forme d’où l’on jouit
d’un point de vue magnifique, tels sont les restes du vieux
donjon que Hertzog ‘ croit être le berceau de l’ancienne
et illustre maison de Falkenstein.
L'histoire de Falkenstein est à peu près inconnue.
L'on croit en rencontrer la première mention en 1128”.
Jacob et Henri, chevaliers de Falkenstein, sont nommés
dans des chartes de 1316 et 1417 *.
Le château fut assiégé et pris dans le cours de ce même
quatorzième siècle par Louis et Sigmond de Lichtemberg,
en guerre avec [lesse de Falkenstein f.
Vers 1560, Balthasar de Falkenstein , le dernier de son
nom *, vendit le château, les bois environnants et tout ce
qui en dépendait à Philippe, comte de Hanau-Lichtem-
berg, et à Jacob, comte de Deux-Ponts, sire de Bitche,
de Lichtemberg et d’Ochsenstein. — L’on croit que peu
d'années après celte vente, en 1566, Faïlkenstein fut in-
cendié par la foudre.
X.
GENTERSBERG.
Gentersberg ou Guendersberg est aujourd’hui une
ferme siluée sur le territoire de la commune de Îlan-
‘ Edels. chron., IIT, 50, 58; VI, 242.
* Schœpflin, Als, illust., II, 232.
8 Ibid. — Kremer, Ard. gesch., Il, M3.
& Hertzog, V, 8.
$ Balthasar de Falkenstein mourut en 1583.
6 Creutzer, Statistique du canton de Bitche, p. 137.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 915
willer. Ses bâtiments sont d’une assez grande étendue et
semblent avoir été construils au commencement du siècle
dernier. Ils occupent l'emplacement d’un château féodal
qui existait dans les premières années du quinzième
siècle, — et leurs caves renferment encore d'énormes
piliers et des arcades ogivales qui appartiennent à la
construction primitive.
Le château de Gentersberg a été possédé par des bâ-
tards de l’un des sires de Bitche (probablement du comte
Hanneman IP; ils en ont pris le nom, et l’on rencontre
les Bitsch, dits Gentersberg, depuis 1445 jusqu’à la fin
du seizième siècle. À celte époque ils étaient seigneurs
de Weidesheim ?.
En 1577, le président Alix parle du château et de la
cense de (rentersberg , dans la forêt du même nom, entre
les villages de Hanwiller, Lengelsheim et Breidenbach.
Après l’extinction de la maison de Deux-Ponts-Bitche,
les ducs de Lorraine disposèrent du fief de Gentersberg.
En 1620 *, le duc Henri donna la cense, sous condition
de rachat, pour 4000 florins, à Louis de Carelle, gentil-
homme de sa chambre, lieutenant du gouverneur de
Bitche. Il n’est fait aucune mention du château qui semble
avoir élé détruit antérieurement à celle date.
XL.-
HANWILLER.
« Sur le ban de Hanwiller et sur la côte sud-ouest de
» ce village“ existe l'emplacement d’un ancien château,
' Renseignements de M. Desgranges, agent voyer en chef de
l'arrondissement.
? Schultz, Der Bliesgau, 78.— Kremer, Ardenn. gesch., II, 147.
—Humbracht, Rheinisch À del, vis Enschringen et Mauchenheimer.
3 Invent. de Lorraine, II, 463, 465.
4 Atlas de Bitche, f. 71.
916 SÉANCE PUBLIQUE.
» entouré de fossés creusés dans le roc et dont les ves-
» tiges sont très-peu reconnaissables. »
Quelque douteuse que soit cette indication, j'ai cru
devoir la relever. — Il est très-possible que jamais châ-
teau n'ait existé sur ce point, et que les vestiges cons-
tatés par les auteurs de l’Atlas de Bitche ne soient que
les restes d'un camp ou d’un des nombreux ouvrages de
défense élevés pendant les guerres du dix-septième et du
dix-huitième siècles".
XIE.
HASPELSCHEIDT,
À 4 kilomètres au nord-est de Bitche et à 1 500 mètres
environ au sud-ouest de Haspelscheidt est une montagne
qui porte le nom de Schloss-Berg *. La tradition se tait
complétement sur les ruines qui la couronnent et qui
sont désignées sous le nom de Alt-Schloss. Ces ruines
consistent en une vaste enceinte en pierres brutes de
800 mètres de long sur 160 de large. Le parapet qui
l'entoure à une hauteur d'environ 5 mètres et est formé
de pierres amoncelées. Aucune d'elles ne porte l’em-
preinte du ciseau.
M. Boulangé, qui a donné dans la Revue d’Austrasie *
une description détaillée du Vieux-Chäteau, croit y voir,
non pas les ruines d’un édifice, mais bien un Ring com-
plet, c’est-à-dire un retranchement des Huns d’Attila.
Voir le Mémoire du comte de Bombelles.
? Atlas de Bitche, f. 95.
3 Revue d’Austrasie, 1853, 615.
La gorge qui sépare le Schloss-Berg de la montagne de Litzelmuss
et qui défend l’escarpement méridional du Schloss se nomme encore
le Ring (Mém. sur les forêts, I, 528, 552).
t
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 217
XHE.
HOHE-WEYERSBERG.
Au sommet de la montagne du Grün-Hohe-Wevyersberg",
entre Egelshart et Mouterhausen, se voyait encore à la
fin du siècle dernier, un château avec quatre tours en
partie démolies. C’est le Hohe-Wevyersberg ou Wihers-
perg*. Il paraît avoir été bâti par Jacob, dernier comte
de Deux-Ponts-Bitche, qui s’y tenait dans le temps du
rut des cerfs.
« Le haut Wevyersberg, dit le président Alix #, est à
» un quart de lieue de Mouterhausen ; il se composait
» de quatre coins de corps de logis où se trouvaient
» quatre pavillons ou tourrions où sont quatre poëles
» avec chambres. Il a été basti en bois et terre enduit de
» chaux et se ruine de jour en jour. »
XIV.
HOHENFELS.
Hohenfeltz ou Hochenfeltz qu, dès le treizième siècle,
appartenait aux sires de Ettendorf et Hohenfels*, était un
ancien fief des sires de Bitche °,
En 13977, Jean l’ainé, sire de Lichlemberg, avec ses
‘ Atlas de Bitche, f. 149. Le sommet voisin se nomme le Dürer
hohe Weyersberg.
? Voir la carte de l'Histoire d’Alsace, de Laguille.
3 M. de Bombelles, Mémoire.
# Description de Bitche, 1571.
$ Schæpflin, Als. illust., II, 250. Friederich de Ettendorf, en
19293, datait, de son château de Hohenfels, une charte en faveur de
Rudolf de Fleckenstein.
6 Hertzog, Edels. chron., V, 135, 136.
7 Ibid., HI, 11.
918 SÉANCE PUBLIQUE.
frères Jean et Louis, Simon le jeune, comte de Deux-
Ponts-Bitche, et Bemond, sire de Ettendorf, jurèrent
une burgfriede au château de Hoheniels.
En 1408", Rheinbold de Ettendorf vendit Hohenfels à
Ilenri, sire de Fleckenstein.
En 14542, le château ruiné et le village de Dambach
passèrent aux Dürckheim qui en étaient déjà seigneurs
en partie.
Hohenfels était situé au sud-ouest du village de Dam-
bach * (Bas-Rhin); ses ruines couvrent le sommet de
plusieurs rochers qui séparent la vallée de Dambach de
celle de Philippsbourg. « Plusieurs chambres sont taillées
» dans le roc, et l’on y distingue un cachot affreux dans
» lequel on descendait les prisonniers par une ouverture
» perpendiculaire, dont Île haut parait avoir été fermé
> par un énorme couvercle de pierre à. »
XV.
LOTTHRINGEN.
« Sur la montagne plus prochaine de Rumelingen
(Rimling), dit le président Alix , se voient encore les
» ruines d’un château qui y souloit être appelé Lot-
» thringen et a retenu ledit nom jusques à huy. »
« 1970. Ascensement de la place où étoit un château
» appelé Lotthringen, dit l’Inventaire de Lorraine‘, au-
» dessus du village de Rumelingen, avec les fossés et les
Y
‘ Hertzog, V, 135, 136.
? Cassini (f. Landau) place un peu à l’ouest de Hohenfels, une
autre ruine qu’il nomme Hofels. C'était probablement une des
parties du château principal.
3 Schweighæœnser, Antiquités de l'Alsace, Bas-Rhin, p. 162.
4 Description de la Lorraine.
$ Invent. de Lorraine, Il, 430, 922.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 9219
» dépendances, par Jacques, comte de Deux-Ponts, sei-
» gneur de Bitche, à Klingers-Hans, demeurant audit
» Rumling, moyennant deux chapons de rente au jour
» de la St Martin. »
L'Atlas de Bitche ne porte pas trace de ces ruines et
n'en fait pas mention.
Les chroniqueurs n’ont jamais prononcé le nom de
cetle forteresse, qui paraît remonter aux premiers âges
de la féodalité.
En 954 un grand combat fut livré près de Rimling,
et probablement sous les murs de Lotthringen, entre
Chunrad, duc et comte de Worms, fils de Werinher VI
le Salike, — et Bruno, archevêque de Cologne, qui se
disputaient la Lorraine. Chunrad fut complétement
vaincu.
Le château de Lotthringen se trouvait à l'extrémité sud-
ouest du village de Rimling, dans la direction de Rohr-
bach, au lieu dit aujourd’hui le Schlossberg, et d’où l’on
jouit d’une vue magnifique. — Le terrain qu'il avait
occupé a été vendu pendant la Révolution; les débris qui
s’y trouvaient furent enlevés, servirent de matériaux, et
le sol, nivelé, a été rendu à la culture.
XVE.
ds LUTZELHARD.
+
Lutzelhard était situé prés de la route de Bitche à
Wissembourg, dans le département actuel du Bas-Rhin.
Des restes d’une tour élevée et d’autres édifices consi-
dérables couronnent un rocher escarpé haut de près de
30 mètres, et long d'environ 100 mètres. — On monte
à la tour par une porte et une galerie taillées dans le
‘ Reginon, Chron. ad ann., 954. — Croll, Orig. bip., I, 19, 113.
290 SÉANCE PUBLIQUE.
roc; du côté de l’est, un mur parallèle au roc est sou-
tenu par des contre-forts très-saillants'.
Lutzelhard appartenait, dans l’origine, aux sires de
Wasselnheim, qui, en 1363, le vendirent à Henri de
Fleckenstein*.
Plus tard, il appartint aux sires de Bitche, et ses ruines
passérent, en 1606, au comte de Hanau, avec celles du
petit Arnsberg.
XVIL.
MOUTERHAUSEN.
Le château de Mouterhausen a été bâti en 1505, par
le comte Jacob de Deux-Ponts-Bitche, dans la vallée, sur
le bord du ruisseau f.
« La maison de Moderhauz, dit le président Alix’,
consistait en belles grandes cuisines et poëles au
nombre de neuf, accompagnés, pour la plupart, de
leur chambre et cabinet. Gette maison de plaisir, bâtie
au milieu d’un étang à truites, se ruinera de bref
si elle n’est mieux entretenue. » |
Une partie des ruines existe encore au milieu d'un
marais qui a remplacé l'étang.
Sur le sommet de la montagne qui domine Mouter-
hausen, à l’ouest, se voyaient également les ruines d’une
Jœgerhaus (maison de chasseur).
SO VV VS VV
* Creutzer, Statistique du canton de Bitche, p. 146. :
? Hertzog, Edels. chron., NI, 212. — Schæpflin, II, 675. Il
donne la date de 1373.
3 Vide suprà, Arnsperg (le petit).
4 Atlas de Bitche, f. 164. — M. de Bombelles,
$ Description de Bitche.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 291
XVIIL.
PHILIPPSBOURG.
« Philippsbourg, dit Hertzog', est une belle maison
» de plaisir et de chasse, avec jardins et élang, qui a êté
» bâtie par le comte Philippe III de Hanau, sire de Lich-
» temberg l’aîné, et qui a reçu son nom. » |
Le comte Philippe vécut de 1514 à 1590°.
Lors du partage de 1606, le duc de Lorraine renonça,
en faveur du comte de Hanau, à la propriété de Philipps-
bourg. |
Les ruines de cette habitation existent encore aujJour-
d’hui; les murs du jardin sont à demi-écroulés et l’élang
s’est changé en tourbière.…
XIX.
RAHLING.
Au milieu du village de Rahling, et sur la rive gauche
du ruisseau, se voient les ruines du château qui, bien
qu’abandonné, existail encore au siècle dernier‘.
« Le château, construit en 1119, suivant l’époque qui
» se trouve dans la chapelle (castrale), est à quatre faces
» de trois perches dix pieds de face, et d'une perche
» vingt-et-un pieds de côté, hors d'œuvre. — Sur l’es-
» carpe du fossé est un mur d'enceinte percé de cré-
> neaux, avec des guériles aux angles. L'entrée est à
» double porte; le fossé qui l’environne est de trois
* Edels. chron., III, 50.
* Hertzog, Edels. chron., V, 86.
3 Schæpflin, Als. illust., II, 232.
4 Atlas de Bitche, f. 122. Cet atlas place le château à l’estidu
village ; aujourd’hui les constructions se sont étendues de ce côté.
9929 SÉANCE PUBLIQUE.
» perches de largeur ; sa dépendance consiste en un
» petit jardin potager contre le canal du moulin, et d'un
verger derrière. Les bâtiments, appartenances et dé-
pendances, occupent 4e 8. Ce château appartient au
» domaine. »
S
XX.
RAMSTEIN.
Entre Philippsbourg et Bærenthal, sur une hauteur qui
domine ce dernier village, au nord, sont les ruines du
château de Ramstein".
Ramstein fut d’abord la propriété de la famille qui en
portait le nom.
En 1317, Wernher et Uchterus de Ramstein sont
nommés dans une charte des sires de Falkenstein”*.
En 1335, le château était en la possession d’un sire de
Falkenstein, en guerre avec la cité de Strasbourg. Les
Strasbourgeois en firent le siége, s’en emparérent, et
démolirent la forteresse. « Welches doch ein gutes
» Felsz-haus was », dit le chroniqueur. |
Au quinzième siècle, Ramstein appartenait par moitié
à la famille de Botzenheim et aux sires de Lichtemberg,
ainsi que le village de Bærenthalf.
* Cassini, f. Landau.
Ce château ne doit pas être confondu avec Ramstein près de
Scherwiller, construit en 4293 par Otto de Ochsenstein, qui passa
en 4361 aux Zorn de Bulach et fut détruit par les Strasbourgeois
en 4420. — Voir Kônigshofen, Els. chron., XVe anmerckung, 870,
880.
? Kremer, Ard. gesch., IT, 415.
3 Kônigshofen, V, 322. — Hertzog, VIT, 125.
4 SchϾpflin, Als. illust., II, 251, 271.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 993
Michel de Botzenheim vendit en 1513, à Philippe de
Ramstein, sa part du château, ainsi que le village de
Zinswiller.
Construit au sommet d’une montagne conique, sur
une plate-forme longue et extrêmement étroite, Ramstein
consistait en un donjon carré, défendu par deux Lours
placées aux extrémités du rocher. On y arrivait par un
escalier taillé dans le roc qui existe encore aujourd’hui".
XXE.
ROTHENBURG.
Le château de Rothenburg était situé sur la montagne
appelée Rothenberg ou Rodenberg, située au nord de
Falkenstein. |
Cassini” le nomme Rodenbronn ; dans le pays, il paraît
être désigné sous le nom de Roth-Schlæssel3.
Ce château remonte au neuvième siècle. Vers l’an
912, l’évêque de Strasbourg, Othbert, chassé par ses
sujets révoltés, se réfugia à Rothenburg, et peu de temps
après y fut assassiné 4.
Rothenburg appartenait en partie, — au quatorzième
siècle, — au comte Walram de Deux-Ponts qui, en 1353,
abandonna sa part à Gerhard Harnasch de Weiskirchen ‘.
En 1369, Rothenburg fut pris et détruit par les Stras-
bourgeois°.
1 Bulletin archéologique de la Moselle, 1860, p. 117.
? F. Landau. Ce château est souvent confondu avec Rothenburg
ou Rougemont (Haut-Rhin).
3 Creutzer, Statistique du canton de Bitche, p. 147.
4 Hertzog, Edels. chron., IV, 73. — Le P. Laguille, Histoire
d'Alsace, I, 150.
Schæpflin, As. illust., 11, 274. Charta in tabulario Dürckheim. :
6 Künigshoffen, Els. chron., V, 328. — Hertzog, Edels. chron.,
VIII, 127. Il donne la date de 1368.
994 | SÉANCE PUBLIQUE.
Ce château paraît avoir donné son nom à la famille
Blick de Rothenburg, qui avait plusieurs fiefs des sires
de Bitche, et qui ne s’éteignit qu’au dix-septième siécle!.
XXII.
SCHOENECK.
Situé au nord-est de Neuhoffen (Bas-Rhin), ce château
a donné son nom aux sires de Schæneck, qui s’éteignirent
vers 1468 *.
Il appartint ensuite à Jean, sire de Lichtemberg, et
après l'extinction de cette maison, en 1480, — il passa
à Simon Wecker, comte de Deux-Ponts et sire de Bitche.
Schœneck était un fief de l'évêché de Strasbourg. En
4517, le comte Reinhardt, fils de Simon Wecker, le
donna en arrière-fief à Wolff Eckbrecht de Dürckheim.
Le château était alors à demi-ruiné; il paraît avoir été
réparé de 1545 à 15473.
Le château de Schæœneck fut détruit par les Français en
1677, pendant les guerres contre la Hollandei.
XXIIT.
WALDECK.
Le château de Waldeck, souvent nommé Walleck5, —
est situé sur le territoire de la commune d’Egelshardt.
Il s'élève au sommet d’un rocher escarpé, auprès de la
* Hertzog, IV, 75; VI, 220. — Schæbpflin, II, 171, 665.
? IJbid., ÆEdels. chron., III, 54; VI, 265.
3 Creutzer, p. 148. — Schœpflin, II, 249, 704.
4 Baquol, Alsace ancienne et moderne, vo Niederbronn. « Et
» tous les manoirs des Vosges, » ajoute l’auteur.
5 Schæpflin, III, 274; Notice de Lorraine, vo Waldeck.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 295
vallée d’Erbsenthal. Au siècle dernier on voyait encore
« deux tours entières de 80 pieds de haut, une citerne
» et des logements dans le roc'. » Aujourd’hui il ne
reste plus qu’une seule de ces tours.
En 1316°, Waldeck appartenait à Jean et Conrad,
sires de Kirkel, de la maison de Saarwerden.
En 1337-1338, Berthold de Buscheck, évêque de
Strasbourg, était en lutte avec le chapitre de sa cathé-
drale au sujet de la place de prévôt (dom-probst) que le
chanoine Jean de Lichitemberg disputait au neveu de
l’évêque, Ulrich de Signaw. Une nuit, Jean de Lichtemberg
et Conrad de Kirkel, custor de la cathédrale, firent en-
vahir la demeure de l’évêque, à Haslach, — enlevérent
le prélat et le conduisirent d’abord à Waldeck, puis à
Kirkel, où il fut jeté dans un cachot, détenu pendant
seize semaines et mis à rançon.
Les sires de Kirkel s’étcignirent en 1387; leurs fiefs
passérent aux électeurs palatins qui les partagérent en
1398, avec le comte Simon Wecker de Deux-Ponts-
Bitchei.
En 1592°, Waldeck était en la possession des comtes
de Hanau.
La Statistique de la Moselle détermine ainsi la pESon
géodésique de Waldeck :
Latitude. . . . 49° 01! 05"
Longitude. . . 5 11 98
Altitude. . . . 367m,9
‘ Notice de Lorraine, vo Waldeck.
? Mémoire sur les forêts de Bitche, IX, 611.
? Kônigshofen, Els. chron., VI, 259. — Hertzog, Edels. chron.,
VI, 475.
4 Schultz, Der Bliesgau, 53.
* Hertzog, II, 50.
tO
OS
(pr)
SÉANCE PUBLIQUE.
XXIV.
WALSCHBRONN.
« Tout proche du village de Walschbronn!' et sur une
» petite colline, souloit être un château d’assez bonne
» apparence, bâti puis cinquante ou soixante ans en ça,
» par feu le comte Georges, frère du comte Jacques der-
» nier, et n’y reste pour ce Jourd'huy que les tours et
» murailles avec un corps de logis qui sont de bonnes
» pierres de taille, ledit comte Jacques l’a laissé ruiner,
> et n’y a qu'un an ou environ, les sieurs d’Offracourt et
» Receveur de Bitche ont fait vendre partie du bois qui
> se pourrissoit. »
Ces lignes, extraites d’une pièce ayant un caractère
authentique, sont à peu près conformes à ce qu’écrivait
à la même époque le président Alix°: « Sur une petite
» colline contigue à Walsbron restent les tours et mu-
» railles d’un chasteau de bonne apparence basti depuis
» 60 ou 70 ans en ça, par feu le comte Jacques dernier,
» lequel l’a laissé ruiner. »
Ailleurs, le président Alix appelle ce château Walsburg.
M. de Bombelles, reproduisant la première version, at-
tribue la construction du château « au comte Georges,
» frère cadet du comte Jacques, qui avait la seigneurie
» de Walschbronn dans son apanage *. »
Ces indications de l’origine du château de Walschbronn
me semblent également erronées.
Le comte Jacob, dernier sire de Bitche, né en 1510,
mort en 1570, ne pouvait avoir bâti un château soixante
* Extrait de la Déclaration des mairies, etc., de la terre et
seigneurie de Bitche, 18 juin 1577.
? Description de Bitche.
3 Mémoires.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 927
ou soixante-dix ans avant l’époque à laquelle écrivait le
président Alix (1577); les mêmes motifs s’opposent plus
encore à ce que le comte Georges, frère cadet du comte
Jacques, puisse être regardé comme le fondateur de Wals-
chbronn *.
Dom Calmet * rapporte que ce château a été bâti en
1490. Je crois cette assertion assez près de la vérité.
Le château de Walschbronn ne fut jamais achevé et ne
tarda pas à tomber en ruines. Il en reste encore aujour-
d’hui quelques pans de murailles et les débris d’une forte
tour carrée encore intacte au siècle dernier ? et dont le
comte de Bombelles aurait voulu faire un poste mili-
taire. |
La célébre source de pétrole de Walschbronn coulait
au pied du château.
XXV.
WEIDESHEINM.
Tout au commencement du seizième siècle, le château
de Weidesheim appartenait à la famille de Bitsch dite
Gentersberg, qui descendait de bâtards des sires de Bitche.
Les Gentersberg le possédaient encore en 1574. Il passa
ensuite à la maison de Betendorf. — Jean Wilhelm de
Betendorf le reprit, en 1606, du duc Henri de Lorraine,
après l'extinction de la maison de Deux-Ponts-Bitche “.
Le vieux château ruiné a été remplacé à la fin du dix-
huitième siècle, par une habitation moderne.
' Je n’ai nulle part trouvé mention de l'existence de ce comte
Georges.
? Notice de Lorraine, vo Walschbronn.
? Atlas de Bitche, f. 44.
À Invent. de Lorraine, Il, 423, 463, 465.
9298 SÉANCE PUBLIQUE.
-XXVL.
WEISKIR CH.
Ce château appartenait en 1323, à Gerhard Harnasch
de Weiskirch!. En 1353 * Gerhard Harnasch de Weis-
kirch, probablement fils du précédent, céda la moitié de
son donjon au comte Walram de Deux-Ponts, en échange
d'une part dans le château de Rothenburg et dans la
grande forteresse de Drachenfels * qui était alors en Burg-
friede.
Weiskirch passa bientôt aux mains des sires de Bitche,
el fut vendu, en 1498, par le comte Simon Wecker, à
Alheim et Hertwig Eckbrecht de Dürckheim, sous réserve
d'hommage f.
Les familles Esch et Eckbrecht de Dürckheim se par-
tagèrent plus tard cette seigneurie qui, au dix-septième
siècle, appartenait au chancelier de Deux-Ponts, Henri
Schwebel *.
On ne sait plus dans le pays, quand a disparu Île vieux
château; un petit monticule, autrefois entouré de fossés
et aujourd'hui encore bien visible, est tout ce qui reste
de l’ancienne forteresse des Harnasch de Weïiskirch.
» Croll, Orig. bip., 11, 313.
? Ibid.
$ Le Drachenfels, célèbre forteresse au delà de la Lauter, dé-
truite par les Strasbourgeois en 1335, en même temps que Rothen-
burg, et dont les ruines furent vendues en 1344 au comte Walram
de Deux-Ponts. |
4 Schœpffin, Als. illust, II, 251.
$ Notice de Lorraine, vo Weiskirch. — Schæpfflin, II, 251,
note H. — Invent. de Lorraine, Il, 99.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 229
XX VIL.
Qui a fait ces ruines? — A quelle époque ces châteaux
se sont-ils écroulés? — Nul ne peut le dire d’une manière
précise. Bien des causes successives, la marche des évé-
nements, l’action du temps, la main des hommes ont
amené la destruction de ces antiques manoirs. — Les
uns, vieilles forteresses de la grande époque féodale,
furent abandonnés par leurs propriétaires; ils ne répon-
daient plus aux besoins de leur temps à raison soit de
leur situation, soit de leur mode de construction. Tel dut
être le sort de Lotihringen et du Vieux-Bitche.— D’autres,
ont violemment péri, pris d'assaut, démantelés, rebâtis,
puis détruits encore: ainsi Ramstein et Rothenburg. —
D’auires, peut-être, ont été renversés, lorsqu’en 1356
« fust le grant crollement à Mets et à Baisle et cheurent
» bien septante huit forteresses au long du Rin'. » —
Quelques-uns ont succombé sous les seuls efforts du
temps. L’extinclion de la maison de Peux-Ponts-Bitche,
l'éloignement des comtes de Hanau, la non-résidence des
ducs de Lorraine, nouveaux seigneurs directs, amenèrent
l'abandon et la ruine de Hohe-Wevyersbers, Mouterhau-
sen, Philippsbourg, Walschbronn, qui tombèrent de vé-
tusté. — Les derniers enfin, Schœæneck, Falkenstein peut-
être, et les châteaux des Vosges de la basse Alsace,
eurent au commencement du dix-septième siècle, la for-
tune suprême d’arrêter un instant les armées de Gustave
Adolphe et de Richelieu, — et un peu plus tard celles
de Louis XIV. ls s’écroulèrent pour ne plus se relever. Les
Suédois, en 1633; — le maréchal de la Force, en 16385 ; —
le maréchal de Créquy, en 1677, les firent démanteler et
‘ Chronique du doyen de Saint-Thiébaut, sous l’an 1356.
230 SÉANCE PUBLIQUE.
détruire. Derniers vestiges de la féodalité, ils disparurent
avec les seigneurs féodaux.
Ces exécutions militaires firent pour nos provinces ce
que l’ordonnance du 34 juillet 1626 : avail fait pour la
France : elles changèrent la destinée du pays. L'unité de
gouvernement remplaça la multiplicité des dominations;
à la puissance féodale des maisons de Bitche et de Hanau,
l’une éteinte, l’autre refoulée en Allemagne, succéda la
souveraineté désormais incontestée des ducs de Lorraine.
À partir de cette époque, plus de destructions, plus de
ruines; partout la régénération el la vie. Les sages me-
sures administratives des intendants de Louis XIV ouvrent
au comté de Bitche une ère nouvelle de prospérité. De
tous côtés la forêt se défriche , les villages s'élèvent, les
industries se créent, les routes se percent, le pays se
transforme. — Le règne semi-séculaire de Léopold et de
Stanislas va effacer les derniers vestiges d’une époque de
désolation et de misère, — et préparer l’avénement de la
France dans une province qu’elle n’a point encore pos-
sédée, et qui doit lui appartenir à jamais!
* Cette ordonnance, datée de Nantes, décida que les fortifications
des villes et châteaux inutiles à la défense des frontières et propres
à servir de retraite aux perturbateurs de la paix publique, seraient
détruites et démolies.
LES RUINES DU COMTÉ DE BITCHE. 931
TABLE.
PAGES PAGES,
AVANT-PROPOS.......... 154 Walschbronn (les bains
LES RUINES............. 157 dé) dures, à 188
LES VILLAGES........... 158 Wergesengen....,.... 191
Bedébuñ:.5.sssasss 163 Wigere-Weyer........ 191
Criegelsbach. . ..... ... 466 Wurschingen ......... 193
Durnen.:s sense 167 Wurschweiler . ....... 494
Eidenheim . .......... 167 | Qui a fait ces ruines?.... 495
Fousbach............. 168 | LES COUVENTS.......... 200
Hasselthal............ 169 Biche oams 201
HO: ue aus 170 Klosterbach........... 202
Hundenesse .......... 170 Meren:sssesse 202
Kaltenhausen......... 171 Olberding ............ 203
Kirschbach ........... 472 Pañffenthal............ 203
Lambertsbronn . ...... 474 Sturtzelbronn. ...... «. 204
Landweiler........... 474 Frouschn sense 205
Lickershoff........... 175 | LES CHATEAUX.......... 205
Méren, ss, 476 Arnsberg (le grand)... 207
Mihweiler............ 177 Arnsberg (le petit).... 209
Oldingen............, 179 Bitche-le-Vieux....... 209
Paffenhall............ 181 Blumenstein.......... 211
Parellé::.:5iute.ne 182 EppIN£. 5: 212
Remschweiler . ....... 183 Eschweiler ........... 213
Reyersberg........... 185 Falkenstein........... 213
RODT isa. 186 Gentersberg .......... 914
Smalendald........... 187 Hanwiller........,... 215
Trousch............ .. 487 | Haspelscheidt. ........ 216
Wallesss. rss 188 Hohe-Weyersberg..... A7
232
Hohenfels ........ cas DAT
Lemberg (V. Bitche-le-
Vieux).:aiedeas »
Lotthringen.......... 218
Lützelhard ........... 219
Mouterhausen ......., 220
Philippshbourg......... 221
Rahling...i:.:.s::.: 221
Ramstein............. 299
#5
SÉANCE PUBLIQUE.
Rimling(V.Lotthringen) »
Rothenburg......,... 293
Schæœneck............ 224
Waldeck............. 224
Walschbronn ......... 226
Weidesheim.......... 227
Weiskirch..... didona 228
Qui a fait ces ruines?.... 229
TJS 2
NOTICE
SUR
M. LE COLONEL GOSSELIN,
PAR M. SUSANE.
Théodore-François Gosselin, né à Rouen le 10 juin 1791,
et décédé à Metz, le 14 février 18692, fut admis en 1810
à l’École polytechnique avec le numéro 34 dans une
promotion qui comptail cent soixante-sept élus. L'année:
suivante, il passait avec le quatrième rang dans la pre-
mière division, et, au 1cr octobre 1812, le classement
résultant des examens de sortie proclamait son nom à la
tête de toute sa promotion.
C’est une grande affaire que de sortir le premier de
l'École polytechnique. De nos jours, le vainqueur dans
cette lutte glorieuse reçoit, en séance publique de l’Aca-
démie des Sciences, un exemplaire des œuvres du grand
Laplace. Son nom est répété par toutes les voix de la
presse, et dès ce moment la célébrité commence pour lui.
Dans tous les temps, les services publics qui se recrutent
à l'École se sont disputé la possession du jeune triom-
phateur, et l’ont reconnu comme porteur d’un certificat
de capacité hors ligne et d’un brevet de fortune.
Pourquoi la fortune s’est-elle montrée si avare à l’égard
de Gosselin? — C’est qu’on était en 1812.
30
234 SÉANCE PUBLIQUE.
Né dix ans plus tôt, il eût probablement parcouru une
brillante carrière militaire. — Né dix ans plus tard, il
serait certainement entré, en quittant l’École polytech-
nique, dans le corps des mines ou dans celui des ponts et
chaussées, et sa remarquable aptitude aux sciences ma-
thématiques , à une époque caractérisée par de si nom-
breux et si magnifiques travaux, l’eût sans doute fait
marcher de front avec nos plus éminents ingénieurs.
En 18192, la France était arrivée à l’apogée de sa puis-
sance ; le continent européen élait soumis et suivait pres-
que tout entier nos drapeaux. Il ne restait plus à vaincre
que linsaisissable Angleterre, et sa dernière alliée, la
Rassie. Üne armée de six cent mille hommes venait de
passer le Niémen et marchait sur Moskou. Tous les cœurs
étaient émus, dans l'attente de prodigieux événements. On
prévoyait des luttes terribles à soutenir, des difficultés
gigantesques à surmonter; mais, après cela, le triomphe
définitif et le repos d’Hercule. Des français de vingt ans
ne résistent jamais aux tentations de la gloire et du pa-
triotisme. Dans cette année 1812, celui qui allait être le
premier de l’École polytechnique et avoir le droit de
choisir avant tous ses concurrents, avail demandé à en-
trer dans l’armée. Il obéissait aux généreux entrainements
de la jeunesse, au sentiment d’un grand devoir à remplir
vis-à-vis du pays et de l’empereur; et c’est ainsi que
Gosselin manqua sa fortune, fournissant une fois de plus
la preuve que les circonstances font plus de la moitié de
la valeur apparente d’un homme.
Avant même qu’il eût rejoint l’École d'application de
Metz, son sort était décidé. La nuée imperceptible qui se
balançait à l'horizon, et qui à peine avait attiré l’attention
inquiète de quelques hommes expérimentés, était devenue
l'ouragan terrible qui, en moins d’une année, devait dé-
truire les fruits de vingt ans de victoires, et, pour un quart
NOTICE SUR M. LE COLONEL GOSSELIN. 235
de siècle, la durée de la vie d’un soldat, effacer la France
de la liste des puissances actives. Gosselin n’entrait dans
l'armée impériale que pour la voir mourir, et voir mourir
avec elle les beaux rêves d'avenir qu’un éclatant début
l'avait autorisé à caresser.
Les neiges et les fleuves glacés de la Russie avaient
fait leur affreuse besogne. Gosselin ne passa que six mois
à l’École d’application, et fut envoyé le 5 juillet 1818 au
corps d'observation de Bavière, commandé par le maré-
chal Augcreau. Le jeune lieutenant y fut chargé d’une
partie des travaux de défense entrepris pour mettre la ville
de Würtzbourg à l’abri d’un coup de main. Le 26 sep-
tembre, lant nos revers avaient fait de vides, ii fut nommé
chef du génie de la division Sémelé, et il assista en cette
qualité au combat de Naumbourg, aux quatre journées de
la bataille de Leipzig et à toutes les affaires de notre
triste retraite sur le Rhin jusqu’à la bataille de Hanau.
Pendant le long blocus de Mayence, il fut employé aux
travaux défensifs de Costheim, se trouva aux combats de
Hocheim et Costheim, et faillit mourir du typhus. Revenu
à Metz en juin 1814 avec la 2e compagnie du 1er bataillon
de mineurs, il fut bientôt dirigé’ sur Saint-Omer, où sa
compagnie entra dans la formation du 1€ régiment du
génie.
Cette opération achevée, le lieutenant Gosselin fut dé-
taché à la direction de Brest, et, le 21 septembre, il devint
chef du génie à Morlaix. Pendant la courte campagne de
4815, on l’envoya vers le général Clauzel, qui commandait
le corps d’observalion des Pyrénées et qui lui donna la
mission d'établir des lignes pour la défense de la vallée
de l’Ariége. Après Waterloo, il fut successivement attaché
aux directions de Brest et de Cherbourg, et ce fut dans
cette dernière ville que vint le trouver son brevet de ca-
pitaine, grade auquel il fut promu le 27 décembre 1816,
936 SÉANCE PUBLIQUE.
et qu’il ne devait échanger que vingt-deux plus tard
contre celui de chef de bataillon.
Gosselin était depuis le 45 juin 1819 chef du génie à
Dieppe, lorsque le colonel Brulley de Saint-Rémy, direc-
teur à Cherbourg, qui connaissait tout son mérite, le re-
demanda en 1822. Il s'agissait de rédiger sur la place de
Cherbourg et sur la défense générale du Cotentin des pro-
jets, dont les immenses travaux exécutés aujourd'hui in-
diquent l'importance. Notre confrère gagna là sa croix de
chevalier de la Légion d'honneur, qui lui fut accordée le
93 mai 1825, grâce à la chaleureuse entremise du général
Rohault de Fleury, qui, en qualité d’inspecteur général,
avait eu à examiner les projels et avait donné sa haute
approbation au travail de Gosselin.
Au commencement de 1825, le capitaine Gosselin, qui,
_ jusque-là avait trouvé une consolation-aux déceptions de
la fortune dans des emplois qui le tenaient aussi près que
possible de sa famille et de son pays d’origine, fut appelé
au commandement d’une compagnie du 8e régiment du
génie alors en garnison à Metz, dans cette ville qui allait
devenir son pays d'adoption, et où il devait, par un séjour
continu de seize ans, conquérir ce droit de bourgeoisie,
que la noble cité accorde avec tant d’empressement aux
officiers de l'artillerie et du génie.
Dès l’année suivante, et sur la demande expresse du
général Sabatier, Gosselin fut appelé à faire partie de
l'état-major de l’École d'application, et il cumula ses
fonctions journalières auprès des élèves avec celles d’ad-
joint au professeur de mécanique.
Ce professeur était alors lillustre Poncelet. Gosselin
accepla avec crainte, mais en même temps avec un vif
sentiment d’orgueil et de reconnaissance, une position
qui le signalailt comme le futur successeur de M. Poncelet,
et qui lui faisait entrevoir enfin une voie vers un avemir
NOTICE SUR M. LE COLONEL GOSSELIN. 937
digne d’un lauréat de l’École polytechnique. CeLte position
d’adjoint qu’il occupa pendant plusieurs années, loin de
le conduire au but de ses espérances, devint l’occasion
d’un des déboires les plus amers qu'il ait eus à ressentir.
Les deux armes de l'artillerie et du génie ne sont pas
toujours sœurs autant qu’elles devraient l'être. Cela tient
à ce que les limites qui séparent leurs attributions sont,
sur plusieurs points, difficiles à définir. Ayant toutes les
deux, avec une vitalité très-différente, une égale envie de
vivre, et de vivre sans être diminuées l’une au profit de
l'autre, elles dépensent queiïquelois une partie de leur
temps et de leur science à nourrir des procès de mur
mitoyen. Chargées de fournir concurremment des profes-
seurs à leur école commune, il semblerait que ce qu’elles
auraient eu toujours de plus naturel et de plus avanta-
geux à faire, eùt été de prendre, de bon accord et sans
arrière-pensée, les capacités là où elles se trouvaient,
sans regarder à l’étoffe du plastron. Il n’en avait pas
toujours été ainsi, et le ministre, en présence de difficultés
qui menaçaient de devenir sérieuses, dut procéder à leur
égard à la manière de Salomon dans un jugement célèbre.
Il partagea les cours entre les deux armes, el le cours de
mécanique, plus spécialement utile à l'artillerie, lui fut
attribué. C’est ainsi que Gosselin, déjà déçu dans sa lé-
gitime ambition de fortune militaire, vit lni échapper la
chance qui avait semblé lui être offerte d'arriver à une
notoriété scientifique dans l'exercice d’un cours qui, de-
puis trente ans, a déjà conduit deux de ses professeurs
à l’Institut.
Un dédommagement lui était dû. Il eût pu se faire
longtemps attendre si M. Français ne füt mort subitement
au commencement de 1833. Le conseil d'instruction de
l'École saisit l’occasion avec empressement, et nomma
d'office Gosselin professeur d’art militaire et de géodésie,
9238 SÉANCE PUBLIQUE.
nomination qui fut confirmée le 30 mars par le ministre.
C’est après avoir professé ce cours pendant cinq ans ;
c'est après l'avoir remanié de fond en comble et en avoir
fourni, en 1834, une rédaction qui lui valut, de la part
des présidents des Comités des deux armes, des éloges et
des vœux pour son prochain avancement, que Gosselin
fut enfin promu au grade de chef de bataillon , le 24 août
1838. |
Il conserva encore pendant près de trois ans sa posi-
tion de professeur. Nommé, le 17 février 1841, comman-
dant de l’École régimentaire du génie à Metz, il passa,
le 28 février 1843, chef du génie à Châlons-sur-Marne,
fut nommé officier de la Légion d'honneur Île 14 avril
4844 (il était chevalier depuis dix-neuf ans), lieutenant-
colonel le 28 février 1847, et chef du génie à Verdun Île
30 juillet 1848. C’est dans cette position qu'il fut admis
à faire valoir ses droits à la retraite, le 31 décembre 1849,
avec quarante et un ans de services et trois campagnes.
La fatalité avait poursuivi Gosselin jusqu’à cette der-
nière étape de sa vie militaire.
Des anciens priviléges accordés aux officiers de l’artil-
lerie et du génie, comme compensation des études dif-
ficiles et coûteuses que leur éducation exige et des
chances plus faibles d'avancement qu'’offrent des corps
où le mérite est plus uniformément répandu, un seul
restait debout. Les lieutenants-colonels n’étaient retraités
qu’à soixante ans comme les colonels, tandis que ceux de
l'infanterie et de la cavalerie l’étaient à cinquante-huit.
Cette mesure avait d’ailleurs sa justification dans la nature
des attributions dévolues au plus grand nombre des off-
ciers supérieurs des deux armes, qui occupent dans les
établissements des emplois où l'expérience et l’activité
intellectuelle rendent encore de très-utiles services, même
lorsque la vigueur corporelle a disparu. En 1849, le mi-
NOTICE SUR M. LE COLONEL GOSSELIN. 939
nistre décida un jour que tous les lieutenants-colonels de
l’armée, sans exception, seraient mis à la retraite à
cinquante-huit ans, et Gosselin, qui avait eu un instant
le droit d’espérer qu'il parviendrait au grade ambitionné
de colonel du génie, fut compris dans l’exécution d’une
mesure qui ne devait être appliquée qu’une fois, le
ministre ayant, après une nouvelle étude de la question
et par une appréciation bienveillante des droits acquis,
rapporté peu de temps après une décision qui ne devait
devenir définitivement la règle que douze ans plus tard!
Gosselin avait, et non sans motifs, un sentiment très-
vif des torts de la fortune à son égard. Ce dernier coup,
et les regrets qui accompagnent l’idée d’une existence
moins bien remplie qu’elle eût pu l'être, avaient jeté sur
ses dernières années un nuage de tristesse qui ne se
dissipait guère qu’au sein de notre Compagnie ou au
contact des officiers d'artillerie et du génie de la jeune
génération. Au milieu de ses anciens élèves, comme
parmi ses confrères, il était sûr de rencontrer des amis
sympathiques et de recueillir les marques d'estime et
d’affection qu’il méritait, et dont il avait besoin. C’est as-
surément ce besoin qui a déterminé le colonel Gosselin,
après sa mise à la retraite et lorsqu'il dut se résigner à
vivre séparé de ses fils lancés dans d’honorables carrières,
à venir achever ses jours à Metz. Il était certain de s’y
trouver en famille.
Gosselin était arrivé à Metz en 1895, l’année même de
la création de ces cours industriels qui ont eu une in-
fluence si considérable sur le développement intellectuel
de ce pays, et qui l'ont placé pour longtemps à un niveau
qui n’est pas ordinaire dans les provinces, même dans le
rayonnement des villes de premier ordre. Ces cours
avaient été organisés sous le patronage libéral de l’Aca-
démie, et ils ont fourni leur uule carrière, grâce au
940 SÉANCE PUBLIQUE.
talent et au dévouement désintéressé d’un grand nombre
des membres qui la composaient. L'Académie désirait
par-dessus tout alors attirer dans son sein des hommes
capables de continuer son œuvre de prédilection, et son
attention ne devait pas tarder à se fixer sur Gosselin.
Notre regretté confrère, en dehors des travaux officiels
dont il avait été chargé, s’était déjà fait connaître par
une notice sur le pont-levis de M. Derché, qui avait eu
les honneurs de l'insertion dans le Mémorial de l'officier
du Génie. Avant celte notice, l’emploi du pont-levis
Derché était impraticable. Il avait répondu, en 1826, à
une question mise au concours par le Comité des forti-
fications, par un mémoire sur le tracé graphique et
pratique des tranchées dans les attaques des places, qui
obtint le prix, une médaille d’or de la valeur de 600 fr.,
et dont l’importance parut si grande à cette époque, que
le ministre décida que le travail de Gosselin demeurerait
secret. Il n’a été imprimé dans le Mémorial qu’en 1844.
L'année suivante, M. Poncelet, dont Gosselin était
l’adjoint à l'École d'application, le chargea de rédiger. les
leçons de mécanique industrielle professées par lui à
l'hôtel de ville. Cette rédaction, claire et substantielle,
dont la publication par voie de lithographie commença
en 1828, fut considérée par l’Académie comme un très-
grand service rendu à sa noble entreprise, et elle appela
Gosselin, dans celte même année 1898, à prendre place
dans les rangs de ses membres. Îl ne tarda pas à faire
partie du bureau et, quatre ans plus tard, en 1839, il
était déjà appelé à l’insigne honneur de la présidence.
Nous pouvons tous rendre témoignage que jamais notre
Compagnie ne compta dans son sein un membre plus
assidu, plus dévoué, plus disposé que lui à accepter les
missions, souvent délicates et fastidieuses, de rendre
comple à ses confrères, dans des rapports consciencieu-
NOTICE SUR M. LE COLONEL GOSSELIN. 941
sement étudiés, des mémoires et ouvrages relalifs aux
sciences mathématiques et industrielles, qui sont jour-
nellement soumis au jugement de l’Académie. Plusieurs
de ces rapports ont été pour Gosselin l’occasion de tra-
vaux considérables, et ont abouti à de nouveaux mémoires
résumant, pour l’époque où 1l écrivait, l’état de quelques
questions scientifiques importantes.
Je n’entreprendrai point d'analyser le dossier considé-
rable dont le colonel Gosselin a enrichi pendant trente
ans les archives de l’Académie. Il suffira, pour rappeler
l’étendue de ses services et la variété de ses connais-
sances, de citer les principales œuvres qu’il a laissées :
1829. Rapport et Mémoire sur un projet de bateau à
vapeur présenté à l’Académie par le chef de bataillon
en retraite Landormy. Ce Mémoire était, à l’époque
où il fut donné, l’un des plus complets qui existât
sur la matière.
1830. Rapport sur un moteur tournant sous l’eau.
1831. Considérations sur le lancement des projectiles
trés-lourds; travail plein de recherches curieuses sur
les effets des anciennes machines comparés à ceux de
l'artillerie moderne.
1832. Mémoire sur les scieries.
1832. Rapport sur l’établissement des roues à la Poncelet.
1832. Rapport sur les cours industriels de Metz.
1833. Rapport sur une machine à battre les grains.
1834. Cours d’art militaire et de géodésie à l’usage des
élèves de l’École d'application de l'artillerie et du
génie.
Cet ouvrage, approuvé comme on Fa dit plus haut
par les Comités des deux armes, élait accompagné de
Leçons sur l’usage et la vérification des instruments
de lever et de nivellement.
31
949 SÉANCE PUBLIQUE.
1834-35-36. Rapports sur les travaux annuels de l’Aca-
démie de Metz.
1837. Mémoire sur la pratique de la gnomonique ; tra-
vail de la plus grande utilité pour le service des
troupes dans les camps, et présenté sous un point de
vue aussi simple que nouveau.
1839. Notice sur un appareil inventé par M. de Saulcy
père, pour lire, à toute heure du Jour, le temps
moyen ou le temps vrai sur un cadran solaire quel-
conque.
1853. Notice sur le mouvement de rotation de la terre ;
mémoire astronomique et philosophique inspiré par
la belle expérience exécutée, en 1851, au Panthéon,
par M. Foucault.
1857. Considérations sur les effets souterrains de la
poudre, œuvre de prédilection de l’auteur, son adieu
au corps du génie.
1858. Nouvel examen sur la densité moyenne de la terre.
Reprenant le problème autrefois traité par Cavendish,
Gosselin arrive à une densité moyenne notablement
supérieure à celle trouvée par le physicien anglais,
et concordant, à deux centièmes prés, avec celle qui
aurait été déterminée par Bailly, si l’on s’en rapporte
aux souvenirs de Beudant.
L’esquisse que je viens de tracer de la vie et des tra-
vaux de Gosselin semblerait à tout le monde incomplète,
si je n’ajoutais pas que, malgré les mauvaises chances
qui l’ont poursuivi toute sa vie et malgré la gravité de
ses études, notre confrère était naturellement gai et
plaisant, avec bonhomie, sans prétention, quand il se
trouvait dans un milieu à sa convenance. Mathématicien
d’instinct et d'esprit, il lui arrivait — pourquoi ne pas
le rappeler? ce léger travers ne se rencontre-t-il pas chez
NOTICE SUR M. LE COLONEL GOSSELIN. 9243
presque tous les hommes adonnés aux combinaisons et
aux transformations des éléments du calcul ? — il lui
arrivait de traiter les syllabes et les mots d’une phrase
comme les lettres d’une équation, et iltombaitsouvent sur
des rencontres singulières et inattendues. Rompu à l’exer-
cice des formules algébriques, il s’en faisait un jouet, et
dépensait quelquefois, pour se délasser, une somme prodi-
gieuse de science à la recherche de la solution de quelque
problème bizarre. Je ne citerai qu’un seul de ces pro-
blèmes, celui dont il nous communiquait l’élégante solu-
tion peu de jours avant la fatale attaque qui l’a conduit
à la tombe, et avec lequel il a fait ses adieux à sa chère
Académie. |
Les vieillards reviennent volontiers aux souvenirs de
leur jeunesse. Arrivé au bout de sa carrière, et tournant
le dos à un avenir qui n'avait plus rien d’attrayant,
Gosselin, remontant à son beau temps de l’École poly-
technique, se ressouvint un jour d’une curiosité scientli-
fique, offerte en 1809 au monde savant par M. Dubois-
Aimé, et qui était restée sans solution satisfaisante. Il
s'agissait de trouver l’équation de la courbe décrite par
un chien qui, s’étant éloigné de son maître, cherche à
le rejoindre. Un être illuminé par l'intelligence appré-
cierait en pareil cas la position du point où le maître
doit arriver dans le temps nécessaire pour être rattrapé,
et il marcherait enligne droite sur ce point. L'instinct
du chien n’admet pas un pareil calcul ; l'animal a
toujours l’œil fixé sur son maître ; 11 doit à chaque
instant changer de direction, et par conséquent décrire
une courbe.
En rappelant les tentatives faites, il y a cinquante ans,
sur cet objet, et en posant son équation, Gosselin laissait
échapper cette réflexion philosophique, qu'il s’appliquait
sans doute à lui-même, et qui résume, en effet, si bien
244 SÉANCE PUBLIQUE.
l’histoire de sa vie : « — Ce sont là des œuvres qui ne
ménent à rien, mais qui fournissent une preuve conso-
lante de cette vérité : c’est que les élèves de la mére-école
ont souvent travaillé pour la science elle-même, et non
pas seulement pour des litres et des honneurs, »
PROGRAMME
DES
CONCOURS OUVERTS PENDANT L'ANNÉE 1862-1863.
me
L'Académie impériale de Metz décernera une MÉpaizLe
D'or ou une MÉDAILLE D'ARGENT aux auteurs qui auront
convenablement traité un sujet rentrant dans ce pro-
gramme :
Lettres.
I. Une composition littéraire en vers ou en prose.
Histoire. .
Il. Biographie de l’un des hommes, aujourd’hui décédés, qui
ont appartenu au pays messin par la naissance ou par des services
éminents rendus à la cité, et qui se sont illustrés soit dans les
fonctions civiles ou militaires, soit dans les sciences, les lettres,
les arts ou l’industrie.
IT. Histoire du commerce messin.
IV. Passage d’Attila à Metz.
Nora. En dehors de ces questions, l’Académie prendra en con-
sidération tout travail historique relatif à la province, qui lui
aura été adressé et qui lui paraîtra digne de récompense.
Sciences.
V. — Description statistique de l’un des cantons du département,
au point de vue de l’histoire naturelle, de l’agriculture, de l’in-
dustrie, ainsi que l’état physique et moral et des mouvements de
la population.
VI. — Influence des chemins de fer sur une ville telle que Metz.
246 SÉANCE PUBLIQUE.
Arts,
VII. — Projets de constructions communales pouvant s’appliquer,
dans leur ensemble ou par portion, au plus grand nombre des
villages du département, et comprenant :
40 Une salle d’école de garçons, le logement de l’instituteur et
de sa famille, avec les dépendances nécessaires dans une école
rurale ;
20 Une salle d’école de filles, le logement de l’institutrice ou des
institutrices, avec les accessoires ;
30 Une salle d’asile;
40 La salle de réunion du Conseil municipal et le cabinet des
archives ;
Un Mémoire explicatif sera joint aux plans, ainsi qu’un devis
estimatif de la dépense. |
La dépense ne devra pas dépasser 25000 francs pour le projet
complet (1, 2, 3 et 4); 20000 francs pour une école de garçons,
avec mairie et école de filles (4, 2 et 4), et 14000 francs pour une
école mixte avec mairie (1 et 4).
L’échelle des plans, coupes et élévations, devra être d’un centi-
mètre pour mètre. °
Nora. On trouvera des indications utiles dans l’ouvrage intitulé :
De la construction des maisons d'école, de leur conservation et
de celle des mobiliers d'école, par M. Salmon, et l’on devra con-
sulter la circulaire de M. le Ministre de l'instruction publique, en
date du 30 juillet 1858, pour l'étude des dispositions de détail.
VIII. Études sur les constructions rurales affectées à la grande et
à la petite culture, au point de vue de la salubrité, de l’économie et
des facilités de l’exploitation. Le travail devra être spécialement
approprié au département de la Moselle. On pourra lui donner la
forme d’un mémoire accompagné de plans, ou celle d’un projet
régulier s'appliquant à une exploitation d’une étendue fixée entre
40 et 150 hectares. |
Agriculture.
IX. Quelles seraient les conditions les plus utiles à insérer dans
les baux sous le rapport de leur durée, et des garanties nécessaires
au propriétaire pour la conservation de ses fterres, et au fermier
pour que celui-ci puisse donner à ses cultures l'essor nélessaire ?
PROGRAMME DES CONCOURS. 247
X. Mémoire descriptif, avec plan, d’un travail d'irrigation exécuté
dans le département de la Moselle, sur une étendue de 5 hectares
au moins. Le mémoire devra indiquer :
La composition du sol et du sous-sol ;
La pente du terrain et celle des rigoles d'irrigation et des col-
lecteurs ;
Les travaux de terrassements faits pour le nivellement général
du terrain ;
La quantité d’eau dérivée par l'irrigation et celle rendue au
cours d’eau alimentaire ;
Les ouvrages fixes ou les machines établis pour opérer la dé-
rivation ;
La dépense de premier établissement, d’entretien et les frais de
main-d'œuvre d'emploi des machines s’il y a lieu.
La production du sol avant et après l’organisation du système
d'arrosage.
Travaux pratiques.
L'Académie décernera une MÉbaile D'or ou une Mé-
DAILLE D'ARGENT :
I. Aux propriétaires ou cultivateurs qui auront obtenu les
meilleurs résultats de travaux d'irrigation exécutés sur 3 hectares
de prairies au moins.
IT. Aux cultivateurs qui auront introduit dans leur exploitation
l'emploi des vidanges et accompli une suite de travaux suffisants
pour permettre de bien apprécier les résultats produits par ces
engrais.
ITT. Aux personnes qui auraient obtenu les résultats pratiques
les plus satisfaisants par la pisciculture dans le département de
la Moselle.
IV. A celles qui auraient le plus fait pour l’acclimatation, dans
notre département, de certaines plantes utiles qui n’y ont point
encore été introduites ou qui n’y vivent que d’une manière tout
exceptionnelle.
V. A celles, enfin, qui auraient découvert, dans le département
de la Moselle, des gisements de calcaire capables de fournir à bon
948 SÉANCE PUBLIQUE.
marché des ciments de qualité supérieure susceptibles d’être ex-
ploités en grand et placés dans des conditions satisfaisantes pour
l’écoulement des produits.
OBSERVATIONS GÉNÉRALES.
Les mémoires devront être adressés, avant le 4er mars
1863, au secrétariat de l’Académie, rue de la Bibliothèque.
Suivant l’usage, les concurrents ne devront pas se faire
connaître. Chaque mémoire portera une devise qui sera
reproduite sur un billet cacheté contenant le nom et
l'adresse de l’auteur: ce billet ne sera ouvert que dans
le cas où l’auteur aurait mérité un prix ou une mention
honorable.
Cependant, quant aux travaux qui, pour être appréciés,
ont besoin d’être suivis d'expériences, les concurrents
pourront se nommer, afin que l’Académie soit à même
de constater avec eux l’exactitude des résultats obtenus.
D’après l’article 3 du règlement de l’Académie, les
Membres titulaires et les Associés libres résidants n’ont
pas droit aux prix proposés; l’Académie peut leur décer-
ner des mentions honorables.
Les Membres correspondants et les Associés libres non-
résidants sont admis à concourir pour les prix.
Metz, le 45 mai 1862.
Le Secrétaire, Le Président,
EMILIEN BOUCHOTTE. MÉZIÈRES.
COMPOSITION DU BUREAU
DE
L’ACADÉMIE IMPÉRIALE DE METZ
POUR L'ANNÉE 1862 - 1863.
Président d'honneur :
Président titulaire :
Président honorarre :
Vice-Président :
Secrétaire :
Secrétaire-Archiviste :
Trésorier :
M.
le baron JEANIN, Préfet de la
Moselle.
. MÉZIÈRES.
. LECLERC.
. le Baron de GERANDO.
. Émuen BOUCHOTTE.
. CLERCX.
. CHABERT.
M. LEGOUT, agent, rue des Clercs, 2.
AGRICULTURE.
ÉTUDE SUR LA VIGNE
DANS LE DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE,
PAR M. CHARLES ABEL.
Les trois grandes productions du département de la
Moselle sont ses céréales, ses fers, ses vins. L'Académie
de Metz s’est toujours fait un devoir d’en favoriser le dé-
veloppement ; elle s’est attachée surtout à la cullure de
la vigne qui, sous notre climat, constitue un véritable
tour de force. |
En 1859, l’Académie de Metz s'est demandé si l’art de
cultiver la vigne ‘et de faire le vin ne restait point stalion-
naire dans notre contrée. Il lui a semblé que la viticul-
ture et la vinification avaient encore des progrès à faire.
En conséquence, sous forme de questions méthodique-
ment présentées, l’Académie a fait appel à la pratique
des viticulteurs mosellans pour obtenir d’eux des rensei-
gnements sur les améliorations estimées possibles et sur
les essais tentés plus ou moins heureusement par l’œno-
logie des bords de la Moselle.
Le résultat obtenu par cette enquête a élé incomplet,
même après l’habile rapport de M. Huot. Trés-peu de per-
sonnes ont répondu à l'appel.
Il reste à faire faire un pas de plus à cette question
254 AGRICULTURE.
viticole. C’est un devoir pour l’Académie de continuer
près de ses membres l'enquête qu’elle avait entreprise
au dehors. Ceci est de tradition dans notre société.
: Le 30 septembre 1768, Lepayen entretenait l’Académie
de Metz d’une philippique contre les échalas démesuré-
ment élevés du pays messin.
Le 10 avril 1769, lors de sa réception comme membre
litulaire, M. le conseiller Bertrand de Boucheporn crut
ne pouvoir mieux choisir pour sujet de discours que la
laxe des vins dans le pays messin el les contrats à façon
ou crants qui liaient les propriétaires et les vignerons,
deux institutions que l’on considérait, avec quelque raison,
comme entravant les progrès de la viticulture messine.
J'ai découvert dans le cartulaire de l’abbaye Saint-Clément
quelques-uns de ces contrats inédits où l’on partageait la
récolte à mi-muid, à tiers muid. Ces documents nous
instruisent sur la situation qui était faite dès le quator-
zième siècle aux vignerons de la Moselle.
En 1775, l’Académie de Metz proposait comme sujet
de concours une.étude sur la culture la plus convenable
à la vigne relativement au climat, à la température, au
sol du pays messin, et elle couronnait, lé 25 août suivant,
le travail d’un avocat de Nancy, Durival le jeune, qui
indiquait les améliorations à introduire dans les vignobles
du pays messin, au point de vue de la plantation, de la
taille, de l’ébourgeonnement des ceps de vigne. |
Devenu membre de l’Académie de Metz, Durival lui
communiqua, le 47 novembre 1783, un mémoire sur le
décuvage des vins, critiquant la coutume locale de tirer
le moût par le bas des cuves et prétendant qu'il était plus
rationnel de prendre ce jus vineux par le haut des cuves,
suivant la méthode bourguignonne, qui permettait au gaz
acide carbonique de rester constamment en contact avec
le vin nouveau et rendait la fermentation plus régulière.
4
ÉTUDE SUR LA VIGNE. 955
En 1786, l’Académie de Metz demandait quelle était
la forme la plus avantageuse à donner à un pressoir, de
façon à occuper le moins d'espace possible el de manière
à produire le plus grand effet en n’employant qu’une
force médiocre. Ce problème fut résolu par J. B. Jaunez,
architecte à Metz et propriétaire de vignes sur le mont
Saint-Quentin. Le pressoir Jaunez fut perfectionné par
son auteur el couronné à nouveau par l’Académie de
Meaux.
Au mois de novembre 1820, M. Chambille, membre
de l’Académie, lui donnait communication d’une expé-
rience qu’il venait de faire dans sa propriété de Plappe-
ville. C'était le système de Mlle Gervais qu’il avait mis en
pratique, c’est-à-dire la couverture hermétique des cuves
à laquelle était adapté le chapiteau d’un grand alambic
surmonté d’un réfrigérant enveloppé d’eau fraîche, dans
laquelle venait se dissoudre le gaz acide carbonique pro-
duit en excès par la fermentation, tandis que les vapeurs
alcooliques et odorantes se condensaient dans la curcubite
et relombaient en pluie rafraichissante sur la vendange.
En présence de plusieurs membres de l’Académie, après
une fermentation de dix-sept jours, M. Chambille leva
l’appareil et analysa un demi-litre du liquide qui s’y trou-
vail. Ce liquide était limpide, avait un goût agréable de
pomme de reinette, et il pesait 16 degrés et demi à
l’aréomètre de Beaumé. Traité par l'acide gallique, il s’est
coloré en violet très-foncé et a gardé sa saveur alcoo-
lique. À la distillation, ce liquide a donné une espèce de
kirsch très-agréable, pesant 26 degrés. Le 4 février 1891,
M. Chambille faisait un second rapport, démontrant l’avan-
lage du vin fait au système Gervais et de l’eau-de-vie
obtenue des mares d’après ce système.
En 1892, l’Académie de Metz priait de faire connaître
tout ce qui imtéressait la culture de la vigne dans le dé-
956 AGRICULTURE.
partement de la Moselle, et quels étaient les plants qui
devaient êlre cultivés de préférence.
En 1893, l’Académie demandait quels étaient les meil-
leurs moyens de donner aux vins blancs du pays messin
une qualité el une apparence approchant de celle des
crus de Champagne.
En 1824, l'Académie proposait au concours une étude
comparée sur le système de fermetures des cuves à la
Gervais, à la Dorn Casbois et sur les cuves découvertes.
Cette question était fortement débattue depuis longtemps,
puisqu’en 1779, un viticulteur nancéien faisait part au
public que la meilleure manière de faire bien rouge, con-
sistait à meltre un couvercle de planches laissant du
jour entre elles. On y écrasait le raisin, le vin coulait au
travers, on jetait une partie des marcs. hors de la cuve,
on balayait le reste, puis on recouvrait le lout de cou-
vertures de laine.
En 1895, la question fut remise au concours en ces
termes: L'expérience ayant démontré qu’il est avantageux
de couvrir les cuves, la Société accordera une médaille à
l’auteur d’un bon abrégé manuel sur les moyens les meil-
leurs et les plus économiques de faire le vin en couvrant
les cuves.
En 1826, l’Académie de Metz demandait un mémoire
sur les incisions annulaires et longitudinales pour éviter
la coulure de la vigne.
Un autre travail plus important encore était proposé
comme sujet de concours : c'était l’'Ampélographie mo-
sellane. L'Académie demandait un travail comprenant les
noms de toutes les espèces de vignes cultivées dans le
département de la Moselle, avec leurs synonymes ancien-
nement employés dans nos vignobles ou actuellement en
usage dans les autres contrées de la France. L’Académie
réclama en outre une Étude historique de l’origine de
ÉTUDE SUR LA VIGNE. 957
chaque espèce de vigne et ses vicissitudes, et un Aperçu
sur la disparition des bonnes espèces et leur remplace-
ment par la grosse race.
Plusieurs membres de l’Académie firent de nombreuses
communications intéressantes sur les questions d’œno-
logie mises au concours. En 1825, M. [erpin présentait
à l’Académie du vin mousseux, façon champagne, fait à
Peltre, et composait en 1835 un ouvrage ex professo sur
ses procédés. M. Bouchotte exposait les résultats obtenus
par lincision annulaire ; ce que confirmait la recherche
de M. de Maud’huy en 1827.
En dehors de l’Académie de Metz, des efforts isolés ont
élé tentés. J. B. Jaunez publia, en 1816, le Manuel du
vigneron du département de la Moselle, ouvrage dans
lequel cet ancien lauréat de l’Académie de Metz réunit
méthodiquement toutes les observations qu’il avait faites
sur la culture de la vigne dans la Moselle pendant une
pratique de trente années. Déjà Bidet, en publiant à Ay
(Champagne), en 1759, son Traité sur la culture de la
vigne el sur la façon de faire le vin, faisait connaître des
extraits de mémoires, qui lui avaient été fournis, sur la
culture de la vigne dans le pays messin par des proprié-
taires de la Moselle.
En 1842, dans sa Flore de la Moselle, M. Holandre
essaya de donner le catalogue des différentes variétés de
vignes du pays messin, et 1l divisait nos cépages en trois
groupes : pelits noirs, — gros noirs, — blancs.
M. Collignon (d’Ancy) publia en 1846, et dans le cours
des années suivantes, divers mémoires, afin de démontrer
la possibilité et l’avantage de remplacer l’échalassement
des ceps de vignes par lemploi de fils de fer, tendus à
l’aide d’un raidisseur de son invention.
_ Rajeunissant l’œuvre de Jaunez, M. le baron Dufour
publia en 1851 son charmant petit livre de la Culiure de
33
958 AGRICULTURE.
la vigne dans le département de la Moselle. Sous ce titre
modeste, le traité de M. Dufour renferme les renseigne-
ments les plus clairs et les plus vrais sur nos raisins et
sur nos vins ; le tout encadré d'épisodes très-finement
écrits. Ne s’inquiétant des vignobles étrangers que pour
s'en faire des points de comparaison, M. Dufour s’est
préoccupé surtout de ce qui se passe dans nos métairies.
Passant’ en revue les divers procédés employés par les
principaux viticulteurs de la Moselle, 1l rend à chacun ce
qui lui est dû et cite particulièrement M. Lanternier, à
Guentrange, M. Limbourg, à Kontz, M. Thiva, à Lessy.
Dix ans plus tard, M. Pistor recommençait une nouvelle
étude des vignes de la Moselle, en comparant leur culture
avec les moyens en usage dans le Palatinat et en insistant
sur la propagation des bonnes espèces de raisin. Pour
être complet, citons l’opuscule de M. Cheuvreusse, qui
avait pour but, en 1854, de préconiser dans la Moselle
la culture de la vigne sans supports.
Que conclure de cette énumération de travaux inspirés
par la viticulture mosellane? C’est qu'il n’y aurait qu’à
condenser ces divers écrits pour obtenir à peu de frais
un volume qui deviendrait, pour les crus de la Moselle,
ce qu'est le Traité sur la culture de la vigne de Chaptal,
pour le Bordelais et le Languedoc, le Manuel du vigneron
du comte Odart, pour la Touraine, et la Culture de la vigne
et vinification du docteur Guyot, pour la Champagne.
C’est-cette monographie des vignobles de la Moselle que
l’Académie de Metz demandait en 1826 et qui est encore à
faire. Espérons que nous verrons un jour ce vœu accompli,
à la grande Joie des propriétaires et des vignerons de la
Moselle qui, laissant de côté la routine, introduiront dans
leurs métairies des méthodes rationnelles et progressives.
Pour aider à la réalisation de ce vœu, autant qu’il est en
moi, J'apporte à la connaissance de l’Académie des docu-
= ————
ÉTUDE SUR LA VIGNE. 259
ments inédits qui sont autant de titres de noblesse pour
nos vignobles, et je viens lui communiquer des expériences
œnologiques qui me sont propres.
Ce n’est point spontanément que nos collines se sont
couvertes des pampres de la vigne. Les recherches faites
au sein de la terre pour découvrir de la houille, à Carling,
par exemple, conduisent l'explorateur jusqu’au sol pri-
milif, à sa surface on rencontre des fougères, des pois-
sons, des arbres fossiles, des troncs de chêne, de sapin,
mais pas de ceps de vigne, quoiqu'à Sarrebruck on ait
trouvé un tronc de palmier.
= La vigne a pris naissance en Asie, suivant la tradition
biblique. De là elle se répandit en Grèce, en Italie, sur
le littoral de la Méditerranée. Elle pénétrait dans l’inté-
rieur des Gaules quand, en 92 après Jésus-Christ, survint
l'ordre de l'empereur Domitien d’avoir à arracher toutes
les vignes plantées dans ce pays pour laisser le plus de
terre possible à la culture du blé. Cet ordre, peu réfléchi,
fut exécuté pendant deux siècles. Probus, pour entretenir
la vigueur de ses légions, que la paix laissait inactives,
leur fit replanter de vignes les coteaux gaulois en 282.
C’est à celte époque que nous pouvons, avec quelque cer-
titude, faire remonter l’origine de la vigne sur les bords
de la Moselle. On vit alors les Gallo-Romains élever, dans
leur reconnaissance, des temples et des statues en l’hon-
neur de Bacchus. On a trouvé, à Arlon, des bas-reliefs
se référant au culte de ce dieu, et j’ai assisté moi-même
à la découverte d’un autre bas-relief analogue, mis à jour
en 4854 par les fouilles du chemin de fer à Hettange
(Grande). J'ai, le premier, rendu compte de cette trou-
vaille archéologique.
La culture de la vigne envahit avec une telle rapidité
la région septentrionale des Gaules que l’empereur Julien
se délecta du vin récolté aux environs de Paris.
260 AGRICULTURE.
Les vignes étaient déjà si prospères au quatrième siècle
sur les rives de la Moselle, que leur aspect frappa le poëte
Ausone, au point de lui rappeler les environs de Bordeaux,
sa patrie. La renommée du vin gaulois ne tarda pas à
pénétrer dans les forêts de la Germanie, et parvint à exciter
la convoitise des fils d’Odin, ces éternels buveurs de bière.
I fallut qu’au cinquième siècle un empereur romain
publia la fameuse loi ad barbaricum qui défendait à tout
gallo-romain d'envoyer au delà du Rhin, du vin et de
l'huile aux Barbares, même pour en goûter. En réponse
à ce décret impérial, qui dénote la naïvelé des temps, les
Francs, les Burgundes, les Visigoths vinrent goûter le
vin sur place. Une fois maîtres du terrain, ils se procla-
mérent protecteurs de nos vignes et ils édictèrent des
amendes contre ceux qui arracheraient un cep ou vole-
raient des raisins. |
Au sixième siècle, Venance Fortunat, visitant la cour
des rois d’Austrasie qui se tenait à Metz, décrit avec com-
plaisance la beauté des coteaux vignobles qui fermaient
l'horizon le long de la vallée de la Moselle.
L'église cathédrale en possédait une grande partie, et
quand, en 745, l’évêque Chrodegand fonda le couvent
de Gorze, il lui donna des vignes à Scy et à Chazelles
avec les vignerons et vigneronnes attachés à la glèbe des
métairies. [1 détacha encore du domaine de la cathédrale
les vignes de Millery (Meurthe) pour en faire cadeau au
monastère de Gorze qui reçut aussi celles de Thiaucourt,
sur le Ru-de-Mad, en 761, celles d’Augny, en 857, de
Verny et Failly, en 914, celles d’Arnaville, en 858, de
Voisage, en 864, du Sablon, en 880.
L'abbaye de Gorze obtint des vignes dans le vallon
de la Fensch à Fontoy, Budange, Edange, Morlange,
en 959, et à Rosselange-sur-l’Orne, en 975.
L'abbaye Saint-Arnould ne fut pas moins bien partagée,
LS
ÉTUDE SUR LA VIGNE. 261
cor en 848 elle recevait des vignes à Maizelle, à Saint-
Julien, en 892 à Ars, en 869 elle ohtenait les dimes de
vin à Jussy, pour se procurer, dit la charte, le vin néces-
saire au sacrifice de la messe.
L'abbaye Notre-Dame, de Mouzon, reçut d’Adalberon,
archevêque de Reims en 973, dix métairies de vignes à
Rozérieulles et deux à Chatel- Saint- Germain. Le pape Jean,
en confirmant cette donation, déclare qu "elle a été faite pour
que les religieux eussent de l'excellent vin à boire. La répu-
tation des vignes de Rozérieulles ne peut être contestée, puis-
qu’elle est établie par une bulle papale dès le dixième siécle.
L'abbaye Sainte-Croix possédait aussi des vignes à Rozé-
rieulles dès 1121, ainsi qu’au Ban-Saint-Martin, à Plan-
lières, à Saint-Julien.
L'abbaye de Sainte-Marie, elle aussi, possédait des vignes
à Rozérieulles dès le treizième siècle, ainsi qu’à Arry,
Sommy, Sillegny et Pournoy-sur-la-Seille.
L'abbaye de Sainte-Glossinde avait dès 953 des vignes
à Saint-Maximin et à Queuleu.
En 977 l’abbaye desreligieuses de Saint- Pier re possédait
des vignes sur le mont Saint-Quentin, près du village de
Longeville. En 1224 elle était propriétaire de vignes à
Norroy, près de Pagny, et en cette qualité elle était tenue
à la garde du château de Preny, ce qui était peu praticable
pour des nones. Aussi en 1293 le duc de Lorraine con-
vertit leur obligation de chevauchée et de guet en deux
chariots de vin.
En 991 l’abbaye de Longeville-lès-Saint-Avold rece-
vait le vignoble de Magny, sur la Seille; en 1121 celui
de Vantoux, en 1285 celui d’Altroff, sur la Nied.
Dés le dixième siècle l’abbaye de Metloch récoltait du
vin à Oudren, Lemestroff, Breistroff, Heitange (Petite),
Hunting, Monneren, Budeling, au pied du Hackenberg,
et à Inglange.
269 AGRICULTURE.
L'abbaye Saint-Maximin, de Trèves, avait en 963 des
vignes près de Preisch, et en 994 à Burmerange et à
Elvange.
L'abbaye Saint-Vincent jouissait de vignes sur le mont
Saint-Quentin, à Chazelles, en 1177, et à Ancy et Vallières,
en 1180.
En 1125 l’abbaye de Saint-Denys se faisait réintégrer
en la possession des vignes de Sierck. Leur vin était re-
nommé, aussi les ducs de Lorraine y avaient-ils de nom-
breuses métairies, ainsi qu’à Rudling, en face, de l’autre
côté de la Moselle.
En 19923 les vignes de Beuvange, sous Saint-Michel,
élaient la propriété de la collégiale de Saint-Sauveur.
L'hôpital Saint-Nicolas possédait des vignes en 1162 à
Plappeville, ainsi que l’abbaye Saint-Symphorien.
L'hôpital Saint-Nicolas en possédait aussi à Scy et à
Lessy.
On donnait en 1256 à l’abbaye de Saint-Pierremont une
vigne à Rombas, et en 14266 une à Noueroy-le-Vinous,
c’est-à-dire à Norroy-le-Vigneron, que nous appelons fau-
tivement Norroy-le-Veneur.
Des vignes existaient dès le douzième siècle aux envi-
rons de l’abbaye de Bouzonville, dans le village de Kyr-
viller. Ce monastère avait surtout des vignes à Sierck,
ainsi qu’à Vormeldange, sur la Moselle, non loin de Sierck.
L'abbaye de Rethel avait aussi des vignes considérables
dans cette région, à Kontz, et l’abbaye d’Echiernach au
village de Berg.
L'abbaye de Villers-Bettnach reçut en 1226, de Rodolph,
chanoine de Trèves, un vaste domaine près de cette ville,
à la condition de cultiver les vignes des environs de Vil-
lers, de ne jamais les vendre et d’en boire chaque jour
du vin pour que les religieux eussent plus de cœur à tra-
vailler et à prier Dieu pour le donateur.
ne 2 aq n nee mn ———
ÉTUDE SUR LA VIGNE. 263
En 1951 l’abbaye du Saint-Esprit, de Luxembourg,
acceptait le don d’une vigne à Sentzich, et en 1284 elle y
adjoignait la meilleure vigne de la montagne appelée Luck.
De même que les ducs de Lorraine étaient fiers de leurs
vignes de Sierck, de même les ducs de Luxembourg avaient
en grande estime leurs vignes des environs de Thionville,
situées sur le coteau de Guentrange. L’un d’eux, Henri,
en démembra une partie en 4271, au profit de l’abbaye
de Clairefontaine, pour tenir lieu de dot à sa fille qui
s'était faite religieuse dans ce couvent. Ce vignoble de
Guentrange, dépendance de l’ancien Theodonis villa, fut
planté par Charlemagne qui tenait à ce que chacune de
ses villas eût son vignoble composé d’espèces choisies.
C’est ainsi qu’il fit venir d'Orléans du raisin pour le trans-
planter à Rudesheim. Dans cette villa ce raisin s’est propagé
et métamorphosé. C’est lui qui sert à faire le fameux vin
de Johannisberg, tandis que les vins d'Orléans ne sont plus
bons que pour la salade. Encore aujourd’hui ce raisin
s'appelle, sur le Rhin, Orleaner ou Riesling, c’est la Pe-
trecine des Français.
Nos chartes monacales nous permettent de remarquer
que tous nos bons crus du département de la Moselle, Scy,
Rozérieulles, Augny, Magny, Guentrange, Kontz, Rosse-
lange, Inglange, existent depuis près de mille ans.
Il nous reste à voir comment s’est comportée la vigne
sous notre latitude depuis des siècles. C’est ici le cas
de consulter nos chroniques ; malheureusement leurs ren-
seignements ne remontent pas au delà du quatorzième
siècle. Mais ils suffisent pour nous montrer combien nos
vignes ont eu à souffrir du froid sous notre climat. Les
vignes de la Moselle ontété gelées en 1296 et en 1369, le:
30 septembre 1892, en avril 1406, en septembre 1429,
le 2 mai 1480, le 7 avril 1434, en 1435, le 92 mai 1441,
le 3 mai 4443, le 8 avril 1446, en 1455, en août 1477,
964 AGRICULTURE.
en 4480, en 1490, le 24 avril 1493, en 15092, le 16 sep-
tembre 4509, en 1510, en 1512, en 1524. Nos ancêtres
considéraient ce désastre comme une punition du ciel, ce
qui était três-rationnel ; mais ce qui l’était moins c’était le
motif de la punition. Les vignes ayant gelé le 2 mai 1430,
au milieu d’une superbe préparation, on regarda comme
certain que ce malheur n’était advenu que parce que plu-
sieurs marchands de Metz avaient ouvert boutique en ce
Jour, qui était celui où se célébrait la translation des re-
liques de saint Clément, premier évêque de Metz.
Nous retrouvons, le 7 avril 1434, les vignes gelées de
nouveau par suite du péché de plusieurs qui avaient tra-
vaillé le vendredi saint dans les vignes pour gagner trois
sols, contre le commandement de l’Église. Ce détail est
curieux, en ce qu'il nous indique quel élait le salaire
quotidien des vignerons messins au quinzième siècle. Le
22 mai 1441 on remarqua que la gelée sévit avec plus de
force sur les vignobles de Scy et de Chazelles, parce que
lors des Rogations plusieurs vignerons, au passage de la
procession, jouaient et juraient dans la taverne d’Aubertin
Petit. Aussi furent-ils emprisonnés et condamnés à une
amende de cent florins.
En 1446 toutes les vignes furent gelées dans un rayon
de cinquante lieues autour de Metz. Ce désastre provint
des sorcières qui avaient donné leur âme au diable et
usaient de maléfices. Du moins c’est le chroniqueur qui
le dit. Ce n’était pas une: illusion, puisqu'il y en eut
plusieurs de prises et brülées au pont des Morts, après
avoir été examinées par l’inquisiteur de la foi et avoir
fait les aveux les plus complets, notamment Catherine la
laveresse, qui se reconnut sorcière après avoir été tor-
turée an physique, il est vrai, par la question. Aujour-
d'hui on ne torture plus les accusés de cette manière,
mais on les met au secret.
ÉTUDE SUR LA VIGNE. 261
Les vignes gelèrent en 1455, spécialement au Sablon.
On fit alors des processions et des prières expialoires,
ce qui valait mieux que de brûler des sorcières. On
revint à ce singulier moyen de calmer la colère de Dieu
en 1487: une pauvre femme de Rozérieulles fut la vic-
time expiatrice. On recommença en 1512, et toutes les
accusées confessèrent avoir, par leur accointance avec le
diable, causé la gelée des vignes. Leurs interrogatoires
existent encore. Mais il paraît que ce remêde était peu
efficace puisque les vignes gelèrent les années suivantes.
Nos chroniqueurs nous relatent aussi plusieurs années
comme remarquables par leurs chaleurs et par la pré-
cocité des vendanges s’eflectuant au mois d’août. Le
phénomène le plus curieux en viticulture qu’aient vu nos
contrées, est sans contredit ce qui eut lieu en 1484.
Après les vendanges, vers le 8 octobre, les vignes, sous
l'influence d’une chaleur incompréhensible, donnèrent de
nouveaux bourgeons et on vendangea une seconde fois
cette année.
Notre historique ne serait pas complet si nous ne
racontions les mesures administratives dont la vigne et
le vin furent l’objet dans la Moselle. En 1482, les ma-
gistrats de Metz réduisirent le nombre des cabarets à
quatre-vingt. Le 17 mars 1494, la municipalité s’occupa
de taxer les journées des vignerons. Dès le douzième siècle
on ne vendange dans le pays messin que lorsque les bans
sont brisés ; seulement plusieurs communautés religieuses
avaient droit de vendanger à leur gré; de ce nombre étaient
le chapitre de la cathédrale, l’abbaye Saint-Arnould.
L’évêque de Metz avait le droit de vendre seul son vin
pendant certaines semaines, en vertu de ce qu’on appelait
le droit de ban vin.
Le 25 novembre 13388, les magistrats messins pu-
blièrent une ordonnance, que vu la grant foison de vi-
04
966 AGRICULTURE.
gnes, devaient être arrachés avant Noël les raisins appelés
golz et ayles, el que seraient conservés seulement le fro-
mental blanc et le noir.
Les golz sont les noirgots, ou gouais ou gros-bec, et
les ayles les liverdun, ou héricé noir ou grosse race,
peut-être les gamets, qu'à la même époque les ducs de
Bourgogne proscrivaient de leurs Etats, se qualifiant de
seigneurs immédiats des meilleurs vins de la chrétienneté,
ou même princes des bons vins.
Le fromental blanc, toléré dans le pays messin, est ce
qu’on appelle aujourd’hui l’auxerrois blanc. Il doit son
nom de fromental à la couleur fauve de ses graines, cou-
leur qui rappelle celle du froment.
Les raisins noirs du pays messin, au quatorzième siècle,
étaient le pinot et le morillon noir ; ainsi nommés à cause
de leur ressemblance, le pinot avec une pelite pomme de
pin, le morillon avec une petite morille.
Le pinot est tellement le raisin type au moyen âge, que
tous nos imagiers chargés de sculpter de la vigne sur la
pierre de nos églises gothiques ont toujours représenté
le pinot et ses feuilles, comme on peut le voir dans les
chapiteaux des colonnes de la cathédrale de Metz.
Quoique tombé sous la domination française, le pays
messin n’en vit pas moins ses vignobles l’objet de dispo-
sitions répressives. L'année 1566 ayant été très-peu fertile
en blé, Charles IX décida que désormais le tiers seul de
chaque commune rurale serait atlribué à la cullure de la
vigne. Îl appartenait à l’auteur de la Saint-Barthelemy de
partager les idées de l’exécrable Domitien.
L'impopularité de cette ordonnance fut telle qu’en
1577 Henri III chercha à en atténuer la rigueur en re-
commandant aux gouverneurs de provinces « d’avoir at-
» tention qu’en leurs territoires les labours ne fussent
» délaissés pour faire plants excessifs de vignes. »
ÉTUDE SUR LA VIGNE. 967
Louis XIV, le 43 janvier 1670, donna l’ordre d’avoir à
arracher les mauvais cépages de raisin blanc dans toute la
France. Cette ordonnance ne fut enregistrée à Metz que
deux années plus tard, le 44 décembre 1672, par le par-
lement , qui décida que seraient extirpés tous les ceps de
raisin blanc, à la réserve des fromentaux de Sainte-Ruffine
et des aubins de Peltre, Crépy et Magny. Il y eut de la
résistance, et pendant sept années cette ordonnance resta
sans exécution. Le 7 novembre 1679 la chambre de po-
lice de Metz voulut sévir contre les délinquants. Mais
._ peines inutiles ! tous les raisins blancs étaient dits des
fromentaux et des aubins. I] fallut qu’en 1722 le parle-
ment de Metz, pour en finir, rendit un arrêt solennel,
toutes les chambres assemblées en présence des officiers
du bailliage et de l'hôtel de ville, portant ordre de par le
roi d’arracher tous les cépages autres que les noirs et les
auxerrois. Cette dernière espèce de raisin est le pinot gris
qui à été importé d'Auxerre dans le coteau de Dornot.
et qui, près de Trèves, produit le fameux vin de Piesporter,
sous le nom de Libanon, comme étant originaire du Liban.
Cette croisade contre le raisin blanc ne s'arrêta point
là. En 1757 le parlement de Metz rendit un nouvel arrêt
qui ordonnait non-seulement d’arracher tout cépage blanc,
mais même les cépages noirs de Gauls, Liverdun, Saint-
Nicolas et gros-bec.
Enfin parut la loi du 12 juin 4791 qui permit aux viti-
culteurs de choisir à leur gré les cépages; alors les gamets
pénétrérent en Bourgogne et le pays messin a été envahi
par la grosse race, le gros-bec, le meunier, l’héricé. Les
uns déplorent cette invasion qui fait que bientôt on ne
trouvera plus, dans la Moselle, que de ce vin dont parle
Boileau :
Et qui rouge et vermeil, mais fade et doucereux,
N’avait rien qu’un goût plat et qu’un déboire affreux.
968 AGRICULTURE.
Les autres (et de ce nombre se rahgent les marchands de
vin de Metz) se félicitent de voir, au détriment du pinot
et du morillon, nos collines se parer de la blanche feuille,
se parfumer du gros-bec et s’orner de l’infâme gamet,
parce que ces raisins résistent aux gelées et donnent,
chaque année, une récolte assurée qui produit ce qu’on
appelle pompeusement vin de commerce, pour ne pas dire
vin de cabaret.
En 1486, quand on démolit les chapelles romanes du
chœur de la cathédrale de Metz, on mit à jour plusieurs
sépultures d’évêques, notamment celle de Philippe de
Floranges, inhumé en 1297. Ce prélat avait été enseveli,
suivant l’usage, avec tous ses ornements pontificaux, la
crosse d’une main, un calice dans l’autre. On trouva dans
le calice un liquide qui, examen fait, n’était rien autre
que du vin. Il avait conservé une couleur rougeâtre et une
assez grande force alcoolique. C’était vraisemblablement
du vin de pays. Pourquoi y avait-il été mis, nous l’igno-
rons. Ce qui nous importe c’est de constater que ce vin,
qui avait séjourné en terre près de deux siècles, sans se
décomposer, était un produit des pinots mosellans. Les
raisins de grosse race n'auraient pas pu donner une sem-
blabie liqueur.
C’est le moment ou jamais d'éclairer l'opinion publique
sur ce culje de la grosse race, dans un ouvrage ad hoc.
Pourquoi n’a-t-on pas encore publié un tableau métho-
dique des différentes espèces de raisins cultivées dans la
Moselle, soit depuis peu, soit dans les temps anciens? J’ai
cherché à composer un croquis de ce tableau, en atten-
dant que d’autres, plus compétents, le complètent. Il
faudrait que l’Ampélographie mosellane fût accompagnée
de planches lithochromiques représentant les principales
variétés de nos raisins.
Ce qui est encore à désirer de voir introduire dans le
ÉTUDE SUR LA VIGNE. . 9269
Manuel du vigneron de la Moselle, ce serait un Exposé
méthodique des nouveaux procédés, mis loyalement en
regard des anciens. Ainsi il y aurait, dans cet ouvrage,
de beaux et bons chapitres à écrire sur l’échalassement
ancien en quinconce, à cuveau, en ligne, sur le nouvel
échalassement à fil de fer, sur les ceps des vignes sans
support.
Il y aurait aussi à appeler l’attention sur l'emploi des
paillassons pour préserver les vignes de la gelée. Il y aurait
aussi à s'occuper du système de taille tardive du docteur
Guyot pour échapper aux gelées et aux dépenses des pail-
lassons. Il y aurait aussi à parler de l'effet de l’incision
annulaire sur la coulure.
La vinification est encore plus riche en nouveaux pro-
cédés que la viticulture, grâce aux progrès énormes qu’a
faits la chimie végétale depuis quelques années. Il y aurait
aussi de beaux et bons chapitres à insérer dans le Manuel
du vigneron mosellan en ce qui touche l’égrappage des
raisins, la fermeture des cuves, le sucrage des vins, l’em-
ploi du gleuco-ænomètre et de l’alambic Salleron.
Grâce aux systèmes Durival, Collignon, Lasolgne,
Pidancet (de Montoy), Thiva et Trouillet, la question des
échalassements dans la Moselle a été l’objet d’assez nom-
breuses discussions ; il ne s’agirait que de condenser les
observations critiques et louangeuses auxquelles chaque
système a donné lieu. Cette question a été suffisamment
étudiée. Il n’en est pas de même de celle du paillassonage
du docteur Guyot qui n’a pas même figuré dans l’enquête
viticole de l’Académie de Metz. La vulgarisation de ce
procédé serait un véritable bienfait pour notre région
viticole si l’on parvient à le rendre peu dispendieux.
Remarquons qu’avant les cours d’arboriculture professés
par M. Dubreuil, nos pêchers étaient très-fréquemment
décimés par le froid. Depuis ces cours, l'usage des pail-
970 AGRICULTURE.
lassons s’est répandu, et la récolte annuelle de pêches
est assurée, comme on peut le voir, chez M. Jacquin, à
Scy, chez M. Bompard, à Rozérieulles. Dans cette der-
nière localité, M. Gérardot a même imaginé un métier à
tisser les païllassons, qui permet de les obtenir à bas prix
et très-rapidement. Cette invention a été mentionnée
honorablement à l'Exposition d’horticulture de 1861.
Depuis dix ans M. Bompard, à Rozérieulles, a appliqué
le paillassonage à des abricotiers en haut-vent, plantés le
long de fils de fer, et a trouvé que ce système n’exigeait
pas une grande main-d'œuvre. En sorte qu’avec les vignes
plantées en fil de fer, d’après le système Collignon, le
paillassonage est très-praticable. Mais 1l est encore assez
dispendieux et ne peut être mis en pratique que pour des
fins cépages dont on est sûr de vendre le vin à un prix
relativement élevé. Malheureusement le goût des acheteurs
de vin se pervertit par les vins de grosse race. « Faire
» des vins fins dans notre région, — dit M. Huot, —n’est
» pas toujours un avantage; si un marchand de vin vient
» dans nos caves il préférera toujours les mixtes, souvent
_» ceux de grosse race. »
L'Académie de Metz a demandé, dans ces derniers temps,
à être éclairée sur la pratique de l’égrappage. Il fut ré-
pondu que l’égrappage est abandonné en Bourgogne. Mais
on a oublié d’en donner la véritable raison, c’est que,
comme l’a dit un viliculteur du pays, le gamet a tué Ia
Bourgogne. Ce cépage grossier force, chaque année, les
Bourguignons à introduire dans leurs vins plus de 80 000
kilogrammes de sucre de fécule. Je connais un viticulteur
aux portes de Metz qui, en 1861, a été obligé de mettre
dans son vin de grosse race 1400 kilogrammes de glucose.
On comprend alors que ce même fabricant de vin repousse
l'égrappage. En effet, il exagère la dose de sucre, il lui
faut bien conserver le plus possible de tannin et de tar-
ÉTUDE SUR LA VIGNE. 971
trate de potasse pour aider à la fermentation de sa masse
de glucose. |
Je ne dis pas qu’il faille égrapper chaque année et sur
toute la totalité de la vendange. Cela dépend de la matu-
rité de la rafle, maturité qui se reconnaît à la couleur
brune de la queue du raisin. Mais, sauf des années excep-
tionnelles, la rafle des raisins de la Moselle reste toujours
verte. L’égrappage, dans ce cas, enlève au vin son excès
de tartrate de potasse. Quant au tannin, ce sont les pepins
qui le communiquent surtout au vin.
L’égrappage déchire les raisins au contact de Pair, il
rend la fermentation plus rapide dans les années froides.
Levin de raisins égrappés est plus délicat et plus tôt
propre à être bu, ce qui est un grand triomphe, d’après
Olivier de Serres.
Le cuvage des vins est une délicate opération, et cepen-
dant, dans le département de la Moselle, on en est resté
encore à l’enfance de l’art. On ne couvre la cuve qu’avec
une couche de raisins, qui finissent par fermenter et
tournent à l’aigre. C’est encore la méthode suivie par nos
campagnards.
L'un d’eux me disait qu’il n’y avait que les gens à ca-
pote qui avaient le droit de ne pas avoir de chapeaux
dans leurs cuves. Ils reconnaissent que fermer sa cuve
est préférable, mais pour eux c’est trop cher. Pourquoi
ne pas leur indiquer la méthode bourguignonne, qui est la
plus simple et nullement coûteuse ? Elle consiste à écraser
dans le fond de la cuve, avec des sabots, quelques hottes
de raisins que l’on recouvre ensuite de toute la vendange
non foulée. On étend sur le tout une couche de terre
glaise ; quand celle-ci est brisée, le vin est bon à faire.
En eflet, les raisins broyés jouent le rôle de levain, la
fermentation gagne de proche en proche sans être
acéteuse, et l'argile, suivant la remarque des. Grecs
979 AGRICULTURE.
(Géoponiques, chap. XIT, livre VID), fait le vin doux et
durable.
En admettant qu’on ne veuille pas introduire dans le
pays la méthode bourguignonne, on peut au moins vulga-
riser l’usage des vignerons de Guentrange, qui consiste
à fouler le raisin noir le troisième jour et à couvrir la
cuve avec des toiles de lessive, dites cendriers, et des cou-
vertures de laine, en foulant la vendange trois fois par jour
pour l’aviner.
La méthode de fermeture de cuve la plus rationnelle
est celle imaginée à Metz, avant la Révolution, par Dom
Casbois, perfectionnée, à Montpellier, par Mlle Gervais,
en 1828, employée par M. Bompard, à Rozérieulles, depuis
1835, et simplifiée, à Guentrange, par M. Lanternier,
depuis 1840. |
Tout le monde connaît ce système à double couvercle
en bois avec une bonde hydraulique et une couche de
terre glaise pour luter le couvercle extérieur. Il est bien
singulier, pour ne pas dire plus, de voir des viticulteurs
de la Moselle s'être donnés, en 1861, comme inventeurs
et vulgarisateurs d’un procédé connu et pratiqué depuis
un siècle dans le pays. Il est encore bien plus singulier
d’avoir vu, à la dernière Exposition de Metz, un jury mé-
dailler et féliciter, dans le procès-verbal, certain exposant,
de son invention du système Gervais, simplifié par
M. Lanternier, décrit déjà en 14851 par M. Dufour et
employé par tous les grands propriétaires de Guentrange,
de Volkrange et des environs, depuis plus de vingt ans.
Cet. épisode de lexposition viticole de Metz me rappelle
un mot d'un champenois, qui disait : « Îl ne suffit pas
» de faire du bon vin, il faut savoir le faire mousser. »
Dans ces cuves fermées on surveille d’abord la fermen-
tation à l’aide de la bonde hydraulique, dont on interroge
les gloussements, puis on pèse le liquide à l’aide du gleu-
ÉTUDE SUR LA VIGNE. 973
comètre, en prenant du moût par un peu robinet placé
dans le flanc de la cuve.
La connaissance du gleucomètre n’est pas assez ré-
pandue. C’est un excellent instrument pour connaître la
densité du moût. Voici en quels termes en parle M. le
docteur Guyot : :
« C’est aux mesures gleucométriques que l’on doit
» recourir pour déterminer la valeur relative des raisins
» des divers cépages, l’époque précise de la maturité
» absolue des raisins. Le gleucomètre doit être le guide
» obligé du viticulteur dans le choix de ses cépages et :
» dans la détermination de l’époque de sa vendange.
» On ne doit pas craindre de multiplier les opérations
gleucométriques tous les ans, à chaque période de
maturité qui précède la vendange et pendant tout le
cours de la vendange, des pressurages et de la cuvaison ;
chaque opération doit être inscrile dans un livre spé-
cial avec le nom du pays, de la vigne et du cépage.
Ces opérations et leur comparaison, après quelques
années, offriront un enseignement des plus importants
pour les progrès de la viticulture et de l’œnologie.
Le gleucomètre est la balance qui indique la richesse
des moûts, comme l’alcoomètre est la balance qui in-
» dique la richesse des vins; et bien que celte richesse
» pondérable ne constitue ni la finesse ni la qualité des
» jus, elle représente néanmoins l'élément le plus im-
» portant des vins, le sucre, qui devra plus tard en cons-
» lituer Ja force en esprit. »
À ces considérations générales du docteur Guyot, qu’il
me soit permis d'ajouter des observations pratiques que
j'ai entreprises depuis bientôt vingt ans sur les vins de
Guentrange et que j'ai continuées sur ceux de Rozé-
EE ES ES = = ©
* Culture de la vigne et vinification du Dr Guyot.
| 35
974 AGRICULTURE.
rieulles. Voici le tableau des degrés gleucométriques des
vins de la Moselle que j'ai, le premier, composé :
VINS ROUGES
A
D'ÉRICÉS,
GAMETS,
AUXERROIS. GROSSE RACE.
PINOT, MORILLON NOIR
et
420,50
410,50
410 »
410,25
8 »
Jo »
70,75
80 »
100,50
410 »
400,50
70,50
140 »
J'ai analysé à l’alambic Salleron les deux vins extrêmes
de la Moselle pour leur bonté et la maturité du raisin,
ceux de 1860 et 1861, et je suis arrivé à former le tableau
inédit suivant :
TRIBU DES CHASSELAS.
+ CHASSELAS DORÉ.
Synonymes : De Fontainebleau, —de Thomery ,—Chasselas blanc.
— En allemand : Diamant traube, — Krach gutedel. —
Localités : Tous nos jardins de maître.
Gleucomètre : (1861), 100,5.
Alcoomètre : 80,5.
ÉTUDE SUR LA VIGNE. 975
CHASSELAS BLEU.
Synonymes : Frankenthal, — Boulonnet, — Troussiau. — En Alle-
magne : Schwarz blauer, — Welscher.
Gleucomètre : (1861), 89,5.
Alcoomètre : 60,8.
CHASSELAS ROUGE.
Rare dans la Moselle.
CHASSELAS ROSE.
Synonyme : Tokai. — Allemagne: Tramontaner. — Dans quelques
jardins de la Moselle. |
TRIBU DES MUSCATS.
MUSCAT BLANC. — MUSCAT ROUGE.
Très-communs dans le midi de la France. — Se trouvent dans
plusieurs jardins de la Moselle.
TRIBU DES PINOTS.
PINOT NOIR. |
Synonymes : Franc pinot (Yonne), — Auvernat noir (Haut-Rhin,
Orléans), — Plan noble (Indre-et-Loire). — Allemagne :
Schwarz kleuwner (Alsace). — Localités : Scy, Lessy, Lorry-
devant-le-Pont, Guentrange, Rozérieulles.
Gleucomètre : (1860), 80; (1861), 110.
Alcoomètre : (1860), 60,50; (1861), 100,5.
PINOT GRIS.
Synonymes : Auxerrois gris, — Gris de Dornot, — Fromental
(Champagne), — Griset (Loiret), — Fauvet (Jura et Meurthe).
— Allemagne : Grauer kleuwner (Alsace), — Ruhlander. —
Libanon. — Localités : Dornot, Guentrange, Rozérieulles,
Chazelles. .
Gleucomètre : (1860), 60,75; (1861), 110,25.
Alcoomètre : (1860), 50,50; (1861), 100,2.
PINOT BLANC.
Synonymes : Chardenet (Côte-d'Or), — Noirien (Yonne), — Auxer-
rois blanc, — Fromental. — Localité : Devant-les-Ponts.
Gleucomètre : (1861), 9,50.
Alcoomètre : (1861), 9,8.
976 AGRICULTURE.
- TRIBU DES MORILLONS.
MORILLON NOIR.
Synonymes : Franc noir, — Gros plant doré (Épernay), — Cibou-
leau noir, — Tendre fleur, — Petit noir. — Localités : Ru-
de-Mad, Thiaucourt, Rozérieulles, Augny, Guentrange, Lessy,
La Ronde.
Gleucomètre : (1860), 70,50; (1861), 100,5.
Alcoomètre : (1860), 50,97 ; (4861), 110,90.
MORILLON HATIF.
Synonymes : Printanier, — Précoce-Madeleine.
MORILLON TACONNÉ.
Synonymes : Meunier, — Blanchefeuille, — Blanc (Épernay), —
Farineuse ou Farnese. — Allemagne : Jacobstraube. — Loca-
lités : Sainte-Ruffine, Novéant.
Gleucomètre : (1860), 69,5; (1861), 100.
Alcoomètre : (1860), 40,1; (1864), 80,80
VERT NOIR.
Synonymes : ? — Allemagne : Grunedle.
— Localités : Nouilly, Vantoux, Vallières, Saint-Julien.
Gleucomètre : (1861), 70,5.
Alcoomètre : 80,10.
TEINTURIER.
Synonyme : Teintvin. — Localité : Augny.
TRIBU DES HEMMES.
HEMME BLANC.
Synonymes : Hemme vert, — Patte de mouche.— Localités : Klang,
Guentrange, Lagrange, Kanfen.
HEMME JAUNE.
Synonyme : Le Révérend. — Localités : Rethel, Sierck, Kontz,
Ganderen, Berg, Sentzich.
HEMME ROSE.
Synonymes : Rouge blanc. — Chiavener (Alsace). — Localités :
Kontz, Montoy.
ÉTUDE SUR LA VIGNE. 977
TRIBU DES AUBAINS.
AUBAIN BLANC.
Synonyme : Blanc de Magny. — Localités : Magny, Peltre, Crépy,
Bionville.
Gleucomètre : (1861), 80,50.
Alcoomètre : 100,1.
TRIBU DES GAMETS.
GROS-BEC.
Synonymes : Simoro, — Noir de Lorraine, — Noirgot.
Gleucomètre : (1860), 4,5; (1861), %,75.
Alcoomètre : (1860), 2; (1861), 9.
GROS GAMET.
Synonymes : Liverdun, — Gouais, — Grosse race. — Localités :
Devant-les-Ponts, Saint-Julien, Pont-à-Mousson.
Gleucomètre : (1860), 20; (1861), 9,5.
Alcoomètre : (1860), 40,25; (1861), 60,80.
Il ne faul pas croire que ces dosages du gleucomètre
et de l’alcoomètre n’aboutissent qu’à des recherches de
laboratoires. Ces expériences ont un côté pratique facile
à saisir. J’ai trouvé, par une moyenne de dix années, que
le vin des bonnes années dans la Moselle ne doit pas
dépasser 42 degrés au gleucomètre, 10 degrés à l’al-
coomètre. J’ai constaté que le vin des mauvaises années
ne donne que 7 degrés au gleucomètre et 5 à l’alcoomé-
tre. Tout le problème à résoudre dans ces mauvaises
années est de ramener le moût à l'indication gleucomé-
trique de 12 degrés, ce qui se fait en ajoutant 1 kilo-
gramme et demi de glucose par hectolitre de moût. Cette
opération n’est faisable qu'avec les raisins de petite race
qui ont dans leur pulpe assez de matière colorante et
odorante pour donner du bouquet et de la couleur, tandis
que la même opération. faite avec du moût de raisin de
978 AGRICULTURE.
grosse race, donne un liquide peu coloré, assez fort en
alcool, mais sans le moindre bouquet.
Telle est la communication que j'ai cru devoir faire à
l’Académie, pensant qu’il est de notre devoir à tous de
faire progresser notre viticulture et de restituer à nos
vins son antique réputation, surtout maintenant que des
traités vont faire baisser les barrières de la Belgique, de
la Prusse et du grand-duché de Luxembourg.
31 octobre 1861.
ES COCEAODSS
NOTICE
SUR LA
CONSOMMATION DE LA VIANDE DE BOUCHERIE
DANS LA VILLE DE METZ |
PENDANT LES ANNÉES 1859, 1860, 1861,
PAR M. ANDRÉ.
Messieurs,
La dernière notice que j'ai donnée à l’Académie, sur
la consommation de la viande de boucherie par les habi-
tants de la ville de Metz, s'arrête à l’année 1858.
Je vais avoir l'honneur de vous soumeltre la continua-
tion de ce travail pour les années 1859, 1860 et 1861,
en m’appuyant sur les relevés de l'octroi, que M. Purnot,
préposé en chef, a bien voulu me donner comme par le
passé. Permettez-moi de rappeler ici son obligeance et de
l'en remercier.
Le Concours régional et l’Exposition universelle, qui
ont eu lieu dans cette dernière année, ont attiré à Metz
un cerlain nombre d'étrangers. Ce nombre, qu'il serait
curieux de connaître, ne peut être déterminé par les
receltes à l'entrée du Concours et de l'Exposition, d’abord
parce que, dans la somme de 174274 fr. qui a été perçue,
il ya les droits payés par les messins, ensuite parce que
%80 © AGRICULTURE.
la même personne a pu faire plusieurs visites, enfin parce
que les prix d'entrée ont varié suivant les jours de la
semaine. J’ai pensé qu'il serait possible d’arriver à une
approximation suffisante, en comparant la consommation
des choses nécessaires à la vie, et comme il n’y en a pas
de plus régulière, de plus ofliciellement constatée que
celle de la viande, J'ai essayé d’en tirer quelques aperçus;
vous jugerez tout à l'heure si mes calculs ont résolu le
problème d’une manière acceptable.
Je n’ai pas besoin de répéter qu’il n’y a rien ici de
hasardé ou d'hypothétique. Les animaux entrant en ville
pour l’abatloir sont comptés el pesés, le droit d’octroi
s'établit sur le poids brut; il ne peut donc y avoir
d’inexactitude sur cette première donnée. Quant au poids
nel, il est évalué d’après un rendement moyen qui n’a pas
varié. Il est, comme les années précédentes, de:
52k26 pour cent du poids brut pour les Taureaux ;
55 47 — — — Bœufs;
48 70 — — — Vaches;
59 » — — — Veaux;
48 48 — — — Moutons;
80 » — — — Porcs;
57 » — — — Agneaux, Chevreaux et
Porcs de lait.
On peut donc avoir confiance dans les résultats qui res-
sortiront de la comparaison des années.
Mais auparavant je vais rappeler, à titre de renseigne-
ment sur le commerce général, comme je l’ai fait dans
les notices précédentes, les importations en France des
bestiaux étrangers, d’après les états pubhiés par M. le
Ministre de l’agriculture, du commerce et des travaux
publics, après en avoir défalqué les exportalions.
CONSOMMATION DE LA VIANDE. | 281
ÉTAT des Importations générales, déduction faite des
Exportations.
ANNÉES
DÉSIGNATION. D CNE
1859. | 1860. | 18641.
Bœufs et taureaux... Nombre. 8217 11354 | 24976
Vaches 359858 | 40573 | 52469
Veaux et Génisses.…... 27278 51674 87616
Moutons | 393206 | 413840 | 504316
On voit que les importations, à l'inverse de ce qui s’est
passé dans les années de 1854 à 1858, ont pris, chaque
année, plus d'extension; on ne peut pas supposer que
l'élevage en France ait été réduit, puisque les progrès de
l’agriculture existent et ne sont contestés par personne;
il faut donc nécessairement en conclure que la consom-
malion de la viande en France s’est accrue, chaque année,
depuis 1859.
Si, en nous renfermant dans nos localités, nous cher-
chons quelle a été la part ou la proportion des importa-
tions par les bureaux de douane de la direction de Metz,
nous trouvons les chiffres ci-après :
36
282 a AGRICULTURE.
PROPORTIONS PAR CENT }
avec les
Importations générales
DÉSIGNATION. |
tn. OS ee DR.
1859. | 1860.11864.11859. 11860. 1ess.
Bœufs et Taureaux. Nomtre| 1367| 2945] 2227116,65|25,98| 8,92
Vachés::ssetsss ne 2705| 4780] 52941 6,79111,78110,09
_Veaux et Génisses. — | 1768) 3421! 2890) 6,48110,80| 7,68
|Moutons esse — _|57164174640182080114,59|18,03116,26
| | |
N résulte de cette comparaison que le nombre de bes--
liaux entrant en France par les bureaux de douane de la
direction de Metz, qui a été en décroissant depuis 1854
jusqu’en 1858, comme Jje l’ai indiqué dans ma précédente
notice, a une tendance contraire depuis 1859, notamment
pour l'importation des vaches et des moutons; quant à celle
des bœufs et des taureaux elle est notablement réduite.
Voici maintenant, par année, les états de la consom-
mation de la viande en ville:
283
DE LA VIANDE.
CONSOMMATION
“pneg sud sopnbipur soseq so soide,p s19do 979 e jou sprod uo jnaq sptod np uoIs19AU09 eT — *VLON
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284 AGRICULTURE.
On peut remarquer que le poids moyen des animaux
est plus faible en 1859 qu’en 1860. Cette dernière année
a même élé plus favorable à l'élevage que 1861, par suite.
des pluies tombées dans les mois de juillet et août, qui
ont préparé les pâturages d'automne.
La consommation en 1861 a été plus forte qu’en 1860,
à cause de la présence des étrangers à Metz; l’excédant
porte principalement sur la viande de vache. Les Flamands
prétendent que cette viande est préférable à celle du bœuf;
Je ne sais si cette préférence a quelque valeur et si elle
était du goût des consommateurs, mais, d’après les chif-
fres, 11 est certain que le bouillon et le bœuf qui leur
ont été servis ne pouvaient être en très-grande partie
que du bouillon et de la viande de vache. La statistique
est comme les enfants terribles, elle ne peut dissimuler
la vérité. |
TABLEAU No 2. — Consommation du Gibier et de la Volaille.
ANNÉES
DÉSIGNATION. De. EE SE
1859. | 1860. | 1861.
Sangliers............ .… Kilog. 7551 41292] 1771 70
Chevreuils............. _ 1883! 1673] 1872 199
Lièvres.............. Nombre.| 4386| 4388! N717 1529
LADINS ice meet — 997| 1562] 2373] 811
Coqs d’Inde.......... — 3714] 2976! 3000 24
OS ie sine es 28063! 25994! 337421 7748
Poulets et Canards.... _— 81529| 82852] 99277 16425
Perdreaux et Bécasses. — 5919! 2876] 3602 726
Pigeons sise — 43586| 14828| 20197, 5369
CONSOMMATION DE LA VIANDE. 285
La population de la ville de Metz, d’après le recense-
ment de l’année 1856, était de. . . . 44176 habitants.
Le recensement de 1860 donne. . 44565 —
Augmentation en quatre ans. 389 —
ou 97 habitants par année.
TABLEAU No 3. — Nombre de Consommateurs.
ANNÉES
DÉSIGNATION. Le M,
1859. | 1860. | 1861.
Population de la ville 44467 | 44565 | 44662
La garnison de Metz, d’après les états
de présence établis par l’intendance
militaire. 8643 | 8114 | 8285
Total du nombre de consommateurs.| 53110 | 52679 | 52947
286 | AGRICULTURE.
TABLEAU No 4. — Répartition.
ANNÉES
Re. ON
1859. | 1860. | 1861.
La quantité de viande consommée! wnioc.| wiros.| xicoc.
suivant le tableau no À est de........ 362909413583008 3704039
A déduire la consommation faite par|
les troupes de la garnison, à 91 kilog.
par homme et par an, d’après la base
établie dans les notices précédentes...| 866513] 758374 753935
Reste pour la consommation par les |
habitants. eueténinnns 2762581 |2844634129501404
Cette quantité, divisée par le nombre
des habitants indiqué tableau n°3, donne
pour chacun, par an, en moyenne ....| 62k126| 65k831
En supposant que la consommation des habitants a pu
être en 1861 la même qu’en 1860, elle donnerait à
63 kilog. 851 une quantité de....................... 2850817.
|
|
|
|
|
Il resterait donc pour la consommation faite
par les étrangers venus en ville lors de l’Expo-
SEUL RE 99287
En outre de cette quantité de 99287 kilog. de
viande de boucherie, il est entré en ville en 4861
plus de gibier et de volaille qu’en 1860; la difié-
rence est indiquée dans le tableau n° 2.
A TODOTLET..: ES eus 99287
CONSOMMATION DE LA VIANDE. 287
Reports 2 aus 99287k
Il est nécessaire d’en fixer le poids, qui n’a pas
été constaté à l’entrée. J'ai consulté des gens
fort au courant des marchés, et, d’après les
renseignements qu’ils m'ont donnés, voici com-
ment le calcul approximatif pourrait être établi :
ee
DÉSIGNATION. |Nombre, | P°i0s | Poids
moyen. total.
Sangliers...... Kilog.| » » 479
Chevreuils . ... — » » 199
Lièvres..... Nombre.| 1329 | 3 500 | 4651
Lapins ..... — 811 | 5 » 2453
Coqs d’Inde. — 24 | À » 96 56798
i Oies....... — 7748 | 4 » 30992
Poulets et Canards....| 46495 | 4 » 16425
Perdreaux et Bécasses. 726 | » 250 181
Pigeons .... — 5369 | » 250 | 1342
HORS Siren 156085
On peut donc évaluer la consommation faite par les
étrangers, pendant les dix Jours du Concours régional et
les cent vingt jours de l'Exposition, à 156085 kilog. de
viande.
Il s’agit maintenant de déterminer quelle a pu être la
quote-part de chacun. Elle est évidemment plus forte que
la moyenne annuelle de 63 kilog. 831 trouvée pour chaque
habitant de la ville, ou de 0 kilog. 175 grammes par jour
et par tête, parce que dans le nombre des habitants il y
en a qui mangent peu de viande ou même qui n’en
mangent pas du tout, ce qui réduit la quotité moyenne.
Il faut aussi considérer la consommation faite par les
288 AGRICULTURE.
étrangers comme supérieure à celle des soldats de la gar-
nison, calculée à 91 kilog. par an ou 250 grammes par
homme et par jour, parce qu’on fait entrer dans la nour-
riture de ceux-ci une assez forte proportion de soupe et
de légumes dont la plupart des étrangers, pendant leur
séjour à Metz, se sont probablement abstenus. Il me semble
que l’on approcherait de la vérité en calculant la consom-
mation de ces derniers entre 300 et 350 grammes par tête
et par jour, soit, en moyenne, 325 grammes. Dans ce
cas la quantité de 156085 kilog., divisée par 325 grammes,
donnerait un nombre de journées de consommation de
48027 qui, divisé par 130 jours, établirait la présence
de trois cent soixante-dix étrangers en moyenne par
chaque journée, non compris les habitants des campagnes
environnantes qui arrivaient à Metz dans la matinée du
‘dimanche et quittaient la ville dans l'après-midi, sans y
avoir consommé autre chose que des rafraîchissements.
Si on veut bien se rappeler l’animation que les étran-
gers ont donnée à notre paisible ville de Metz, et surtout
à notre belle promenade, pendant la durée du Concours
régional et celle de l'Exposition, et la foule qui assistait
à nos fêtes, on sera disposé à considérer ce chiffre comme
étant plutôt au-dessous qu’au-dessus de la réalité.
En supposant, de plus, que chaque étranger a fait une
dépense moyenne d’environ 10 fr. par jour, leur présence
aurait versé dans le commerce près d'un demi-million de
francs dont les restaurateurs et les hôteliers de la ville,
si délaissés depuis l'établissement du chemin de fer, ont
dû tirer un grand profit.
RÉSUMÉ.
1° On peut supposer, par le nombre croissant de l’im-
portation en France des animaux de boucherie, que la
CONSOMMATION DE LA VIANDE. 989
consommation de la viande, considérée dans sa généra-
lité, va en augmentant.
20 Le département de la Moselle participe pour une
forte part dans cette amélioration.
3° La consommation de la viande en ville a suivi la pro-
gression suivante :
ire Période: En 1842 47k45g | 2e Période: En 1852 62k39g
— 1845 43 » — 1853 61 10
— 1844 43 24 — 1854 59 48
— 1815 45 59 — 1855 58 30
— 1846 47 58 — 1856 62 51
— 1847 49 59 — 1857 62 93
— 1848 48 65 — 1858 68 29!
— 1849 55 23 — 1859 62 12
— 1850 59 65 — 1860 63 81
= 1851 65 48 — 1861 63 81
Moyenne de 40 ans. 50 52 Moyenne de 10 ans. 62 47
49 La moyenne des dix années, de 1842 à 1851, est de
50 kilog. 52; elle s'élève, dans les dix années suivantes,
à 62 kilog. 47, c’est une différence de 11 kilog. 95 ou
93,67 pour cent entre les deux périodes décennales. Mais
si l’on se reporte à mes premiers relevés, de 1842 à 1845,
donnant une moyenne de 44 kilog. 81, et qu’on les com-
pare à la moyenne des cinq dernières années, qui dépasse
63 kilog., on voit que la consommation de la viande en
ville s’est accrue d’environ 18 kilog. par tête ou plus de
40 p. ‘h, et cela malgré l’augmentation d'au moins
25 p. ‘/ sur le prix. Il faut en conclure qu’il s’est fait
un heureux changement dans les habitudes de la popu-
‘ L'année 1858 présente le chiffre le plus élevé, à cause de la
pénurie de fourrages résultant de la grande sécheresse. Les cultiva-
teurs ont été forcés de vendre une partie de leur cheptel.
: 37
9290 AGRICULTURE.
lation, et que l’aisance s’est généralisée dans une forte
proportion qu’il m'est agréable de constater.
5° Enfin :l résulte des calculs approximatifs, que la
moyenne du nombre des étrangers qui ont visité le Con-
cours régional et l'Exposition a été d'environ trois cent
soixante-dix par jour, et que la somme versée par eux
dans la circulation représente à peu près un demi-million
de francs. Le conseil général et le conseil municipal doi-
vent se féliciter d’avoir voté les sommes suffisantes pour
donner à l'Exposition la magnificence qui a attiré tant de
monde et a produit des résultats si avantageux au com-
merce.
RAPPORT
SUR LE
CONCOURS D’AGRICULTURE,
PAR M. DIEU.
Messieurs,
L'Académie a mis au concours de l’année 1861-62 une
question de prix ainsi conçue : « Quelles seraient les
» conditions les plus utiles à insérer dans les baux, sous
le rapport de leur durée, et des garanties nécessaires
au propriétaire pour la conservation de ses terres, et
au fermier pour que celui-ci puisse donner à ses cul-
tures l'essor nécessaire? »
Celte question paraît bien simple, au premier abord,
el cependant lorsqu’on vient à l’étudier au point de vue
de l’état actuel des baux de fermage dans le département,
on est tout surpris de voir qu’elle s’adresse à des intérêts
sérieux, et que de sa bonne solution dépendent des mo-
difications radicales et profondes dans l'avenir de l’agri-
culture ; dans la fécondité du sol; et, en définitive, dans
l'augmentation de la richesse du pays. Cette question est
essentiellement pratique ; l’Académie, en la posant, à
donné une preuve de plus de sa constante sollicitude pour
l’agriculture. Il faut, pour y répondre, une grande expé-
rience et des connaissances variées et étendues ; il faut
avoir réfléchi profondément sur les conséquences utiles
-
FO OV Y %
299 AGRICULTURE.
ou funestes de la durée longue ou courte d’un bail ; …l
faut avoir étudié les assolements, afin de conseiller le
choix le plus propre au pays ; il faut avoir apprécié l’im-
portance de la culture des prairies artificielles, qui per-
mettent au cultivateur de nourrir assez dg bestiaux pour
fumer largement la terre ; il faut apprendre au proprié-
taire combien est grand l'intérêt qu’il a à bien connaître la
pature chimique du sol, afin qu'il puisse insérer dans son
bail des clauses qui obligent le fermier à restituer annuel-
lement au sol ce que celui-ci lui donne sous la forme de
récolte ; il faut, en un mot, que dans les clauses d’un
bail, tout soit prévu et calculé en vue de la réalisation
de ce double intérêt : enrichir le fermier tout en augmen-
tant la valeur du fonds, c’est-à-dire le capital du pro-
priétaire. N’est-il pas vrai que l’Académie, en provoquant
indirectement l’étude approfondie de toutes ces grandes
questions, et j'en passe d’aussi importantes, s’est rappelée
que l’un des buts qu’elle poursuit est la prospérité de
l’agriculture dans le département ?
Or, Messieurs, l’Académie a reçu un travail en réponse
à la neuvième question de son programme, et la Com-
mission qui l’a examiné m’a chargé d’être son interprète
auprès de vous. J’ai accepté cette mission, comptant sur
la bienveillance à laquelle vous m'avez habitué, quoi-
qu’elle ait été rendue délicate par mon opinion person-
nelle qui n’a pas été en harmonie (pourquoi ne le dirai-je
pas) avec celle de la majorité de la Commission. En effet,
la première impression que j'ai éprouvée, après avoir mé-
dité ce mémoire, lui a été on ne peut plus favorable.
M’attachant peu à la forme, je pensais que la solidité du
fonds et la manière large avec laquelle l’auteur a attaqué la
solution des plus graves questions, devaient faire passer sur
quelques négligences dues certainement à la rapidité de
la rédaction, et même sur quelques omissions regretta-
RAPPORT SUR LE CONCOURS D AGRICULTURE. 293
bles ; et, obéissant à une impression plus généreuse que
sage, je le reconnais aujourd’hui, j'aurais voulu que l’on
décernât un prix à ce mémoire.
Votre Commission, plus prudente que moi, convaincue
que l’auteur se présenterait l’année prochaine avec plus
d'avantages, a décidé de vous proposer que l’Académie
donnerait à l’auteur une marque d'estime, d'encouragement
et de satisfaction, en insérant dans le recueil annuel de ses
mémoires le rapport qui concerne son travail. Alors, en
laissant la question au concours, elle peut être convaincue
qu’elle recevra un travail plus complet, müri par une
plus longue expérience, et qui fera certainement taire
toutes les hésitations.
Dans la détermination de votre Commission, que l’au-
teur le sache bien, 1l n’y a rien que de très-honorable
pour lui; car elle l’a apprécié comme un athlète qui
avait approché du but sans l’atteindre tout à fait; comme
un concurrent capable d’élucider toutes les grandes ques-
tions soulevées par le problèmé ; comme un auteur, enfin,
digne d’aspirer à une récompense plus complète que
celle d’une simple mention honorable.
Dans ces conditions, Messieurs, j’ai pensé qu’il ne se-
rait pas opportun d'analyser ce mémoire dans tous ses
détails, et qu’il suffirait de vous en donner une idée gé-
nérale, en signalant dans ce rapide aperçu les principaux
points qui laissent à désirer.
L'auteur, qui à fait preuve d’une érudition de bon aloi,
atlaque toutes les questions avec une grande netteté; sa
manière est généralement large et hardie, et ses têtes de
chapitre sont bien choisies et bien accentuées. Il fait
ressorlir avec une grande habileté tous les avantages du
bail à longue durée ; mais, dans le modéle de bail qu’il
donne il a oublié de prévoir le cas de mort du fermier
ou celle du propriétaire. C’est là une lacune très-regrel-
994 AGRICULTURE.
table, car celte prévision est d’une importance capitale
dans les longs baux. Il suffira de signaler cette omission
à l’auteur pour qu’il la répare dans son prochain travail,
en en éludiant toutes les conséquences.
On commence généralement à comprendre aujourd’hui
que les arbres ne sont bien placés que dans les forêts ou
dans les vergers ; dansles endroits, enfin, où le propriétaire
ne veut demander au sol rien autre que la prospérité de
l'arbre. L'auteur, qui combat si bien tous les abus entés
sur les vieilles coutumes, à omis de parler des inconvé-
nients très-sérieux qui sont altachés à l'existence de ces
arbres séculaires que l’on voit encore trop fréquemment,
dans notre département, au milieu des champs destinés
à la culture. Dans son modéle de bail, si remarquable à
tant de titres, 1l parle bien de la destination des arbres
morts ou renversés, de la tonte des haies, etc. ; mais 1…l
faudrait que, dans l'intérêt du propriétaire comme dans
celui du fermier, toutes les questions relatives aux haies
et aux plantations fussent traitées dans le cours du travail
et prévues dans le modèle de bail.
Un autre desideratum est relatif au livre de ferme.
L'auteur en parle bien, mais pas assez longuement ; et
il nous paraît ulile de faire ressortir tous les avantages
d’une comptabililé régulière, qui permette au fermier de
se rendre un compte bien exact de la culture de chaque
pièce de terre, de l’élève du bétail, des ventes, des achats,
de la distribution des fumiers, etc., etc.
Un mot relatif aux avantages et aux inconvénients des
pigeons aurait encore trouvé une place utile dans ce
travail. |
L'auteur nous a paru avoir attribué trop d’inconvé-
nients à la culture des plantes textiles et oléagineuses
dans les trois dernières années du bail. Sans doule, ces
cultures sont plus épuisantes que d’autres; mais où sont
RAPPORT SUR LE CONCOURS D AGRICULTURE. 295
les inconvénients, si vous connaissez bien la nature du
sol, et si vous savez toujours lui restituer ce qu’il vous
a donné sous la forme de récoltes? Il veut un long bail,
et 1l a parfaitement raison ; il veut que le cultivateur
reste fermier du même terrain pendant dix-huit ans au
moins, et c'est une bonne chose ; parce que, dit-il, il
faut au cultivateur six ans pour mettre la terre en bon
état ; six ans pour rentrer dans ses avances, et six ans
pour réaliser des bénéfices. Mais si cette théorie est vraie
lorsqu'on l’applique aux propriétaires et aux fermiers
qui, abandonnant les vieilles coutumes des baux à courte
durée, veulent entrer dans cette voie nouvelle et féconde,
elle ne nous paraît plus aussi juste lorsqu'un nouveau
fermier succède à l’ancien. Est-ce qu’il faudra encore
six ans à celui-ci pour remettre la lerre en état? Si c’est
là votre pensée, où sont les avantages du propriétaire ?
Ïl a fait un long bail dans la prévision que tout tendra à
augmenter la valeur de son fonds, et voilà qu’il faut en-
core six ans au nouveau fermier pour mettre la terre en
état, même en interdisant à l’ancien, dans une certaine
mesure, la culture des plantes oléagineuses ! Nous n’avons
pas la prétention de soutenir que l’auteur n’est pas dans
le vrai ; mais nous aurions voulu lui voir indiquer d’une
manière plus complète les moyens de réparer les pertes
que vient de faire le sol en vous donnant une récolte de
lin, de colza, etc. À coup sür, une dissertation appro-
fondie à propos de la culture de ces plantes épuisantes,
serait accueillie avec beaucoup d'intérêt dans un pays où
on en cultive beaucoup, trop, peut-être, et nous aurions
vu avec une vive satisfaction détailler les raisons pour ou
contre une culture que l’on accuse déjà d’avoir épuisé
en partie la plaine de Thionville.
Enfin, et c’est par là que nous terminons, l’auteur a
oublié la culture du tabac ; or, de deux choses l’une, ou
996 AGRICULTURE.
cette culture existe déjà sur la ferme que vous allez
louer, ou elle peut entrer dans vos prévisions. Dans l’un
ou l’autre cas le bailleur et le preneur n’ont-ils pas un
intérêt à prévoir les conséquences de cetle culture ?
En soumettant à l’auteur ces observations, nous avons
l'espoir qu’elles lui feront découvrir des horizons nou-
veaux, et nous avons la conviction que les brillantes
qualités qu'il a déployées dans son mémoire, recevront
l'année prochaine une récompense digne de lui et en
harmonie avec l’importance de la question elle-même.
15 Avril 1862.
NOTICE
SUR LA
CULTURE DES ARBRES D’AVENUE,
PAR M. SIMON-FAVIER.
_
Messieurs,
Les plantations des promenades et des boulevards in-
téressent vivement les habitants des villes.
Chez nos concitoyens, cet intérêt s’est traduit toutes les
fois que des mesures ont été prises pour l’entretien ou la
modification de nos promenades, par des observations
souvent peu réfléchies, adressées soit à l’administration
municipale, soit au public par la voie de la presse.
Personne n’a oublié l’élégant plaidoyer que M. le co-
lonel Brosset écrivit, en vers faciles, en faveur des mar-
ronniers de l’Esplanade, dontil s’était fait le charmant,
mais peu sérieux défenseur.
Chacun se rappelle l'explosion d'indignation que sou-
leva, naguères encore, la taille si nécessaire des tilleuls
de l’Esplanade.
Il y a quelques jours, enfin, lorsqu'il s'agissait simple-
ment d’établir sur la promenade un bassin jugé nécessaire
à la distribution des eaux de Gorze, l’administration a
élé subitement assaillie d’un grand nombre de projets,
qui ne proposaient rien moins que l'entière rénovation
des jardins.
En présence de ces marques nombreuses d'intérêt, il
38
998 AGRICULTURE.
n’est pas hors de propos d’entretenir l’Académie d’une
question qui est intimement liée à la plantation des pro-
menades et des boulevards, je veux parler de l’éducation
des arbres d’avenue.
Je désire encore, par là, rappeler à l’Académie l'intérêt
qu’elle doit porter aux jardins et aux embellissements de
‘ la ville, auxquels elle reste, selon moi, beaucoup trop
étrangère.
Pendant le séjour à Metz de M. le professeur Dubreuil,
j'ai fait avec lui de fréquentes promenades dans les envi-
rons de la ville.
Dans ces excursions, les arbres qui bordaient l& routes
que nous suivions ou qui étaient plantés sur les glacis,
étaient naturellement l’objet des observations du savant
arboriculteur qui tantôt en louait, tantôt en blämait la
taille ou l’élagage.
Je lui faisais remarquer combien ces arbres étaient
différents de formes, et combien celte irrégularité nuisait
à l'effet des plantations.
Puis, recherchant la cause de cette difformité, je l’at-
tribuais à l'emploi qu’on fait habituellement d'arbres ob-
tenus par le semis.
Pour y remédier, disais-je, pour arriver à obtenir des
plantations régulières, 1l faudrait changer ce mode de cul-
ture, il faut greffer tous ces arbres.
M. Dubreuil approuva celte nouvelle culturê, et il me
dit qu’elle méritait d’être signalée et qu’à l'avenir elle
serait comprise dans son enseignement.
Si l’on jette, en effet, un coup d'œil sur les arbres
plantés en ligne sur les promenades, sur les routes, sur
les glacis, on est frappé de la diversité des formes que
présentent les arbres de la même espèce plantés dans les
mêmes conditions, et de l’irrégularité qui en résulte pour
l'aspect général de la plantation.
L 2
NOTE SUR LA PLANTATION DES ARBRES. 999
lci un arbre a les branches pendantes; un autre les
présente obliques ou verticales ; la tête de. l'arbre est
tantôt droite, tantôt penchée ou tortueuse ; le feuillage
en varie autant que les branches et les tiges, et signale
parfois quelques individus par des particularités bi-
zarres, comme celles du marronnier dit du 20 mars,
qui fait depuis si longtemps les délices des’ béoliens
modernes.
On sait déjà d’où cela provient : les variétés des arbres
d’avenue, comme celles de tous les arbres et des arbustes,
sont engendrées par les semis ; tous les arbres employés
dans les plantations en lignes sont généralement élevés
. de semis; de là toutes ces formes si diverses, et ces
nombreuses différences dans les diverses parties des
arbres de la même espèce.
IF faut, si l’on veut élever des arbres qui présentent
tous, au contraire, les mêmes dispositions dans leurs
branches, dans leur feuillage et dans leur port, renoncer
à l’ancienne culture et recourir à la greffe.
Les greffes de l’espèce devront être prises sur un arbre
type, choisi d'avance comme remplissant le mieux les
conditions que l’on désire obtenir sous les différents
rapports, de la forme, de l’aspect et du produit.
Cet arbre sera choisi parmi ceux qui présenteront une
végétation vigoureuse, dont les branches seront bien dis-
posées à l’entour de la tige, dont le feuillage sera ample
et d’une belle nuance, enfin celui dont l’ensemble pa-
raitra être la perfection de l'espèce.
Les tilleuls, les ormes, les frênes, les marronniers
devront être, de toute nécessité, élevés de cette manière ;
quant aux autres espèces, cela n’est pas aussi rigoureu-
sement nécessaire ; mais, cependant, il serait mieux de
les greffer aussi , car toutes les espèces tendent plus ou
moins à varier, et il suffit, dans une plantation, de ren-
SU0 AGRICULTURE.
contrer quelques arbres différents pour que l’uniformité
en soit rompue.
Quant à la culture des arbres d’avenue qui sont ordi-
nairement élevés de bouture, comme les peupliers et les
platanes, si l’on veut les cultiver avec soin, il est préfé-
rable de ne prendre les boutures que sur le même arbre
ou sur les arbres qui ont le plus de rapport entre eux ;
ces arbres doivent être choisis également parmi les plus
beaux de l'espèce. |
Des arbres élevés avec ces précautions permeltront,
bien certainement, d'établir des plantations en ligne qui
présenteront une régularité parfaite, et des avenues d’un
ensemble qui ne laissera rien à désirer.
JOURNAL
DES
OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES
FAITES À METZ, PENDANT L'ANNÉE 1861,
PAR M. LAVOINE,
Chef du bureau de l'administration de l’École d'application de l’Artillerie et du Génie,
ET M. ANDRÉ,
Commis-écrivain au même bureau.
lauteur de la cuvette du baromètre au-dessus du niveau
moyen de la mer, 183m,11.
Cette hauteur a été déduite, par des nivellements topographiques,
de l'altitude de 26m,25 pour le zéro de l'échelle du pont de la
Tournelle, à Paris. |
Les Observations météorologiques, que l’Académie publie dans ses
Mémoires, sont précieuses à cause de leur continuité et de leur exactitude.
Elles ont été fuites de 1825 à 1851 par M. Schuster, ancien membre de
l'Académie, et continuées, depuis 1852 jusque vers le milieu de 1861, par
M. Lavoine, qui avait succédé à M. Schuster dans les fonctions de chef du
bureau de l'administration de l'École impériale d'application de l'Artillerie et
du Génie. |
Homme exact et consciencieux, M. Lavoine a apporté, dans cette conti-
nuation de l'œuvre commencée par un autre, autant de soins et de ponc-
tualité que s’il se fut agi de son œuvre personnelle. Dépourvu d'ambition,
il n'a pas cherché à se faire un titre, de ce travail important autant qu'in-
grat, pour solliciter l'honneur de remplacer son prédécesseur à l'Académie.
Toutefois la valeur de son œuvre mérite que cette Société conserve, dans
ses Mémoires, le souvenir de celui qui l’a exécutée et dont la vie, entière-
ment consacrée à l’accomplissement de ses devoirs, peut servir d'exemple
aux plus zélés des serviteurs de l'État.
etes
‘Jean-Baptiste-Adolphe Lavoine est né, le 1°° mars 1808, aux Bains,
canton d'Arles. Son père, vieux soldat du premier empire, était, quand il
mourut, concierge des bâtiments militaires à Perpignan, et le jeune Lavoine
était employé, comme écrivain et dessinateur, dans les bureaux du génie de
cette place. Dans l'espoir d'acquérir promptement une position qui lui permît
de venir au secours de sa mère *, Lavoine entra, le 2 juin 1826, immé-
‘ diatement après la mort de son père, comme enrôlé volontaire au 2e régi-
ment du génie. Le colonel se l'attacha bientôt comme secrétaire ; mais notre
jeune soldat préférait, aux faveurs que cette position pouvait attirer sur
Jui, les récompenses dues aux services de guerre. Aussi, vingt et un mois
après son entrée au corps, il obtint de faire partie de l'expédition de Morée,
pour laquelle il partit, le 15 mars 1828, avec le grade de sergent-fourrier.
Six mois plus tard il fut nommé sergent et resta en Morée, oublié dans ce
grade, jusqu'à son retour en France, le 22 février 1831. La seule action
militaire à laquelle il lui fut donné de prendre part fut la tentative d'escalade
de Coron.
Six semaines après son retour il était fait sergent-major et suivait sa
* Dès qu'il fut nommé garde, M. Lavoine fit à sa mère unc pension qu’il augmenta
progressivement.
OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES. 303
compagnie, détachée successivement à Thionville, à Lyon ct à Perpignan.
C'est là qu'il reçut, le 15 juin 1834, sa nomination de garde de troisième
classe et sa destination pour Abbeville. Le 41 novembre 1836, promu garde
de deuxième classe, il fut envoyé à la place de Metz, puis attaché, le
7 octobre 1842, à l'École d'application. [l devait y terminer sa carrière,
le 7 août 1861, à l’âge de cinquante-trois ans, après avoir été nommé
successivement garde de première classe le 28 avril 1845, chevalier de la
Légion d'honneur le 26 août 1851, garde principal le 5 août 1854, et chef
du bureau de l'administration le 21 avril 1857.
Les états de service que nous venons d'énumérer n'ont rien que de
très-ordinaire ; mais ce qui l'était moins c'est le zèle et la conscience de cet
excellent serviteur qui, pendant plusieurs années, sut mener de front les
fonctions de garde du génie et de chef du bureau de l'administration jusqu’au
moment où, ayant fait valoir ses droits à la retraite militaire, il put être
nommé titulaire du dernier emploi. Doué d’un jugement droit et d'une
grande aptitude de travail, d'un caractère modeste et réservé, quoique
plein de frenchise et de dignité, il sut, dans ces fonctions délicates, se
concilier l'estime et l'affection de tous, supérieurs ou inférieurs. Les qualités
de son cœur étaient égales à celles que nous venons de signaler. On peut
en juger par les regrets si vifs de sa femme et de ses enfants.
Atteint, depuis plusieurs années, d'une maladie d'intestins, très-grave,
conséquence probable d'un travail sédentaire trop continu, il avait tou-
jours lutté contre des souffrances qui eussent abattu une nature moins
énergique que la sienne; mais le sentiment du devoir dominait tout
chez lui, et il ne quitta son service que deux jours avant sa mort, vaincu
dans cette lutte inégale de la volonté humaine contre les douleurs d'une
maladie mortelle. |
et
Les Observations météorologiques ne seront pas interrompues. Elles ont
été continuées, jusqu'au 9 murs 1862, par M. André, commis-écrivain au
bureau de l'administration, que M. Lavoine avait initié aux observations, et
qui, Zélé, consciencieux et &imé comme son chef, devait, à moins d’un an
de distance, le suivre dans la tombe. Depuis lors elles ont été faites et elles
seront continuées par M. Baur, maître de dessin et chef du bureau des
dessinateurs à l'École d'application.
30% AGRICULTURE. — OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES.
om
A SH. DUSOIR.| TEMPÉRATURE PLUIE
CT — expr.
mini- en
.[oum./millim|
I,
bar. | ther.
à Oo. lextér.
à Oo. |extér.
734,41] 7,0 |753,21| 6,0 6,0 »
742,96!- 5,4 — 7,0 | 47.85
752 o4l- 6,0 |751,74|- 3,7 — 9,6 »
746,15] 0,0 |745.04/- 0,3 - 7,5 »
745,96'- 7,0 |746,15|- 7,0 410,6 »
745,15!- 8,4 |746,75|- 7,0 13,0 »
748,99 — 4,4 |748,88|- 4,4 - 9,0 »
754,46|- 8,0 -11,2 »
753,26|- 5,4 -15,4 »
753,11|- 4,0 — 8,0 »
14 |754,03/- 5,4 753,92|- 5,2 - 6,0 »
12 |752,52|- 5,5 750,72|- 3,6 - 6,5 »
13 |74%.67|- 7,0 |745,74/- 5,0 |742,40|- 47 - 8,2 :
14 |742,01/- 6,0 |742,50/- 4,0 |742,21/- 4,0 - 9,7 ;
745,20|- 6,0 |744,72|- 5,0 11,2 »
746,08|- 8,3 |745,98|- 7,0 —12,5 »
749,67|- 2,4 |749,69|- 2,6 -11,0 »
752,56|- 1,4 |759,59|_ 47 - 4,0 »
752,67|- 6,8 |752,62|- 5,0 -10,2 »
20 |754,11/- 6,0 |755,10|- 5,3 |754,75]-,5,0 9,2 »
758,81] 0,0 [758,33 n 0 6,5 | 0,20
756,49] 1,7 [755,99] 4,0 0,6 »
755,11] 0,3 |754,87| 0,0 0,2 »
24 |754,51|- 2,6 |754,52/- 1,2 |754,32|- 1,0 3,0 »
25 |754,66|- 5,5 |754,82| 2,0 |754,35| 5,0 6,2 »
26 |753,85| 7,0 |756,58] 8,0 |757,04| 7,0 2,0 0,50
27 |756,50! 5,5 [755,90] 7,8 |755,50| 7,5 4,6 ;
756,22] 5,0 |756,05| 4,8 5,0 |
754,49] 2,0 [754,45] 2,0 0,0 »
30 |753,87|- 2,0 |754,17|- 0,3 |755,49| 0,0 2,2 ic)
51 |754,941- 1,2 |755,00|- 0,5 1,3 à
me | ns | nn | annee À mens Ο meme À mms
Plus rt habteur du baromt lie 759, 04
Plus petite » AMEN sis 733, ,21
Moyenne idem........ 751 08
ES a 0 CR TT 0,22
ÉTAT DU CIEL VENTS OBSERVATIONS
JANVIER 1861. | 909
Yo
ea
Z à midi. à midi. particulières.
Pluie. O. S. O. a. f. | Pluie assez continue. Neige la nuit.
Nuages. N. N.E.
Clair. N. N.E.
Éclaircies. O. N. O. Gelée blanche.
ù Nuages à l'horizon. |N. Un peu de neige vers 9 h. du matin.
Clair. E. S.E Givre.
Couvert. S. S. O.. Quelques flocons par intervalle.
Clair. N.
Clair. N.E.
10 |Couvert. E.
Couvert. N.
Clair. E. S. E.
Quelq. petits nuages.|E. Gelée blanche.
Couvert. S. S. E.
15|Couvert. E. N.E. Quelques flocons dans la matinée.
Clair. N.
Couvert. N.
Couvert. N. E.
Beau. N.N.E Gelée blanche.
20 Couvert. S. O. Gelée blanche. Qq. flocons de 10 à 11 h. du m.
Nuageux. 8,
Couvert. O.
Couvert. O.
Couvert. S. E.
295| Nuages. S. E. a. f. Givre. Un peu de pluie pendant la nuit.
Couvert. 0.S.O.
Couvert. S.
Brouillard. E.
Brouillard. E.
50 Brouillard. S. E.
Brouillard. S. E.
Nombre de jours État des vents à midi. Pluie par les vents ci-contre,
le pluie, neige, etc. # N, NNO, NO, ONO, 6 »
tonnerre .......
gelée ..........
» 0050, S0, SS0, 6l. os.
25 S'SSE, SE, ESE, (91 0:20{18°%5
E, ENE, NE, NNE, 10 17.85
306 AGRICULTURE. — OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES.
|
FÉVRIER |A 9 H. DU MAT.
Jours
du mois| à Oo.
pe we æ né je
à O1 D = © © © I O © EE OI NO
me
CC
KO KO KO NO NO NO NO > Pœ nm me
DONS cr à D = © © D 1 ©
A MIDI. A 3 H. DU SOIR. TEMPÉRATURE
RS OP DS ER. SE
bar. | ther. | bar. | ther. | bar. | ther. | maxi- | mini-
l'extér. | à Oo. l'extér.| à Oo. l'extér. |mum. |mum.
755,62/- 0,2 |756,10|) 14,4 |756,10| 3,2 3,2 |- 1,3
757,87| 3,0 |758,86| 4,0 |759,46] 5,0 5,2 0,0
759,74|- 2,0 |759,45]- 1,0 |758,50| 1,0 1,2 |- 5,3
751,66|- 5,0 |749,99)- 0,7 |748,00! 2,3 2,8 |- 3,3
747,68] 1,0 |747,66! 2,6 |746,49| 53,0 8,2 |- 3,7
742,34| 5,5 [741,74] 9,3 1740,75| 10,0 | 11,0 |- 0,2
744,16] 6,0 [741,16] 7,4 |741,14| 7,4 8,0 5,0
740,05| 2,0 [759,35] 7,0 |758,42| 8,5 | 8,7 | 0,4
756,45] 14,5 |755,55| 6,6 |735,42| 8,4 | 93 1,5
745,92] 0,0 |745,42! 4,8 |745,10| 4,0 5,0 |- 1,2
740,47]- 1,0 |758,83/— 0,2 |737,59!- 0,2 | 0,6 |- 3,3
759,78|- 3,0 [740,61 0,2 |740,75| 0,7 | 4,4 |- 5,2
741,35| 3,0 |742,26| 4,8 |742,64| 5,7 4,8 |- 4,0
751,84| 3,0 |752,02! 6,0 1751,45| 6,2 | 7,8 | 25
744,24 4,9 |745,68] 8,4 |742,77| 9,7 | 40,0 0,5
745,66| 6,5 |745,98! 9,4 |744,56| 8,3 | 10,0 | 5,6
745,68| 4,0 |744,82| 9,0 |742,70] 10,0 | 10,5 | 2,3
749.95] 9,0 712,22) 6,5 [741,64] 9,0 9,0 0,2
742,52! 3,0 |742,11| 9,0 |741,16| 10,5 | 11,0 | 0,6
742,80] 6,5 |[745,00| 8,8 |742,98| 9,0 9,0 5,5
743,69! 8,5 [745,68] 10,7 |743,45| 11.9 | 44,5 8,0
743,50] 8,5 [745,58] 9,5 [742,94] 10,2 | 10,7 8,4
741,20] 9,2 |740,96! 13,8 1759,69| 14,0 | 15,0 6,7
743,75| 7,5 |744,47| 9,0 744,89] 9,5 9,7 6,5
748,00! 5,5 |747,81| 9,2 [746,70] 9,2 | 40,0 1,7
745,02! 7,0 |745,50! 7,2 |745,62! 7,5 7,8 6,6
747,70] 6,0 |747,64| 7,0 |746,70| 7,0 | 7,3 5,5
745,52! 4,2 1745,09! 6,0 |745,98|] 7,0 8,4 3,5
3,451745,251 6,261744,70| 6,611 7,57| 1,37
Moyenes|745,35
Plus grande hauteur du baroietré 759, 74
Plus petite idem......... 785 ,42
Moyenne idem......... 745.09
PÉTOAE Se nina deecescuis 0,63
0,20
FÉVRIER 1861. 307
À ÿTAT DU CIEL VENTS OBSERVATIONS
=
 à midi. à midi, particulières. |
Couvert. Brouillard. |S.
Nuageux. O.N.0
Brouillard. N. Gelée blanche. Givre.
Couvert. Q.
5ÿ| Couvert. SO: Gelée blanche.
Beau. a: Gelée bl. Un peu de pluie pendant la nuit.
Nuageux. S.
Nuageux. S. Gelée blanche.
Nuageux. N.
10 Nuageux. N. Gelée blanche.
Nuageux. N. ce Ras de 8 h. 30 m. à 10h. L
Nuages. O. S. O. Gelée blanche. Quelq. flocons pendant la nuit,
Pluie. SM 07 Pluie le matin et le soir. Gr. vent de 7 à 11 h..
Couvert. S.
15! Couvert. S. E. Gelée blanche. Pluie pendant la nuit.
Éclaircies. S. Un peu de pluie vers 6 h. 30 m. du soir.
Nuageux. S. E.
Couvert. S. Gelée blanche,
Voilé et nuages. v'É: Gelée blanche. Quelques gouttes pend. la nuit.
20| Couvert. S. E. |
Couvert. S.-S'0: PI. le mat. et le soir. Venta. f. de8h.a 11h.
Pluie. S. Id. pendant une grande partie de la journée.
Nuageux. S. E.
Couvert. Nuageux. |S. 0.
25 Couvert. E.
Couvert. N. E.
Couvert. N. O. Pluie fine vers 7 h. du soir,
Éclaircies. 3. O Id. de4à7h. du soir.
Nombre de jours État des vents à midi. Pluie par les vents ci-contre.
de pluie, neige, etc. 41 N, NNO, NO, ONO, 6 »
tonnerre....... » O,OSO, SO, SSO, 6Le 0,95(15 40
gelée .......... 9 S,SSE, SE, ESE, 44 14,450?
E, ENE, NE, NNE, 2 »
308 AGRICULTURE. — OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES.
| MARS.
Jours
du mois
pe |
© © D I © CE à O1 D À
td jp
Be
12
Moyens|745,16
A 9 H. DU MAT.
ther.
extér.
bar.
à Oo.
747,55
745,50
745,98
744,28
754,81
751,10
744,48
752,57
154,26
752,42
736,62
751,46] 5,0
755,61
751,89
752,49, 2,0
730,85
748,57
739,95
726,95
757,81
en)
740,19]
747,60
745,23
744,20
759,99
736,63
735,95] 11,5
758,11] 14,5
741,48] 8,5
740,13] 9,0
19,0
A MIDI.
Pen. DS
bar. | ther.
à O0. |'extér.
7,2
47
5,5
8.0
8,0
6,7
6,5
10,0
15,0
13,0
13,0
14,2
16,0
13,3
10,0
14,0
739,69
756,14
755,97
758,18
74,40
759,89
8,0 |745,56
10,0 748,86
9,5 |745 924
A 3 H. DU SOIR.
bar.
à O°.
9.0
7,5
11,0
47
6,2
8,0
6,8
8.5
9,0
13.0
6,0
4,5
3,0
3,0
6,0
10,0
8,0
5,0
8,0
8,0
7,4
7,5
11,7
17,0
15,0
14,4
14,0
17,0
15,5
10,0
12,0
748,44
751,99
755,50
725,21
740,74
733,02
741,04
746,14
741,97
742,14
737,97
755,50
735,79
758,15
‘741,00
759,21
TEMPÉRATURE
I
maxi- | mini-
mum. |mum. [millim
À ae | mmmmmenner | mao seneene | cms | mem | emma
6,011742 82 |
Plus grande hauteur du baromètre
Plus petite
Moyenne
Période
8,80 742,21
2. 00 0 0
9,24
9,4 | 1,6
8,8 | 2,6
11,0 | 2,8
7,5 | 4,5
7,2 |- 0,8
8,4 | 3,0
8,0 | 5,2
9,5 | 4,0
10,5 | 4,0
15,0 |- 0,2
9,0 | 4,4
5,7 | 1,5
6,2 | 1,38
6,2 |- 2,8
6,0 |- 0,3
10,5 | 2,4
10,0 | 3,0
8,0 | 2,6
9,0 | 0,7
9,0 | 3,0
8,0 | 5,0
9,0 |- 0,2
11,9 |- 0,2
17,2 | 4,0
15,0 | 3,2
150 | 7,0
15,2 | 8,0
18,2 | 7,0
19,5 | 7,0
10,0 | 7,8
140 | 6,0
10,51] 2,89
754,83
793.2
749,73
0,95
DATES.
à midi.
Nuageux.
Nuageux.
Couvert.
Pluie, grésil.
5|Nuageux.
Couvert.
Couvert.
Couvert.
Nuageux.
10! Voilé.
Couvert, pluie.
Couvert.
Couvert.
Couvert.
15 Couvert.
Couvert.
Nuageux.
Nuageux.
Éclaircies.
20 Nuageux.
Pluie.
Couvert, grésil.
Beau.
Clair.
25| Voilé.
Couvert.
Nuageux.
Nuageux.
Nuageux.
90|Pluie.
Couvert,
Nombre de jours
gelée....,...,...
ÉTAT DU CIEL
MARS 1861. 309
VENTS
à midi.
Pr Zuns
© ©
© 2
©
S. O,
O. f.
O0. S. O.f.
0. N.Of.
0.
S. O.
N. O.t.f.
S. O.
N. O.a.f.
O. S. O.
S. O. f.
0. N. 0.”
N. O.
N.N.O
S.
O.S.O
O.
O. a. f.
0. S.O.f
O.N.O.a
O.
0.
S.
S.
E.
N.
S.
S.
N.
N.
S.
État des vents à midi.
de pluie, neige, etc. 26 N, NNO, NO, ONO, 10
tonnnerre, ...…..
OBSERVATIONS
particulières. Ù
Gel. bl. Pluie, grésil et vent t. f. pend. la nuit.
Grésil par intervalles.
Pluie par intervalles.
Pluie, grésil et vent très-fort par intefvalles.
Gel. bl. Pluie fine la nuit à partir de 5 h. dus.
Pluie fine par intervalles.
Grande tempête à 2 h. du mat. Pluie, grésil,
neige-par intervalles.
Qq. gouttes à 7 h. du m. Pluie pend. la nu: t
Gelée blanche.
Pluie, neige fondue, grésil et vent très-fort. |
|Grésil à 11 h.30 m. Pluie et neige p. la nuit.
Neige après midi.
Forte gelée blanche. Neige après midi. :
Quelques gouttes le soir à partir de 4 h.
Pluie pendant la nuit. |
Id. Grand vent,
Ne’ge et grésil par intervalles.
Pluie, grésil et vent très-fort par intervalles.
Id. toute la nuit. Grand vent. |
Id., grésil, neige et grand vent p. la nuit.
Gelée blanche. Grésil par intervalles.
Gelée blanche. |
Gelée blanche.
Pluie pendant la nuit.
Averse à 1 h. 30 m. après midi.
Tonnerre à 11 h. 30 m. Forte averse et grêle.
Pluie pend. une grande partie de la journée.
f
Id. de 7h. à 9h. du matin.
Pluie par les vents ci-contre,
51,08
0, 0S0, SO, SSO, 16/5, 40,85 80,00
6 S,SSE, SE, ESE, 4 8,07
ENE, NE,
NNE, i | »
310
© OO 1 Où CX in O1 NO
> Læ De be
O1 KO > ©
© OO I où C7 Re
20
AGRICULTURE. — OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES.
. I[A®H. DU MAT.
Plus grande hauteur du baromètre 759,51
Plus petite Idées ru: 139.23
Moyenne
Pérou sbersersone Re
A 3H. DU SOIR.| TEMPÉRATURE! PLUIE
LC —<, on TS, | TT a | CX PT.
bar. | ther. | bar. | ther. | bar. | ther. |maxi-|mini- | en
à Oo. |'extér.| à 00. |'extér.| à Oo. | extér. | mum. |mum. |millim
740,67! 9,0 |741,82| 40,5 |741,92| 41,0 | 45,0 | 7,0 | 0,25
744,65) 9,0 [744,52] 14,0 |744,07| 13,0 | 45,0 | 4,8 | 0,05
743,68| 9.0 |744,78| 13,0 |745,04| 15,0 | 14,0 | 7,8 | 3,85
745,44 99 [744,52] 44,0 |745,48| 15,0 | 16,0 | 3,8 »
743,12] 10,0 [715,22] 44,5 |745,43| 12,0 | 45,0 | 7,8 | 0,10
748,63| 7,0 |748,66| 10,0 |748,50| 12,0 | 13,0 | 5,0 »
750,75] 6,5 |750,73| 11,0 |750,20| 13,0 | 153,0 | 4,3 »
752,935! 6,2 |752,65| 12,6 |752,57| 414,0 | 43,0 | 4,4 »
754,25|- 7,0 [73477| 9,0 |754,79| 8,0 | 40,0 | 3,4 »
755,51] 5,2 [755,33] 10,0 |754,33| 14,0 | 41,0 | 0,0 »
Â754,47| 8,2 |755.,65! 15,0 |782.,21| 44,0 | 44,5 | 4,6 | »
754,95] 8,0 |750,53| 45,0 |749,54| 42,0 | 14,0 | 2,0 | »
748,74] 10,0 |748,53| 45,0 [747,54] 46,0 | 16,0 | 4,5 | »
749,55] 9,0 |748,74| 15,0 |748,50) 16,4 | 16,4 | 3,5 | » |.
749,96| 10,0 [749,54] 44,0 [748,901 46,0 | 47,0 | 4,5 | » |.
733,69! 10,0 [753,80] 16,0 [755,41| 18,0 | 48,0 | 4,6 | » |!
754,29| 40,5 [755,25| 17,0 |731,94! 49.0 | 19,0 | 3,7 | »
750,46| 10,0 |749,44| 46,0 |747,78| 47,0 | 47,2 | 4,6 | »
747,91| 40,5 |747,02| 44,5 |745,90) 45,0 | 45,0 | 3,7 | »
730,74| 6,5 |750,28| 10,0 |748,90| 44,0 | 41,4 | 4,2 | » |.
745,40| 5,5 |741,56| 12,0 |739,23| 15,0 | 15,5 |- 0,2 » ||
739,83| 6,5 |739,65| 40,0 |739,59| 40,0 | 41,5 | 4,0 | 0,85
740,00! 7,7 |740,02| 40,0 |739,83| 44,0 | 12,0 | 2,8 | » |
743,92| 8,8 |745,90| 12,4 |745,68) 13,0 | 43,5 | 5,5 »
747,22| 9,8 |746,90| 15,0 |745,66| 16,0 | 17,41 | 3,5 » ||
746,42] 13.0 |746,49| 45,2 |746,70| 44,5 | 16,4 | 9,3 | »
749,53) 9,5 [748,18 41,4 [746,17] 12,2 | 43,3 | 5,0 | »
745,46! 7,0 |745,04| 40,0 |744,29) 41,5 | 12,4 | 3,5 | O,6ÿ
747,36| 6,0 |748,40| 5,6 |748,44| 8,5 | 10,5 | 2,0 | 0,0
753,25| 7,8 |755,37| 9,4 |752,73| 40,2 | 40,5 |- 0,7 »
Moyenes|748,23| 8,411747,95| 42,261747,30| 13,171 44,061 3,65: |
AVRIL 1861. J11
ÉTAT DU CIEL
DATES.
à midi.
Nuageux.
Nuageux.
Nuages.
Nuages.
5|Couvert.
Beau, quelq. nuages.
Beau.
Nuageux.
Nuageux.
(0! Nuageux.
Beau.
Nuageux.
Quelq. nuages rares.
Clair.
15 Nuages.
Clair.
Clair.
Clair.
Beau.
O!Clair.
Voilé à l'horizon N.
Nuageux.
Couvert.
Nuageux.
5! Lég.voiléetnuageux.
Nuageux.
Nuageux.
Nuageux.
Couvert.
) Nuageux.
Nombre de jours
pluie, neige, etc. 7
tonnerre....... |
gelée -......... 2
ZAZERRZ2HAZUURO
|
|
|
|
N.
22222227
VENTS OBSERVATIONS
à midi. particulières.
S. O. Pluie avant le jour. Qq. gouttes à 5 h. du soir.
Qq. gouttes à7 h. 1/2 du m.Tonnerre à 1 h. 3/4.
a f. Pluie la nuit jusqu'à 8 h. du matin. Coup de
O vent à 4 h. 30 m. du soir.
Quelques gouttes dans la matinée,
Gelée blanche.
A Gelée blanche.
E
Quelques gouttes avant le jour,
|Pluie vers 1 heure du matin.
Id. pendant la nuit.
Gelée blanche. Pluie et neige le matin.
Gelée blanche.
État des vents à midi. Pluie par les vents ci-contre.
N, NNO, NO, ONO, 14 0,80
O, OSO, SO, SSO, 53
S,
E,
410
SSE, SE, ESE, 4(%0 905(>50
ENE, NE, NNE, 12 085
2
MAI.
j Jours
De O1 RO
ES D AUS
29
Moyences!746,94
Période. sv ds iii nets
AGRICULTURE. — OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES.
A9H.DUMAT.| A MIDI. |ASH. DU SOIR.| TEMPÉRATURE
D OR CD. 0 RS PS SE RS ns SRE LS
bar. | ther. | bar. | ther. | bar. | ther. | maxi- | mini-
à Oo. |'extér. | à O0. |extér. |mum. | mum.
ns ls | mue, | ee mm
753,59! 9,5 |755,25| 45,0 |752,15| 14,4 | 146,2 | 0,8
751,27| 44,0 1750,62| 14.0 |749,57| 13,5 | 144,6 | 8,0
749,44! 7.0 |748,10| 8,0 |745,48| 10,0 | 10,2 | 3,8
742,081 6,0 |742,45| 9,0 |741,96) 7,2 | 9,5 8,8
743,80| 4,0 |744,10! 5,0 |744,50| 5,0 | 8,0 | 1,8
747,08! 6,5 |746,74| 10,0 745,60! 41,0 | 4i,5 1,8
744,56! 8,5 |745,62| 41,0 1742,72| 10,0 | 11,0 | 5,7
742,60! 8,0 |742,16| 10,5 |741,52| 14,0 | 11,0 | 5,0
741,58| 9,5 [740,45] 15,5 1739,20! 18,0 | 18,0 1,6
759,57| 11,0 |759,81| 44,5 |739,02| 16,0 | 48,4 | 10,0
759,58| 16,0 |759,29| 22,0 |739,72| 16,2 | 22,0 | 40,0
741,88| 17,5 |741,76| 21,5 |741,76! 20,0 | 22,5 | 11,0
746,84| 16,5 |747,25| 20,0 |747,82| 20,0 | 24,5 | 13,0
755,40! 9,5 [755,15] 12,7 |752,86) 45,5 | 13,5 | 9,5
755,41] 11,0 752,59) 15,0 |751,24) 17,0 | 17,2 | #0
750,58| 44,0 |749,45| 15,% |747,70] 19,0 | 49,5 | 4,7
746,54| 14,4 |745,84| 14,0 |745,33| 12,0 | 16,5 | 10,0
749,91] 9,0 |749,83| 12,0 |749,44| 15,0 | 13,5 | 5,0
752,15] 9,5 |752,15| 15,0 1752,26| 15,5 | 14,0 | 3,7
754,79| 10,0 |754,75| 16,0 |754,142! 18,0 | 18,6 | 92,7
754,45| 16,0 |754,49| 17,0 [755,88] 18,5 | 19,5 | 10,0
749,69! 16,0 |749,64| 16,4 |749,56] 18,0 | 19,0 | 12,5
749,74! 16,0 |749,58| 19,5 |747,86| 20,5 | 24,5 | 9,0
743,44| 18,0 |743,50| 18,0 |742,94) 19,0 | 19,0 | 9,0
744,02] 153,0 |743,84| 20,0 |742,22| 24,0 | 21,5 | 7,0
744,74] 18,0 [744,98] 24,0 |744,87| 25,0 | 25,5 | 10,5
746,70] 20,0 |746,28| 26,0 |745,90| 28,0 | 28,0 | 11,6
745,12] 19,0 [745,16] 24,0 |743,93| 25,0 | 25,8 | 17,0
745,47| 20,5 |741,95! 24,5 |741,51| 23,0 | 26,0 | 16,0
744,40] 19,0 1745,95| 22,0 |743,56| 22,0 | 25,0 | 45,0
745,88| 17,0 |745,66] 22,5 |745,52| 22,0 | 23,0 | 13,0
13,161746,64| 16,391745,97] 16,781 18,0 | 7,82
Plus grande hauteur du baromètre 754,79
Plus petite idem......... 739,02
Moyenne idem......... 746,52
0,97
PLUIE
expr.
en
millim
Mat À HE 313
É DU CIEL VENTS OBSERVATIONS
DATES.
à midi. à midi. | particulières.
Voilé p. part.etnuag.{N. O Gelée blanche.
Couvert. N. O. Quelques gouttes à 7 h. 30 m. du soir.
Couvert. 0. Orage à 9 b. du soir. Pluie abondante.
Nuages. N. N. O. a. f./Grésil à 6 h. du soir.
5|Couvert, q. gouttes. [N. a. f. Neige pendant la nuit. Pluie et neige le jour.
Nuages. N. Gelée blanche.
Couvert. 0. N. O.
Nuages. N. N. 0. |
Nuages. S. E. Gel. bl. Coup de vent à 8 du s. Pluie la nuit.
10 Pluie. S. S. O. Pluie toute la matinée,
Couvert. S. S. O.f. Id. à1h., 8h. du soir et la nuit.
Nuages. S. S. E. Id. pendant la nait.
Éclaircies. N.N.O. |
Nuages. N. N. O.
15/Nuages. N.N.E.
Beau. N.
Couv., quelq. gouttes|O. N. O. Id. de midià 2h.
Éclaircies. N.N. O. Gelée blanche.
Nuages. N. E.
20 Quelq. petits nuages, |N. N. O. Gelée blanche.
Éclaircies. N. N. O0. Quelques gouttes de 4 h. à 6 h. du matin.
Couv., quelq. gouttesiN. O. Un peu de pluis de midiàlh.
Nuages. E. N. E.
Couvert. N. N. O.
25|Petits nuages rares. |S. O.
Beau. S. 0.
Quelq. petits nuages.|O.
Nuages. S. E. Quelques gouttes dans la matinée, |
Nuages. S. 0. Tonnerre à 2 h. 30 m. du mat. Averse à 1 h.
30 Nuageux. N. O. Orage » 8 h. Tonnerre, pluie.
Nuages. O. N. O.
Nombre de jours État des vents à midi. Pluie par les vents ci-contre.
de pluie, neige, elc. 13 N, NNO, NO, ONO, 19 29,68
tonnerre .…. .... 2 O,0S0, SO, SSO, 6: 4.20(2e 65
pOIeB suis » S, SSE, SE, ESE, 5 4,60
FE. ENE, NE, NNE, 3 0.17
914 AGRICULTURE. — OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES.
A 3H. DU SOIR. | TEMPÉRATURE! PLUIE
.fmillim |
44,0 | 7,65) | :
11,6 »
9,6 | 7,05] | :
8,5 | 045||;
8,6 | 0,05! |:
8,5 | 0,25 Ï
412,6 | 4,55] |;
9,6 » ||:
413,6 | O0, |;
12,4 | 1,10}:
19,1 » f
9,0 » \
11,6 » \
12,6 »
15,1 »
14,8 | 3,4
44,7 | 0,4
15,0 »
15,2 »
746,22 16,9 x
745,84 18,0 »
Ô 47,4 »
17,1 | 12,60
14,6 | 2,4
13,4 x
14,6 | 1,05
43,3 | 9,00
12,0 ,
13,6 | 1,4
12,9 | 3,7
a | mem | mm À mm“. | mmmmm…— | commemmemcmmme À musee À manne
19,70]745,15| 22,841744,52| 22,77| 25,54| 12,98
Plus grande hauteur du baromètre 753,50
Plus petite idem......... 737,170
Moyenne Idem: 744,99
DÉTIOdes sean eu again 0,79
DATES.
Nuages.
Nuageux.
Éclaircies.
Nuages.
5|Couvert.
Éclaircies.
Éclaircies.
Nuages.
Éclaircies.
10 Nuages.
Éclaircies.
Nuageux.
Nuages.
Clair.
15 Quelq. part. voilées.
Nuageux.
Nuages.
Nuageux.
Nuages.
20 |Clair.
Lég. voilé à l'horizon.
Nuages.
Nuageux.
|: [Nuages.
25 | Nuageux.
Pluie.
Nuageux.
Nuageux.
Pluie.
30 Nuageux.
Nombre de jours
e pluie, neige, etc. 20
tonnerre ....... 7
Hole
ÉTAT DU CIEL
à midi.
ZRZLONBRRPOCRZZAANMZONWMBOZ2AUON
‘Juin 4861. 319
VENTS OBSERVATIONS
à midi. particulières.
0. Pluie vers 8h. du soir et la nuit.
S. O. Quelques gouttes de pluie de3h.à”7h. dus.
S. O. Pluie vers 10 h, du matin. Averse et grêle de
nee éloigné à 2 h. 1/4. Un peu de pluie.
Un peu de pluie l'après -midi.
N.E
Pluie fine à partir de 6 h. du soir.
Id. de5h.à7h. du matin.
S. O. Qq. gouttes de pluie le s. Tonn. éloigné (S).
0. Pluie à partir de 5 h. du m. Orages à 1 h. 15 m.!
et 3h. 40 m. du soir.
O. a. f. Quelques gouttes de pluie à 12 h. 40 m.
S. O. a. f.
N.E.
N. E. a. f.
N. E. f.
Tonnerre éloigné le soir pendant 2 b.
S. E. Un peu de pluie le matin. Orage à 5 h. 30 m.
N. E.
E Quelques gouttes de pluie vers 11 h. du soir.
S. O. ;
a. f.
O Orage à 7h. 15 m. du soir. Tonnerre, pluie.
O Pluie dans la journée et la nuit.
O. t.f. Un peu de pluie dans la matinée.
O
Tonnerre éloigné (S) à 9 h. du m. Pluie depuis
10 h. du mat. Orage à 3 h. 15 m. du soir. |
E. Pluie de 9 h. 30 m. à 10 h. 15 m. du matin.
O. a. f.
0. Id. à partir de 11 h. du matin.
O. a.f. Id. fine le mat. Averse à 8h. du soir. Pluie
de 1h.à 3h. du matin.
État des vents a midi. Pluic par les vents ci-contre.
N, NNO, NO, ONO, 4 4,26
0, OS0, SO, SSO, 44bn 36,80[55 04
S’ SSE, SE, ESE, 6 13.93{°%
E, ENE, NE, NNE, 0,25
316 AGRICULTURE. -— OBSERVATIONS MÉTÉOROLUGIQUES.
TEMPÉRATURE
ÉJUILLET|A 9 H. DU-MAT.| A MIDI. |A3H.DUSOIR. PLUIE
| nm — Li EX PT.
À Jours | bar. | ther. | bar. | ther. | bar. | ther. |maxi-| mini-| en
du mois] à Oo. | extér. | à Oo. l'extér.| à Oo. |extér. |[mum.| num. [millim
1 |750,11| 13,4 [751,95] 45.0 751,54] 18,8 | 19,3 | 10,6 | 1,65 |
2 |748,54| 47,7 [747,75] 20,9 |746.93| 18,6 | 22,3 | 40,7 | »
3 |745,44| 16,0 |745,60| 47,2 |744,97| 17,6 | 21,8 | 41,6 | 810
4 |741,86| 47,0 [740,56] 21,8 |738,15) 99,2 | 25,0 | 8,8 | 202]
5 |156.80| 201 |736,37| 17,8 755,56! 19,5 | 24,2 | 14,6 | 1,0
G |739,98| 18,7 738,92! 22,8 |737,68| 23,5 | 25,2 | 14,0 | 5,5
7 |758,81| 17,0 |758,67| 19,6 |738.,08| 19,0 | 24,4 | 41,8 | 1,55 |
| 8 |743,96| 17,4 |745,66! 18,3 |742,36] 48,7 | 20,1 | 12,6 6,25 |
| 9 740,45] 16,3 |741,92! 16,4 1742,50! 47,1 | 20,2 | 13,6 | 49,5
| 40 (747,00! 16,9 747,28] 24,0 [77 06! 22,0 | 220 | 41,8 | 24
| 41 |747,40! 18,7 |746,58] 22,0 |746,56) 22,5 | 22,8 | 13,5 | »
| 42 |749,72] 20,0 |741,80| 25,0 |740,29| 26,0 | 26,7 | 12,0 | »
13 |739,95| 19,0 [739,72] 21,0 1739.24] 19,0 | 23.0 | 15,0 | »
| 44 174,10) 49,0 [741,17] 25,0 |741,27| 24,0 | 24,0 | 12,6 | O0
| 45 |740,92| 20,0 |741,30| 49,0 |744,19| 22,0 | 23,0 | 16,0 6 |
| 46 |744,56| 47,0 |741,67] 19,0 |744,97| 47,5 | 21,0 | 45,0 | 19:
| 47 (746,60! 18,0 [746,96 22,0 |746,84| 25,0 | 25,0 | 144,2 | 3,65
18 |745,28| 20,0 |744,77| 23,5 |744,48| 22,5 | 245 | 140 | »
49 744,14) 20,5 |744,11! 24,5 |745,67| 24,0 | 95,0 | 14,0 | » |
20 |742,57| 24,5 |742,80| 24,5 |742,81| 24,0 | 248 | 43,5 | 045
| 21 |745,40) 21,0 [745,77] 25,0 |744,89| 95,0 | 95.8 | 14,6 | »
| 22 |745,54| 22,0 |745,02| 25,0 |744,89| 25,0 | 96,0 | 16,5 | 4,0
| 23 174,71] 25,0 |741,96| 23,5 |741,81| 21,0 | 23,5 | 16,0 | » |
| 24 |746,97| 19,0 [747,06| 21,5 |746,89| 22,6 | 23,0 | 43,5 | 8,5
| 25 746,40! 22,0 [745,51] 25,0 |744,41| 26,0 | 97,0 | 46,2 | » |
| 26 |740,27| 19,0 |740,18| 24,8 [740,13] 20,5 | 923,0 | 46,0 | 5,15
) 27 |743,17| 48,0 |743,17| 20,0 |742,97| 20,5 | 22,0 | 43,5 | 4,1
| 28 |738,76, 18,2 |744,50| 14,7 |746 48) 48,0 | 18,2 | 44,0 | 1,5
| 29 |750,91| 17,4 |750,40| 23,0 |750,16| 25,0 | 24,0 | 40,0 | Où
| 30 |746,98! 49,4 |746,74| 27,0 [747,05| 27,0 | 28.0 | 44,4 |
31 (1749.12 19,0 |749,86| 18,6 1749,90| 21,0 | 24,5 | 15,8
IMoyenes|745,85, 18,781743,79| 21,181743,60| 24,60l 25,35! 43,55!
Plus grande hauteur du baromètre 751,34
Plus petite idem........ 735,56
Moyenne idem........ 743,75
Périodes issues Mine lue 0,25
ÉTAT DU CIEL VENTS OBSERVATIONS
72
La]
> oc — à |
À à midi. à midi. particulières. ;
Couvert. N. ©. Un peu de pluie dans la matinée.
Couvert. O.N.Of. |Pluie par intervalles le jour et la nuit. |
Éclaircies. O. N. O. Averse à 2 h. 30 m. après midi. |
Nuages. S. E. Pluie fine la nuit par intervalles. |
5| Couvert. S. S. O.a.f.| Id. fine par int. le mat., la soirée ct la nuit.
Nuages. S, l1d. dans la soirée et nne partie de la nuit |
Éclaircies. S. S. O. a. f.| Id. par intervalles dans la journée.
Couvert. S. S. O0. Qq. goutt. à 3 h. 20 du s. PI. à p. de9h. du s.|
Couvert. N. O. Pluie le matin. Tonnerre éloigné de 2 b. 30 m.
RER à 3h. Averse vers 8 h. du soir.
10|EÉclaircies. N. 0. Quelques gouttes vers midi. :
Nuageux. S. O. Quelques gouttes de 7 h.à 8h. du matin. |
Nuageux. S. E. |
Couvert, pluie. S. S. O. Pluie par intervalles. |
Nuageux. S. S. O. Id. pendant la nuit.
15| Couvert, pluie. S. Id. à 11 h. du matin et pend. la nuit. Éclairs
; | : et tonnerre vers 9 h. du soir.
Pluie. 0. S. O. a. f.|pluie par intervalles.
Nuageux. O.S. O. a. f.| Id. pendant la matinée. |
Nuageux. 0. S. O. a. f. |
Nuageux. S. S. O. |
20|Couvert. S. Plusieurs coups de tonn. le mat. Qq. gouttes.
Nuageux. S. S. 0. |
Nuageux. S. O. Pluie le matin avant le jour. |
Couvert. O.S. O. Forte averse à 5 h. 30 m. du soir. |
Couvert. S, O.
25|Couvert. O0. S. O. |
Couvert. S. S. O. Pluie de 7 h. à 10h. du mat. Forte averse à
3 h. Pluie. Grand vent.
Nuageux. O.S. O.
Couvert. O. N.Of. |Tonn. à 6h. 30 m. du m. Pluie et vent tr. f.
Nuageux. S.
50 Quelques nuages. O. S. CO. Quelques gouttes à 8 h. du soir.
Pluie. S. O. Orage pend. la nuit, Quelq. gouttes après midi
Nombre de jours État des vents à midi. Pluic par les vents ci-contre.
de pluie, neige, etc. 21 N, NNO, NO, ONO, 6 91,75
tonnerre ....... ÿ O,0$0, SO, SS0, 19: 30,45 (97 77
gelée ....,...... » S, SSE, SE, ESE, 6 25,574 ?
E, ENE, NE, NNE, » »
318 AGRICULTURE. — OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES.
|
AOÛT.
|
| Jours
dd
bar.
pe mois| à Oo.
ee
© © OO 1 © Où D OÙ KO —
Bees
th
md ème ble le je db
1 O CE à ON
È 8 ©
O1 D © WW NO © NO N NN
© © © I © © à C1 NO
51
Moyenes|749,29 20,11 411 748,99 99: 24, nr 45| 24,971 95,83] 15, De
Plus grande hauteur du baromètre ‘75436
Plus petite |
Moyenne
745 82
748.19
748,85
747,98
746,57
- [746,09
749,48
745,75
744,90
747,28
751,17
746,74
749,47
752,47
755,31
759,35
748,77
749,34
[752,18
753,98
754,04
746,84
751,55
754,36
EEE
A 9 II. DU MAT.
ther.
extér.
Période
A MIDI.
bar.
à Oo.
Se 0 0 0 de ee
ther.
extér.
A 8 H. DU £OIR.
746,84
744,57
747,97
748,95
748,92
744,65
746,97
747,74
745,46
741,08
749,08
747,88
746,04
749,69
754,79
753,22
750,41
747,99
748,89
754 ,57
753,94
747,87
746,53
754,91
752.05
maxi-
.|mum. |mum.
741 08 :
TEMPÉRATURE] PLUIE
ee A,
mini-
expr.
en
millim
0,10
- mi a a —
ÉTAT DU CIEL
à midi.
DATES.
Quelq. petits nuages.
Nuageux.
Nuageux.
Beau.
SiClair.
Clair.
Nuages.
Nuageux.
Nuageux.
10 Nuageux.
Beau.
Beau.
Nuageux.
Nuages.
15 Nuages.
Nuages.
Couvert.
Nuages.
Clair.
20 Nuageux.
Nuages.
Nuageux.
Nuages.
Couvert.
25| Nuageux.
Éclaircies.
Éclaircies.
Beau.
Voilé par parties.
be
ess
Nombre de jours
e pluie, neige, etc. 9
tonnerre ....... 3
gelée ......... »
AOUT 1861. ‘ 319
VENTS OBSERVATIONS |
à midi, particulières. |
E. |
S. E Qgq; goutt. vers 3 h. du m. Orage à 7 h. du |
OS Cat) na re DL a pe nEe h
S. O. |
S. E |
N. O |
O. Orage vers 9 h. du s. Éclairs et tonnerre con—
tinus une partie de la nuit. Vent t. f. Pluie.!
O. a. f. Grand vent. Pluie de 8 h. à 9h. du soir et
N. O. a. f. Be ee al dun et le s. Vent très-fort.
N.O Id. fine par intervalles le matin. |
0.
S.S.E. °
O. |
E. N.E $
S. O.
E. Éclairs vers 9 h. du s. et la nuit, Grand vent.
N. O. Orage à 5 h. 1/2 du mat. Éclairs, tonn., pluie.
N. E.
N. O. ,
O.N.O.a.f
N. O.
N. |
O. S. O. a. t./Pluie fine vers 9 h. du soir et la nuit.
N. O. ff. Quelq. gouttes vers 7 h. du soir. Grand vent.
N.O. a. f. (|Quelq. gouttes à 11 h. 20 m. du mat. et les.
O. S. O a. f. Quelques gouttes vers midi et vers 8 h. du s.
S. O.
E.
0. S. 0.
N. O.
N.
État des vents à midi. Pluie par les vents ci-contre.
N, NNO, NO, ONO, 12 14,08
O, OS0, SO, SSO, Alzy 25,30(7 45
S, SSE, SE, ESE, 3 »(?/>
E, ENE, NE, NNE, 5 0,05
AGRICULTURE. — OBSERVATIONS ÉTOPOPOERLE
13 H. DU SOIR.
ra. 0e DU MAT. A MIDI TEMPÉRATURE PLUIE
nn EN Te | EX PT.
1 Jours | bar. | ther. | bar. | ther. | bar. | ther. |maxi-| mini-| en
‘du mois! à OP. l'extér. | à Oo. |extér. | à Oo. | extér. | mum. | mum. |millim
1 1749.80, 18,0 |749,39! 22,0 [748,98] 22,9 | 25,1 | 8,4 x
2 rarssal 482 (746,62! 95,8 |745.90! 074 | 275 | 97 | ,
5 (744,41) 20,9 |744,05) 29,0 |743,72| 27,5 | 29,4 | 9,4 »
4 748,55) 49,4 |748,71| 22,4 |748 59| 29,3 | 23,0 | 9,3 »
5 |748,69) 19,8 |749,04! 20,3 1749.95] 22,1 | 22,7 | 16,8 0,02
6 |746 81! 18,7 |744,58| 26,2 |742 19| 98.0 | 28,0 | 12,0 »
7 746,55) 16,9 |747,42) 17,9 1748,24| 19,3 | 20,4 | 12,4 | O15
8 46,0 |749,43| 17,0 |749,21| 19,0 | 20,2 | 9,4 | 4,30
9 14,8 |747,41| 21,9 |746,14| 22,1 | 22,5 | 8,9 »
10 15,5 743,44) 16,7 |743,05| 18,9 | 19,7 | 8,8 | 1,50
11 14,0 |744,02| 18.1 |745,74] 20,0 | 20,6 | 10,0 »
12 43,0 |749,76| 19,1 |750,28| 49,0 | 20,6 | 7,2 »
13 14,6 |752,36| 21,0 [750,88] 24,9 | 22,0 | 7,5 »
414 15,0 |746,12| 14,9 1745,58| 16,0 | 16,9 | 7,5 | 4,50
15 44,4 [742,941 16,0 |742,55] 48,3 | 49,1 | 9,6 | 0,55 |
16 , 10,8 [743,84 12,5 |743,741| 42,6 | 14,2 | 6,5 | 0,95
47 13,5 [746,65| 43,5 [746,74 14,5 | 15,3 | 9,6 | 9,70!
18. 13,6 |750,88| 15,8 |750,72| 45,6 | 16,0 | 7,5 | 5,90
19 15,3 [751,95] 17,8 |749,78| 19,2 | 20,0 | 9,2 ,
20 12,4 |747,13] 17,1 1745,71| 49,0 | 19,1 | 5,4 »
21 15,0 [744,54| 18,8 |743,42| 18,3 | 19,8 | 40,5 | 0,05
22 13,7 |740,95| 14,0 |741,341 46,4 | 46,5 | 9,9 | 14,9%
16,2
15.0
13,3
13,8
11,0
10,4
14,0
14,0
739,53
759,41
735,95
710,73
746,64
739,92
739,24
735,86
741,08
746,73
16,8
18,1
16,0
17,3
11,0
8,7
7,0
5,7
8,2
8,2
mms | memes À mm | mm | mm | me |
Plus petite IdéMisi ses 735,86
Moyenne
|
| |
Moyenes1746,16! 15,0 [745,871 18,411745,441 19,29] 20,041 ‘9,22
Plus grande hauteur du baromètre 753,59
Période instruments ten
L 2
Ï
}
ÉTAT DU CIEL
à midi.
| DATES.
Clair.
Clair.
Nuages.
Éclaircies.
5|Éclaircies.
Petits nuages rares.
Nuageux.
Nuageux,
Nuag. et voilép. part.
10|Couvert.
Nuageux.
Nuages.
Nuages.
Couvert.
15[Nuageux.
Couvert.
Nuageux.
Nuageux.
Nuageux.
20 /Nuages.
Fortement nuageux.
Couvert.
Couvert.
Nuageux.
25 Nuageux.
Nuageux.
Nuages.
Clair (f. voilé à l’hor.)
Nuages.
30 |Clair.
Nombre de jours
tonnerre .......
pelée. ss
»
SEPTEMBRE 1801. 321
VENTS
à midi.
©OHCOO
nel
7
One ©
209
©
.
HHOnnOCOnmOZmnONZZ2Pr On RRnUE
O00o"p
S
AVAZEVOPTONAROSONPALANALONOEO28
”
+
ai
us
ne
OBSERVATIONS
particulières.
Quelques gouttes vers 6 h. 30 m. du matin.
Pluie fine dans la matinée.
Éclairs à 10 h. du soir. Tonnerre éloigné.
Grand vent la nuit.
Pluie fine de 3 h. à 4h. 30 du m. Deux averses
après midi.
Pluie fine par intervalles dans la matinée.
Id. le matin à partir de 5 h.
Petite averse à 1 h. 30 m. du mat. Pluie fine
pend. le jour. Tonn. él. à 1h. s. PI. et grêl.
Pluie à part. de 6h. 30 du m. et pend. la journ
Id. d’averses par interv. pendant la journée.
Un peu de pluie fine de 11h. à 11h. 30 du n.
Quelques gouttes à 9 h. du soir.
Pluie à 6h. du mat., à6h. du soiret de 10h.
à 11h. 45m
Piuie par interv, le jour et la nuit. Gr. vent.
Id. et grand vent par int. le jour et la nuit.
Id. abond. le mat. jusqu'a 8 h. 30 m. Pluie
fine de 6 h. à 10 h. du soir.
Pluie la matinée à partir de 3 h. 30 m. et à
4 h. après midi.
État des vents à midi. ‘ Pluie par les vents ci-contre.
de pluie, neige, etc. 14 N, NNO, NO, ONO, 5 16,90
2 O, OSO, SO, SSO, 16(59 65 20 084,40
S, SSE, SE, ESE, 92
E, ENE,
NE,
NNE, 9 _ 4,30
41
329
OCTOB. |A 9 H. DU MAT.
a. Re
Jours
bar.
du mois] à Oo.
© OÙ 1 Où © à O1 NO
pe ne
æ ©
Ep pe pe D be pie
1 OO EX de O1 NO
KO NO =
= © © ©
22
O NO NO NO KO NW
|
748 ‘6!
742,42 2
751,26
752,96
751,88
751,12
751,16
751,05
750,51
748,41
746,20
744,84
747,86
751,75
751,96
751,58
749,56
746,41
ther.
extér.
14,0
10,2
10,0
12,0
9,9
9,1
8,9
8,9
13,8
10,0
11,1
51
4,0
4,0
2.8
AGRICULTURE. — OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES.
A MIDI. A 9 H. DU MAT.| TEMPÉRATURE | PLUIE
A À ne expr.
bar. | ther. | bar. | ther. | maxi- | mini- en
à Oo. l'extér.| à 00. |'extér. |mum. |mum. |millim
743,55| 18,8 |742,28| 21,0 | 24,0 | 8,1 »
743,88| 25,1 |744,39| 23,0 | 946 | 12,4 | »
749,08! 18,9 |748,67| 20,5 | 90,6 | 42.4 | »
749,52) 19,8 |748.44| 49,0 | 90,4 | 44,9 »
748,80| 17,9 |748,42| 18,5 | 490 | 8,8 »
751,10] 16,5 |750 94| 47,9 | 48,9 | 405 »
750,42! 21,0 |750,56| 25,4 | 24,0 | 10,8 »
747,75) 49,8 |746,02| 23,0 | 23,4 | 40,1 »
748,84, 21,0 |748,21| 22,2 | 992,6 | 15,7 »
747,29| 22,5 |745,95| 22,9 | 240 | 44,7 | 2,90
742,20) 22,8 |741,57| 21,9 | 23.0 | 15,6 | »
752.56] 16,6 1753.49] 18,7 | 49,0 | 44,4 | 270
752,21| 45,5 |751,42| 18,5 | 199 | 48 | »
750,89| 49,0 |749,98| 19,7 | 90,0 | 7,5 | »
750,55) 17,2 [750,18] 417,0 | 475 | 7,6 | » |
750,92! 16,8 |749,98) 17,9 | 48,4 | 6,2 | »
750,97! 15,0 |750,55| 16,9 | 480 | 63 | >» |.
749,93] 15,3 1749,09| 46 6 | 474 | 63 | » |.
747,79| 44,2 |746,78| 15,8 | 469 | 5,6 | »
745.88| 42,0 |745,56| 14,5 | 44:7 | 40 | »
744,50! 14,9 |744,17] 15,8 | 47,1 4,0 0,02
746,85! 19,0 746,59) 48,1 | 495 | 40 | »
754,77| 43,9 [751,47] 15,5 | 45,5 | 3,9 | 3,80
751,94] 12,8 [754,81] 12,8 | 43,4 | 7,7 | »
750,56| 10,4 |749,78| 15,0 | 43,4 | 21
748,74| 9,4 |748,10| 40,4 | 406 | 0,9 | »
746,01| 8,3 [74668] 9.4 | 97-05 | ,
744,64! 8,6 |744,26| 853 | 99 |- 07 | »
740,11] 6,5 (74008! 7,4 | 79 |- 08 | 3,23
749,54] 8,2 |[742,01| 8,4 | 85| 492/| ,
742,09! 6,9 |742,00| 8,0 | 8,4 | 40 | 002
15,85[747,37| 16,55] 17,18| 6.93
Moyenes 748,261 11,401747,86
Plus grande hauteur du baromètre 753,19
Plus petite
Moyenne
Période......... ,.,
eee
ÉTAT DU CIEL
DATES.
à midi.
Quelq. part. lég. voil.
Nuages.
Éclaircies.
Éclaircies.
ÿ | Couvert.
Légèrement voilé.
Voilé à l'horizon.
Nuageux.
Nuages.
10! Lég. voilé p. parties.
Couvert.
Nuages.
Clair.
Quelq. pet.nuag. rar.
15 |Clair, q.nuag. àl’hor.
Voilé par parties.
Nuageux.
Clair.
Clair.
20 |Légèrement voilé.
Fortt voilé à l’horizon
Voilé par parties.
Nuages.
Couvert.
25 Clair.
Clair.
Quelq. part. voilées.
Clair.
Couvert.
_ [80 ; Couvert.
| Pluie.
‘ Nombre de jours
de pluie, neige, etc.
tonnerre
gelée
8
OCTOBRE À 861. 323
VENTS OBSERVATIONS
à midi. particulières.
PS |
. S. O0. Quelques gouttes à 8 h. du matin.
. E. Fort coup de vent de 2h. à 3h. du matin.
L] N [2 E [1
. E.
LC] N. E.
S. E.
S. O. Un peu de pluie de 9 h. à 10 h. du matin.
Pluie de 1 h. à 5 h. du mat. Coup de vent de
1h.àa92h. du matin.
S. O. a. f. Un peu de pluie vers midi. Pluie de4 h. 30 m.
du soir à 2 h. du matin.
S. O.
N.E.
à
_
E
O
N
E
E
N
N
S
S
S
S
O.
N.
E
E
E
N
E
E
E
N
S
S
E
N
Un peu de pluie vers 8 h. 15 m. du matin.
Quelques gouttes vers 1h. du matin. Pluie
de Gh. du soir à 6 h. du matin.
. N.
. N.
. N.
E.
. S. O. |
. N.E.
N.N.E. Gelée blanche.
E. N.E. Gelée blanche.
N.N.E. Gelée blanche. |
E. N.E. Forte gelée blanche.
N.E. Pluie pendant la matinée, depais 1 h.
N.N.O. Un peu de pluie vers 6 h. du soir.
N.N. O. Pluie fine à 7 h. 30 m. du matin et à midi. |
État des vents » midi. Pluie par les vents ci-contre.
ù 50 ESE’ 301 990(12:09
E, ÊNE, NE, NNE, 20 3,27
324
Jours
bar.
du mois! à Ov.
OS LAS © à OÙ D —
2
756 92
732 66
737,95
749,28
750,49
745,29
737,95
732,71
1732,26
740,21
744,24
745,52
742,04
735.30
734,07
735,87
742,98
759,57
762,07
757,94|
751,93
743,86
736,27
740,89
759,74
746 58
744,74
744,76
750,31
NOVEM. |A 9 H. DU MAT.
ther.
extér.
5,1
10,4
7.9
4,1
749.82| 10,1
À MIDI.
bar.
à Oo.
736,48
752,36
737,48
749,64
749,60
744.26
757,55
732,75
733,59
740,35
744,78
744,15
739,75
754,85
754,22
735,78
742,51
753,18
761,60
757,05
750,63
749,98
755,75
740,40
752,18
745,92
ther.
extér.
8,1
6,0
5.8
6.8
6,9
8,3
9,2
9,9
7,8
7,5
10,8
8,9
12,8
8,7
6,8
6,2
8,0
2,0
1,3
1,5
1,8
9,5
8.8
5 6
5,1
7,9
744,98) 11,0
745,57| 8,0
750,06! 4.8
749,95) 11,0
A 3 H. DU SOIR.|TEMPÉRATURE
bar.
à Oo.
736,38
731,86
737,14
749,37
747,61
742,43
736,03
732,08
735,28
740,56
745,36
742,64
737,17
754,46
734,89
745,15
742,42
754,20
760,54
755,61
749,05
740,85
735,77
739,67
751,57
745,14
745,76
746,51
749,32
748,71
AGRICULTURE. — OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES.
PR.
ther. |maxi- | mini-
extér. |mum. |mum.
8,0 8,2 4,6
7,2 8,9 1,2
6,5 7,0 2,6
7,0 7,4 1,6
8,3 8,4 0,8
8,7 8.8 2,7
8,8 | 10,2 2,8
10,3 | 10,6 4,7
8,0 | 10,0 5,9
8,1 8.2 0,4
10,4 | 10,5 5,9
10,0 | 11,5 8,7
15,5 | 16,5 7,7
9,8 | 11,0 6,9
5,5 7,1 3.8
6,2 8,0 2,0
6,5 7,0 0,5
5,4 3,5 |- 0,9
1,2 | 14,4 |- 3,9
2,9 3,0 |- 5,7
7,2 7,5 |- 4,5
10,0 | 10,9 2,5
8,0 9,0 6.35
5,8 5,9 3,4
2,1 4,0 |— 2,0
9,1 9,2 |- 4,4
10,9 | 41,2 8,1
7,1 8,1 7,5
7,7 7,7 4 ,0
11,4 | 11,6 4,5
PLUIE
expr.
en
millim
nd né RE ES mm ES a
Plus grande hauteur du baromètre 762,07
Plus petite demeure 731,86
Moyenne idem......... 743,32
Période: adore 0,59
è
SDHC OS , +
| ESS à
2 2 Oo ne —
—
à
| DATES.
Couvert.
10! Nuages.
ÉTAT DU CIEL
midi.
Nuggeux.
Couvert.
Couvert.
Nuageux.
15| Couvert.
Couvert.
Eclaircies.
Légèrement voilé.
Clair.
:20| Clair, horiz. f. voilé.
Clair.
Couvert.
EÉclaircies.
Couvert.
25] Nuages.
Couvert.
Pluie.
Pluie.
Couvert.
30 Couvert.
||
Nombre de jours
de pluie, neige, etc. 21
tonnerre
gelée .....
NOVEMBRE 1861. | 925
VENTS
a midi.
|
Pluie pend. la soir. Gr. vent le soir et la nuit
O. a. f.
O. f.
0.
O.
N.0O.
N.E.
S. O.
S. O.
S. 0.
O.
0.
S. O.
S. O.
S. O.
N.E.
S. O.
0.
OBSERVATIONS
particulières.
Pluie par intervalles. Grêle, pluie et grand
vent à 7 h. du soir.
Id. à partir de2h. 30 ap. midi et pend. la n..
Gelée blanche.
Pluie fine et coups de vents par intervalles.
Id. le jour. Pluie abondante la nuit.
Id: pendant la journée et la nuit.
Id. fine pendant une partie de la journée.
Gelée blanche. Pluie à 5 h., 8 h. et à 10h.
du soir; grand vent ensuite.
Pluie fine par int. à partir de 5 h. 30 m. du m.
Id. la matinée et la nuit. Grand vent la nuit.
Id. par intervalles. Vent très-fort.
Id. fine ou averses par int. Raffales la nuit.
Id. par interv. de 8 h. du mat. à 8h. dus.
Gelée bl. Neige de 1 h. 3/4à3 h. après midi.
Gelée blanche.
Gelée blanche.
Gelée bl. Grand vent vers 2 h. du matin.
Pluie fine vers 3 h. du soir. Pluie abondante
et grand vent la nuit. |
Un peu de pluie vers 11 h. du matin.
Petite gelée bl. Pluie à 9 h. 45 m. du mat. et
de 2h. 4h. du soir.
Gelée blanche,
Grésil vers 6 h. du mat. Pluie la matinée et
la nuit. Vent violent. Le Dee
Pluie fine par intervalles le jour et la nuit.
Id. fine pendant une partie de la journée. ;
Id. la nuit à partir de 11 h du s. et ventt. f.
État des vents à midi. Pluie par les vents ci-contre.
N, NNO, NO, ONO, 1 0,80
0, OSO, SO, SSO, 22
84,041 419
S, SSE, SE, ESE, 4(50 975
E.
ENE,
NE, NNE, 5 13,60
326
_—
DÉCEM. |A 9 H. DU MAT.
AGRICULTURE. —— OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES.
A MIDI. |A SH. DU SOIR.| TEMPÉRATURE)! PLUIE
RE ES | Ste | EX PT.
Jours | bar. | ther. | bar. | ther. | bar. | ther. |maxi-| mini-| en
du mois| à Oo. |'extér.| à 0”. | extér. | à Oo. l'extér. |mum. | mum. |millim
4 1749.00! 9,0 |749,01| 9,4 748,90! 8,9 | 9,2 | 4,4 | 3,65
2 |787,71| 4,1 [757,64] 5,7 [757,43] 4,5 | 6,0 | 2,0 »
8 |755,31|- 4,6 |754,57| 0,9 |753,91| 2,6 | 5,0 |- 3,9 »
4 |755,57|- 0,2 |753,00| 92,0 |75216| 1,9 | 2,9 |- 25 »
D 174504|- 3,3 |743,12)- 1,6 |741,16)- 1,4 |- 1,5 |- 46 »
6 744,45] 0,5 |743,45| 92,0 [742,63] 1,5 | 9,1 |- 26 2,80
7 1753,45| 1,3 |752,70| 4,6 [754,74] 7,8 | 8,2 |- 2,5 | 42,93
8 741,09! 9,9 |[740,67| 44,0 [740,45] 9,8 | 41,3 | 5,4 0.95
9 748,89! 7,9 748,57! 10,3 |748,14| 10,9 | 114,3 | 4,5 | 40,65
10 1748.99! 5,7 |748,57| 8,8 |748,20| 9,4! 9,8 | 47 »
14 750,85! 37 |750,96| 6,9 1751,491 7,7 | 8,1} 92,1 »
42 |75254| 8,4 1751,91| 10,2 |751,40| 9,6 | 10,9 | 6,4 »
13 174408! 50 1742,89! 9 5 1742,70| 10,0 | 10,5 | 2,7 »
14 1748,61| 7,8 [748,80] 9,4 |749,27| 9,7 | 40,9 | 5,6 »
15 1752.60! 5,3 1751,97| 78 1751,90| 8,1 9,2 | 4,0 »
16 1751.62! 5,8 [751,36] 7,5 [750,67| 6,6 | 8,1 4,2 | 0,80
17 1752.52] 39 |751,88| 5,2 [750,69] 7,5 | 8,0 1,8 » |
18 1745.37| 5,0 |741,72| 5,8 |740,74| 6,8 | 7,0 | 4,0 | 0,70
19 174478) 9,9 [745,85] 4,6 [747,42] 3,7 | 15,0 1,9 | 0,86
20 175283] 0,2 |753,13| 92,2 753,65] 1,2 ! 2,9 |- 4,0 »
21 1753,06|- 2,2 1[752,47| 0,3 |751,41| 0,6 | 1,1 |- 3,4 »
22 |751,32/- 2,9 1751,17|- 4,3 [751,01] 14,6 | 4,7 |- 6,2 »
23 1752,25| 06 [752,60 14,9 1752.45] 1,6 | 1,9 |- 6,0 »
94 |735418|- 4.6 |755 79] 0,9 |753,05| 14,0 | 1,6 |- 3,7 »
25 |755 37|- 1,4 |752 95! 14,8 |751,75! 2,7 | 3,0 |- 3,2 »
26 1752,96/- 3,0 [752.29] 0,5 |792,46| 1,0 | 2,5 |- 5,0 »
27 |757,85|- 5,0 |757,99| 1,0 |752,85| 1,5 | 1,9 |- 6,0 »
28 |1757,24|- 9,3 [757,08] 4,3 [756,81] 14,0 | 2,4 |- 5,7 »
29 1756,45|- 5 3 |756,191- 2,4 1735,96,- 0,5 :- 0,5 |- 6,9 »
50 1755 58|- 7,0 |755,10|- 25 175402! 0,9 | 1,0 |- 7,8 »
34 1755,841- 1,4 755,241 0,1 [754,70 — 0,1 ! 0,2 |- 4,2 »
Moyenes|750,681 1,60 750.27! 3,99/749,80! 4,51! 5,15]- 0,65!
Plus grande hauteur du baromètre 757,99
Plus petite idem.......' ‘732,70
” Moyenne idem........ 750,25
Perode:dn ile sun ii eet 0,88
NE,
a D L
pin (S ETAT DU CIEL
ne | à midi.
JUN, | UD Pb
ar Nuageux.
13148 Nuages.
4) | IClair.
sf F Clair.
21-39 | slCouvert.
- 15: Couvert.
21-1° | Pluie.
2 Pluie.
[LS | Nuages.
11,5 | Al 10/Fortement voilé.
08! Couvert.
81,11 | INuages.
09. | |Couvert.
10,5! à Éclaircies.
109! 1 5 |Couvert.
| (2/1 | ,[Nuages.
HTIL Couvert.
| si! | (Nuages.
10! |! Nuageux.
| po Î 1 Nuages.
| 99 r# | Clair.
| nl, Clair.
11! p Couvert.
19 | {l Clair.
6 ..1,25|Clair.
«| - d Clair.
25 pr: Clair.
| " | Clair.
31 Clair.
15 _1:30|Clair.
10 1 | Couvert.
ie b? Nombre de jours
1% ui ile pluie, ass etc. 8
tonnerre .......
si gelée.......... 17
ail .
Hs
DÉCEMBRE 4801. 327
VENTS OBSERVATIONS
à midi. particulières.
O.
E.
Gelée blanche.
. E. Idem.
Idem. Neige la nuit a p.de5h.155s.
€}: Pluie et neige le soir. Pluie la nuit.
Id. abondante le jour et fine la nuit.
Id. fine le jour, abondante le soir et la nuit,
nHHwumOonE?!z
ti ©
F
Petite gelée blanche.
Quelques gouttes vers 6 h. 30 m. du matin.
. . |Pluie par int. la nuit depuis 5 h, Vent ass. fort.
Id. fine le soir et la nuit par intervalles.
f. | Id. fine par intervalles.
f. |Vent tres-fort pendant la nuit.
a. f.|Petite gelée blanche.
Gelée blanche.
Forte gelée blanche.
Hum ss OoLo©
a. f.|Gelée blanche.
ldem.
Idem.
Idem.
F3
Idem.
Idem.
Forte gelée blanche. Givre.
Gelée blanche. Givre.
Idem.
HZ2ZLLEIZ2LHL2HLUOZURUNRUARnREEZ'ZU
ZAZBHARHAZZAROUZ AN
5 3 tj
État des vents à midi. Pluie par les vents ci-contre.
N, NNO, NO, ONO, 3 0,80
0, OS0, SO, SS0, 8 21,050 x4
S'SSE, SE, ESE, 5 10265
E, ÊNE, NE, NNE, 15 08
RÉSUMÉ
DES
OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES
FAITES À METZ, PENDANT L'ANNÉE 1864
PAR MM. LAVOINE ET ANDRÉ.
Le résumé des observations météorologiques faites à
Metz, perdant l’année 1861, est représenté en neuf
parties, savoir :
PRESSION ATMOSPHÉRIQUE.
Première partie. — Moyennes mensuelles de la hauteur
du baromètre à 0° de température.
Ces moyennes, pour l’année 1861, sont :
À 9 heures du matin. ........... 746,83
A MIOL 73 Sa Liu ruse 746,60
A 3 heures du soir. .. .....,..,.. 746,10
La hauteur moyenne conclue des observations
de neuf heures du matin et de trois heures du
SOIR SL re di lieues ia ss ue 746,47
Elle est plus faible que la moyenne des obser-
vations faites à midi, de. ............. 0,13
330 AGRICULTURE. — RÉSUMÉ DES OBSERVATIONS
Seconde partie. — Oscillations extrêmes du baromètre.
La plus grande hauteur du baromètre, dans
l’année, a été de. ................, 762,07
(Elle répond au 19 novembre.) |
La plus petite hauteur a été de. . . ..... 123,21
(Elle répond au 19 mars.)
L’amplitude d’excursion, pendant l’année, a
USA CR 38,86
La plus grande amplitude mensuelle a eu lieu
_ en mars, elle a été de. ........,..... 91,62
La plus petite en octobre, elle a été de. .. 13,11
Troisième partie. — Dépressions moyennes du baro-
mètre, de neuf heures du matin à trois heures du soir.
La moyenne de l’année a été de. ....... 0,72
La plus grande moyenne mensuelle (en mai)
TS 0,97
La plus petite moyenne mensuelle (en janvier)
DOS dr dd dde ee D done 1e 0,22
TEMPÉRATURE.
Quatrième partie. — (Thermomètre centigrade.) La
moyenne, pendant l’année, a été :
A neuf heures du matin. ......... 90,88
1 101 0 PRE EE TS 120,93
À trois heures du soir. .......... 130,46
Cinquième partie. — Donne les moyennes mensuelles
_de température maxima et minima observées chaque jour,
leur différence et la moyenne générale des maxima et des
minima.
Pour l’année, cette dernière a été de. . .. 100,09
Tandis que la moyenne des températures, à
neuf heures du matin, a été de
Différence, sus, sie, du ein Vo,21
MÉTÉOROLOGIQUES FAITES À METZ EN 1861. 351
Sixième partie. — Donne les oscillations extrêmes du
thermomètre pour chaque mois. |
Le maximum de température, qui répond au
10 doul, délCdés ss: Lieu dress 839,4
Le minimum, au 9 janvier, a été de. . ... — 130,4
La plus grande course, pendant l’année, a été
DOS en D M nt ele bd 469,8
Septième partie. — Donne la quantité de pluie recucillie
par mois, le nombre de jours de pluie, celui de tonnerre,
et le nombre de jours où le thermomètre a été au-dessous
de zéro.
La quantité de pluie, recueillie pendant
l'année: a été dé: ss saura. 56,746
Le nombre de jours de pluie. ........ 162
Idem de tonnerre . ..... 21
Idem dé gelée... 2 68
Huilième parlie. — Donne l’état des vents à midi.
Les vents septentrionaux et méridionaux ont régné dans
le rapport de 1 à 0,90.
Neuvième partie. — Donne la quantité de pluie re-
cueillie par les vents ci-dessus.
Les quantités de pluie données par les vents septentrio-
naux et mériodionaux sont dans le rapport de 1 à 2,37.
a D
3% RÉSUMÉ DES OBSERVATIONS
JANV. | FÉVR. | MARS. | AVRIL. | Mal. JUIN.
|
PRESSION
PREMIÈRE PARTIE. — Marche
A 9 heures du matin.1754,06 [745,33 [743,16 1748.23 |746,94 [745,31
A MiIdissixes anne: 751,34 [745,25 |742,82 |747,95 1746,64 |745,15
A 3 heures du soir. .|750,84 [744,70 1742.21 [747,30 [745,97 1744.59
DEUXIÈME PaRTtE. — Oscillations
Maximum.......... 759,04 1759,74 754,83 |755,51 1754,79 [753,50
Minimum........... 753,31 [755,42 [723.21 [739,23 [759,02 |737,70
Différence. ......... 25,85 | 24,32 | 51,62 | 16,28 ! 15,77 | 15,80
TROISIÈME PARTIE. — Période
De 9 heures du matin
à 3 heures du soir.
0,22 0,63 | 0,95 | 0,93 | 0,97 | a
TEMPÉ |
QUATRIÈME PARTIE. — Marche
À 9 heures du matin.|- 4,34 | 5,45 | 6,01 | 8,41 | 13,16 | 49,70
ADIdl scies — 2,08 | 6,26 8,80 | 12,26 | 16,59 | 22,84
A 3 heures du soir. .|- 4,72 | 6,61 | 9,24 | 15,47 | 16,78 | 22,77
CiNQUIÈME PARTIE. — Variations journalières
Moyennes des maximal 4,23 | 7,57 | 40,51 | 14,06 | 18,00 | 25,54
Moyennes des minimai- 5,84 1,57 2,89
| 3,65 | 7,82 | 42,98
Différence. ......... 4,59 | 6,20 | 7,62 | 10,43 | 10,18 | 42,56
Moyennes. . ........ _ 5,53 | 4,47 | 6,70 | 8,85 | 42,91 | 49,26
SIXIÈME PARTIE. — Oscillations |
Maximum absolu....! 8,2 | 15,0 | 49,5 | 19,0 | 28,0 | 533,0 ||
Minimum absolu. ...!- 13,4 | - 5,2 | - 28 | - 07 | 08 8,5
Différence. ......... 24,6 | 20,2 | 922,5 | 19,7 | 27,2 | 245:
Nora. — Le signe + est sous-entendu devant tous le:
MÉTÉOROLOGIQUES FAITES À METZ EN 1864. 333
JUILLETI AOÛT. SEPT. | OCTOB. | NOVEM.,. DÉCEM. MOYENNE.
ATMOSPHÉRIQUE.
moyenne du baromètre à Oo.
745,85 |749,29 |746,16 [748,26 1743,65 1750,68 | Moyenne... 746,83
745,79 |748,99 |745,87 [747,86 [743,29 |750,27 | Moyenne... 746,60
743,60 |748,45 1745,44 1747,37 [745,04 1749,80 | Moyenne... 746,10
extrêmes du baromètre.
751,54 |754,36 1753,59 1753,19 1762.07 1757,99 | Maximum.. 762,07
735,86 |741,08 [755,86 [740,08 {731,86 [732,70 | Minimum.. 725,21
15,78 | 13,28 | 47,73 | 43,11 À 50,21 | 25,29 | Différence.. 38,86
descendante du baromètre.
| 0,25 | set on — a 0,88 | Moyenne... 0,72
RATURE.
moyenne du thermomètre -centigrade.
18,78 | 20,14 | 45,00 | 41,40 | 5,27 | 4,60 | Moyenne... 9,88
21,18 | 24,44 | 18,41 | 45,55 |. 7,15 | 3,99 | Moyenne... 42,93
21,60 | 24,97 19,29 | 16,55 7,71 4,51 ! Moyenne... 13,46
extrêmes du thermomètre centigrade.
23,35 | 25,85 | 20,04 | 17,48 | 8,40 | 5,15 | Moyenne... 44,53
15,35 | 15,53 | 9,22 | 6,93 | 2,40 |- 0,63 | Moyenne... 5,64
10,00 | 42,30 | 40,82 | 10,25 | 6,00 | 5,78 | Différence. 8,89
18,35 | 19,68 | 14,65 | 42,06 | 5,40 | 2,26 | Moyne génie 10,09
extrêmes du thermomètre centigrade.
28,0 | 55,4 | 29,4 | 24,6 | 16,5 | 15,0 | Maximum... 53,4
8,8 9,0 5,4 | — 0,8 | - 5,7 | - 7,8 | Minimum... -13,4
49,2 | 24,4 | 95,7 | 925,4 | 22,2 | 922,8 | Différence... 46,8
nombres qui ne sont pas précédés du signe —.
334 RÉSUMÉ DES OBSERVATIONS
FÉVR. | MARS. | AVRIL. | MAI. JUIN.
SEPTIÈME PARTIE. — Quantité de pluie recueillie,
| | Pluie recueillie, expri- |
| mée en centimètres.| 1c,855 | 4c,540 |8c,000 | 0c,580 | 3c,865 | 5c,524
! Nombre { de pluie. . 4 A1 26 7 13 20
de de Dnnere » _» 1 1 2 7
jours |de gelée...[ 925 9 6 2 » »
HuITIÈME PARTIE. — État
| N, NNO, NO, ONO.| 6 6 10 14 19 4
O, OSO, SO, SSO.| 6 6 16 3 6 14
S, SSE, SE, ESE..| 9 14 4 1 3 6
E, ENE, NE, NNE.| 10 2 1 12 3 6
| Neuviéme Partie. — Pluie recueillie
| N, NNO, NO, ONO.| » » | 3,108 : 0,080 | 2,968 | 0,426
| 0, 0S0, S0, SS0 .| 0,050 | 0,095 | 4,085 | 0,440 | 0,420 | 3,680
| S, SSE, SE, ESE..| 0,020 | 4,445 | 0,807 | 0,005 | 0,460 | 4,395
E, ENE, NE, NNE.|14,7851 » » l0,085 | 0,017 | 0,025
MÉTÉOROLOGIQUES FAITES À METZ EN 1801. 399
JUILLET! AOUT. | SEPT. | OCTOB. | NOVEM. | DÉCEM. TOTAUX.
nombre de jours de pluie, de: tonnerre et de gelée.
8c,777 | 3,743 |8c,140 | 4c,269 | 40c,119| 3c,334 56,746
2 9 414 8 21 8 162
is) 3 2 » » » 21
» » » 3 6 47 68
des vents à midi.
6 42 3 3 | 3 87
49 11 16 is) 22 8 132
"6 51 2 3 & 5 60
» is) 9 20 3 15 86
par les vents ci-contre.
3,175 | 4,408 | 4,690 | 0,002 | 0,080 | 0,080 13,047
3,045 | 2,330 | 6,320 | 0,650 | 8,404 | 2,103 31,592
2.587 | » » | 0,290 | 0,275 | 4,065 8,347
» 10,005 | 0,150 | 0,327 | 1,360 | 0,086 3,820
HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
—————_"—_ TS — ee —
INTRODUCTION
A DES
ÉTUDES SUR L'HISTOIRE UNIVERSELLE,
PAR M. WOIRHAYE.
Messieurs,
Le persévérant Colomb avait touché, depuis un demi-
siècle, les rives inconnues de l'Amérique, quand Co-
pernic mourant, publia son livre immortel sur les révo-
lutions célestes’. Le succès du voyageur, la démonstra-
tion de l’astronome sont deux grands bienfaits; cette
double exploration, accomplie par le génie de l’homme
sur la terre et dans le ciel, inaugure le temple de la
science moderne; c’est le fondement d’un édifice que
l’activité humaine a continué. L’audace intellectuelle qui
avait guidé Copernic et Colomb n’a point manqué à leurs
* Le livre de Copernic, publié en 1543, est intitulé : De orbium
cœlestium revolutionibus; il fut dénoncé à l’inquisition romaine
seulement en 1615, et condamné par ce tribunal le 4 mars 1616,
comme établissant une doctrine fausse en philosophie et absolu-
ment contraire au texte de l’Écriture. Galilée: n’est point nommé
dans cette première sentence qui lui fut seulement signifiée parce
qu’on le savait occupé d’astronomie. Malgré cet avertissement,
l'illustre physicien fit imprimer à Florence, en 1632, des dialogues
dans lesquels il établit et développe fortement le système de Co-
pernic. Le procès fut repris alors, et, le 22 juin 1633, Galilée fut
condamné personnellement, par dix cardinaux nommés spéciale-
340 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
héritiers : sur les pas des premiers initiateurs, Képler et
Galilée montrent la puissance du calcul uni à la phila-
sophie expérimentale ; l'analyse géométrique conduit Des-
cartes à la méthode rénovatrice qui étaye sur la pensée
humaine la connaissance de la vérité; l’observation pa-
tiente révêle à Newton la loi des rapports qui relie entre
eux tous les corps célestes. Au dix-huitième siècle, la
géologie, fille de la géographie, commence à trouver
dans le sein de la terre la trace presque effacée des âges
éleints; notre âge lui-même, dont la vocation l’entraîne
à la recherche des lois de la nature ou plutôt des lois
divines, rencontrera peut-être dans l'étude déjà si im-
posante des phénomènes électriques, la preuve que la
chaleur, la lumière, l'électricité et le magnétisme ne sont
que des modifications particulières d’une loi aussi géné-
rale que la gravilation newlonienne.
Toutes ces découvertes scientifiques, dont l’aurore
était saluée par nos pêres comme une sorte de Renais-
sance, n’ont pas satisfait seulement des besoins matériels
ou une curiosité stérile, elles ont écarté un nouveau coin
du voile qui cache à notre faiblesse les œuvres de Dieu,
elles ont ouvert des horizons nouveaux aux sciences mo-
rales et principalement à la science de l’histoire.
ment par le saint-siége apostolique, à la peine de la prison pour
un temps indéterminé (ad tempus arbitrio nostro limitandum).
Galilée, qui était né le jour du décès de Michel-Ange, mourut
lui-même, en 1642, dans l’année où Newton venait au monde.
Dès 1618, Képler avait découvert, après vingt-deux années de
patients travaux, les grandes lois astronomiques qui portent son
nom, et de la publication desquelles il disait avec un religieux en-
thousiasme : « Le sort en est jeté; j'écris mon livre, il sera lu par
» l’âge présent ou par la postérité, peu m'importe; il pourra
» attendre son lecleur; Dieu n’a-t-il pas attendu six mille ans un
» contemplateur de ses œuvres ? »
ÉTUDES SUR L’HISTOIRZ UNIVERSELLE. 341
Depuis que la terre n’est plus, pour personne, le centre
du inonde, ni même le principal de ces astres qui, tour-
nant, dans des orbites inégaux, autour du soleil, sont
projetés el retenus par sa masse altraclive comme d’obéis-
sants satellites, notre humble planète n’a point, pour cela,
dégénéré; elle n’a rien perdu de sa valeur en prenant
plus modestement sa vraie place dans l’ensemble; mais
l’idée de l’ensemble s’est révélée avec une plus majestueuse
harmonie, et grâce à la science, l’univers s’est agrandi
sous l'œil de l’homme. Ce soleil, devenu un centre pour
nous, n’est ni plus central, ni plus stationnaire que tout
le reste; il marche lui-même autour d’un centre in-
connu, pendant que d’autres soleils, créés par milliers,
forment de nouveaux centres lumineux autour desquels
gravilent de nouvelles planètes qui, probablement, ne
manquent pas non plus de fidèles satellites.
Ce qui mérite surtout notre admiration dans cet en-
semble immense, c’est la simplicité, la constance et l’uni-
versalité des lois qui le régissent; ces lois, qui ont pré-
sidé à la formation de notre planète, se continuent au
sein des mondes infinis qui échappent à nos regards par
leur éloignement sans fin, ou par leur pelitesse sans li-
mites. La vie et la transformation règnent dans les es-
paces stellaires aussi bien que dans le monde micros-
copique. Avec la seule différence des temps, les astres
les plus puissants naissent et se décomposent comme le
plus humble ou le plus imperceptible des êtres qui nous
entourent. Si le mouvement et la vie débordent en tout
sens et de tous côtés, si la partie de l’univers où s’agite
notre humanité n’est, selon la pensée d’un maître, qu’une
scène du drame éternel de la vie universelle, à quelle
hauteur donc cette science nouvelle nous fera-t-elle cher-
cher la cause première de ces créations successives,
l'unique Dieu qui préside à ces mondes innombrables
349 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
semés par lui comme une poussière dans l’espace? Faut-
il nous étonner que les nobles esprits qui, comme Képler
et Newton, sont parvenus à embrasser le plan de l’uni-
vers, alent prêté à leurs croyances morales l’élévation de
leurs découvertes scientifiques, et que, jugeant par la
grandeur de l’œuvre, de la grandeur de l’Ouvrier, ils
aient éprouvé le besoin de s’incliner, avec un respect
plus profond, devant la Divinité qu’ils avaient entrevue
à des hauteurs plus sublimes ?
De même que l'astronomie, par ses nouveaux aspects
du ciel, épure l’idée de Dieu, la géologie, par ses pa-
lientes observations de la terre, enfante une cosmogonie
nouvelle, et nous offre les prolégomènes de l’histoire de
l’homme en reconstituant l’histoire de la demeure qu’il
habite.
Le globe terrestre parait avoir subi trois phases di-
verses. Dans son premier état, notre planète n’obéissait
qu'à l'empire des lois physiques. Nébuleuse, détachée
peut-être de l’atmosphère solaire, la terre a roulé dans
l’espace pendant des myriades de siècles; d’abord vapo-
reuse comme un nuage, puis incandescente comme un
globe de feu, elle s’est graduellement condensée, refroidie
dans sa croûle externe ; après quoi des révolutions suc-
cessives lui ont imprimé cette triple composition solide,
liquide et gazeuse qui présente aujourd’hui pour nous
une surface raffermie, des mers ambiantes et une atmos-
phère respirable. Tous ces premiers temps, d’une incal-
culable durée, sont comme la période brute et inorganique
de notre globle. La matière juxtaposée, selon des lois
éternelles et sous des formes inobiles, ne subissait que
des transformations inertes. Il y avait des forces et point
d'individus. On ne savait alors ce que c’est que naïîlre,
croître et mourir; la terre existait, elle ne vivait pas.
La seconde période n’appartient plus exclusivement.
ÉTUDES SUR L'HISTOIRE UNIVERSELLE. 043
aux forces aveugles, elle ouvre le règne des êtres orga-
nisés. Quand la température est descendue à des degrés
compatibles avec la vie, la vie apparait, et depuis son
premier jour, elle a marché grandissant dans ses mani-
festations. D'abord la plante est venue se nourrir en quel-
que sorte du minéral, puisque, malgré son insensible
immobilité, elle a reçu du Créateur la force d’aspirer au-
tour d'elle les substances qu’elle élabore dans ses Lissus
Pour en composer sa croissance végélative. Après la plante,
les animaux inférieurs sont venus à leur lour, apportant
avec le besoin instinctif qui les pousse à se conserver et
se reproduire, la puissance de locomotion qui leur permet
de rechercher pour se nourrir le végétal implanté sur la
surface terrestre. Combien de fois les calaclysmes des-
tructeurs du monde naissant ont-ils frappé de mort ces
ébauches des premières créations? Dans les couches de
la terre bouleversée nous retrouvons sous mille formes
diverses ces vestiges des vieux âges ; ils s’offrent à nous
tantôt dans ces accumulations de végétaux décomposés
que la géognosie appelle des terrains houillers, tantôt
dans ces figures d'animaux gigantesques dont les osse-
ments suflisaient à Cuvier pour recomposer leur existence
tout entière; mais la destruction n’a atteint que les es-
pèces qui n’élaient plus en rapport avec la conslilution
variable du globe, et de nouvelles vies sont sorties de la
mort. Au milieu de ces perturbations lentes et inces-
santes, la beauté de la nature vivante s’est constamment
accrue; l'étude des entrailles de la terre nous permet de
lire encore dans des fragments et des parcelles de pierre
et de sable ces deux belles lois générales de la création
animée : premièrement, les plantes ont précédé les ani-
Maux; car ceux-ci ne pouvaient vivre sans Îles aliments
qui les nourrissent, ni respirer tant que la présence de
nombreux végétaux n'avait pas absorbé le carbone em-
344 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
poisonné qui les eût fait mourir, secondement, toutes les
espèces végélales ou animales se sont perfectionnées et
compliquées dans une progression ascendante; car les
organismes rudimentaires se retrouvent dans les terrains
anciens, pendant que les animaux supérieurs se rencon-
trent seulement dans les milieux de formation plus ré-
cente.
Le troisième âge de la terre assiste à la naissance de
l'homme. Il ne s’agit plus là d’un organisme borné à la
vie sensitive dans laquelle l’animal est asservi à des ap-
pétits qu’il ne peut régler et à des instincts dont il ne
sait pas se rendre compte. Avec le genre humain com-
mence l’ordre des êtres intelligents et libres, la vie de
l'esprit va se manifester sur notre globe. Sans doute la
nature ne s'élève qu’en conservant, et l’homme appar-
tient par ses moindres côtés aux êtres inférieurs qui vi-
vaient avant lui, mais 1l possède de plus qu’eux tous la
conscience distincie de soi et la connaissance de ce qui
l'entoure : cette connaissance ne se restreint pas au mi-
lieu dans lequel il respire; chétif habitant d’un alome de
matière, 1l s’élance hors de la terre qui retient son corps,
sans enchaîner sa pensée, et malgré ses attaches terres-
tres, il peut embrasser dans ses méditations les rapports
qui unissent tous les êtres ou la cause qui leur a donné
naissance. Îl ne se contente pas de méditer, il agit; et
rencontrant en soi une loi interne qui lui permet de
vouloir et d’agir librement, 1l exerce son action sur lui-
même pour se perfectionner, et sur la nature créée pour
la transformer selon des fins en harmonie avec le but de
la création. Il n’est pas restreint, dans cette action, à son
énergie isolée ; excité par une sympathie qui est sa plus
impérieuse loi, rt s’unit aux êtres semblables à lui pour
rendre plus puissante, parce qu’elle est collective, l'œuvre
qui lui semble un reflet de l’éternelle vérité. Il ne s’as-
ÉTUDES SUR L’HISTOIRE UNIVERSELLE. 349
socie pas seulement avec les autres hommes, il les aime,
et heureux de les préférer quelquefois à lui-même, il
dévoue sa vie aux actes qu'il regarde comme l’accom-
plissement du plan divin. On sait que Pascal appelait
l’homme un roseau pensant; le roseau, qui se relève
par la pensée, s’élève surtout quand la pensée le con-
duit au sentiment du devoir et le rend capable de se sa-
crifier, c’est-à-dire d'immoler la partie à l’ensemble. Il
a le courage de s’imposer ce sacrifice, parce qu'il a l’in-
telligence d'en comprendre la portée; s’il n’est qu’un
esprit limité, il est un esprit pourtant, et, seul, parmi
les êtres connus de nous, 1l tient dans sa main, malgré
ses misères, l’un des bouts de cette chaine céleste dont
l’autre bout remonte jusqu'aux profondeurs de l'Esprit
infini, lequel n’est autre que Dieu lui-même.
Ainsi les sciences naturelles fournissent des assises à
l’histoire de l’homme; elles constatent dans le passé une
sorte d’ascension constante; elles nous montrent le globe
terrestre passant de l’existence inanimée des forces pure-
ment physiques au règne vivant des êtres organiques, et
parmi ceux-ci le progrès va se continuant de la vie vé-
gétalive à la vie animale, et de la vie animale à la vie de
l’esprit dans l’homme. Hâtons-nous d’ajouter que ce der-
nier progrès est le plus considérable de tous. La diffé-
rence qui sépare l’homme de l’animal le plus avancé
n’est pas seulement plus grande que les limites souvent
insaisissables de l’animal et de la plante, elle est radicale ;
de l’animal à l’homme ce n’est pas seulement le degré
qui monte, c’est la nature qui se modifie : dans la marche
ascensionnelle des choses, l'apparition de l’être capable de
science et de dévouement, de l'être moral parce qu’il est
l'être pensant, marque le plus grand pas qu’ait réalisé
sur la terre la création divine.
Allons plus lon et posons ce problème : s’il y a eu
44
346 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
progrés des lois physiques aux êtres vivants et progrès
encore parmi les êtres doués de la vie, ce progrès s'ar-
rêle-t-il à la vie humaine? Ou bien le perfectionnement
graduel qui s’est manifesté sur la terre avant l’homme,
se produit-il également après l’homme, chez l’homme,
et par l’homme? C’est à ces questions que doit répondre
l’histoire universelle. Et d’avance on peut dire que pour
ceux-là qui, au milieu de la variété infinie des œuvres
de la création, connaissent la persévérante unité que ces
œuvres présentent dans leur dessein et dans leur compo-
sition, il n’y aura nul étonnement s'ils aperçoivent que
la suite.des générations humaines offre, sous une forme
renouvelée, la loi de gradation qui s’était déjà manifestée
quand il n'existait pas encore d'hommes sur le globe
terrestre.
Chaque époque renouvelle l’histoire; chaque siècle
pêse dans une nouvelle balance les siècles passés. Notre
temps possède, pour se livrer à cet examen du passé,
des ressources qui manquaient à nos devanciers. Nous
avons exploré plus loin qu’eux les diverses contrées de
la terre vivante, nous avons éludié plus patiemment
qu'eux les débris de ce qui a cessé de vivre. En même
temps que nos moyens d'investigation sont plus puis-
sants, notre indépendance est plus complète. Nos pré-
jugés n'arrêtent guëre notre ardeur de savoir, et les
révolutions, que nous avons vu se succéder dans des in-
tervalles si courts, nous ont fait comprendre les événe-
ments des âges antérieurs, en reproduisant à nos. yeux,
dans un cadre restreint, les sentiments variés, les pou-
voirs mulüples, et les intérêts contraires à travers lesquels
se poursuit le train des choses humaines.
Celle richesse de ressources, qui explique le remar-
quable succès de la littérature historique du dix-neuvième
4
siècle, doit surtout profiter à l’histoire générale des
pe
ÉTUDES SUR L’HISTOIRE UNIVERSELLE. 341
hommes, si toutefois cette histoire est soumise à des rè-
gles que puisse embrasser l'œil humain. Et pourquoi n’en
serait-il pas ainsi? Des lois certaines gouvernent, dans la
nature, l’action des forces brutes ou des forces organi-
_ques dont la liberté se renferme dans des instincts à peu
près irrésistibles ; n’est-il pas rationnel et logique que d’au-
tres lois président aussi au développement de celte force
morale et libre qui constitue l’homme, de cet ensemble
collectif qui constitue l'humanité? Sans doute, les lois de
l'humanité, puisqu'elles s'appliquent à des êtres libres,
doivent laisser se mouvoir, au dchors d'elles, les ressorts
de la liberté; mais quand on a laissé à ces ressorts toute
leur action, ne peut-on pas constater l'effet qu’ils pro-
duisent au bout d’un temps donné? Aprés que les géné-
rations se sont remplacées pendant un siecle ou pendant
dix ou vingt siècles, tant d'efforts et de travaux, tant d’études
et de combats n’ont-ils enfanté qu’un résultat vide et sté-
rile? L'homme, parmi les êtres créés, est le seul que Dieu,
selon une grande parole, ait fait à son image, c’est le seul,
par conséquent, auquel ait été donné le pouvoir de modi-
fier la nature ou les autres êtres; s’il a reçu ce pouvoir,
il faut qu’il l’exerce, et s’il l’exerce, 1l est responsable de
Vusage qu’il en fait devant Celui dont il le tient; lintel-
ligence devient ainsi le germe du devoir, et l’on ne peul
regarder comme une vaine science la science qui regarde
en arrière comment ce devoir à élé rempli, qui étudie,
à travers les temps écoulés, les actes de l’homme et es-
saye de mesurer les cffels que ces actes ont produits
sur l’homme lui-même et sur tout ce qui l’entoure. C’est
celte étude comparée des actes humains dans le passé
et dans le présent qui forme la philosophie de l’histoire
à qui prend pour sa parole de foi le progrès, ou si l’on
veut, le développement de l'humanité.
Ce mot de progrès éveille des idées bien divergentes :
*
348 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
l’évolution humaine, niée par les uns, est exagérée par
les autres. Au milieu de ces apprécialious contradic-
toires, une chose demeure certaine, c’est que, bonne ou
mauvaise, la notion du progrès de l'humanité est une
idée nouvelle : la croyance à l'antique âge d’or et à la
dégénérescence continue des pauvres mortels a été l'illu-
sion de presque toutes les philosophies antérieures à la
Renaissance; mais le soufile de cette généreuse époque
a tout renouvelé; les mêmes temps qui ont vu l’érudition
reconquise, la terre entière parcourue, les champs du
ciel observés, les pures clartés de la méthode cartésienne
substituées aux stériles ténébres de la scolastique ou à la
passive acceptation de l'autorité, sont aussi les temps
pendant lesquels de puissants esprits ont réformé les
idées acceptées sur l’histoire des hommes, en donnant
pour base à cette histoire un principe simple et grand
qui peut se résumer ainsi : dans la recherche de la vé-
rilé, l’idéal suprême doit être cherché non en arrière,
mais en avant de nous; le vrai n’est pas tolalement cir-
conscrit dans les limites du passé, la grandeur de la
destinée humaine consiste à le poursuivre constamment
et sans relâche, dans le présent, comme dans les pers-
pectives indéfinies de l'avenir.
Bacon, Pascal, Leibnitz, Vico, Lessing, Turgot, Con-
dorcet, voilà les premiers péres d’une doctrine dans
laquelle pénétrera la lumière. Tous ces noms sont bien
nouveaux, et leur nouveauté même nous livre un premier
enseignement. Si le progrès, tout réel qu’il est, a été
aperçu si lard, n'est-ce pas à cause du peu de célérité de
son allure ? Il faut que sa marche ait été bien lente pour
que tant de bons observateurs, pendant tant de siècles,
aient pris celte marche pour une immobilité absolue.
Supposez qu’un insecte éphémère, qui ne voit qu’un soleil
et ne vil qu’un seul jour, puisse répondre à une question
ÉTUDES SUR L'HISTOIRE UNIVERSELLE. 349
qui lui serait adressée, et demandez-lui si la plante sur
laquelle il s’épanouit, possède la faculté de croitre en
grandeur et d'étendre au loin ses rameaux ; il répondra
qu’elle est stalionnaire, qu’au soir comme au matin de sa
vie, il a vu les branches, les feuilles et les fleurs présenter
la même longueur et une dimension pareille. Fleurs,
feuilles et branches, tout grandit pourtant, l’humble
arbrisseau devient un chêne majestueux, mais l’insecte
n’a pas vécu assez longtemps pour être témoin de cette
croissance moins rapide que sa courle vie. C’est ainsi
que, pendant de longs siècles, les généralions humaines,
qui sont aussi des éphémères, relativement à la grande
vie de l'univers ou de la terre, ont pris la place les unes
des autres sans s’apercevoir des changements qui s’opé-
raient autour d’elles, on dans elles-mêmes. Ce n’est que
quand le temps a été ajouté au Lemps, quand beaucoup
de souvenirs comparalifs ont été superposés aux anciens
souvenirs qu’on a reconnu enfin que le mouvement phy-
sique et moral est la grande loi de l'univers, qu’il n’y a
pas plus d’immobilité sur la terre que d’étoiles fixes dans
le ciel, et qu’on doit appliquer à l'humanité dans son
ensemble ce que Galilée avait dit du globe qui la porte:
E pure si muove, l'humanité marche. Oui, elle marche,
mais comme le temps ne coûte ni ne pèse à Dieu, elle
marche très-lentement; voilà le premier résullat que
constate l'expérience, et auquel notre impalience doit se
résigner courageusement.
Le progrès, caché par sa lenteur, est voilé par un autre
nuage, Je veux dire par la complexité des lois qui le
régissent. C’est précisément parce que ces lois agissent
sur des êtres libres qu’elles sont plus variées et moins
constantes, plus compliquées et moins saisissables que les
rapports établis entre les êtres fatalement limités par
’impuissance de leur organisme. L'étude peut démêler
\
390 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
ces actions diverses et voir comment le perfectionnement
est arrêté ou favorisé tantôt par l’exercice de la libre
volonté de l’homme, tantôt par les causes internes qui
naissent des diverses aptitudes des races, ou les influences
externes qu’exerce sur chacune de ces races le miliea
dans lequel elles vivent et s’agitent.
Ajoutons que cette singulière loi du perfectionnement
graduel consacre deux résultats qui semblent contradic-
Loires : le progrès est réel et pourtant il n’aboutit point.
Nous avançons et la lumière augmente, mais la lumière
n’est Jamais complète, parce que l’homme, demeurant un
être fini et borné, conserve sa débilité native. Les mathé-
maticieus démontrent que certaines courbes possèdent la
propriété de s'approcher toujours d’une ligne droite sans
la rencontrer Jamais. Ces courbes pourraient servir de
symbole à l'humanité dans sa marche ascensionnelle; nous
gravitons vers le mieux, nous n’atteignons jamais pleine-
ment le bien. L’admirable livre, qui a dit aux hommes :
soyez parfaits, leur a tracé un idéal aussi noble qu’utile,
mais 1} n’a pas affirmé que cet idéal serait réalisé sur la
terre.
Ces apparentes contradictions ne sont point imconcilia-
bles. Dieu pouvait créer l'homme naturellement vertueux
ou méchant; il ne l’a fan ni lun ni l’autre, il l’a créé
libre. Cette liberté, titre de grandeur, est en même temps
Ja source d’une éternelle faiblesse, Confié à ses propres
forces, l’homme sera toujours exposé à tomber. En appre-
nant continuellement, il peut trouver les moyens de guider
et d'ennoblir sa nature, mais il ne la change point. En
transmeltant à ses successeurs ce qu’il a appris, il les
éclaire, mais il ne les transforme jamais. Tant que nous
demeurerons des êtres libres, chacun de nous, comme
un nouvel Adam, rencontrera en naissant les périls et les
chutes possibles de la liberté.
ÉTUDES SUR L'HISTOIRE UNIVERSELLE. 99
_ Si, malgré tänt d’écueils, nous essayons de déterminer
le mode d’action du progrès, nous reconnaitrons d’abord
qu’il ne s’applique point à la partie animale de notre être.
Aussi loin qu’on veuille remonter dans le passé, rien ne
nous autorise à croire que l’homme ait jamais perfectionné
son individualité physique. Notre œil ne voit pas aujour-
d’hui plus. loin, et: notre oreille n’est pas plus fine que
l'oreille ou l'œil du plus antique sauvage. Nous ne sommes
ni plus forts qu'Hercule ni plus rapides qu’Achille aux
pieds légers. Voilà la part de l’inmobilité, mais l’âme aussi
fait sa part; la pensée prend sa revanche sur. l’inerte
matière, el l'intelligence est une flamme céleste destinée à
grandir; c’est elle qui crée le télescope ou le microscope
pour ouvrir à nos yeux l’immense vue du ciel ou de linfi-
niment petit; c’est elle qui recueille les forces électriques
pour les contraindre à nous apporter instantanément les pa-
roles proférées à mille lieues de notre présence. La vapeur,
volant sur les voies ferrées, laisserait fort en arrière la
course d'Achille, et la science moderne a trouvé des armes
autrement terribles que la massue d’Hercule pour briser
la résistance des hommes ou de la nature. Nous sommes
incapables de modifier nos sens, mais nous sommes
capables d'inventer des instruments qui élargissent leur
aclion et multiplient notre puissance dans des proportions
qui ne peuvent être exactement déterminées.
Toutefois l'intelligence n’est qu’une force; cette force
est exposée à devenir égoïste ou malfaisante, ce qui est à
peu près la même chose, et le progrès ne serait qu’une
chimère si la force intellectuelle ne pouvait être réglée selon
la justice. La source d’où nous vient cette règle est encore
dans l’âme; c’est la conscience. Dans le monde historique
voit-on la conscience progresser comme l'intelligence ?
l’histoire répond que l'intelligence et la conscience sont
deux sœurs qui ne se séparent jamais longtemps et qui
352 HISTOIRE. —— ARCHÉOLOGIE.
se rejoignent bientôt quand elles ont eu le malheur de
se quitter. Sans doute le cœur ne se transforme pas; le
- bon gouvernement de soi-même sera toujours une œuvre
laborieuse, et l'empire sur les passions n’est pas moins
difficile à l’homme du dix-neuvième siècle qu’à l’homme
des anciens jours; mais l’âme s’épure en se dégageant des
erreurs ou des terreurs qui Pénervent ou l’égarent ; elle
s'élève avec l'atmosphère plus haute et plus sereine dans
laquelle on la fait vivre et la facullé de sentir ou d’aimer
avec dévouement se développe en proportion des plus
grands objets que l'intelligence dévoile à nos regards et
propose à notre amour. Ceux qui, au nom d’une morale
mal entendue, parlent avec dédain des découvertes de
l'esprit et des conquêtes sur la matière, ceux-là ne voient
pas que dans cette merveilleuse unité de l’âme humaine
tout se tient et s’enchaîne; par l’effet d’une inévitable loi,
chaque progrès intellectuel ou matériel amène après lui
un progrès moral qui lui correspond; l’idée nouvelle se
coordonne dans l’ensemble pour le vivifier et la conscience
elle-même devenant plus juste et plus ferme à mesure
qu’elle est plus éclairée profitera demain, si ce n’est au-
jourd’hui, de la nouvelle invention qui ne semblait destinée
qu’à pourvoir aux besoins du corps ou aux satisfactions de
l'intelligence. La seule comparaison des actes nombreux
que l’antiquité ou le moyen âge admettaient comme licites
et que réprouve justement notre conscience moderne suffit
pour montrer que le sens moral se développe et se per-
fectionne à la suite de FPintelligence pour consacrer ses
bienfaits, comme, dans Homère, les prières marchent à
la suite de l’injure pour guérir les maux qu’elle a répandus
sur son passage.
Si l’homme, comme cela est évident, est né sociable,
la société doit progresser comme l'individu; mais les
premières sociétés ont élé étroites comme l'intelligence
ÉTUDES SUR L’HISTOIRE UNIVERSELLE. 353
qui les avait conçues, limilées comme les moyens qui
étaient à leur disposition; elles n’embrassaient que la
tribu , la caste, la cité dans lesquelles la protection de
soi-même ou des siens s'appuie sur une haine violente
contre tout ce qui lui est étranger. L’isolement hostile est
une condition d'existence el une sorte de loi fatale des
associations antiques. Îl a fallu de longs siècles pour
s'élever à l’idée d’une société véritable, c’est-à-dire d’une
sociélé formée dans l'intérêt de tous ceux qui la compo-
sent et amie de la paix avec les autres agrégations hu-
maines. Les nationalilés de l’ancien monde ne vivaient
que par le secours d’un double vice, l'oppression et le
pillage des nationalités voisines, l’asservissement d’une
foule d'êtres humains durement enchaïnés au milieu d’elles.
Les plus beaux génies de la terre hellénique et de l’an-
cienne Îtalie n'avaient rien imaginé de plus parfait qu’un
peuple de libres citoyens, servis par des esclaves, et
dominant avec orgueil sur les peuples placés à côlé d’eux.
C’est une doctrine née hors du sol gréco-romain qui a
enseigné la similitude du genre humain et posé la fra-
ternité universelle comme le dernier but des efforts de
l’homme. Il ne faut pas des yeux bien perçants pour
apercevoir que, dans l’âge où nous vivons, ce but esl
loin d’être atteint, mais un grand pas a été fait le jour
où cet idéal nouveau a été offert à nos regards comme
l'encouragement de notre vie.
Qu’on ne dise pas, pour nier le progrès social, que les
nations meurent aussi bien que les individus. Dans l’ordre
moral comme dans l’ordre physique, rien ne périt. La
transmission intellectuelle qui, dans la famille, se fait du
père aux enfants, ne demande qu’un peu plus de temps
pour se reproduire de peuple à peuple. Une nation qui
succombe ressemble à un vieil arbre séculaire que le
temps va détruire, et qui avant de périr, lance dans les
45
994 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
airs une semence généreuse de laquelle naïitra un arbre
plus beau que le germe dont il est sorti. C’est ainsi que
les idées scientifiques ou morales qui faisaient vivre une
nationalité éteinte ne descendent pas avec elle dans la
tombe, elles s’envolent au contraire pour aller, sous le
souffle d’un printemps nouveau, féconder une nationalité
plus puissante ou plus pure. Voilà notre histoire. L’édi-
fice de notre civilisation moderne n’est supérieur au
passé que parce qu'il est bâti par la science moderne
sur les assises et avec les matériaux rajeunis du passé.
Dans ces matériaux il y a des pierres plus éclatantes ou
plus solides; ce sont peut-être celles qui nous viennent
d'Athènes, de Rome, de Jérusalem; elles forment l’angle
du temple, les autres n’en sont que le sable ou le ciment ;
mais toutes sont uliles et contribuent à l’œuvre que le
présent a construite et que l'avenir perfectionnera, parce
que les hommes de l’avenir ne seront pas plus dépourvus
que les hommes du passé de l’imitiative hardie qu’a reçue
en partage la race de Japhet.
Quelque noble que soit l’aptitude sociale de l’homme,
il y a chez lui un sentiment d’un ordre supérieur ; c’est
celui qui l’entraîne à la contemplation de l'infini et du
parfait ; c’est le sentiment religieux. Pourquoi l’astro-
nomie est-elle, à bon droit, considérée comme la pre-
mière des sciences? c’est que, quittant la terre, elle va
interroger les autres mondes, véritier les lois qui les
régissent, et mesurer avec une audacieuse exaclilude ce
qui devait nous paraître inaccessible et incommensurable.
Dans ses sublimes aspirations, la religion étend son re-
gard au delà même de l'astronomie; guidée par le cœur
non moins que par l'esprit, par l’imaginalion aussi bien
que par la conscience, elle cherche, avec les ressources
de notre être spirituel tout entier, à s’élever jusqu’au lien
général et à la Cause première de ces mondes sans fin
ÉTUDES SUR L’HISTOIRE UNIVERSELLE. 855
dont notre planète forme une si mince partie ; s’il est
interdit à la personnalité humaine, limitée dans son es-
sence, de pénétrer au centre de l'absolu, elle peut du
moins deviner quelques-uns de ses contours et trouver
dans des méditations qui montent jusqu’à Dieu l’éternelle
source de laquelle découlent toutes les saines inspira-
tions de la vie morale non moins que les existences
malérielles. Ce n’est pas ici le lieu de nous entretenir
des moyens par lesquels progresse la connaissance des
choses religieuses, ni des voies à travers lesquelles se
conduit l’éducation spirituelle du genre humain ; les
mots de surnaturel et de rationalisme ne jouissent pas
du droit de cité dans cette enceinte ; mais sans inter-
roger les théories de l’avenir, sans sortir du cadre que
limitent la sagesse de nos règlements et la nature de
celte étude, nous pouvons relever des résultats qui ap-
partiennent à l’histoire du passé. Les plus antiques té-
moignages montrent que dans les croyances religieuses,
comme dans tout le reste, les premiers pas humains n'ont
été que d’aveugles tâtonnements. Les hommes des an-
ciens âges qui, livrés à eux-mêmes, ont voulu, en pré-
sence du spectacle de la nature, sonder les mystères du
ciel, n’ont rencontré que des imaginations enfantines
où dominaient tour à tour les instincts mal définis de
l'admiration ou de l’espérance, de la reconnaissance ou
de la peur. Un seul rapprochement suffit pour nous
instruire : tournons les yeux en arrière jusqu'au plus
lointain passé; regardons l'humanité primitive errer dans
les plaines de l’Asie centrale. Dans sa naïve ignorance,
elle prend les phénomènes pour des personnes el Îles
forces de la nalure pour des divinilés vivantes; elle cé-
lèbre dans des hymnes pieux le vent et le feu, l’eau et
les nuages, adorant également Île soleil qui la vivifie ou
la foudre qui la luc. Après cet examen de l’homme en
356 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
son berceau, franchissons le temps et l’espace, marchons,
comme nos pères, de lorient à l’occident, et, transportés
ainsi des vieux siècles aux siècles d’hier, interrogeons les
croyances d’un Fenélon ou d’un Leibnitz, d’un Cheverus
ou d’un Channing ; 1l sera beau alors de mesurer la dis-
tance qui sépare les dieux multiples du Dieu unique,
d'étudier les influences si diversement civilisatrices que
présentent les cultes de la nature ou la foi à l’Idéal
vivant, les religions de la terreur ou la religion plus
élevée de la conscience,- de l’amour et de l'élan vers
Dieu. Cette comparaison nous donnera la certitude que,
dans toutes les directions de l'esprit ou de l’âme, la loi
du perfectionnement a marqué son empreinte comme
elle a partout ouvert à nos vœux les plus légitimes es-
pérances.
Ainsi, dans l’homme intellectuel ou moral, dans
l’homme social ou religieux, tout a subi l'empire d’une
action successive, tout s’est historiquement développé,
tout a grandi, mais rien n’a changé de nature. Il s’enivrait
donc d’une complète illusion ce généreux Condorcet
qui, dans l’enthousiasme de sa foi à une doctrine nais-
sante, se prenait presque à rêver que l’homme, devenu
parfait, pourrait bien un jour ne pas mourir. La réalité
ne renverse pas seulement ces décevantes chimères, elle
va plus loin ; elle nous condamne à penser que l’homme,
toujours faible, n’ajoutera jamais un seul jour aux jours
de ses plus vieux ancêtres. La vie humaine sera toujours
également courte, parce qu’elle sera toujours dépendante
du fragile organisme qui lui sert d’enveloppe. Je ne veux
pas répudier pourtant les résultats de la statistique ; je
sais bien que cette enveloppe a été plus tôt et plus fré-
quemment détruite à mesure qu’on remonte plus loin
dans le passé; elle a péri, tantôt par des maladies qu’on
ne savait pas guérir, ou des pestilences qu’on ne savait
ÉTUDES SUR L'HISTOIRE UNIVERSELLE. 397
point prévenir, tantôt par des famines périodiquement
dévastatrices ou des guerres perpétuellement renais-
santes. L'étude et la pratique des bonnes règles sont
parvenues à amoindrir ces fléaux et à diminuer la quan-
tité de ceux qui lombaient renversés au début ou au
milieu de la carrière. C’est en ce sens qu’on dit avec
raison que la vie moyenne est augmentée. C’est bien. Je
m'incline devant les bienfaits de la science qui fait
vivre; mais il ne faut pas confondre l'amélioration qui
soustrait l’homme à un mal qui n’était ni naturel ni né-
cessaire avec une découverte qui changerait d’une façon
absolue le mode ou la durée constitutive de son existence.
Cette découverte n’a jamais été faite ; la mort sera tou-
jours l’inséparable condition de la vie, el son jour viendra
dans l'avenir à la même heure qu’au commencement des
choses. Malgré cette inflexible uniformité, Condorcet,
dans son erreur, élait bien près de la vérité; il lui suf-
fisait, pour la saisir tout entière, d'étendre l’horizon de
son regard et de sortir de la terre, s’il avait embrassé
plus largement l’ensemble de l'univers, il aurait pu voir
écrile dans ce grand livre la parole d’un sage qui, pres-
que son contemporain , disait qu’en présence de la trans-
formation incessante et progressive de toutes choses, le
brusque changement de condition qui s’appelle la mort
n’est pour l’homme que le dernier développement de son
être. Au jour de cette métamorphose suprême, l’âme,
comme une chrysalide céleste, ahandonne un corps usé
ou brisé pour aller chercher, dans une autre sphère
d’existence, une autre vie capable d’être plus parfaite et
de se mouvoir plus près de Dieu.
C’est ainsi que le progrès, dont nous essayons d’étudier
la loi sur la terre, n’est que la suite des temps qui ont
précédé la naissance de l'humanité ct le prélude de ce
progrès supérieur qui s’accomplit dans de plus hautes
398 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
régions. L'étude de la nature nous révèle que, parmi les
choses matérielles, rien ne s’anéantit. Quand même notre
terre physique serait brisée par un terrible cataclysme,
ses moindres atomes iraient, comme de nouveaux aéro-
hithes, se constituer, sous des formes inconnues pour
nous, dans d’autres parties de l’espace. Or la pensée ou
le principe de la pensée, ce principe qui participe de
l'intelligence infinie, peut bien moins encore que la ma-
ire tomber dans l’anéantissement. La logique parle ici
comme le sentiment instinctif; elle nous crie que lâme
doit vivre ailleurs quand elle cesse de vivre sur notre
planête ; la mort ne lui apporte pas la dissolution, mais
la rénovation. La science, à mesure qu’elle est mieux
comprise, élève toutes les nobles croyances ; elle agrandit
l’idée de Dieu en découvrant que l'empire et les lois
de Dieu s'étendent , dans le ciel, à des mondes dont nos
pères ne soupçonnaient pas l'existence ; elle ennoblit la
pensée de l’homme en montrant à l’homme dans une
autre vie le complément nécessaire et la seule expli-
cation morale de la vie terrestre.
Dans ce cadre immense de l’histoire universelle, quels
objets doivent principalement fixer notre attention ? Au
point de vue philosophique celte histoire embrasse moins
le récit des faits que l’examen des sentiments et des
idées ; c’est la recherche des créations successives de la
pensée humaine pendant la suite des âges; c'est le ta-
bleau de la science que l’homme a ajoutée à sa science
native depuis qu'il est sorti du sein de Dieu. Sous ce
rapport, l'humanité seule est capable d’avoir une his-
toire, parce qu'elle seule, par la mémoire dont ses mem-
bres sont doués, présente ce lien de conlinuilé qui,
radicalement impossible dans les substances qui existent
sans vivre, manque également dans les êtres qui vivent
sans sentir, ou dans ceux qui sentent sans penser.
ÉTUDES SUR L'HISTOIRE UNIVERSELLE. 999
L'animal le plus avancé ne connaît que pendant son
enfance les animaux dont l'union lui a donné le jour; il
quilte sa mère aussitôt qu’elle ne lui est plus nécessaire
pour trouver sa nourriture; il l’oublie même et s’en va
sans reconnaissance el sans souvenir, n'ayant appris d’elle
qu’à vivre, comme il n’a puisé que dans un aveugle ins-
tinct le désir de perpétuer son espèce et de reproduire
d’autres êtres qui seront aussi oublieux que lui. Après
plus de soixante siècles, chaque animal, toujours le même
qu’à l'heure de la création de son espèce, retombe à terre
peu de temps après sa naissance comme une pierre brute
qui ne peut monter ni grandir. L'homme, au contraire,
lui qui, même dans son âge viril, profile de l’expérience
de son père et des leçons de tous ses aïeux, l’homme,
par ses aptitudes conservatrices, fait ressembler l’huma-
nilé à une pyramide aux fortes assises sur laquelle chaque
génération vient déposer une pierre inégalement taillée
qui élève l’édifice plus haut et permet à l’œil de voir de
plus loin. C’est cette pyramide construite avec tant d’ef-
forts qu’il s’agit d’analyser en l’étudiant de sa base à son
sommet. La vraie matière de l'histoire est l’ensemble des
observations et des découvertes que les hommes ont faites
dans la nature, dans eux-mêmes et dans Dieu; c’est cette
suite de méthodes et d'institutions par lesquelles ils ont
cherché à constituer la science du vrai et du beau, à di-
riger la conduite morale, à deviner avec une plus sainte”
justesse le premier principe et la dernière fin des choses.
Envisagée à ce point de vue, l’histoire générale mérite
de prendre un rang honorable dans les hautes études. Si
la science, à mesure qu’elle s’élêve, doit vérifier d’abord
les lois de la nature physique et inorganique dans l’uni-
vers, puis les lois de l’organisation dans les vies infé-
rieures de la plante et de l’animal sur la terre, et enfin
Jes lois de l'esprit dans l’homme, 1l est logique qu’elle
360 HISTOIRÉ. —— ARCHÉOLOGIE.
étudie aussi la collection des vies de l’esprit dans l’huma:-
nité et les effets de ces vies successives depuis que la race
humaine existe sur notre globe. Cette succession des vies
de l'esprit patiemment examinées sur la Lerre mêne à la
contemplation de Celui qui, au-dessus de la terre et des
mondes, a été si justement appelé par Leibnitz le Seigneur
et le Monarque des esprits. Arrivée à cette hauteur, la
méditation est fécondée par les élans de l’âme, et la
science, inspirée par l'amour, nous met en présence de
Dieu, ou de l'Esprit infini planant souverainement sur
l'univers qu’il à créé, comme elle nous avait montré dans
l'homme l'esprit fini qui régne avec labeur sur l’étroile
partie du monde assignée à sa demeure terrestre.
On voit que l’objel que se propose l’histoire universelle
est le même dans tous les temps; mais rien n’est plus
variable que les moyens dont chaque époque dispose pour
atteindre le but qu’elle poursuit. Je dois, ici, avant d’aller
plus loin, jusüfier ce que je disais tout à l’heure de la
supériorité de ces moyens au dix-neuvième siècle; cette
supériorité s’explique par deux raisons : nous possédons
des matériaux plus abondants, nous sommes armés d’une
critique plus pénétrante.
Ce qui crée la richesse de nos ressources pour étudier
le passé, c’est la multiplicité des pérégrinations qui s’ac-
complissent à travers le globe. Nous n'avons pas seulement
exploré la vieille Égypte pour retrouver dans sa langue
mystérieuse ses institutions perdues, nous fouillons toutes
les profondeurs de ce monde asiatique qui fut le berceau
de l'humanité. Déjà nous savons comprendre dans leur
idiome les antiques doctrines des religions de Brahma et
de Zoroastre. [ci nous tentons de déchifirer les écritures
cunéiformes de Ninive et de Babylone. Là nous réussis-
sons à interpréter les curieuses inscriptions et les innom-
brables commentaires enfantés par la réforme bouddhique.
C1
ÉTUDES SUR L'’HISTOIRE UNIVERSELLE. 301
Plus loin la force civilisatrice de nos armes préparant, sur
les rives du fleuve jaune, les paisibles conquêtes de l’éru-
dilion, nous ouvre enfin la patrie si longtemps fermée de
Laot-tseu et de Kong-fu-tseu. Partout les richesses intel-
lectuelles se colligent, les pierres de la science s’accumu-
lent en attendant qu’elles se coordonnent, et qu’une main
habile, sachant les mettre en œuvre, construise le temple
dans lequel viendront se lire d’instructives et fécondes
leçons.
Ce qui fait naître et aiguise la saine critique dans
l'intelligence du passé, c’est la possibilité d'établir des
comparaisons entre beaucoup de choses de même nature.
Quand on ne connaît, dans un certain orûre d'idées, qu’un
fait isolé, on est disposé à réputcer ce fait merveilleux ou
incompréhensible, parce qu’on n’aperçoit pas la cause qui
l’engendre. Si, au contraire, plusieurs faits d’un ordre
analogue viennent à surgir, on peut étudier leurs resscm-
blances ou leurs différences et parvenir à déterminer le
caractère de ce qui semblait d’abord inexplicable. Outre
ce premier avantage dont nous jouissons, l'esprit de cri-
tique historique a puisé un autre enseignement dans
l'exemple que lui ont donné les méthodes pratiquées dans
l'étude des sciences naturelles. Tout le monde sait que
nos progrès dans l’exploration des lois qui régissent les
corps et la vie animale ne sont devenus considérables que
depuis les jours qui ont vu l’observation paliente subs-
tiluée aux afflirmalions hardies et les vaines hypothèses
remplacées par la méthode expérimentale. Cette méthode
a passé des sciences de la nature aux sciences morales ;
elle a commencé à nous découvrir les lois de l'esprit,
comme elle nous avait découvert les lois de la matière et
de l’organisation ; elle nous a surtout appris que pour
saisir l’ensemble des principes qui ont gouverné dans
l'histoire l’homme et les sociétés, il ne faut négliger ni
46
362 HISTOIRE. —— ARCHÉOLOGIE.
le monde des détails ni les infiniment petits. L’enchaîne-
ment harmonique, qui unit toutes les parties de l’univers
physique et moral, est si admirablement lié que l’ordre
de faits, en apparence le plus modeste, peut nous initier
au secret de la physiologie sociale aussi sûrement que la
plus éclatante manifestation d’une puissante nationalité.
Notre temps se juge par une simple comparaison avec les
temps qui l’ont précédé. Les deux derniers siècles ont été
assurément deux grandes époques intellectuelles; mais on
ne possédait alors ni les moyens ni surtout la tendance
d'esprit propres à poser les bases d’une histoire générale.
Le dix-septième siècle, avec la pureté de son goûl, ne
se plaisait qu'aux formes sévêres et gracieuses de l’anti-
quité gréco-romaine ; un peu hautain comme la puissance,
il répudiait tout ce qui ne porta point l’empreinte de cette
beaulé correcte et accomplie créée par la patrie privilégiée
de Périclès ; dans son amour exclusif des œuvres classiques,
il négligeait tout ce qu’il appelait barbare; son dédain
pour les humbles civilisations, pour les origines et les
enfances des peuples l’entraina si loin qu’il ne sut pas
même honorer d’un regard d'approbation la plus merveil-
leuse production de l’enfance chrétienne, les cathédrales
du moyen âge.
Le dix-huilième siècle cédait à d’autres préoccupations;
c'était un siècle de bataille qui ressentait avec colère les
excés de l'intolérance dogmatique et les misères de l’igno-
rance aveuglément soumise. Une haine généreuse dans
son principe fut excessive dans ses effets; elle exagéra la
réaction contre les pouvoirs dominateurs et la confiance
dans les promesses de la science rénovatrice. On n’arriva
guére à praliquer la justice envers le passé toutes les fois
que le passé avait été hostile aux doctrines de liberté
desquelles on attendait une régénération sociale.
Moins. superbe et plus impartial que ses aînés, le dix-
ÉTUDES SUR L’HISTOIRE UNIVERSELLE. 303
neuvième siècle cherche plus patiemment qu’eux dans
les origines humaines les vraies conditions de l’exis-
tence des hommes. Depuis que de candides espérances
ont trouvé de rudes mécomptes, nous jugeons avec plus
d’indulgence les iniquités du passé, et d’ailleurs le re-
tour de ces iniquités nous parait moins redoutable
depuis les victorieux combats que leur ont livrés nos
derniers aïeux.
S'il fallait, au nom de l’histoire, regarder en arrière
pour rencontrer des analogies, on devrait comparer
notre époque avec le seizième siècle plutôt qu'avec les
temps qui l’ont suivi. La Renaissance ne brilla pas seu-
lement par le succès des arts; ce fut une ère de réno-
vation universelle. On crut alors retrouver la science
tout entière, parce qu'on pouvait l’étudier dans les trois
langues qui servirent d'instruments à tant de beaux
génies. La connaissance du grec, de l’hébreu et du vrai
latin paraissait une découverte de laquelle allaient surgir
de nouvelles sources de vie. Notre temps, sans répudier
les ardentes prédilections du seizième siècle, tâche d’élar-
gir la base qui leur servit d'appui ; il se met à étudier,
dans les langues d’orient, ces civilisations asiatiques qui
forment la première assise intellectuelle de l'humanité.
Grâce à cette étude, l'édifice de l’histoire se dresse: plus
grand devant nous et ses proporlions nous paraissent
plus imposantes à mesure que nous le voyons sortir des
décombres où l'ignorance lavait enseveli et oublié.
Ceite sorte d’exhumation présente ainsi, dans l’histoire
moderne, trois degrés successifs qu’on n’observe point
sans profit pour la vérité : 10 le moyen âge, naïf en ses
croyances, n’a les yeux fixés que sur Jérusalem. Pour
lui, l’étoilé qui avait annoncé au monde l’avénement du
fils de l’homme est si brillante que, par l'éclat de son
- soleil, elle absorbe et éteint dans une nuit profonde la
364 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
lueur de toutes les autres étoiles qui pourtant éclairent
la marche des hommes sur la terre ; 2 le seizième siècle
ose faire appel à de nouvelles clartés, il ne se détourne
point de la Palestine, il la cultive même avec ardeur,
commence à la juger, et parvient surtout à reconquérir,
au milieu de leur poussière, les savantes doctrines qui
répandirent tant de lustre sur la Grèce et l'Italie ; 8° le
dix-neuvième siècle n’est infidèle à rien de ce qui ins-
truisit véritablement ses ancêtres, mais il poursuit leur
œuvre et tâche, à son tour, de faire revivre, à côté de
la science palestinienne ou gréco-romaine, cette science
orientale qui la précéda dans le temps, et dont les as-
pirations marquèrent l'éveil primitif de la conscience et
de la pensée dans l’homme. C’est ainsi que l'évocation
des souvenirs, devenant plus complète, fait revivre la
suite entière des générations éteintes et nous permet
de demander à la mort quelques-uns des secrets de la
vie.
Il ne suffit pas que les recherches historiques soient
aidées de renseignements abondants qui les éclairent ;
elles n’aboutissent à un résultat utile qu’autant qu’elles
sont entreprises avec l’impartial désir de les rendre fé-
condes. Quelles dispositions d’esprit convient-il d’ap-
porter à ces sortes de travaux ? La réponse à cette
question peut se renfermer en peu de paroles : l’histoire
veut être étudiée avec respect pour le passé, avec un
exact sentiment de justice envers le présent, avec un
ferme esprit de confiance dans les destinées de l’avenir.
Avenir, présent, passé, ce sont lrois termes unis par
une solidarité qu’on ne brise point sans tomber dans la
parlialité et dans l'erreur ; ce sont trois époques que nos
sympathies ne doivent point séparer, puisque leur réunion
est nécessaire pour embrasser le développement de l’in-
dividu humain sur la terre.
-
ÉTUDES SUR L’HISTOIRE UNIVERSELLE. 309
Le seul moyen d’inspirer du respect aux autres, c’est
d’éprouver soi-même le sentiment du respect. Or, rien
n’est plus digne de notre vénération que cette longne
lignée des hommes qui nous ont précédés dans la vie.
Les anciennes générations ne nous doivent rien, nous
leur devons à peu près lout ce que nous savons. Nous
profiltons de leurs découvertes et de leurs exemples ;
leurs erreurs mêmes nous profitent en nous délournant
des sentiers où leurs pas se sont égarés. Toul système
qui rejette le passé avec dédain mérite d’être répudié
lui-même: s’il n’y avait eu chez nos pères que de l’igno-
rance et de l'erreur, où serait la garantie que nous aussi
nous ne sommes pas perpétuellement livrés à Pillusion
d’un trompeur mirage”? Une simple hypothèse me fournit
la preuve de l’énormité de notre dette envers les aïeux.
Imaginons qu’un vieillard, mort à la fin du dernier
siècle, ait pu, à force de patience dans l’élude et de
puissance dans la mémoire, rassembler dans sa tête en-
cyclopédique la connaissance de tout ce qu’on savait
alors dans la science et dans les arts, dans la morale ou
dans les lettres. Réveillons ensuite par la pensée cet
Épiménide endormi avant la première heure du dix-neu-
vième siècle, et après l’avoir transporté au milieu de
nous, invitons-le à joindre toutes nos connaissances nou-
velles aux trésors de son ancienne instruction. Combien
de temps lui faudra-t-il pour apprendre ce que nous
avons réellement découvert depuis cinquante ou soixante
années ? quelques mois, quelques jours peut-être; car en
comparaison des richesses accumulées par la tradition
des siècles, le travail d’une seule généralion ne tient
guère plus de place qu’un grain de sable devant une
montagne, qu’une goutte d’eau devant l’Océan.
Notre premier devoir consiste donc à honorer sincè-
rement les ancêtres qui nous ont légué, avec le fruit de
3600 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
leurs labeurs, les lecons de leur sainteté ou de leur
science ; mais la plus légitime reconnaissance n’est pas
une aveugle acceplation; tous les siècles sont également
bénis de Dieu, et le droit d'examen dont furent armés
nos pères ne peut être fermé à aucune des généralions
qui les suivent. De même qu'un seul homme revise jus-
qu’à sa mort l’œuvre de sa vie, pour la rendre moins
imparfaite, l’humanité, toujours vivante, est appelée à
reviser continuellement l’inventaire moral du passé pour:
l'amender ou lenrichir ; car lesprit humain ressemble
à ces substances lumineuses qui tendent sans cesse à se
dégager d’un obscur nuage pour monter davantage vers
les clartés du ciel.
I n’est pas à craindre que la faculté de révision que
s’attribuent sur le passé les générations nouvelles four-
nisse des aliments à la stérile passion de l’orgueil, car,
indépendamment de ce que-nous resterons toujours fort
ignorants, celte faculté apporte avec elle plus de devoirs
à remplir que de droits à exercer. Les obligations mo-
rales se multiplient à mesure que grossit le nombre des
siècles écoulés, et les derniers venus, éclairés de plus de
lumières, sont moins excusables s'ils s’égarent ou ne sa-
vent pas marcher d’un pas assez ferme dans les voies de
la vérité.
Il y a d’ailleurs une illusion d’optique contre laquelle
il faut se prémunir, quand on veut comparer avec les
temps écoulés le temps où l’on est appelé à vivre. Il n’est
pas en notre pouvoir d'observer avec les mêmes lunettes
le présent et le passé; celui-ci ne se connait que par des
fragments de récits dans lesquels on ne rencontre jamais
que la moindre partie des faits complexes dont se com-
pose la vie humaine. Ce n’est ni dans une page, ni dans
plusieurs volumes qu’on peut reproduire les idées et les
sentiments si divers de tant de myriades d'hommes pen-
ÉTUDES SUR L'HISTOIRE UNIVERSELLE. 307
dant tant de siècles accumulés les uns sur les autres. Les
tableaux de l’histoire sont pour nous d'autant moins fidèles
que, sans le vouloir, 1l nous arrive souvent de fermer les
veux pour abstraire du livre les faits qui blessent nos pré-
jugés ou dérangent nos systèmes. L'actualité ne s’arrange
ni de ces brièvetés menteuses n1 de ces faciles complai-
sances. Le temps présent est là qui nous dure avec ses vices
et ses misères, sans que nous puissions l’abréger ; il faut
le dévorer goutte à goulle, tel qu'il est, même dans ses
heures les plus cruelles. Quel est celui de nous qui, pour
rafraichir son âme attristée par la longueur des mauvais
jours, n’est pas allé quelquefois chercher d’antiques récits,
choisis selon son goût, et n’a pas été tenté de s’écrier après
une consolante lecture : Le vieux temps était meilleur ou
plus heureux que le nôtre!... Cette parole n’est qu’une
erreur de la souffrance. Tous ceux qui ont étudié sérieu-
sement l’histoire croient, au contraire, que le passé, plus
amer pour le grand nombre, apportait plus de douleurs
aux individus avec moins de moralité dans les institutions.
Après tout, nos aieux de tous les âges ont renversé si
souvent ces institutions du passé, 1l les ont poursuivies
avec une si haineuse colère qu’on ne peut expliquer des
changements si fréquemment renouvelés que par un ma-
laise profondément ressenti. De tous les bouleversements
dont l’histoire est pleine, on peut tirer deux conclusions :
c’est que d’abord la lutte est un des devoirs de la vie et
une des conditions du progrès; c’est qu’en second lieu,
l'étude de ce qui a été invite à supporter ce qui est et
nous fait aimer l’époque où Dieu nous fait vivre. La mi-
santhropie qui condamne les temps contemporains est un
travers de l’esprit quand elle ne prend pas sa source dans
les égoïstes passions du cœur.
En même temps que la science nous apprend à tous à
aimer le présent et à devenir, tous, fraternels envers lui,
?
308 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
elle nous conseille d’envelopper l’avenir dans nos sym-
pathies, comme ces pères intelligents qui s’améliorent
èux-mêmes par le souci vigilant que leur inspire le sort
futur de leurs enfants. La foi dans l'avenir ! ce fut toujours
la vertu des individus ou des peuples qui ont marqué
fortement l’empreinte de leur passage sur la terre. Le
héros qui résume le plus fidèlement peut-être l’esprit de
l’audacieuse et brillante contrée de la Grèce, cet élève
d’Aristote qui renvoyail à Athènes la libre statue d’Har-
modius et que le sommeil même ne séparait pas des grands
poëmes homériques, Alexandre s’en allait civiliser l’Asie
en ne gardant pour lui que l’espérance et la gloire qui
ont si noblement répondu à son attente. La Rome an-
tique n’a dominé le monde que parce qu’elle se croyait
sincèrement la ville éternelle, et les Juifs n’ont enfanté
les croyances religieuses de lavenir qu’à force de foi
dans cet avenir qu’ils ont si longtemps et si obstinément
rêvé.
Toutes les sciences ont besoin, pour se faire com-
prendre, de s’appuyer sur des divisions qui permettent à
l'esprit de se promener d’abord sur des points différents
pour se concentrer ensuite sur le heu commun qui unit
les parties. L'histoire, quand elle veut se conformer à cette
loi, doit marquer les lieux sur lesquels elle s “accomplit et
les temps qui constiluent sa durée.
Notre connaissance de la surface terrestre est si récente
que nous avons vu les divisions de la terre changer, même
de notre vivant. Les livres élémentaires disaient naguère
qu’il y a quatre parties du monde; ils affirment aujour-
d’hui plus justement qu'il y en a cinq; les deux dernières
parties, si dignes d'intérêt à d’autres Litres, n’ont qu’une
importance secondaire pour l’étude du passé. L'Amérique
et l'Océanie, plus jeunes peut-être que le reste de la terre,
par leur apparition dans la vie, sont certainement plus
ÉTUDES SUR L’HISTOIRE UNIVERSELLE. 369
nouvelles par leur apparition dans l’histoire. L’ancien
continent porte, seul, la trace vénérable des pas succes-
sivement faits par les hommes dans leur marche vers la
civilisation; c’est donc à ce vieux monde qu'il faut appli-
quer les distinctions propres à mettre les lieux en rapport
avec les faits dont ils ont été le théâtre. Deux grandes
lignes suffisent à cette géographie historique : la première
limite est depuis longtemps usuelle ; c’est celle qui, par
la Kara, la Caspienne, la mer Noire, sépare l’Europe de
l'Asie ; il faut chercher la seconde au pied du prolonge-
ment occidental de l’Hymalaya.
Transportons-nous sur le riche plateau de Kaboul : là
nous pouvons, sinon par les yeux, du moins par la pensée,
descendre au midi le cours de l’Indus ou remonter le
fleuve du côté de l’est. Ce fleuve , que ne dépassa guère
Alexandre, détermine à peu près la séparation de l'Asie
centrale avec l'Asie orientale. Tous les bons observa-
teurs‘ ont remarqué que ces deux portions des contrées
asiatiques diffèrent par leur aspect, leur sol, leurs produc-
tions, non moins que par le caractère de leurs habitants.
En deçà de l’Indus, ou si l’on veut, en decà de Kaboul,
dans cette patrie du platane et du chameau, on remarque
encore des tendances à l’activité et des agitations d'esprit
semi-européennes. Au delà de Kaboul et surtout de l’Indus,
dans le pays de l'éléphant et du dattier, on trouve la vieille
et véritable Asie, avec ses fidélités à la tradition, avec ses
habitudes sédentaires, quiétistes et éternellement soumises.
La géographie de l’histoire présente ainsi trois grandes ré-
gions : 10 l’Asie orientale au delà des barrières de l’Indus,
‘ On peut consulter notamment l’excellente introduction qu’a
placée M. Dubois de Jaucigny en tête de l’histoire de l’Inde dans
l'Univers pittoresque.
47
370 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
de l’Indou-Koh et du désert de Kobi; 2° notre Europe,
en deçà du Caucase et de l'Oural; 3° la partie moyenne
formée, entre les deux extrémités, par l’Asie centrale,
septentrionale et occidentale, avec l'Afrique pour une sorte
d'immense appendice.
Voyez comme la vérité de cette division se justifie, en
dehors du climat, par le spectacle des faits contemporains
qui se dressent autour de nous. Partout les croyances
religieuses sont l'expression la plus générale de la civi-
lisation d’un peuple ou d’un groupe de peuples. Ces
croyances distinguent les trois zones que je viens d’in-
diquer, et font ressortir en elles une énergie de dissem-
blance tout à fait digne d’attention.
L’Asie orientale est le sépulcre conservateur du passé :
c’est là que vivent toujours les quatre grandes religions
dont la seule vertu semble être une fidélité opiniâtre au
culle des souvenirs. En Chine, dans ce pays où la langue
manque de mots pour exprimer les idées d'avenir et de
progrès, le nom de Kong-fu-tseu n’inspire tant de véné-
ration que parce que ce législateur, dominé par le génie
de sa nation, enseignait, il y a plus de vingt-trois siècles,
que la sagesse suprême consistera perpétuellement à n’ac-
complir jamais que les œuvres pratiquées par les ancêtres.
L'Inde est si tenace dans sa foi à Brahma et dans sa haine
contre l’égalité qu’elle a chassé de son foyer la doctrine
de Cakiamouni, parce que cette doctrine avait à ses yeux
l’impardonnable tort de prêcher la charité universelle. La
foi bouddhique elle-même, cette réforme, qui parut aux
Hindous une nouveauté si dangereuse, murmure, depuis
vingt-cinq siècles ses vides et stériles formules. Enfin l’an-
tique magisme, réfugié dans l’île de Bombay depuis son
expulsion de la Perse, semble avoir deviné que la terre
brahmanique devait être, malgré d’antiques inimitiés, le
sol hospitalier des vieilles croyances des fils de Zoroastre,
ÉTUDES SUR L'HISTOIRE UNIVERSELLE. 371
puisqu'elle n’avait Jamais senti ou accepté le souffle em-
poisonné de l'innovation.
À l’autre extrémité du monde, l’Europe chrétienne,
confinée à la mer du Nord, forme un saillant contraste
avec les régions que baignent à lorient les flots de
l'Océan pacifique ou de la mer des Indes. L’occident est
le pays du mouvement et de la libre action; il est vivant,
parce qu’il a trouvé en lui-même la force de se régénérer
plus d’une fois dans les eaux de la science. Notre Eu-
rope, instruile dans sa jeunesse par l’audacieuse ini-
tiative de la Grèce et de FlItalie, a eu la sagesse de
s’éclairer plus tard des pures lumières sorties de la Pa-
lestine ; puis quand le lait évangélique eut nourri, durant
de longs siècles, l’enfance des populations terribles dont
la rudesse avait un si grand besoin d’être adoucie, la
sicence gréco-romaine est revenue à son heure, se mêler
à la nouvelle charité chrétienne et essayer de créer, avec
son aide, un ensemble de doctrines propres à exercer sur
le monde un empire sans oppression et une suprémalie
sans orgueil.
Les vastes contrées de l'Asie centrale ou occidentale
tiennent de leur position géographique un rang inter-
médiaire et moyen qu’elles occupent également dans
l'échelle de la vie sociale. C’est là que règne le maho-
métisme. La foi musulmane, si inférieure à l’intelligence
religieuse de l’occident , domine, à une grande hauteur,
los rêveries contemplatives et panthéistiques, le maté-
rialisme stagnant et grossier de l’extrême orient. Si les
hommes de l’islam ont. trop honoré les brutalités de la
force ; si, dans leur résignation fataliste, ils ne tiennent
pas assez de compte de cette noble liberté de l’âme qui
ouvre les voies à la science, au perfectionnement moral,
et à l’essor des générations futures, ils ont du moins
puisé dans l’ardeur de leur croyance en un seul Dieu des
379 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
élans de courage et une dignité de caractère qui ex-
pliquent les succès auxquels leur nom demeure attaché.
C’est ainsi que la civilisation, dans son état général,
gravite comme la terre dans son mouvement quotidien.
L’astre, qui vivifie notre coin de l’Infini, n’aperçoit
d’abord dans l’extrême orient qu’une civilisation gan-
grenée par la double faiblesse de l'enfance et de la dé-
crépitude tristement réunies ; il visite ensuite ces durs fils
de Mahomet dont les agressions inspiraient à nos aïeux
des terreurs qui me semblent entrer en voie d’apaise-
ment ; puis enfin 1l éclaire, dans l’occident , le sol géné-
reux sur lequel la science sociale, venue tard, s’est
affermie avec une vitalité assez expansive pour devenir
capable de se répandre sur tout le globe, de traverser
l'Atlantique, et de rayonner jusqu’à ces ancêtres orien-
taux desquels nous étaient venus les premiers balbu-
tiements de la pensée humaine.
Laissons l’espace , interrogeons le temps et prenons
d’abord un point de départ pour la suite de l’histoire.
Les anciens confondaient en un seul point trois épo-
ques séparées par d'incommensurables intervalles, je
veux dire les trois époques auxquelles se rapporte la
créalion si distincte de l’univers, de la terre, de l’homme.
L’imaginalion la plus audacieuse ne peut songer ni à
trouver ni à chercher même le temps où le monde sortit
de la main de Dieu. Notre ignorance est à peu près aussi
complète sur les différents âges de la terre, et la science
n'arrive qu'à de vagues et impuissantes approximations
quand elle essaye de compter les siècles écoulés depuis
l’apparition du genre humain sur notre globe. Il est vrai
que les livres sacrés de tous les peuples antiques con-
tiennent une cosmogonie dont les auteurs pensent avoir
surpris le secret de la création. Les fragments de San-
choniaton, en Phénicie, de Bérose, en Chaldée, de Mané-
ÉTUDES SUR L’HISTOIRE UNIVERSELLE. 313
thon, en Égypte, le livre de Manou, dans l'Inde, le Boun-
dehesh des Parses', les traditions sorties de l’Y-King des
Chinois semblent raconter ce qui s’est passé à la naissance
du monde. Dans un langage supérieur à celui de Lous ces
récits, la Genèse hébraïque, à son tour, retrace avec une
noble simplicité le tableau des origines primitives; mais
comme tous ces livres empruntent une partie de leur
autorité historique à la confiance qui les acceple au nom
de la foi, ils ne doivent point devenir ici la matière d'une
discussion. La science qui peut, seule, élever la voix
parmi nous est obligée d’avouer son ignorance presque
complète sur ces obscurilés impénétrables; la science,
quand elle veut ne s’appuyer que sur elle-même et sur
ses propres ressources, se voit contrainte de repousser
tout système qui prendrait pour base d’une ère histo-
rique le commencement des choses ou de l’humanité.
Ce premier moyen écarté, il n’en reste qu’un seul
autre ; c’est de choisir une époque à laquelle on rapporte
comme unité de comparaison toutes les époques qui la pré-
cèdent ou la suivent. L'usage a consacré à cet égard une
règle qui doit être tenue pour fort digne d'approbation.
La naissañce du sublime fondateur du christianisme est
comme la première lueur intime du nouveau phare des-
tiné à guider l’humanité ; elle réunit deux conditions qui,
même à un point de vue purement humain, le seul qui
nous appartienne ici, donnent à ce fait le caractère d’une
ère sérieusement historique. La prédication de l'Évangile
est l'événement le plus considérable et en même temps
le plus salutaire de l’histoire; c’est celui qui a opéré le
plus de changements dans le monde, c’est celui qui a
- ! Le livre du Boundehesh, écrit en pehlvi, est relativement mo-
derne, mais il a été composé avec d'anciens documents qui passent
pour une traduction des livres de Zoroastre.
31% HISTUIRE. — ARCHÉOLOGIE.
versé le plus de bienfaits sur les hommes. On peut donc
s'entendre sur tous les faits les plus anciens ou les plus
modernes en les désignant par leur date avant ou après
l'ère vulgaire. Il importe peu qu’une légère erreur se
soit glissée dans le calcul de l’ère typique; celte inexac-
titude', qui s'explique par l'ignorance des temps où elle
a élé commise, n'entraine aucune conséquence trom-
peuse pour l’ordre d'idées que nous poursuivons.
Armés d’un point d'appui pour l'étude de l’histoire,
divisons sa durée, sans craindre de faire préalablement
quelques réserves contre les divisions elles-mêmes.
Quand il s’agit de distinguer les diverses parties de
l'espace, les causes de séparation sont énergiques et
tranchées. Quels obstacles plus matériellement prohibitifs
que les périls de l’Océan, les montagnes du Thibet ou
les déserts de Cobi? Le Lemps ne présente pas pour nous
de pareilles interruptions de continuité. Les générations
humaines se succèdent et se remplacent sans relâche.
Les événements s’enchaînent dans une suite perpétuelle
de causes et d'effets. D’un autre côté, les faits histori-
ques qui se manifestent avec retentissement dans Île
monde ne naissent pas quand ils éclatent, ces faits, sem-
blables à l'arbre puissant dont le germe a été longtemps
invisible sous le sol, ont leur source dans des faits an-
térieurs que n'avaient pas su discerner nos faibles yeux.
De même les grands empires, les fortes institutions qui
s’écroulent ne disparaissent jamais d’un seul coup, ils
laissent après leur chute, comme le soleil après son cou-
‘ Ce fut seulement à partir du sixième siècle qu’un moine
scythe, nommé Denys le Petit, introduisit l’usage de compter le
temps à partir deîla naissance de Jésus-Christ; mais il se trompa
dans son calcul en retardant cetle naissance de trois ou quatre
années.
ÉTUDES SUR L'HISTOIRE UNIVERSELLE. 379
cher, une trace lumineuse, qu’on aperçoit encore long-
temps après que le principe de la lumiére a cessé de
briller ou de vivre. Tout se lie, tout se tient dans la
trame humaine ; mais s’il ne faut pas exagérer la valeur
des divisions historiques, ce serait une autre erreur de
les dédaigner entièrement. Dans le chemin de l’histoire,
comme ailleurs, il est prudent de s'orienter et de régler
sa marche par de bonnes étapes pour arriver sûrement
au but du voyage. Cherchons donc une sage orientation.
On risque de paraître superficiel ou vulgaire en disant
que la principale et la plus importante division que com-
porte la matière de notre étude consiste à distinguer
justement l'histoire moderne de l’histoire ancienne. Cette
distinction serait peu de chose si elle ne servait qu’à
séparer par une date les faits accomplis dans des temps
plus proches ou plus éloignés de nous. Il s’agit d’un
objet plus sérieux.
Jde crois que, dans le vaste ensemble des événements
historiques, il existe une époque précise où la civilisation
occidentale, telle qu’on la concevait alors, a dû s’arrêter
et périr, parce qu’elle avait atteint le but qu’elle se pro-
posait, touché les bornes de l'horizon qui lui était connu,
et épuisé, jusqu’au plus horrible abus, la forme gouver-
nementale qu’elle avait essayé de pratiquer, forme dure
el tyrannique qui se résumait dans l’oppression des na-
tionalités par la conquête, et l’asservissement des indi-
vidus par l'esclavage. Mais comme, à cette même époque,
l'humanité était loin d’avoir accompli sa destinalion sur
la terre, les hommes se sont remis en marche pour
poursuivre, dans des conditions nouvelles, un idéal su-
périeur à celui qu’ils venaient de réaliser. Cette époque,
qui forme là vraie séparation de l’histoire ancienne avec
l’histoire moderne , est plus reculée qu’on ne le dit ha-
bituellement. |
376 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
Il sera toujours commode d’appeler moyen âge l’inter-
valle dix fois séculaire qui s’écoula entre les deux chutes
du double empire romain, celle qui brisa le trône du
débile Augustule en 476, et celle qui renversa le dernier
Constantin sous le sabre de Mahomet IE en 1453. Mais
une désignation recommandée par de vieilles habitudes
ne fait pas fléchir les lois de la physiologie sociale. Le
moyen âge n’est pas un temps qui se détache arbitrai-
rement des autres siècles, il a besoin d’être classé comme
le reste, et sa classification le range dans l’histoire mo-
derne par la même raison qui fait entrer dans la mono-
graphie d’un homme fameux le récit de sa jeunesse et de
ses premières années. Oui, le moyen âge, à proprement
parler, n’est rien autre chose que l'enfance de notre
société actuelle, et une sorte d'incubation pendant la-
quelle cette société se préparait à la nouvelle vie qu’elle
entrevoyait confusément. Si l’on veut saisir avec justesse
la filiation des événements et leurs causes, il est indis-
pensable de faire remonter l’histoire moderne jusqu'aux
temps où l’on trouve réunis dans leur germe tous les
éléments matériels et moraux dont le développement a
engendré notre Europe d'aujourd'hui. Ces temps com-
mencent avec le début du moyen âge, et la date de ce
début comporte elle-même une rectification qui modifie
légèrement les usages acceptés en cette matière.
Il est matériellement incontestable qu’il y a eu des
empereurs romains d'Occident jusqu’en 476. Mais il n’est
pas politiquement vrai que le pouvoir de Rome ne finisse
qu’à cette époque ; une crise l’avait moralement tué plus
de soixante ans auparavant.
. Lorsque Rome fut prise pour la troisième fois par les
Hérules d’Odoacre, en 476, cet événement ne causa,
parmi les contemporains, qu’une sensation relativement
médiocre. Les générations d’alors sentaient instinctive-
ÉTUDES SUR L'’HISTOIRE UNIVERSELLE. 377
ment que la vieille Rome n'existait plus, et l’on s’arran-
geait de sa chute comme d’un événement fatal et ac-
compli. Le sénat de ce triste temps, car il y avait encore
une forme de sénat, s’avisa même d’une résolulion qui
lémoigne de sa résignation singulière; il déclara que
deux empereurs étant désormais inutiles, on se conten-
terait à l’avenir du maître qui régnait à Constantinople.
Ce qui excita partout une émotion profonde, ce fut la
première prise de Rome par les Visigoths d’Alaric, le
24 août 410. Nous pouvons difficilement aujourd’hui nous
figurer ce qu'était Rome à cette époque. Paris ou Lon-
dres, Vienne ou Pétersbourg ne sont que les capitales
d’un seul royaume. Rome était tout à la fois la ville
maîtresse et la ville sainte du monde civilisé; elle avait
pris et emporté dans ses murailles tous les trésors, tous
les pouvoirs et tous les dieux de l'univers. 11 est vrai
que, depuis un siêcle, les présages de mort n'avaient pas
manqué à la ville éternelle : elle avait vu Dioclélien dé-
couper en quatre lambeaux l’Empire si longtemps con-
centré en elle seule; elle avait dû souffrir que Constantin
la dépouillât de sa couronne, en transportant à Bysance
la personne du prince et les magnificences du principat ;
sous Honorius, elle avait perdu son honneur même,
quand ce méprisable empereur, fuyant devant Alaric,
avait couru ensevelir l’autorité impériale dans l’inacces-
sible Ravenne, investie par la lâcheté du maître des sou-
verains priviléges de la cité de Romulus. Les provinces
n'étaient pas plus épargnées que la grande capitale; les
Barbares avaient passé le Rhin en 406, pour inonder la
Gaule ; ils avaient franchi les Pyrénées en 409, pour ra-
vager l'Espagne; on ne pouvait plus défendre lile des
Bretons; tout l’occident était à l’abandon. Cependant,
après toutes ces hontes, la prestigieuse Rome vivait en-
core; celle vie était un souvenir et une ombre de la
48
378 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
gloire passée. Mais quand on vit Rome prise et livrée à
la dévastation pendant six Jours, ce fut une stupeur im-
mense qu'expriment avec larmes tous les contemporains.
Saint Jérôme, dans sa solitude de Bethléem, se fait écho
des gémissements universels, et s’écrie dans une douleur
mêlée de joie : « Elle est donc prise à son tour la ville
qui a pris toutes les autres villes. » et il l'appelle Moab.…
À partir de #10, les Barbares sont devenus l'élément pré-
pondérant et les vrais maîtres de la situation; l’antique
domination romaine aura encore une agonie de soixante-
six annécs vers l’Adriatique, comme elle trainera une
autre agonie de dix siècles sur les rives du Bosphore; il
y aura encore des empereurs, mais il n’y a plus d’em-
pire, et le gouvernement de l’univers occidental est passé
en d’autres mains. Les Barbares essayeront peut-être, à
leur manière, de continuer ou de reconstituer l’histoire
romaine dont ils sentent vaguement la grandeur, mais
ils ne parviendront pas à la relever de sa tombe.
Ignorant ou savant, nul n’a la puissance de ramener
à la vie un passé que les conditions de la vie ont aban-
donné.
Ce n’est pas seulement le vieux monde qui finit en 410 ;
c'est un nouveau monde qui commence; les signes de
cette aurore apparaissent dans un fait qui mérite d’être
relevé.
Quand les multitudes virent Rome abattue, elles ne sa-
vaient à qui s’en prendre et s’en plaignirent au ciel. La
majorilé des hommes était encore païenne, principale-
ment vers les bords du Tibre; le christianisme était une
nouveaulé anti-romaine, et comme, dans tous les temps,
les novateurs sont facilement coupables aux yeux de ceux
qui souffrent, les Chrétiens furent rendus responsables de
la chute de Rome. Ce fut pour répondre à ces attaques
que le plus grand esprit de ce siècle tourmenté, saint
ÉTUDES SUR L’HISTOIRE UNIVERSELLE. 379
Augustin, éleva la voix et commença, dès 411, son livre
de la Cilé de Dieu. Cet ouvrage, au point de vue histo-
rique, ne peut être notre symbole actuel; il est empreint
de violence et d’exagéralion; ce. n’est pas, comme on l’a
dit, l’oraison funébre de Rome, c’est plutôt, pour parler
le langage des légistes, un acte d'accusation et un réqui-
sitoire contre tout l'empire romain; mais ces défauts
n’empêchent pas l’œuvre de l’évêque d'Hippone d’avoir
une haute signification, parce qu’elle est dans son titre
el ses traits généraux, le cri universel des Chrétiens et le
programme de la nouvelle force morale qui allait s’inau-
gurer dans le monde à la place de Rome vaincue.
Arrêtons-nous ici pour considérer dans la chute de
Rome, en 410, et dans le manifeste explicatif ‘ de saint
Augustin, en 411, le vrai point d’intersection entre l’his-
toire ancienne et l’histoire moderne. Cette coupure fixe
en même temps le caractère complexe du monde nou-
‘veau qui commence à celte époque.
Lorsque Constantin, dans les premières années du
quatrième siècle, transforma la religion de l’État, ce fut
une grande joie parmi les opprimés de la veille ; ce fut
aussi, parmi eux, la cause ou l’occasion d’un trés-vif
développement intellectuel au sein des esprits d'élite,
mais ce ne fut pas un changement radical. Les lois, les
mœurs, l'exercice du pouvoir, presque tout se mouvait
dans le cercle des anciennes habitudes. On ne sait, en
lisant plusieurs écrivains de cette époque, s'ils étaient
‘ La science historique qui prend pour symbole le dévelop-
pement de l’humanité peut bien s’étayer de l’autorité de saint
Augustin, car c’est ce grand esprit qui, le premier, a employé dans
la Cité de Dieu (liv. X, chap. XIV) et ailleurs (de quæst. div.
octog. trib. quœst. 58) la belle comparaison qui a été reproduite
avec tant de force par Bacon et Pascal, et qui assimile la vie de
l’humanité à la vie d’un seul homme passant par tous les âges.
380 HISTOIRE. — ÀARCHÉOLOGIE.
paiens ou chrétiens ". Quand, au contraire, la révolution
politique du cinquième siècle vint se joindre à l’évolution
religieuse du siècle précédent, il y eut un renversement
général du passé; la réaction éclata de tous côtés contre
l’ancienne société romaine si longtemps respectée, et le
vieux monde entra dans une dissolution permanente qui
ne dura pas moins de six siècles.
Ïl y avait dans la civilisation de Rome païenne trois
choses enchevêtrées l’une dans l’autre par des lens an-
tiques et indissolubles : c’étaient le pouvoir politique,
la religion et la littérature. Je prends ici le mot de hitté-
rature dans son acception la plus générale, c’est-à-dire
pour l’expression de l’ensemble des connaissances que
possède un peuple dans les arts, les sciences et les
belles-lettres. De ces trois choses qui formaient une sorte
de trépied à l'édifice romain, aussitôt que l’une fut
ébranlée par le christianisme et l’autre renversée violem-
ment par les Barbares, la troisième, fille des deux pre-
mières, ne tarda pas à périr elle-même ; la littérature se
mit à tomber en poussière, ne trouvant plus aucun ali-
ment ni dans l’ancienne société brisée ni dans la société
nouvelle, dont les éléments violents et ignorants s’agi-
térent dans un désordre plus de six fois séculaire, au
milieu d’une confusion sans assiette et sans fixité.
Toute vie qui finit est bientôt remplacée par d’autres
vies qui, chétives ou fortes, viennent se greffer sur le
rameau que n’anime plus le souffle vital. Rome expirante
laisse deux héritiers ; elle transmet son pouvoir matériel
' Cette incertitude s’est continuée souvent bien au delà du temps
de Constantin. Ainsi, Boëce, mort dans le premier quart du sixième
siècle, a été accepté pendant tout le moyen âge comme un fervent
chrétien, quoique des recherches récentes aient montré que le
ministre de Théodoric était demeuré païen et fidèle disciple de
Proclus.
ÉTUDES SUR L’HISTOIRE UNIVERSELLE. 381
aux commandants des hordes de peuples accourus de
tous les points de l'horizon pour l’abattre et partager ses
dépouilles ; elle-lègue, sans le vouloir, sa puissance mo-
rale aux évêques chrétiens que les populations choisis-
saient pour guides avec une acclamation, quelquefois
combattue, et plus souvent empreinte d'une respectueuse
admiration. Ainsi, des soldats venus du dehors en vain-
queurs, des prêtres consacrés par une foi de récente origine,
tels sont les éducateurs de notre Europe d’occident. C’est
entre ces deux aulorités de tendances si diverses que va
se disputer ou se partager désormais la direction de la
société qui prend naissance à l’époque qu’on appelle
assez improprement le moyen âge. Des études attentives
montrent que cette époque n’est nullement un temps
moyen; c’est plutôt un début sur des ruines, c’est une
sorte de recommencement de l’humanité occidentale,
c'est le premier acte d’un nouveau drame dans lequel
vont s’agiter avec d’autres doctrines et d’autres passions
des hommes qui entendent marcher sous un nouveau
drapeau, et dans une voie différente de celle de l’ancien
monde. Cette voie conduira en définitive à des résultats
supérieurs à la vie du passé; mais rien ne va vite et la
supériorité se fera longtemps attendre.
Que l'élément barbare, destructeur de l’empire romain
n'ait présenté, au jour de ses succès, que les signes
d'une ignorante enfance, c’est là une évidence historique
qui ne peut être niée par personne. La veille de l’inva-
sion, les conquérants germains, échelonnés depuis le
Rhin jusqu'aux profondeurs de l'Asie, n'étaient guère
que des habitants des bois, sortis à peine du premier
degré de la vie sociale. Aussi peu soucieux d'étudier
l'âme humaine que les secrets de la nature, ils ne possé-
daient pour toutes croyances que des superstitions bi-
zarres. Pleins de mépris et d'incapacité pour les lettres,
382 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
comme lous les peuples enfants, ils n’avaient de goût
que pour les grossiers plaisirs, pour l’oisiveté ou la ba-
taille. Je n'oublie pas que les peuplades germaniques ont
apporté certaines qualilés précieuses el infusé sur le sol
vaincu plusieurs gouttes d’un sang viril et vigoureux ;
mais ces mérites n’ont produit que plus tard leurs bons
effets. La sève rénovatrice n’a été utile que quand élle
est parvenue à se marier avec l’ensemble du corps social.
Les bienfaits qu’apportera l'avenir n’empêchent pas que le
principe de la domination seigneuriale ou barbare, dont
les terribles résultats se sont prolongés pendant tant de
siècles, ne soit, à l’heure de son triomphe, une réaction
malfaisante contre l’unité romaine et un obstacle à l’éta-
blissement des vraies idées chrétiennes. Si Rome soumet-
tait durement les nations, elles les unissait du inoins,
après la victoire, par les liens d’une savante discipline,
comme le christianisme allait tenter de les réunir plus
heureusement par ses doctrines d’amour fraternel. L’in-
vasion barbare, au contraire, était d’abord une violence
plus brutale encore que celle de Rome païenne; puis,
joignant le mal au mal, c'était de plus une perpétuelle
cause de morcellement indéfini, et la prépotence misé-
rable d’une foule de petits chefs militaires qui, après
s'être partagé, grâce à la conquête, le sol et les habi-
tants, ne savaient passer leur temps qu’à guerroyer les
uns contre les autres de province à province et souvent
. de château à château et de village à village.
Le second élément qui vint remplacer Rome abattue,
l’action chrétienne, n’est pas une chose simple et primitive
comme la société barbare. Si l’on veut bien comprendre
le sens historique du moyen âge, il ne faut pas confondre
cette action avec la profonde doctrine qui lui sert d'appui.
Il faut séparer, dans la doctrine, ce qui appartent à la
doctrine elle-même de lalliage étranger qu'y glissérent
LD
ÉTUDES SUR L’HISTOIRE UNIVERSELLE. 383
souvent des mains inhabiles dans des temps ignorants.
L’essence propre du christianisme est le bon et grand
côté de l’époque singulière du moyen âge, c’est ce qu’on
pourrait appeler la face du ciel; par assez d’autres côtés
mauvais ce triste temps ne paye que trop largement sa
dette à l'impuissance et aux fragilités de la terre.
Et d’abord, au sein du moyen âge, la face du ciel, dans
le christianisme, est une immortelle conquête belle à con-
templer, même pour ceux qui, gouvernés, comme nous,
par le respect de nos règles académiques, ne louchent au
sentiment religieux que par les points qui, accessibles à
la pure raison de tous, demeurent dans le domaine de la
philosophie.
Le monde gréco-romain, multipliant les êtres surna-
turels, voyait un Dieu partout où il apercevait une force,
et avail imaginé un polythéisme fait à l’image de l'esprit
de séparation qui régnait dans toute l'antiquité. Îl croyait
que l’espace éthéré qui entoure notre globe est rempli
d’une foule de divinités dont ja demeure ordinaire est
répandue çà et là dans les immenses plaines du ciel; il
croyait encore que ces divinités quiltent volontiers l’em-
pyrée pour venir s’incarner sous des formes corporelles
sur notre terre et s’immiscer comme de simples humains
aux affaires des mortels devant lesquels ils avaient déployé
souvent une moralité de fort méchant exemple. Ce n’est
pas dans une vue aussi grossière des choses divines, ce
n’est pas dans un ciel troublé par le désordre et les mau-
vaises passions que les anciens ont puisé les vertus qu’ils
ont pratiquées; leurs succès ont une source plus pure,
ils viennent de leurs savantes études sur l’homme et la
valure, de leur dévouement un peu farouche à la patrie,
de leur foi ardente en une fière liberté. Mais des croyances
superficielles sur l’Élysée ou le Tartare dont la porte pro-
saique se voyait près d’un pelit lac de la Campanie n’ont
384 : HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
exercé qu’une influence de second ordre sur une civili-
salion où la terre était tout et dans laquelle la vie future
n’était que le pâle reflet d’un présent toujours regretté.
Il y a un grave plaisir pour des croyants, amis du pro-
grès, à mesurer la distance qui sépare de ces conceptions
étroites les grandeurs de l’enseignement chrétien.
Avec le christianisme l’unité domine enfin la multipli-
cité; les sublimités du ciel et de l'infini viennent se marier
au sort de notre humble planète; la vie de la terre, placée
au second rang, n’est que l'introduction à une vie supé-
rieure. Au-dessus de la terre et par delà tous les cieux
il n’y a pour source éternelle et dernière fin des choses
qu’un seul Dieu, créateur de la nature et de l’humanité,
père de tous les hommes qu'il embrasse dans un égal
amour comme des enfants dans l’âme desquels il a déposé
une étincelle finie de sa divine infinité. Du principe de
l'unité de Dieu dérive l’autre principe par lequel il est
enseigné aux hommes qu’ils doivent se chérir en frères
qui, tenant la vie d’un père commun, iront au sortir de
la terre continuer celte vie dans des régions d’une justice
plus parfaite où chacun sera rétribué selon ses œuvres.
Je pourrais ajouter que la supériorité progressive que
présente le fond de cette grande doctrine se retrouve,
sous une autre forme, dans l’élément dogmatique qui lui
sert de support, puisqu’au lieu des nombreuses et étranges
incarnations qu’adorait l’antiquité, nous ne voyons plus
apparaître ici que la croyance à une incarnation unique
et si pure que rien de pareil n’avait encore été offert aux
yeux terrestres; mais je ne veux point sortir du cercle
que nous nous sommes tracé à nous-mêmes, et je me
tais sur des malières à l’égard desquelles, en cette en-
ceinte, notre respect ne doit se manifester que par notre
silence.
Toute naissance d’une idée forte ou d’un grand senti-
>»
ÉTUDES SUR L’HISTOIRE UNIVERSELLE. 389
ment dans le monde amène tôt ou lard une révolution.
On ne peut s'étonner qu’un idéal aussi élevé que celui
qu'inspirait la foi chrétienne ait engendré des vertus in-
connues à l'antiquité. La contemplation de la personna-
lité divine, centre éternellement vivant du beau absolu,
a enfanté dans l’âme humaine celte sainteté vaillante et
modeste qui, respectant en elle l'œuvre de Dieu, cherche
sans cesse à s'approcher de son type suprême. La fra-
ternité originaire des hommes a produit cette charité ar-
dente qui, voyant dans le genre humain une seule fa-
mille, communique à tous ses membres le désir de s’unir
dans une mutuelle assistance due surtout aux humbles
et aux petits dont la faiblesse déshéritée a besoin d’une
plus tendre protection.
Ce ne sont pas seulement des vertus nouvelles que le
moyen âge a puisées dans sa foi, 1l y a trouvé aussi de
nouvelles inspirations intellectuelles. Le sentiment de l’in-
fini qui se dévoilait pour la premiére fois aux regards
des hommes leur découvrit des horizons jusqu'alors inex-
plorés. Les cathédrales du treizième siècle, le choix du
sujet et le mode d’exécution du poëme de Dante témoi-
gnent, parmi beaucoup d’autres œuvres, tout ce qu’il y
avait de’ fécond, même au point de vue de l'esprit, dans
le sentiment el le progrès chrétiens.
Si l’on ne considérait le moyen âge que par le côté que
j'ai appelé la face du ciel, l’histoire, à partir du cin-
quième siècle, devrait nous montrer l'Europe montant
avec rapidité vers un état social heureux et fort. NH n’en
est rien pourtant. C’est le contraire qui est vrai. Ce n’est
jamais, hélas! par une voix directe et courte que le pro-
grès s’est accompli dans le monde. Les tâtonnements, les
chutes, les lenteurs obstinées, les aberrations fréquentes
ont toujours caractérisé la marche de lincertaine huma-
nité. Le moyen âge européen, divisé en ses deux parts
49
386 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
d’orient et d’occident, n'échappe pas à cette triste loi;
il n’est, dans son ensemble, malgré sa force céleste, qu’un
temps de souffrance et de misérable faiblesse. Seulement
le mal, s’il est à peu près aussi grand des deux côtés,
n’est ni du même ordre ni du même âge; il ne marche
pas du même pied à l'occident et à l’orient. La société qui,
sous l'impulsion de l’empereur Constantin, tenta de se
former sur le Bosphore, était caduque en naissant, elle
était atteinte, dès son premier jour, par la débilité d’une
vieillesse qui achève de mourir. Les populations qui s’a-
gitent à l’ouest, depuis le Tibre jusqu’au Rhin et aux
Pyrénées, sont impuissantes aussi, mais celle impuissance
est celle d’une enfance qui aspire à vivre quoiqu’elle ne
puisse rien créer encore, parce qu’elle n’est pas instruite
des choses de la civilisation.
L’habile Constantin avait cru rassembler dans sa nais-
sante Bysance le double avantage du vieux gouvernement
des Césars et de la nouvelle religion de Nicée. Il tomba
dans une double méprise. C’est en vain que cette religion
fut prêchée dans le moderne empire par des hommes
tels que le grand Basile, les deux Grégoire et ce Jean
de Constantinople que ses contemporains émerveillés
appelaient la Bouche d'or. C’est en vain qu’à côté de
l’éloquent Chrysostôme de savants légistes perpétuaient
les traditions de la sagesse hellénique et de l’administra-
ion romaine. Rien ne profila au pouvoir oriental. La
science et la foi réunies ne communiquérent jamais une
sérieuse vitalité à ce grand corps lâche et fastueux que
la postérité a justement flétri sous le nom de Bas-
Empire. D'où vient cet insuccès? Il n’est pas difficile à
expliquer. La vie morale, avec ses besoins complexes, se
compose de plus d’un élément. Constantin n’avait connu
de la Rome paienne que les mauvais jours d’une déca-
dence avilie par la servitude. Dans les plis de son man-
ÉTUDES SUR L'HISTOIRE UNIVERSELLE. 387
teau impérial, il n’emporta vers l’orient que le poison
délétère d’un orgueilleux despotisme, et il abaïssa le des-
potisme lui-même en l’affublant des formes plus serviles
des palais de lorient. Voilà le tureste héritage qu’il trans-
mit à ses successeurs et à leurs sujets sans leur léguer
rien de la force d'âme, du goût de liberté ni d'aucune
des vertus mâles et simples qui avaient donné à Rome
l'empire d’une partie de l’univers. Le fils d'Hélène, si
étranger à l’abnégation patriotique des vieux Romains,
ne comprit pas mieux le christianisme auquel, dans une
jalousie royale imitée par ses héritiers, 1] ne laissa jamais
qu’une demi-liberté. Adoptant le drapeau de l'Évangile
et ses signes extérieurs sans en pénétrer l’esprit ni l’es-
sence , 1l ignorait que la croyance évangélique n’est pas
un lalisman magique qui opère de subites transforma-
tions. Il ignorait que le maître lui-même a enseigné que
sa doctrine ne consiste pas à dire : Seigneur, Seigneur,
ni même à faire des miracles au nom du Seigneur, mais
que cette doctrine, subordonnant hardiment les miracles
à la morale religieuse, prend pour idéal suprême la cons-
tante pratique du bien et la soumission toujours plus
parfaite de l’âme à la sainte loi de la conscience épurée
par la foi en Dieu. C’est parce que le Bas-Empire , deux
fois coupable, a été également infidèle à l’érergie des
traditions de la vieille Rome et à la purelé de la jeune
loi chrétienne, c’est pour cela que ta longue vie de
l'empire oriental n’a été qu’une perpétuelle décrépitude
dont la dernière heure a livré aux derniers Barbares la
seconde ville et les plus belles provinces de l’Europe.
Le livre de lhistoire d’occident présente un autre
spectacle. Comme c'est de ce côté que va se lever Île
nouveau jour de l'humanité, nous n’y apercevons rien
de ces pétrifications de mort qui nous afiligent dans la
nouvelle Bysance autant que dans les vieux empires de
388 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
l'extrême Asie : nous y voyons seulement la faiblesse
ignorante et le tumulle désordonné par lesquels se si-
gnalent les premiers pas des nouveaux venus dans la vie
sociale, Le moyen âge “occidental fait son éducation à
l’aide d’une seule lumière, celle qui lui vient du chris-
tianisme. C’est en cela que consiste la grandeur de cette
époque préparatoire, qui trouve dans la morale chré-
tienne une école de perfectionnement individuel pour
l'âme humaine. On pourrait, sous ce rapport, comparer
le moyen âge d’occident avec ces enfants d’honnête fa-
mille dont la saine éducation commence par le eœur et
à l’effervescence desquels on inocule par de touchants
récits les pures maximes des bons sentiments moraux, en
attendant qu'adviennent, dans un âge plus avancé, les
leçons fortifiantes de la science. Mais ce qui constitue le
mérite de notre moyen âge et ses avantages relatifs
amène aussi son infériorilé par un autre endroit et lui
donne, selon un mot vulgaire, les défauts de ses qualités.
Comme le moyen âge ne reçoit qu’un seul enseignement,
il est hors d’état de rien comparer ; ne pouvant se livrer
à aucune comparaison, je ne dirai pas qu'il exagère
l'unique leçon dont il est nourri, je dirai plutôt qu’il ne
la comprend pas suffisamment et qu’il mêle naïvement
au grand livre duquel cette leçon est tirée toutes les er-
reurs enfantées par les conditions accidentelles au milieu
desquelles il est appelé à vivre. Quoique ces erreurs
soient de plus d’une nature, Je crois qu’on peut ramener
à trois causes les manquements qui ont rendu le moyen
âge occidental si petit, si faible, et l’ont constamment
empêché d’exercer, au dehors, ce rayonnement puissant
qui jeta tant de gloire sur les Hellènes et les Italiens de
l’ancienne histoire. Notre moyen âge a eu le triple mal-
beur de dédaigner ou de méconnaître, dans leurs mé-
rites, la terre, la science et la liberté.
ÉTUDES SUR L’LHISTOIRE UNIVERSELLE. 389
L'un des Litres d'honneur du lemps que, j'appelle le
second jour de l’humanité, c’est d’avoir lié le ciel et
Dieu même au sort de notre terre; c’esl d’avoir aperçu
par les inspirations du sentiment et les élans de l’âme
ces mondes célestes que la science astronomique, sous
un autre aspect, devait découvrir plus lard par ses ob-
servations et ses calculs. Mais l’homme dépasse volontiers
la mesure des choses. Dans l’enthousiasme de sa foi à
une vie supérieure, le moyen âge ose s’aviser de mé-
priser la vie aetuelle; emporté par les entrainements de
l’ascétisme, il croit, à l'exemple du vieil orient, qu'il
serait beau de fuir la terre, comme si notre globe n’était
pas l’œuvre de la main droite et de la bonté de Dieu. Ce
n’est pas à la philosophie que j’emprunte la réfutation
de l'éternel gémissement du moyen âge sur cette pauvre
terre si constamment proscrite comme une horrible
vallée de larmes; j’aime mieux chercher cette réfutation
consolante dans l’enseignement de Celui qui, avec sa
haute autorité, est venu annoncer aux hommes Île règne
de Dieu. Comme on lui demandait un jour quand vien-
drait ce règne, il répondit : le royaume de Dieu est dès
à présent au dedans de vous". Si le royaume de Dieu est
vivant dans l’âme de l’homme de bien, la terre, loin
d'être maudite, est destinée à s’améliorer el à s’épurer
par les efforts et le travail de l'homme marchant dans la
voie du bien; elle peut devenir, selon la parole évan-
gélique, le commencement du ciel ; car le ciel se rap-
proche et descend en nous à mesure que nous faisons
régner sa justice dans notre conscience.
L’aspiration vers l’autre vie n’est pas le seul caractère
nouveau du moyen âge; nous voyons briller dans ce
temps obscur les ardeurs de l’amour chrétien et les bien-
" Saint Luc, XVII, 21.
390 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
faits de la charité fraternelle. Pourquoi l’exemple de ces
vertus est-il demeuré si habituellement stérile ? C’est
qu'il n’était point éclairé par les lumières de la science.
Singulière inconséquence ! les hommes du moyen âge
connaissent enfin Dieu, mais ils s’obstinent à demeurer
étrangers à la moindre notion des lois de Dieu, de ces
belles lois générales, immuables, éternelles, comme Celui
dont elles émanent, de ces lois imposantes par les-
quelles l'Unité divine gouverne si sagement ce qu’elle a
si puissamment créé. Au lieu d’éiudier ces lois avec hu-
“milité mais avec ardeur pour y conformer sa conduite,
le crédule moyen âge s’arrèêle à mille supposilions en-
fautines et fantastiques ; il croit, par exemple, quand il
veut savoir si un homine a commis quelque acte mauvais
el compromellant pour l’ordre social, qu'il est pieux et
juste d'interroger la langue chimérique des épreuves ju-
diciaires et il ne s’avise pas de penser qu’il serait plus
sage d'interroger sa propre raison par des investigations
judicieusement conduites. C’est contre ce temps qu’on
pourrait retourner les objurgations que saint Paul adres-
sait aux Juifs, desquels il disait : Ils demandent des mi-
racles pendant que les Grecs demandent la sagesse. Aussi
le moyen âge, avec ses infaluations de miracles, ne par-
vient à créer sur la science aucun monument de quelque
valeur. Il prend les vagues et stériles définitions de Îa
scolastique pour une philosophie générale. Il ne ren-
contre que les fables de l’astrologie quand il veut deviner
les grandes lois du ciel et des corps célestes. Il ne sait
que tomber dans les folles imaginations de l’alchimie
lorsqu'il essaie de déterminer les lois de la matière dans
ses combinaisons indéfinies. Î n’ignore pas seulement la
science, il a le tort plus grave de la persécuter ; s’il
voit naîlre dans son sein, au milieu de sa plus belle
phase, un homme qui, comme le moine Roger Bacon,
ÉTUDES SUR L’HISTOIRE UNIVERSELLE. 391
avait peut-être reçu de Dieu un génie égal à celui d’Aris-
tote, il le traite avec la dureté cruelle qui sera déployée
plus tard envers Galilée, et ne lui donne, à titre d’encou-
ragement, qu’une prison et des tourments. La faiblesse
est toujours fille de l'ignorance, et le moyen âge ne
trouvera un peu de force que quand il arrivera à la Re-
naissance, c’est-à-dire à l’êère de la science reconquise.
Les plus nobles manifestations du monde antique ont
élé inspirées par l'esprit de liberté. Rome et la Grèce
protégeaient chez le citoyen grec ou romain l'indépen-
dance absolue, si propre à allumer dans l’âme de
l’homme libre les flammes du patriotisme ou le coût
passionné de la vérité. L'ensemble des circonstances au
milieu desquelles se sont constitués les prolécoménes du
monde moderne ne pouvait se prêter qu’exceptionnelle-
ment à la jouissance d’un pareil avantage. En général le
moyen âge, si étranger à la science, n’a pas mieux connu
les grandeurs de la vraie liberté ; le progrès, à cel égard,
s'est fait attendre d’autant plus longtemps qu’il devait se
réaliser sur une plus grande échelle. C’est ici surtout
qu'éclatent la qualité distinctive du moyen âge et son
caractère de temps précurseur. Ce caractère à besoin
d'être indiqué avec un mot de développement.
Îl ne faut pas oublier qu’en présence de l'empire ro-
main brisé et dépouillé de tout, aprés avoir tout concentré,
le fait qui ouvre le cinquième siècle et domine les onze
siècles suivants est un phénomène social fréquent dans la
vieille Asie, mais non encore pratiqué dans notre Jeune
Europe; c’est la présence simultanée des deux forces ri-
vales qui prétendent succéder à la domination romaine,
parce que le double désir de dominer et d’imiter es une
tendance naturelle aux hommes de tous les lieux et de tous
les siècles. L’une de ces forces est matérielle, brutale,
pleine d’appétits spoliateurs: c’est celle des Barbares avec
392 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
leur chef et les compagnons de ce chef qu’on nomme ses
fidèles vu sa noblesse. L'autre force, exclusivement mo-
rale, porte en elle-même un principe de régénération;
c'est la force chrétienne servie par le clergé et ses
ministres avec l’évêque de Rome à leur tête".
La destruction de Rome combinée avec les deux com-
pétitions qui aspirent à la remplacer amène tout d’abord
un bouleversement qui, comme je l’ai déjà dit, ne dure
pas moins de six siècles. La confusion calamiteuse de ce
triste temps est si terrible qu’au dernier jour de l’an 1000
l'humanité occidentale croyait fermement qu’elle allait tout
entière entrer dans Ja mort. Comme la mort ne vient pas,
les deux forces rivales se relèvent, prennent chacune un
nom, et, s’'appelant le pape et l’empereur, elles se dres-
sent l’une contre l’autre et se préparent fièrement à la
“bataille, comme dans la lutte mémorable de l’Inde antique
entre les prêtres et les guerriers. Durant des combats de
plusieurs siècles, le moyen âge occidental se demande
avec anxiélé qui régnera sur le monde temporel ? Sera-ce
l’empereur ou le pape? Dieu lui-même a répondu par la
voix du temps et des événements accomplis; il a déclaré
que ce ne serait ni l’un ni l’autre.
Pourquoi l’empereur et le pape temporel du moyen âge
n'ont-ils pu établir le pouvoir qu’ils avaient rêvé? C’est
qu’à l'insu de l’un et de l’autre, puisque tous deux étaient
chrétiens, ce pouvoir n’eût été qu’une imitation et un
plagiat de Rome impériale et païenne. Si l’empereur avait
été le maître, personne n'aura, je pense, la naïveté de
* Grégoire VIT est le premier prince ecclésiastique qui ait réservé
exclusivement aux évêques de Rome le nom de pape; avant lui ce
nom désignait indistinctement tous les évêques. On peut voir, par
exemple, dans Grégoire de Tours que le roi Chlodwig ne fait pas
difficulté de donner le nom de pape à saint Remi, archevêque de
Reims.
ÉTUDES SUR L'HISTOIRE UNIVERSELLE. 393
croire qu’on aurait revu, avec les empereurs tudesques,
les jours de Périclès ou de Thrasybule, de Régulus ou des
Scipions. On aurait assisté Lout au plus à une misérable
contrefaçon du Bas-Empire. Je suis de ceux qui pensent
que l’autre triomphe eût été un peu moins mauvais. Mais
ce n’est pas en vain que notre Europe, plus heureuse que
l'Inde orientale, avait vu fleurir la liberté de Rome et
d'Athènes; ce n’esl pas en vain qu’elle avait recueilli les
paroles de la voix étouffée sur le Golgotha. Aprés ces deux
enseignements, il était arrêlé dans les décrets éternels
que le triomphe définitif du sentiment chrétien ne s’éta-
blirait que par la liberté; il était arrêté que longtemps
après que le radieux fils de l’homme aurait quitté la terre,
on verrait s’accomplir cette prévision que lui-même avait
énoncée sur sa doctrine en disant à ceux qui l’écoutaient :
« Je vous annonce la vérité et cette vérité vous rendra
» libres » ‘. Or, la liberté chrétienne, parce qu’elle est plus
pure, doit être aussi plus grande que l’ancienne liberté
des Païens. Dans la doctrine évangélique la foi ne peut
être imposée, comme chez les Musulmans, par celui qui
tient l'épée, ni même par celui qui, sans tenir l’épée,
commanderait à l'épée; elle répudie toute coaction, elle
ne prend sa source que dans les profondeurs de l'âme;
la conscience seule marche vers une croyance qu'elle
choisit librement, parce qu’elle a librement prononcé, au
dedans d'elle-même, que cette croyance est aimable et
que son joug est doux el léger.
Au lieu d’un Chef universel qui, empereur ou prêtre,
ne règne plus, seul, que dans le livre des souvenirs, quels
sont les établissements ou libertés destinés à sourdre du
moyen âge dans l’Europe occidentale ? Ge sont d’abord les
Royaumes ou États qui, nombreux el souverains maitres
* Saint Jean, VIII, 32.
294 | HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
chez eux, jouissent d’une pleine indépendance à l'encontre
de leurs voisins. Voilà un premier progrès sur l'empire
romain avec le cortége de ses imitäteurs ou de ses pré-
décesseurs qui voulaient tout absorber et dominer tout
sous une dure oppression. |
Nous voyons, en second lieu, au sein des États libres
chez eux, que les gouvernements eux-mêmes sont poussés,
comme involontairement, à rendre libres, sans exception
d’origine, Lous les individus qui vivent sous leur loi. Je
ne prends pas cette disposition pour une réalité, Je la
signale seulement comme une tendance capable de passer
dans l'exécution à mesure que la science sociale plus
avancée saura introduire sans péril dans la pratique un
perfectionnement que la théorie a déjà cessé de con-
damner. Cette tendance, qui n’est plus partout une utopie
chimérique, est un deuxième progrès sur l’antiquité;
car celle-ci, bien loin de songer à la liberté de tous,
n’admettail pas qu'un État füt viable s’il n’était pourvu
d’esclaves qui laissaient à leurs maitres le loisir d’exercer
les droits de vigilants citoyens.
Enfin, dans l’homme libre, lhistoire moderne nous
montre surtout la conscience aspirant à être libre. Ce
troisième progrès ne vient que le dernier, mais il est
encore plus que les deux autres un fruit de la morale
chrétienne. J’ai hâte de montrer que c’est surtout un
fruit exclusivement propre au sol de l’occident.
Le monde polythéiste des anciens, où chaque citoyen
recevait du lieu de sa naissance son Dieu avec sa patrie,
ne soupçonuait guêre que les hommes de l'avenir s’avi-
seraient de vouloir choisir leur foi, et qu’il s’élèverait un
jour une doctrine qui s’appellerait la liberté de cons-
cience. La brillante Athènes avait rudement fait com-
prendre à Socrate ce que peut coûter à un sage le cou-
rageux désir d'améliorer la foi de ses concitoyens. Rome
ÉTUDES SUR L’HISTOIRE UNIVERSELLE. 395
paienne persécutait les Chrétiens avec une parfaite séré-
nilé d’âme, sous prétexte d’incivisme ; les Chrétiens à leur
tour se piquérent médiocrement d’être plus tolérants
que leurs anciens persécuteurs, aussitôt qu’ils furent les
plus forts.
Mais après le dixième siècle, après les menaçantes ca-
lamités de ce temps qui a conservé le terrible nom de
siécle de fer, le christianisme, devenu la seule consolation
des nobles âmes, voulut enfin s'exercer en liberté; les
consciences religieuses éprouvaient le besoin d’affranchir
leur foi des tyrannies brutales dont elle était entourée,
et de placer leurs croyances à l’abri de latteinte grossière
des chefs des nations, chefs aussi pleins de superbe en
Allemagne qu’à Constantinople. Quel moyen fut choisi
pour atteindre ce but? Ce fut l’unité du corps sacer-
dotal, ou, si l’on veut employer le mot de la langue
politique, la monarchie sacerdotale. Le légitime désir de
la liberté chrétienne donna naissance à la création indé-
pendante de la royauté temporelle des papes. Sans doute
cette création avait son danger ; les esprits délicats pou-
vaient la considérer comme n'étant pas en parfaite har-
monie avec l'essence du christianisme; ils pouvaient
penser qu'il était regrettable que l’homme de prière fût
armé du glaive, et que la sainte humilité chrétienne fût
chargée d’une couronne mondaine; mais l’autre danger
élait pire encore. Il fallait une digue pour se garantir
d’un torrent. Ce qui n’était pas bon en soi pouvait être
utile comme remède transitoire. Îl n’était pas hors de
propos que le prêtre lui-même fùt momentanément
pourvu d’une arme défensive, dans un temps où le faible
sans armes élait presque toujours impunément frappé.
Une proteclion temporaire contre des mœurs violentes
devait permettre à la liberté chrétienne de s’établir en
paix et réserver pour des Lemps meilleurs une garantie
396 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
plus efficace et moins entachée de l'antique matérialisme
paien. | |
C’est ici qu'il est beau de se donner à soi-même le
spectacle du triomphe de cette grande force morale qui,
selon le mot de Fenélon, mène l’homme au milieu de
ses agitations. Les papes du moyen âge ont aspiré à deux
conquêtes, l’une bonne et l’autre mauvaise. Le succès
_n’a couronné dans leurs desseins que ce qui était con-
forme à la justice. Ils ont voulu constituer la complète
liberté du christianisme en dehors des rois de la terre;
ils ont glorieusement réussi. Dans leur entraînement, ils
ont voulu aussi établir une domination universelle au-
dessus des rois de la terre; cette pensée a été condamnée
au tribunal de Dieu, et ils ont été heureusement vaincus.
Pendant que les tentatives de suprématie universelle
s’évanouissalent comme une vaporeuse fumée, la liberté
absolue de la conscience chrétienne, œuvre courageuse
des papes, allait s’affermissant et promenant ses bienfaits
à travers le monde, malgré les abus et les excès qui
forment l’ombre de toutes les fécondes lumières.
Ce n’est pas tout, et le monde ne s’est point arrêté à
la liberté que les papes avaient créée pour eux au profit
de leurs croyances. L'esprit humain est logique. Si, avec
lui, les conséquences sont lentes, elles sont pourtant in-
faillibles quand elles sont justes. La liberté chrétienne,
conquise sur le Tibre par les papes du moyen âge, a
amené la liberté de conscience conquise sur les bords
de l’Elbe par les héritiers des Gibelins et proclamée dans
notre France par l’avant-dernière année ‘du seizième
siècle. L'Europe du moyen âge avait d’abord appris que
chaque chrétien doit être libre de professer sa foi, sans
souci des empereurs d'Allemagne ou de Bysance; l’Eu-
rope, plus avancée en âge, était destinée à apprendre un
peu plus tard par les voix de Wiclef, de J. Huss et de
ÉTUDES SUR L’HISTOIRE UNIVERSELLE. 397
Luther, que chaque homme doit être le maître d’adorer
Dieu selon les lumières de son esprit et dans l’indépen-
dance d’une pensée toujours inviolable quand elle est
sincère et respectueuse des droits d'autrui.
C’est ainsi que l’histoire, dans la suite de ses enseigne-
ments, nous apporte la preuve que la liberté de cons-
cience, héritière du second degré, est pourtant la fille
légitime de la liberté chrétienne. L’une a enfanté l’autre.
C’est l'indépendance de la pensée chrétienne, agrandie
dans sa dignité, qui a conduit les hommes aux besoins
de l'indépendance plus générale de la pensée religieuse.
Cette filiation historique me plaît et me rassure, en de-
hors même de nos dissertalions académiques, car elle
me garanlit que si l’Europe du dix-ncuvième siècle venait
un jour à délaisser un établissement temporel du moyen
âge, qui ne vil plus par son propre soufile et que ne dé-
fendent plus aujourd’hui les armes usées et rouillées du
moyen âge, ce délaissement ne devrait troubler aucune
conscience; la liberté chrétienne ne serait pas amoindrie
par le succés plus large de la liberté religieuse, la fille ne
deviendrait jamais ni inconséquente ni ingrate envers
sa mére; au contraire, elle tiendrait à honneur de con-
server et d'augmenter au profit de celle-ci un bienfait
dont elle comprend tout le prix, puisqu’elle a étendu les
limites et l’action de son empire. Dans les jours qui s’ap-
prêtent la force de l'opinion publique sera pour toutes
les libertés légitimes une protection plus sûre que la force
des baïonneltes, quand même ces armes seraient remises
à des mains capables de s’en servir.
Remarquez bien, Messieurs, qu’en préconisant comme
un progrés la liberté absolue de la conscience, je n’essaye
point de toucher à des questions dogmatiques, ni de sonder
les secrets religieux de l’avenir. La séparation du seizième
siècle était-elle une erreur, et la dissidence de la veille
398 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIF.
sera-t-elle condamnée par le retour du lendemain ? L’hu-
manité sera-t-elle un jour confondue dans les liens volon-
taires d’une foi commune, ou bien la variété des intelli-
gences se fera-t-elle Loujours sentir dans les perceptions
religieuses de l'infini comme dans le reste? Je ne sais ou
je me tais sur ces choses en dehors de notre compétence
littéraire. Seulement la saine philosophie affirme que si
tous les hommes doivent se ranger, dans d’autres temps,
sous la bannière d’une même croyance, cette foi ne sera
commune à tous que comme le résullat nécessaire de
l’assentiment spontané de tous; elle ne sera conquise ou
conservée que par l'entière et perpétuelle liberté de la
conscience humaine.
Celte digression sur le moyen âge m'était nécessaire
pour justifier la troisième cause d’infériorité par laquelle
J'explique la faiblesse de ce temps qui ne connut jamais
rien des puissances de la liberté. Au pied de l’Hymette,
l'intelligent peuple d'Athènes s’élançait sur l’Agora, en
s’écriant : « Je suis libre », et Athènes s’illustrait par les
merveilles de la philosophie, de l’éloquence, des beaux-
arts et du courage civique. Sur les rives du Tibre, le
plébéien romain se présentait au forum en disant à son
tour : ç Je suis libre » et Rome finissant par régner sur
l'univers. Des pensées aussi hautes ne pouvaient germer
au cœur du pauvre peuple ignorant et serf du moyen
âge ; 1l voyait se dresser au-dessus de sa lête deux maîtres
inégaux, dont le bon vouloir même ne pouvait guëre
relever son âme et la préserver de l’abaissement. L’un
de ces maitres conservait le glaive du pouvoir matériel
comme un vainqueur toujours armé; l’autre était seul
pourvu de laulorité morale, car il se retrempait à peu
prés seul dans les sources fortifiantes de l'instruction;
des usages passés en lois érigeaient les deux dominateurs
en ordres privilégiés de la nation et ne laissaient guère
ÉTUDES SUR L’HISTOIRE UNIVERSELLE. 399
à la nation elle-même, désignée comme un troisième ordre,
que les priviléges de l'humilité et du travail. Ces vertus
ont suffi toutefois pour conquérir le reste. Grâce à une
patience courageuse, les déshérilés ont enfin pris une
place au libre soleil de la vie. Cette longue élaboration,
qui vient aboutir à 1789, est le grand spectacle du moyen
âge occidental, elle s’accomplit avec une persévérante
unité sous l'influence du christianisme. De même que,
chez les anciens, l’idée du polythéisme dans le ciel cor-
respondait avec la séparation haineuse des nations sur
la terre, la croyance au Dieu unique que le maître des
Évangiles appelait son père céleste, va se lier, sous l’em-
pire de la doctrine nouvelle, avec l'émancipation pro-
gressive des intelligences, filles de Dieu, avec la perpé-
tuelle extension de la science et des droits laïques, avec le
sentiment de la fraternité future de tous les humains sur
le globe terrestre. Le plus éloquent des prophêtes hébreux,
meltant largement à profit les hardiesses mélaphoriques
du style oriental, disait à ses concitoyens de Palestine,
pour soutenir leur énergie dans des temps de souffrance :
« I vous viendra des temps meilleurs et tellement bénis
que la brebis pourra habiter avec le loup, et la panthère
être couchée près du chevreau. » Non, Isaïe savait bien
que la nature purement organique ne modifiera point
ses lois, mais il est permis de croire avec le prophète et
après le prophète que les facultés pensantes de l’homme
sont capables de recevoir un emploi mieux entendu. Les
rudes épreuves qu'a déjà surmontées le passé, les pro-
grès dont il a été témoin, ne ferment pas l’averir aux
suavilés de l'espérance. Les changements salutaires qu’a
vu surgir l'occident depuis le siècle du fils d’Amos, au-
torisent la foi dans le développement moral du seul être
vivant qui, sur notre terre, ait été illuminé, en naissant,
par une étincelle de l’âme divine.
+
400 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
=
Je touche maintenant à la conclusion que je cherchais.
Si le moyen âge ne fait qu’un seul corps avec le temps
que nous sommes habitués à nommer l’histoire moderne,
si l’unité collective de celte vie d'ensemble est pareille à
une vie individuelle obligée de gravir les degrés de l’en-
fance pour arriver à la virilité, il ne convient pas de sé-
parer les deux études de l’histoire moderne et du moyen
âge. Ce sont les deux parties d’un même tout ; qui les
isole les ignore. Cette conséquence me permet de re-
venir à mon point de départ, c’est-à-dire à la prise de
Rome par Alaric et au livre qu’inspirait au fils de Mo-
nique la chute d’une domination demeurée si imposante
dans le souvenir des hommes. En présence de cette chute
et avec la-lumière de ce livre, qui proclame la cité de
Dieu dans le ciel, et dans lequel peut se lire aussi l’inau-
guration de la cité de la justice sur la terre, je renferme
la majestueuse épopée de l’histoire humaine en deux
époques dont le caractère est aussi différent que leur
durée est inégale. Ces deux époques sont séparées par
l’année 410 de l’êre vulgaire. En deçà vient naître et
grandir notre histoire moderne avec ses âges successifs.
Au delà se déroule l'immense étendue de l’histoire an-
cienne sur son théâtre mobile et dans la multiple variété
des nalions qui viennent prendre leur part dans le drame
humain.
Cette grande et première division du passé nous laisse
des résullats qui méritent d’être résumés.
Le terme de comparaison qui nous sert habituellement
à désigner les événements historiques est pris avec raison
dans la naissance de Celui qui, au milieu du plus magni-
fique éclat du plus grand empire polythéiste, est venu
combattre avec autorité le polythéisme et enseigner la
bonne doctrine de la foi au Dieu unique, père de tous
les hommes; le premier caractère qui marque pour nous
ÉTUDES SUR L’HISTOIRE UNIVERSELLE. 401
chacun des faits retracés par l’histoire consiste donc à
dire que ce fait s’est passé avant ou après l’humble ori-
gine qui fut si merveilleusement féconde pour l’humanité.
Ce n’est pas cette naissance pourtant qui fixe la dis-
tinction entre l’antiquité et les temps modernes. Le vrai
point de séparation est ailleurs et veut être cherché plus
près de nous; il se rencontre au jour où, sur les ruines
du trône doccident renversé par des populations igno-
rantes et presque sauvages, tout le vieux monde et la
science du vieux monde s’écroulent et tombent, sem-
blables à un moule épuisé ou à un instrument désormais
frappé d’une radicale impuissance. Quand celte chute
éclate avec un retentissement immense, quand la science
gréco-romaine se voile et s’enfuit, on croit que le chaos
va renaître et que l'humanité occidentale va périr. Non.
Elle entre seulement dans une lente et douloureuse pé-
riode de transformation ; elle ne meurt, sous sa forme
ancienne, que pour recommencer à vivre sous un nou-
veau drapeau et avec des éléments nouveaux. Le drapeau
rénovateur est le christianisme, principe plus général,
plus élevé et plus pur que tout ce qu'avait rêvé le passé.
Les nouveaux éléments sont ces foules de peuples bar-
bares qui viennent faire le difficile apprentissage de la
vie sociale. Mais barbares et christianisme, ces deux nou-
veautés absorbantes, qui ne croient qu’en elles-mêmes,
ne sont, au cinquième siècle, qu’à l’état d’un germe
préparatoire répandu sur une terre inculte et dévastée.
De longs siècles seront nécessaires pour que ce germe se
développe et mürisse, pour qu'il pénètre les esprits,
pour qu'il se concilie avec la science retrouvée, et que
l'occident voie se dissiper progressivement les ténèbres
d’une obscurité qui, malgré l'éclat du drapeau, fut si
longtemps compacte et profonde. :
La principale division que semble réclamer l’histoire
91
402 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
humaine marque en même temps la différence essen-
tielle que présentent les deux époques Rega qui la
composent.
L'histoire ancienne qui sabot à la chute de Rome
est très-vieille ; elle est si vieille que lérudition ne sail
plus discerner son âge vaguement indiqué par des sou-
venances confuses ou des monuments indéchiffrables.
L'histoire ancienne est donc finie ; elle est morte pour
pe plus renaître, quoique des millions d’asiatiques crou-
pissent encore dans l’alanguissement de ses lois im-
mobiles. |
L'histoire moderne, au contraire, telle que nous l’avons
définie, l’histoire moderne est jeune, elle n’a pas encore
quinze siècles, elle veut vivre, car aux yeux de ceux qui
méditent les espérances de l'Évangile ou les promesses
de la science, elle est loin d’avoir Accdmpli son œuvre.
Le moyen âge, ce temps d'enfance, le moyen âge, avec
sa féodalité et ses trois ordres si manifestement con-
traires à l’égalité chrétienne, le moyen âge n’est qu’un
prélude à peine clos ; il régnait hier et nous continuons
de marcher.
LOUIS XI
SES CONTEMPORAINS
PAR M. SUSANE.
Il est un nom dans nos annales qui sonne à l'oreille
comme un tintement lugubre. — C’est celui de Louis XI.
— Lorsque l'esprit s’applique à rêver de ce singulier
monarque, il se sent entraîné malgré lui sous les sinis-
tres voûtes du Plessis-lez-Tours; il voit se glisser dans
l’ombre la féline silhouette du barbier-ministre, se dresser
au-dessus de la chétive personne du maître la haute et
implacable figure du compère Tristan, et le corps fris-
sonne. — La légende étouffe l’histoire. — Philippe de
Comynes s’efface derrière sir Walter Seott.
Ce sentiment de répulsion que Louis XI inspire est-il
complétement mérité? — Ses mœurs et ses aetes ont-ils
tranché sur les actes et les mœurs des princes de son
temps, et même de ceux qui ont vécu à une époque plus
rapprochée de la nôtre, à ce point que l’on puisse avec
justice continuer de considérer ce roi comme un type
hors ligne de duplicité et de barbarie sur le trône? —
C’est ce que je voudrais examiner dans une courte étude.
Je n’ai point l'intention de faire réformer le juge-
ment absolu que la conscience générale a prononcé sur
Louis XI. — Je veux encore moins donner à entendre
404 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
que, dans ma pensée, les crimes de ce prince, — s’il y
a eu crimes dans le sens ordinaire de ce mot, — au-
raient été uliles à la France. — Je n’admets point qu'il
puisse y avoir des crimes utiles. — Mais, en faisant la
balance des bonnes et des mauvaises actions de ce ter-
rible souverain, il ne semble pas hors de propos de re-
marquer que si tous les successeurs de Louis XI avaient
été capables de comprendre la profondeur de ses vues
et de marcher dans les traces qu’il avait si vigoureuse-
ment indiquées, notre pays serait arrivé depuis long-
temps, et avec bien moins de secousses , à la condition
sociale dont il poursuit encore aujourd’hui l’établisse-
ment, ce qui aurait rendu inutiles, et par conséquent
supprimé, tant de crimes, que les partis se sont succes-
sivement reproché depuis quatre cents ans, et dont le
souvenir est peut-être maintenant le seul et véritable
obstacle à un apaisement général.
D'un autre côté, il est équitable de se demander si
les façons d’agir de Louis XI, si la fourberie dont il s’est
rarement départi, et la cruauté qu’il a montrée dans quel-
ques occasions, ne tenaient pas autant aux mœurs, je
dirais presque à la mode de son temps, et aux circons-
tances véritablement critiques au milieu desquelles il a
dû se mouvoir, qu'à son tempérament et à son caractére.
Je n’arriverai pas, et je ne liens pas à prouver que
Louis XI a été un parfait honnête homme, mais j'avoue
que j'ai ressenti de la satisfaction à reconnaitre qu’il eut
fallu à ce roi une force surhumaine, une grâce toute
spéciale, pour porter tout à fait honnêtement une cou-
ronne dans cet enfer du quinzième siècle. A cette abo-
minable époque, et dans le tourbillon des intrigues qui
l’enveloppaient de toutes parts, il n’y avait pas de milieu
pour uu roi de France. — Il devait être dupe et victime,
ou fourbe et bourreau. — Louis a préféré ce dernier rôle,
LOUIS XI ET SES CONTEMPORAINS. 405
et sa justification, dans la mesure da possible, se trouve-
rait dans ces paroles d’un écrivain qui n’a certes pas flatté
sa mémoire. Duclos a dit de lui : « Si son règne a fait
> murmurer une quarantaine de familles, plus de cinq
» cent mille ont dù s’en féliciter. » — C’est précisément
le contraire qui fût arrivé, si Louis XI avait choisi le rôle
de dupe et de victime. — Il n’en a pas voulu, et sa lé-
gende a été faite ou inspirée par les héritiers des qua-
rante familles.
Malgré la triste réputation qui lui en est restée, 1l faut
bien pourtant que ce prince ait eu quelques vertus, et
même de genres assez variés, car, si dans ces derniers
temps les hériliers des petites gens ont découvert en lui
un précurseur de la Révolution française, il a, de son
vivant el le premier, porté le titre de Rot très-chrétien,
qui lui a été décerné en 1469 par une autorité infaillible
en pareille matière.
Tout le monde en France, grâce aux rancunes des qua-
rante familles, qui seules, ou peu s’en faut, ont eu le droit
de parler et de se plaindre pendant trois cents ans, sait
sur le bout du doigt ce dont il faut accuser Louis XL. Il
est même certain qu'on lui attribue plus de méfaits qu’il
n’en a réellement commis : — on ne prête qu'aux riches.
— Ce que l’on connaît beaucoup moins généralement,
c’est la vie des personnages contemporains, qui pourraient
lui servir de termes de comparaison et de repoussoirs.
Ce sont ces personnages, acteurs ou comparses dans le
grand drame de Louis XI, que je ferai comparaître ici
auprés de lui, pour l'édification et l’exaltation de notre
sociélé moderne, dont J'entends quelquefois que lon
médit un peu.
Louis XT naquit en 1493, un an aprés la mort de son
grand-père Charles VI, ce pauvre roi insensé qui avait
subi toutes les infortunes, y compris celle de l’empereur
406 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
Claude, avec cette aggravation que Messaline n’avait pas
vendu lempire aux Bretons, et que la reine Isabelle fut
la fidèle alliée des Anglais contre son mari et contre
son fils.
Quatre ans avant la naissance de Louis, le dauphin
Charles son père, depuis roi sous le nom de Charles VIT,
avait eu le malheur d’assister à l’assassinat de son oncle,
Jean sans Peur, duc de Bourgogne, qu’il avait appelé à
une conférence pour traiter de la paix, et de sembler
avoir autorisé par sa présence une trahison et un meurtre
qui pouvaient être considérés, soit comme un coup d’État
utile, soit comme une vengeance de famille. Le duc de
Bourgogne, en effet, prince du sang et premier pair de
France, aidait les Anglais à dépouiller le roi de France,
et douze ans auparavant 1l n’avait pas hésité à faire poi-
gnarder en pleine rue le trop galant duc d'Orléans, son
Cousin.
C'est au milieu des haïines inspirées par ces crimes
que Louis grandit dans la ville de Bourges, dont le ter-
ritoire composait à peu près tout ce qui restait du beau
royaume de France. Les autres provinces appartenaient
aux Anglais, aux Bourguignons, aux Armagnacs, et sur-
tout aux gens d'armes de tous les partis, qui, à la belle
saison , guerroyalent et se disputaient la possession des
villes et des châteaux, et, pendant l’hiver, ravageaient les
campagnes avec un admirable ensemble pour s’entretenir
la main. — Cela s'appelait écorcher le vilain, parce qu’ef-
fectivement lorsque les gens de guerre ne trouvaient plus
rien à prendre dans la masure de Jacques Bonhomme,
ils supposaient qu’il y mettait de la mauvaise volonté, et
alors ils lui prenaient sa peau, pour ne pas avoir tout
à fait perdu leur temps et leurs peines.
C’est une chose triste à dire! — La plupart des héros
de ce temps, ceux dont les noms associés au souvenir de
LOUIS XI ET SES CONTEMPORAINS. 407
nos luttes avec les Anglais sont restés le plus chers à la
France, furent des chefs d’écorcheurs. Le brave bâtard
d'Orléans, Dunois lui-même, se passa cette fantaisie.
Pendant que tous les fléaux déchaïnés s’abattaient ainsi
sur notre malheureux pays et achevaient de ruiner des
ruines, que faisait Charles VII? — Il était jeune; il était
roi; son cœur devait bondir de douleur, d’impatience et
de rage? — Ïl avait une femme plus portée à exciter son
courage qu’à le retenir : c’était la douce et intelligente
Marie d'Anjou, que l’histoire, qui n’est trop souvent
qu’une vile courtisane, a fait presque oublier au profit
d’une courtisane. — Il avait encore autour de lui quel-
ques loyaux représentants de la noblesse, et une nom-
breuse troupe d’écossais, que la haine des Anglais, à
défaut de toute autre passion, poussait au combat. — Il
avait enfin un peuple, que l'excès de ses misères avait
rendu indifférent à la mort, et qui ne demandait que
des armes et un drapeau. — Charles s’amusait. — I]
s’amusait avec une si imperturbable tranquillité de cons-
cience, qu’un de ses capitaines, La Hire, interrogé par lui
sur ce qu’il pensait d’une fête dont il dirigeait royalement
les préparatifs, ne put se retenir de lui répondre : « Sire,
» je pense que l’on ne saurait perdre un royaume plus
» gaiemen£. »
Pour sortir par instants de son insouciance et quitter
ses plaisirs, pour acquérir ce surnom de Victorieux, dont
l'histoire encore, par une de ces étranges bévues qui lui
sont familières, l’a gratifié, 1l fallut à Charles VII, tantôt
l’héroïque entêtement d’une villageoise, tantôt le dévoue-
ment brutal du connétable de Richemont, tantôt la va-
nité, le remords chevaleresque, si l’on veut, d’une belle
maîtresse. — Quels sentiments agitaient le Dauphin,
quelles idées pouvaient rouler dans sa jeune tête, en face
des exemples paternels? — Quand Charles VII oubliait
408 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
dans les délices de Méhun-sur-Yèvre et de Chinon que
les Anglais étaient à ses portes, et que demain peut-être il
ne serait plus même roi de Bourges; quand le conné-
table, usurpant audacieusement le rôle de son maître, le
servait malgré lui et le débarrassait sommairement d’in-
dignes favoris; quand Agnès Sorel, plus heureuse que
la reine délaissée, parvenait à allumer quelque étincelle
de patriotisme au cœur de son amant, que devait penser
Louis, qui était certainement né clairvoyant et réfléchi,
et qui sans doute aimait sa noble mére?
Est-il dès lors étonnant que, dans un temps où la ré-
volte était partout, où les familles souveraines vivaient à
la façon des Atrides, un prince de dix-sept ans ait prêté
l'oreille aux mauvais conseils des ducs d’Alençon et de
Bourbon, et pris les armes contre son père? — Cette
rébellion est le premier, et.le seul crime avéré, certain,
de Louis XE. — Il fut battu. — C’était dans l’ordre. — Il
obtint son pardon : on ne pouvait guère agir autrement
avec un dauphin de son âge. — Mais, depuis ee jour, le
père et le fils demeurèérent, l’un vis-à-vis de l’autre, dans
des termes qui dépassaient la froideur, et qu’un rien
pouvait aigrir.
Louis avait épousé une femme charmante, celte poé-
tique Marguerite d’ Écosse, qui, trouvant Alain Chartier
endormi sur une chaise, le baisa sur la bouche pour
marquer le cas qu’elle faisait de son éloquence. — C'était
en tout bien tout honneur, car le poëtc et orateur royal
était l’homme le plus laid de France, et tout ce que l’on
en pouvait conclure, c’est que les femmes ont parfois
de singulières imaginations. — [l n’en fut point ainsi. —
Les vertueuses dames de l’entourage de Charles VIT, et
le sultan lui-même, se livrérent à de si abominables im-
putalions, que la pauvre Marguerite en mourut de dou-
leur. Le Dauphin la pleura amêèrement, — ce qui n’est point
LOUIS XI ET SES CONTEMPORAINS. 409
le fait d’un méchant homme, — et il quitta bientôt une
cour où la vie pour lui était devenue intolérable, et où il
ne devait plus rentrer que roi.
Retiré dans son apanage du Dauphiné, il y épousa, en
1451, sans l’agrément de son père, une fille du duc de
Savoie. C’était manquer gravement aux convenances et
au respect de l’aulorité royale, mais le Dauphin était seul,
sans appui, sans argent, et il avait d’ailleurs dépassé de-
puis longtemps l’âge de la majorité. Ce mariage, qui
n’était pas la conséquence d’une passion irréfléchie ou
d’une pensée hostile au roi, puisque la princesse Charlotte
n'avait que neuf ans, et que son père n'avait jamais
réuni ses armes à celles des ennemis de la France, jeta
Charles VII dans un violent courroux, dont la bassesse
de ses conseillers profita pour le déterminer à expulser
violemment son fils de la province qui était son dernier
refuge. L’exécuteur des ordres du roi fut Antoine de
Chabannes, comte de Dammartin. Ce seigneur, qui se
recommande dans l’histoire pour avoir bravement con-
tribué à l’expulsion des Anglais, el aussi pour avoir ré-
vélé au roi la conspiration dans laquelle les ducs de Bour-
bon et d'Alençon et lui-même avaient entrainé l'héritier
de la couronne, s’est acquis d’autres litres au souvenir
de la postérité. Il fut pendant deux ans le chef d’une
bande d’écorcheurs, à la tête de laquelle 1l désola la
Bourgogne , la Champagne et la Lorraine, les ennemis,
les amis et les neutres. Ce fut lui qui enseigna à
Charles VII un moyen de payer ses dettes, en faisant
faire le procès de Jacques Cœur; ce fut lui qui présida
au jugement du malheureux banquier; et ce fut lui qui
demanda, ou du moins accepta la confiscation des biens
du condamné. Héros et brigand, loyal et déloyal, on
pouvait tout être alors, suivant l'heure et l’occasion.
Contraint de fuir la France, Louis se sauva, presque
52
410 © HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
seul, dans les États du duc de Bourgogne, et il y de-
meura six ans : non pas à la cour, ce qui eût pu paraître
suspect, mais dans une pelile ville du Brabant, à Genappe,
où il vécut dans une telle modestie, que l’on possède une
quittance de trente écus, qui lui avaient été prêtés en ce
temps-là par un particulier, pour payer un cheval.
Ce fut dans cet exil de Genappe que Charlotte de
Savoie lui donna un premier fils qui mourut quelques
mois après sa naissance. Louis fut si vivement frappé
de cette perte et de la douleur de la Dauphine, qu’il jura
de ne jamais arrêter ses yeux sur une autre femme que
la sienne. Comynes, qui nous a conservé ce serment sous
une forme un peu plus vive que celle que nous em-
ployons ici, prend sur lui d'affirmer que Louis XI s’est
tenu parole, et qu'il a eu d’autant plus de mérite à le
faire, que la bonne dame n’avait rien de bien séduisant. La
chronique scandaleuse n’est pas tout à fait aussi explicite
sur la vertu de Louis XI, mais il est certain que ce roi
n’a jamais eu de maitresse en titre, et que, sur ce point,
sa conduite se distingue essentiellement de celle de la
plupart des princes ses contemporains, qui, à force d’a-
bonder* dans les idées orientales, avaient fait du nom de
bâtard un titre d'honneur.
Pendant que le Dauphin müûrissait dans l'exil et l’isole-
ment les pensées dont le développement et l’exécution
ont procuré un si grand caractère d'utilité à son règne,
Charles VIT achevait tristement le sien, au milieu de
courtisans tremblants au bruit que faisait déjà ce nom
de Louis XI sonnant dans le lointain l'heure de la justice
et de la vengeance, et dans les bras de la dame de Ville-
quier, qui avait recueilli le glorieux héritage de sa cou-
sine Agnès Sorel, et qui, en femme d'esprit, se ména-
geait un refuge contre les effets du mépris et de la colère
du futur roi, en blessant au cœur le duc de Bretagne,
LOUIS XI ET SES CONTEMPORAINS. A1
dont elle devint, en effet, la maîtresse, et dont elle eut
quatre enfants.
Ce que tout le monde désirait alors dans cette cour
de France, c'était que le Dauphin tombât au pouvoir de
son pêre. — Que fût-il arrivé en pareil cas? — II serait
téméraire de le dire. — On sait seulement que Louis
résisla à toutes les invitations doucereuses qui lui furent
faites de revenir prendre sa place auprès du trône; que
Philippe de Bourgogne repoussa noblement toutes les de-
mandes, toutes les injonctions d’extradition qui lui furent
adressées ; et qu’il y avait en France un grand nombre
de personnes puissantes ayant intérêt à ce que Louis ne
régnât pas, et à voir passer la couronne sur la tête de
son frêre le duc de Berry.
Charles VIT, abruti par les plaisirs et par les noires
idées dans lesquelles l’entretenait son entourage, finit par
croire que son fils payait des gens pour l’empoisonner.
Il se confine alors dans son château de Méhun, et, avec
une force de logique et de volonté qu’on ne saurait trop
admirer, il se décide à se laisser mourir de faim. Quand
les courtisans s’en aperçoivent et veulent lui faire avaler
de force un peu de nourriture, il était trop tard. — Mais
il était encore temps, tout en gagnant les champs, pour
décocher, à la facon des Parthes, contre l’exilé de Ge-
nappe, une accusation lerrible qui n’a Jamais été appuyée
d'aucune preuve.
Louis XI était roi à trente-huit ans. — C'était en 1461.
— Il avait passé son enfance au milieu des folies d’une
cour corrompue et des plus grandes misères qu’ait Jamais
supportées notre pays. Sa jeunesse taciturne, sans doute
frondeuse, s’élait lentement écoulée dans l'exil. La poli-
lique de son règne est expliquée par la dure expérience
qu’il avait fate des choses et des hommes de son tempis.
— Les grands feudataires de la couronne avaient réuni
419 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
leurs efforts à ceux du roi d'Angleterre pour briser cette
couronne qu'ils devaient protéger,,pour en ramasser
quelques débris, et pour acquérir une complète indépen-
dance; — trop faible pour les ramener ouvertement à
l’obéissance, Louis XI profitera de Loutes leurs fautes, il
leur suscitera de mauvaises affaires et préparera la sup-
pression des apanages. — La noblesse des fiefs presque
toute entière, plus préoccupée de ses intérêts que de sa
gloire, avait rendu hommage à un roi anglais, sacré roi
de France dans la cathédrale de Paris; — Louis XI la
tiendra reléguée dans les châteaux, et lui fera rudement
sentir qu’il n’a pas confiance en elle. — Parmi les sei-
gneurs demeurés français, il en était qui avaient vaillam-
ment combattu sous la bannière de Charles VIE, mais qui
s'étaient montrés insatiables de récompenses ; — Louis XI
les recherchera pour leur faire rendre gorge. — D’au-
tres, dont les terres chevauchaient sur les frontières, ou
qu’un caractère inquiet disposait à jouer double jeu,
avaient pris et quillé l’écharpe blanche et l’écharpe
rouge, suivant le cours des événements; d’autres encore
avaient été ses ennemis personnels et l'avaient par calcul
maintenu dans la disgrâce de son père; — Louis XI les
détruira.
Il eut le tort d'aller trop vite, en prenant dès le pre-
mier Jour le contre-pied de son prédécesseur, en chas-
sant les ministres, et en laissant deviner le plan qu’il se
proposait de suivre. Une ligue formidable s’éleva bientôt
contre lui. Elle eut pour chefs Charles de Bourgogne,
les ducs de Bretagne, de Berry et de Bourbon, et s’ap-
pela la Ligue du Bien public, — les conspirateurs étaient
déjà très-habiles, ils connaissaient la puissance des mots.
— Louis XI faillit être écrasé; il ne se sauva qu’à force
de souplesse et de concessions. — C’est à partir de ce
moment que, sans se priver pour les grandes affaires des
LOUIS XI ET SES CONTEMPORAINS. 413
conseils et des services de quelques hommes distingués,
comme du Bouchage et Comynes, il prélérera cepenilant
pour toutes les choses secrètes ou scabreuses, employer
des gens de basse condition, dont la fidélité lui était as-
surée, car il pouvait les récompenser sans en faire des
individualités puissantes, ou les supprimer sans soulever
de réclamations.
La première grosse vengeance exercée par Louis XI
tombe, en 1469, sur le cardinal Jean Balue. — Cet hon-
nêle prélat, que le roi avait tiré de la poussière pour en
faire un évêque et un ministre, et que la cour de Rome
avait revêtu de la pourpre en récompense de la vicloire
qu’il avait remportée sur le Parlement et l’Université au
sujet de la Pragmatique sanction, avait trouvé le moyen
de servir en rmême lemps le roi et le duc de Bourgogne;
il avait sensiblement penché vers celui-ci le jour où le
roi avait eu la sottise de se laisser prendre à Péronne, et
depuis il entretenail soigneusement la discorde entre le
roi et son frère. Sa robe le sauva de la potence, mais
Louis le retint prisonnier à Chinon, dans une de ces cages
de fer dont le cardinal lui-même avait trouvé l’admirable
invention pour réjouir son maître. — Ce qui donnerait
lieu de penser que le séjour de cette cage n’était pas
aussi intolérable qu’on le raconte, c’est que Balue put y
demeurer onze ans. Au bout de ce temps, en 1480, le roi
fit un excellent marché. Il céda le cardinal au pape qui le
réclamait avec instance, el obtint en échange une abso-
lution géuérale de ses péchés. Balue, délivré, prit le chemin
de Rome, où Sixte IV le reçut avec les plus grands hon-
neurs et lui donna l’évêché d’Albano. — Quelques années
plus tard il eut la délicate attention de le renvoyer en
France avec le titre de légat à latere. — On peut ajouter
que Charles VIII, qui n’a jamais passé pour un méchant
prince, ordonna ou souffrit qu’on renfermät dans une
414 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
semblable cage, peut-être bien dans la même, un homme
qui avait été loyal serviteur de son père, dont il fit plus
tard son ambassadeur à Venise, et qui combatlit près de
lui à Fornovo. — Cet homme était Philippe de Comynes.
Il resta, lui aussi, cinq ans en cage.
La seconde victime illustre de Louis XI fut Jean, comte
d'Armagnac, condamné à mort en 1470 par le Parlement.
— Ce Jean d’Armagnac, qui s’intitulait comte par la grâce
de Dieu, est demeuré célébre pour avoir vécu incestueu-
sement avec sa sœur Isabelle et en avoir eu nombreuse
lignée. Sentant un jour le besoin de régulariser sa posi-
lion, il n’avait pas craint de demander des dispenses au
pape. Accueilli dans sa requête par une bulle d’excommu-
nication majeure, il trouva cependant le moyen d’épouser
sa sœur publiquement dans une église, léguant ainsi long-
temps à l'avance à la postérilé un argument en faveur de
l'utilité et de la moralité du mariage civil. Mais ce ne fut
pas pour de pareilles peccadilles que la justice de son
temps le: condamna. Il avait une première fois, sous
Charles VIT, été banni et privé de ses biens pour avoir
fait alliance avec les Anglais. Louis XI avait payé sa bien-
venue à la couronne en le relevant de cette condamna-
lion. Jean d’Armagnac lui témoigna sa reconnaissance en
se jetant dans la ligue du bien public et, plus tard, en
prenant le parti du frère du roi, devenu duc de Guyenne.
Jean d’Armagnac s'était, du reste, gardé de se présenter
en personne devant le Parlement. Bien loin de là, 1l s’était
renfermé dans Lectoure, où il fallut aller l’assiéger en 1473.
On doit dire, pour accentuer les choses, que le roi avait
laissé le soin de la poursuite du comte, — car 1l s'agissait
d’un excommunié, — à Jean Joffrédy, cardinal d’Alby,
surnommé le diable d'Arras à cause des belles exécutions
qu’il avait faites dans cette ville des hérétiques vaudois.
Le cardinal et l’évêque de Lombez, — Jean d’Armagnac
LOUIS XI ET SES CONTEMPORAINS. 415
avait un évêque pour ambassadeur, —- entrérent en con-
férences et convinrent enfin d’une capitulation qui fut
acceplée par le comte. Mais dès que l’on fut maître de
la place, quelqu'un cria : tue! tue!... et un imbécile de
franc archer, interprétant mal les intentions de ses chefs,
tua Jean d’Armagnac sur les genoux de sa femme. La
comtesse, s'étant trouvée grosse, reçut la visite d’un mé-
decin qui lui fit prendre un breuvage dont elle avorta et
mourut.
Charles, duc de Berry, avait été bercé dès l’enfance du
vague espoir d’être roi de France à la place de son frère.
Il avait étroitement lié ses prétentions aux intérêts du
comte de Charolais, qui fil de lui le chef officiel de la
ligue du bien public. Louis XI, pour sortir d’embarras,
s'était vu contraint de céder la Normandie à son frère. La
possession de cette province, appuyée d’un côlé aux États
du duc de Bourgogne, de l’autre aux Etats du duc de
Bretagne, et ouverte par derrière aux Anglais, donnait
trop de force aux ennemis de Louis pour qu’il ne saisit
pas le premier prétexte qui se présenterait de la reprendre.
Il offrit en échange la Guyenne; mais le duc, soutenu par
ses puissants alliés, voulait au moins avoir la Champagne
et la Brie, dont les territoires étaient contigus et faisaient
corps avec les possessions du duc de Bourgogne. Il ma-
nifestait d’ailleurs l'intention d’épouser, en temps et lieu,
l'unique héritière de Charles le Téméraire, et de conti-
nuer ainsi une maison dont la grandeur, depuis plus de
cent ans, avait élé si nuisible à celle de la France. Le
roi était pourtant parvenu, à force de cajoleries, à faire
accepter par son frère le duché de Guyenne, et à lui faire
jurer sur la vraie croix de saint Laud de renoncer à ses
projets de mariage. En lui faisant prêler ce serment
redoutable, Louis avait rappelé que celui qui le faussait
mourait mauvaisement sans faillir dedans l’an. — On
410 HISTOIRE. —— ARCHÉOLOGIE,
était en 4471, et les intrigues conlinuërent d’aller leur
train.
Dans l'été de 1472, le duc de Guyenne entrait un jour
pour se rafraîchir, avec la dame de Thouars, sa maîtresse,
dans l’abbaye de Saint-Jean-d’Angély. L'abbé, très-fier de
l'honneur fait à son couvent, parlagea lui-même une belle
pêche entre ses hôles. Le pêcher, paraît-il, avait été mal
greffé, et ses fruits contenaient une proportion trop forte
de ce principe amer qui caractérise les noyaux sauvages,
car le prince et sa darne pâlirent incontinent et ne tar-
dèrent point à passer de vie à trépas.
On dit que le duc était malade depuis longtemps et que
son tempérament était épuisé par les excès. Îl est certain,
d’un autre côté, qu’il eut le loisir de faire un testament
dans lequel, loin d’accuser le roi, 1] lui demandait pardon
de ces offenses et des soucis qu’il lui avait causés; mais
sa mort arriva si fort à propos pour mettre à néant un
projet de traité qui procurait des avantages énormes au
duc de Bourgogne, sans autre compensation pour Louis
qu’une promesse d'abandonner le parti de son frère, que
le Téméraire, en apprenant la nouvelle, entra dans une
violente colère et, sans s'arrêter au dommage qu'il allait
apporter à l’Église, il accusa hautement l'abbé de Saint-
Jean-d’Angély d'avoir été l’exécuteur des basses œuvres
de son rival. — Les contemporains n’ont jamais pu se
mettre d'accord sur cet article. Nous n'avons pas de motif
d’y voir plus clair qu'eux. Toutefois, en ayant égard aux
mœurs de l’époque et à l'importance des intérêts mis en
jeu, il ne semble pas absolument improbable que le cou-
pable fut celui à qui le crime a profité.
Restent les supplices du connétable de Saint-Pol et du
duc de Nemours. Ces supplices furent cruels : celui du duc
de Nemours surtout fut marqué par des raffinements qui
révoltent notre sensibilité moderne. Cependant les sévérités
LOUIS XI ET SES CONTEMPORAINS. 417
exercées sur ces deux représentants de la haute noblesse
étaient justes au fond, et elles n’ont rien de plus extra-
ordinaire que celles qui, en des temps plus voisins du
nôtre, ont fait tomber les têtes de Biron, de Chalais, de
Marillac, de Montmorency, de Cinq-Mars et de Thou, du
chevalier de Rohan, des quatre gentilshommes bretons,
et de l’infortuné Lally-Tolendal.
Nous venons de passer en revue les grandes victimes de
Louis X[. Si l’on y ajoute le duc d’Alençon, le comte de
Dammartin, l’évêque de Verdun, et quelques autres per-
sonnages de moindre importance, qui expièrent en prison
des actes de félonie, des déprédations ou des abus de
pouvoir ; si l’on y ajoute quelques centaines de pauvres
diables branchés aux carrefours des chemins pour avoir
regardé où ils n’avaient rien à voir, ou pour s'être laissés
aller à la tentation de goûter aux lapins royaux; si l’on
ajoute encore des habitudes de bas espionnage, une
capricieuse instabilité d'humeur, qui pouvait parcourir
toutes les nuances, depuis la bonhomie la plus bourgeoise
jusqu’à la plus despotique hauteur, depuis l’avarice sor-
dide jusqu’à la magnificence exagérée, depuis la supersti-
tion d’une vieille femme jusqu’au dégagé d’un esprit fort,
on aura les traits essentiels du côté répréhensible de cette
grande figure de roi. Rien, d’ailleurs, dans sa vie qui
ressemble à la Saint-Barthélemy, à la révocation de l’édit
de Nantes, et à la chasse aux Camisards.
En 1480, au moment où, débarrassé de Charles de
Bourgogne, le plus redoutable de ses adversaires, Louis XI
se livrait tout entier au som de faire valoir les profits de
sa politique et de constiluer le royaume sur de solides
assises, il fut frappé d’apoplexie. Soumis, depuis ce jour,
à des rechutes rapprochées, qui ne lui permettaient plus
de s'occuper des affaires qu'avec fatigue et avec de fré-
quents intervalles d’impuissance absolue, ce roi, si pa-
53
A8 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
tient, si maître de lui jusque-là, se laisse tomber dans
un sombre découragement. Ïl voit sa fin prochaine, la
France aux mains d’un enfant chétif de corps et d’esprit,
l’État livré à la régence d’une femme, à l'ambition des
princes du sang, aux intrigues d'une noblesse mécon-
tente; il voit perdu le fruit de vingt années de pénibles
travaux. Sous l’influence de ses pressentiments et de ses
souffrances, le roi, qui avait passé sa laborieuse vie sur
les chemins de son royaume, se renferme au fond d’un
château mystérieux, et se cache à tous les regards. Il veut
qu’on ignore qu'il est malade, et 1l multiplie autour de
son donjon les fossés, les barrières et les gardes. Il veut
qu’on sache qu’il est roi plus que jamais, et il multiplie
les ordres de gouvernement et les actes de sévérité. Il veut
conjurer la mort qui s'approche; il veut qu’elle attende
jusqu’à l’heure où son fils sera un homme; qu’elle lui
laisse au moins le temps de terminer les plus grosses
affaires, el, dans son désespoir, il donne jusqu’à dix mille
écus par mois à son médecin, 1l fait venir du fond de la
Calabre un saint anachorète dont les prières pourront
avoir la vertu de prolonger sa vie. Il redoutait sans
doute la mort pour elle-même, mais les aberrations de
ses derniers jours n’ont pas été uniquement le résultat
d’une terreur puérile, car, à partir de l'instant où l’in-
solent Coittier lui a brutalement déclaré qu’il est perdu
sans ressource , il se résigne, et demeure calme et en
pleine possession de lui-même pendant toute une semaine
d’agonie.
Le roman historique et le drame n’ont pas séparé
Louis XI de son château du Plessis. Ils n’ont reculé de-
vant aucun anachronisme, pour donner à leurs tableaux
un intérêt plus saisissant. Aussi, le Louis XI populaire,
le Louis XT que tout le monde connaît, c’est un Louis XI
malade, coiflé d’une calotte, “enveloppé d’un manteau
LOUIS XI ET SES CONTEMPORAINS. 419
fourré, et marmottant des patenôtres, ou suspendu au
bras de Tristan l’Hermite, et visitant ses cachots pour se
distraire. Le règne de ce Louis XI n’a pas commencé en
1461. Il est compris entre 1480 et 1483.
Si l’on veut porter sur ce souverain un jugement équi-
table, il faut l’envisager tout entier, et ne pas oublier
qu'il vivait dans un temps où les rois sacrés à Reims
croyaient encore sincèrement qu’ils étaient pourvus par
la grâce divine, non-seulement du don de guérir les
écrouelles, mais aussi d’un pouvoir sans limiles et du
droit de vie et de mort sur leurs sujets de tous rangs;
dans un temps où les magistrats chargés de faire justice
n’éprouvaient aucun trouble de conscience en poursui-
vant la recherche de la vérité jusque dans les chambres
de torture; dans un temps où l’Église récitait ses actes
de foi autour des bûchers et pensait faire acte de charité
en rôtissant d'avance, sans doute pour les y habituer, les
malheureux voués aux flammes éternelles.
On devra aussi se rappeler que Louis XI avait accru la
France du Roussillon, de la Picardie, de l’Artois, de la
Provence, de l’Anjou, du Maine et des deux Bonrgognes;
qu'il a fondé l’umité française par la destruction des apa-
nages féodaux, constitué l’armée soldée aux dépens du
brigandage, créé les premières routes et le service des
postes, fait les premiers rêglements sur le commerce et
l’industrie; qu'il a voulu établir l’uniformité dans la ju-
risprudence, dans les coutumes, dans les poids et mesu-
res; qu’il a enfin encouragé les premiers bégayements de
la démocratie, ordonné la révision du procès de Jacques
Cœur, et fait mourir d’inaniiion le saint Tribunal de l’In-
quisition qui ne s’est jamais relevé dans notre pays.
Jetons maintenant un regard circulaire autour de la
France, et passons en revue les contemporains de Louis XI.
Nous nous contenterons d'examiner les plus hautes têtes,
420 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
et nous laisserons, bien entendu, de côté les Scandinaves
et les Germains d’Outre-Rhin qui étaient encore assez
barbares au quinzième siècle, les Moscovites qui l’étaient
tout à fait, et les Turcs qui le sont encore. Nous reste-
rons en pays chrétien.
Le premier personnage qui se présente à nos yeux,
c’est Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Ce prince a
presque mérité son surnom, il fut réellement assez bon
pour le temps où il a vécu. Si, dans les premières années
de son règne, il a soutenu la cause des rois anglais , il
faut plutôt attribuer cette conduite à un défaut de clair-
voyance qu’à son cœur. Il ne fit d’ailleurs que continuer
la politique où s'était engagé son père, et il avait à venger
l’attentat de Montereau. Le plus grand reproché que la
postérité puisse faire peser sur lui, c’est d’avoir livré
Jeanne Darc aux Anglais; mais Jeanne était méconnue
et trahie même par ceux qu’elle avait sauvés. Philippe
fut aussi un prince heureux, ce qui rend la bonté plus
facile. Des héritages vinrent successivement augmenter
ses États de la presque totalité des Pays-Bas et du Luxem-
bourg. À partir de la trêve qui interrompit en 1435 la
guerre de l'invasion anglaise, 1l régna encore vingt-deux
ans dans une paix profonde, à peine troublée passagère-
ment par la turbulence des bourgeois de Gand, et se
trouva, malgré la modestie de son titre de duc, le sou-
verain le plus riche et le plus réellement puissant de
l'Europe. Il n'eut qu’un défaut, auquel on n'échappe
guére quand on est prince, puissant, riche, heureux et
bon. Il aima passionnément les plaisirs, et surtout les
femmes, ce qui est altesté par ses trois mariages et par ses
quinze bâtards. Il en a de plus laissé deux témoignages qui
lui survivent encore. C’est la question d'Orient et l’ordre
de la Toison d’or. — Seul, il était en position de fournir
un secours efficace à l’empereur Constantin Paléologue,
LOUIS XI ET SES CONTEMPORAINS. 491
et d’être le chef d’une croisade vraiment nécessaire. Il
fit la sourde oreille à toutes les sollicitations du pape,
et vit très-froidement, au milieu des passes d'armes et
des festins, Mahomet IT s'installer en maitre dans Cons-
tantinople. Quant à la création de l’ordre de chevalerie
que nous venons de nommer, lout le monde sait qu’elle
n’a eu qu’un rapport excessivement éloigné avec l’objet
du voyage des Argonautes à Colchos, et qu’elle eul pour
motif un acte de galanterie raffinée qui n'aurait aujour-
d'hui aucune chance d’être accueilli dans le grand monde.
Il est trés-remarquable que parmi tant d'ordres anciens,
inslilués pour parer exclusivement des personnages très-
distingués, les seuls qui aient survécu et qui conservent
encore de nos Jours leur caractère aristocratique, soient
la Toison d’or et la Jarretière. — Évidemment un vilain ne
saurait en aucun temps atteindre à cette hauteur, ultrà
crepidam.
Le successeur de Philippe, ce Charles si bien sur-
nommé le Téméraire, fut comme Louis XI un mauvais
fils. 1! ne fit point la guerre à son père; il fit peut-être
pis. Abusant de la faiblesse et de linertie du vieux Phi-
hppe, et réunissant autour de lui la jeunesse bourgui-
gnonne comme lui impatiente d'agir, il commença à
régner et engagea du vivant de son pére celte lutte
avec Louis XI qui devait si mal lui réussir. Aussi fourbe,
aussi peu scrupuleux sur le choix des moyens que son
adversaire, il perdit tous les avantages que lui assuraient
au début un pouvoir incontesté et d’utiles alliances, par
l’emportement brutal de son caractère et par une ambi-
tion effrénée. Louis lui enleva ses alliés en le tentant et
en lui faisant signer des traités dont la divulgation met-
tait à nu son égoisme et sa cupidité. Il le tua en le flat-
tant dans ses projets de conquête, dans ses rêves de
couronne impériale, et en lui assurant une sournoise
499 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
neutralité pendant ses folles entreprises sur le Rhin, sur
la Suisse et sur la Lorraine. — S'il s'agissait d’établir
un paralléle entre Louis XI et Charles le Téméraire, il
ne faudrait pas perdre de vue que si Louis a fait tran-
cher la tête du connétable coupable de haute trahison,
ce fut Charles qui le lui livra, et qui, pour prix de cette
complaisance, accepta les places de Saint-Quentin, Ham
et Bohain, avec la confiscation de tous les biens du sup-
plicié, y compris les meubles. Il faudrait se souvenir
aussi que Charles, prince français et apanagé, caractéri-
sait tout haut sa politique et ses tendances, en disant
qu'il aimait tant le bien du royaume de France, qu'il
voudrait que la France eût six rois, et enfin que c’est
la transmission de cette hostilité qui a déterminé le ma-
riage de Marie, son unique héritière, avec un archiduc
d'Autriche, et créé un état de choses qui a ensanglanté
toutes nos frontières pendant trois siècles, et dont nous
subissons encore aujourd’hui les conséquences.
Dans le tourbillon qui s’agitait autour du duc de Bour-
gogne, on rencontre trois pelits princes indépendants
qui méritent l'attention.
Adolphe de Gueldres trouve que son pére, le duc Ar-
nould, règne trop longtemps. Il s'empare un soir du vieil-
lard au moment où il se couchait, il lui fait faire cinq
lieues d'Allemagne, à pied, sans chausses, par un temps
très-froid, et le jette au fond d’une tour où la lumière ne
pénétrait que par une lucarne. 1] le tient prisonnier dans
celle tour pendant six mois, c’est-à-dire jusqu’au jour où
les autres princes de l’Europe se mêlant de l'affaire, en-
gagent le duc de Bourgogne à appeler devant lui le fils et
le père pour vider leur différend. Charles le Téméraire, qui
penchait pour Adolphe, le prend par la douceur el veut le
persuader de laisser à son père la ville de Grave, avec un
revenu de six mille florins, et de se contenter du reste.
LOUIS XI ET SES CONTEMPORAINS. 493
L’enragé répond, sans périphrases, qu’il aimerait mieux
avoir jeté son père la tête devant dans un puits, et s’y
être jelé après lui, que d'accepter un pareil marché ;
qu’il y avait quarante-quatre ans que son pére était duc,
et qu’il était bien temps qu'il le fût à son tour. Le duc
de Bourgogne trouva un biais trés-habile. Il mit provi-
soirement Adolphe en prison et le duché en litige sous
le séquestre, et le banhomme, dont les souffrances et la
colère avaient fort altéré la santé, étant mort peu après,
il s’'adjugea le pays de Gueldres. Cet Adolphe ne craignit
pas plus tard de réclamer la main de Marie de Bour-
gogne, en compensation du tort qui lui avait été fait, et
il fut tué dans une des bagarres occasionnées par la
poursuite de cette héritière.
Parmi les autres prétendants malheureux de Marie, on
doit distinguer Jean de Clèves. Celui-ci se consola philo-
sophiquement de son insuccès, et fit bien voir qu’il était
homme à jouer le rôle de chef de lignée. Ses contempo-
rains lui ont attribué soixante-trois bâtards, et un sobri-
quet en conséquence. |
Guillaume d’Aremberg, comte de La Mark, dit le San-
glier des Ardennes, est si connu pour sa férocité bes-
tale, qu'il serait inutile de s’y arrêter autrement que
pour remarquer que la guerre qu'il a faite au prince-
évêque de Liège n’a aucun rapport de coïncidence avec
l'expédition entreprise en commun contre les Liégeois
par Louis XI et Charles le Téméraire, après le traité de
Péronne, en 1468. La mort de l’évêque Louis de Bourbon
et l’entrée de Guillaume de La Mark dans Liège sont du
30 août 1482, un an, jour pour Jour, avant la mort de
Louis XI. L’évêque n'avait d’ecclésiastique que le titre. Il
ne fut point assassiné. Il fut frappé à cheval, l’épée au
poing, dans un combat, il est vrai inégal, de trois bles-
sures dont une de la main de Guillaume. Deux ans plus
494 HISTOIRE. — ARCINÉOLOGIE.
tard, le Sanglier fit la paix avec Jean de Hornes, succes-
seur de Louis de Bourbon; il accompagna ce dignitaire
de l’Église dans l'entrée solennelle qu’il fil à Liège, après
la réceplion de ses bulles papales, et tous deux sem-
blaient vouloir vivre en parfait accord. En 1485, Jean de
Hornes prêla la main et son concours direct à une trahi-
son qui fit tomber le Sanglier au pouvoir de l’archidue
Maximilien. On lattira, après un feslin, dans un guet-
apens , où il se vit garrolté avant d’avoir eu le temps de
se reconnaître. Conduit aussitôt à Maëstricht, il eut la tête
tranchée le lendemain. — Il ne l’avait pas volé; mais les
gens à qui il eut affaire ne semblent pas avoir valu beau-
coup mieux que lui.
Passons la mer. — En Écosse , nous trouvons- encore
un fils en révolte ouverte contre son père. Ici le drame
est complet. Le père et le fils se livrent bataille. Jacques III
est tué, ce qui permet au fils de prendre tout simplement
le nom de Jacques IV.
L'histoire d'Angleterre s’enrichissait en ce temps-là d’un
chapitre demeuré célèbre, sous le titre anacréontique de
Guerre des Deux-Roses. Contentons-nous de l’effleurer. —
Richard d’York, la Rose blanche, s’insurge en 1450 contre
la Rose rouge, représentée par Henri VI de Lancaster. Il
est batiu et tué en 1460; mais son fils est plus heureux
l’année suivante : il s'empare de la Rose rouge, la met à
l'ombre de la Tour de Londres, et règne à sa place sous
le nom d’'Édouard IV. Ce roi, qui mourut de déplaisir, —
et un peu aussi, dit-on, d’ivrognerie, — de se voir retran-
cher une pension de cinquante mille livres que Louis XI
lui avait fournie, pour qu’il le laissât tranquille pendant
sa querelle avec Charles le Téméraire, confia la tutelle
de ses enfants mineurs à son frère Richard, duc de Glo-
cester. Celui-ci, — une Rose blanche, — assassine ses deux
neveux, se proclame roi, et, pour hausser la valeur de
LOUIS XI ET SES CONTEMPORAINS. 495
ses titres, daigne faire constater en plein Parlement
d'Angleterre, que la reine sa belle-sæur a été une femme
légère, et que les deux filles qu’il veut bien lui laisser
vivantes sont bâ‘ardes. Il trouve un évêque de Bath pour
altester par serment la vérité de cette imputation. La
Rose rouge ne perdit pas l’occasion de refleurir. Henri
Tudor, un Lancaster, reprit les armes, attaqua Richard I,
le battit, le tua de sa main, et se plaça, en 1485, sur le
trône vide. Henri VIT pensa alors que le meilleur moyen
de terminer une tragédie dans laquelle l’aristocratie an-
glaise toute entière serablait vouloir disparaitre par l’épée,
le poison et la hache, était de réconcilier les deux Roses
par un mariage, et il épousa l’une des filles d'Édouard,
malgré la déclaration de l’évêque. Celle union produisit
des rejelons mélangés qui. ne furent pas sans épines;
mais les Tudors appartiennent au seizième siècle, et ce
serait sortir de notre sujel que d’en parler.
En Bretagne, le duc François Ier emprisonne son frère
Gilles au fond du château de Guildo. — On n’a jamais
trop su pourquoi. — Un jour le malheureux prince est
étouffé entre deux matelas. — [l était sans doute enragé.
— Le ducFrançoisIf, malgré le lien qui l’attache à la cou-
ronne de France, se mêle à toutes les intrigues du temps,
depuis la ligue du bien public jusqu’à celle qui contre-
carre la régence d’Anne de Beaujeu. Aussi peu fidèle que
Louis XI à la foi des traités, il eut de plus que lui deux
graves défauts : il fut amoureux et 1l manqua de courage.
Sa passion pour Antoinette de Maignelais, dame de Ville-
quier, lui fit oublier le soin de ses affaires. Ayant comme
le roi de justes motifs de se méfier des grands de son
duché, il prit pour confident et ministre un habile homme
de rien, Pierre Landais, qui aurait sauvé peut-être
l'autonomie de la Bretagne, si elle avait dû l'être. Cet
homme déplaisait, bien entendu, à la noblesse. François
4
496 | HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
le laissa un jour prendre, juger et pendre par les mé-
contents, au grand détriment de sa puissance et de sa
dignité. |
Vers les Pyrénées, Jean d'Aragon dispute les armes à
la main à son fils Charles, prince de Viane, le royaume
de Navarre qui était un héritage maternel Charles est
battu et dépouillé. Plus tard sa belle-mère l’empoisonne
pour plus de sûreté. Jean , devenu roi d'Aragon, cède la
Navarre à sa fille Éléonore. A la mort de celle-ci, il fait
empoisonner un enfant de quinze ans, Gaston Phébus,
fils du prince de Viane, qu'Éléonore avait adoplé, et il
réunit la Navarre à l’Aragon.
Pénétrons plus avant dans la Péninsule. Le roi Édouard
de Portugal meurt de la peste en 1438, laissant un fils
âgé de six ans, sous la régence de son frère le duc de
Coïimbre, qui fut le modèle des régents. Quand Alphonse V
eut atteint sa majorité, il témoigna sa gratitude à son
oncle, en l’accusant d’avoir empoisonné le roi Édouard,
la reine Léonor et l’infant don Jean, et en le contraignant
à défendre sa vie. Le duc de Coimbre eut beau reculer,
il fallut se battre, et il fut tué dans une rencontre. Al-
phonse, qui avait épousé la fille de sa victime, força la
jeune reine à venir pompeusement parée à sa rencontre,
comme s'il se fut agi d’un triomphe. Après la mort de
celle reine, Alphonse failt se remarier, et ceci nous
conduit en Castille.
Heart IV, roi de Castille, avait une fille unique et une
sœur. Celte sœur déclara et soutint qu'Henri était im-
puissant, — reproche bien singulier de sa part, et ren-
fermant, en outre, une grosse injure pour la reine de
Castille, qui était elle-même sœur du roi de Portugal. Le
pauvre Henri eut beau protester, la médisance ou la ca-
lomnie fit fortune, et le royaume se trouva partagé entre
ceux qui soutenaient que Jeanne était fille de son père
*
LOUIS XI ET SES CONTEMPORAINS. 497
et ceux qui aflirmaient que Jeanne était une bâtarde adul-
térine. Henri, avant de mourir, proclama solennellement
la légitimité de sa fille et confia la défense de ses intérêts
à Alphonse de Portugal, qui, de son côté, demanda à
Rome les dispenses nécessaires pour épouser sa nièce.
Mais Rome est toujours prudente, et les dispenses se firent
si bien attendre, qu’Alphonse eut tout le temps de perdre
une grande bataille et la partie. Jeanne ne fut point énousée,
et la couronne de Castille, au lieu de se réunir à la cou-
ronne de Portugal, alla se confondre avec la couronne
d'Aragon. Car, cette sœur d'Henri IV, si bien informée, si
délicate et si habile, était la grande Isabelle, femme de
Ferdinand d'Aragon. — Voilà à quoi tiennent quelque-
fois les destinées des peuples et les vertus des femmes.
Ferdinand d'Aragon était un digne fils de ce Jean Il,
dont il a été question plus haut. Il fut, s’il est possible,
plus fourbe que Louis XI, et reçut comme lui de la plus
haute autorité du monde un titre bien justifié. C’est le
premier souverain espagnol qui ait été appelé Majesté
catholique. W y aurait une curieuse étude à faire sur
ces deux princes, qui ont fondé, au même moment et
par des moyens différents, la grandeur des monarchies
française et espagnole, sur la solidité et l'avenir des
monuments qu’ils ont élevés, et sur la merveilleuse jus-
tesse de ces titres de très-chrétien et de catholique, ap-
pliqués non pas à Louis et à Ferdinand, ou à tel ou
tel de leurs successeurs, mais à l’esprit et au cœur des
deux nations elles-mêmes. Les tendances, les œuvres,
les destinées de la France et de l'Espagne nous semblent
écrites sous ces épigraphes.
La famille d'Aragon régnait aussi à Naples, où elle fut
dérangée en 1495, par l'expédition de Charles VIII. A
cette époque, les Napolitains avaient le bonheur d’obéir,
depuis trente-six ans, à Ferdinand Ier et à son fils Al-
498 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
phonse IT. Ferdinand était un bâtard, et un digne frère
de Jean IT d'Aragon. Un pape, qui était pourtant un
homme vertueux el éclairé, mais qui était poussé par la
politique inflexible de l’Église, Pie II, reconnut Ferdinand
pour roi légitime et le sacra, sous la condition de payer un
tribut au Saint-Siége et de lui remettre Bénévent, Pon-
tecorvo et Terracine. Il mit le comble à sa complaisance
en permettant que son propre neveu, Antoine Piccolo-
mini, épousât Marie, une fille naturelle du roi de Naples.
Sur Ferdinand et sur son fils Alphonse, il y a des choses
si étonnantes à dire, que je préfère emprunter quelques
coups de crayon à Comynes, qui a laissé d’eux des por-
traits achevés : « Nul homme, dit-il à propos d’Alphonse,
» n'a esté plus cruel que luy, ni plus mauvais, ni plus
» vicieux et plus infect, ni plus gourmand que luy. Le
» père estoit plus dangereux, car nul ne se cognoissoit
» er luy, ni en son courroux : car, en faisant bonne
» chère, 1l prenoit et trahissoit les gens... Il faisoit
» toute la marchandise du Royaume, jusques à bailler les
» pourceaux à garder au peuple, et les luy fesoit en-
» gresser pour les mieux vendre. S'ils mouroient, falloit
» qu'ils les payassent. Aux lieux où croît l'huile d’olive,
» ils l’achetoïent luy et son fils à leur plaisir, et sem-
» blablement le froment, et avant qu’il fût meur, et le
» vendoient après le plus cher qu'ils pouvoient, et si
» ladite marchandise s’abaissoit de prix, contraignoient
» le peuple de la prendre, et par le temps qu’ils vou-
» loïent vendre, nul ne pouvoit vendre qu'eux. Si un
» seigneur, ou baron, esloit bon mesnager, ou cuiroit
» espargner quelque bonne chose, ils la luy demandoient
» à emprunter, el il falloit la leur bailler par force. Tous
» deux ont pris à force plusieurs femmes. Aux choses
+ ecclésiastiques, ne gardoient nulle révérence, ni obéis-
» sance. Îls vendoient Eveschez, comme celle de Tarente,
LOUIS XI ET SES CONTEMPORAINS. 499
que vendit le père treize mille ducats à un juif, pour
» bailler à son fils qu’il disoit chrestien..….… Pour con-
clusion, il n’est possible de pis faire qu’ils ont fait tous
» les deux. »
Aussi Innocent VIII dût-il excommunier ce roi que
Pie II avait sacré, et il transféra le royaume de Naples au
roi de France, héritier des princes de la maison d’Anjou.
Ferdinand mourut de peur à la nouvelle de l’approche
des Français. Son fils Alphonse se sauva en Sicile et se
fit ermite. Cela devait finir ainsi.
Le reste de l'Italie était en proie aux rivalités ardentes
des mille ambitions qui s’en disputaient les lambeaux, à
la tyrannie effroyable de quelques condottieri cherchant
à fonder des dynasties, à la cupidité et au froid égoisme
des princes étrangers appelés tour à tour par les différents
parlis et songeant, avant Lout, à se faire payer leurs ser-
vices, enfin aux prélentions contraires des empereurs et
des papes, s’altribuant les uns el les autres, soit au nom
du droit historique, soit au nom du droit divin, le pou-
voir de disposer de ce qui ne leur appartenait pas. Tous,
au fond, n'avaient qu’un but, agrandir leur influence et
augmenter leurs possessions. Pour l’atleindre, tous les
moyens étaient bons : la violence, la ruse, le népotisme et
la simonie. Quant aux lialiens, nul ne s’occupait d’eux.
L'lialie, dès ce temps-là, n’était qu’une expression géo-
graphique.
Pendant vingt-cinq ans, de 1424 à 1449, l’Église a
deux papes et deux conciles : Félix V, le pape du concile
de Bâle, et Eugène IV, le pape du concile de Florence.
Après eux, Sixte IV, de la famille de La Rovère, le
pontife contemporain du règne de Louis X[, distribue
à ses neveux des chapeaux et des territoires ; il les fait
riches et princes, et rend ensuite un décret qui prescrit
de réunir au domaine du Saint-Siége les biens des cardi-
&-à
Y
430 HISTOIRE. —— ARCHÉOLOGIE.
paux élus papes. Il prépare ainsi l’exaltation de son neveu,
de Jules IT, le pape conquérant.
Milan est la victime des quatre testaments de Philippe-
Marie Visconti, perfide et malfaisant jusqu’au delà de la
mort, et des débordements inouïs de l’infâme Galéas
Sforza. Ferrare voit Hercule d’Este voler le duché à son
neveu Nicolas et faire trancher la tête à l’infortuné qu’il
a dépouillé. L’aristocratie de Venise se méfie d’elle-même
el croit ne pouvoir préserver la République de la conta-
gion du désordre qu’en plaçant à côté du Conseil des
Dix le Tribunal secret des trois inquisiteurs d'État, c’est-
à-dire en adoptant comme conslitulion régulière et
permanente de gouvernement une forme de pouvoir
que la France n’a subi qu’un instant dans une crise
terrible. Florence, où les Médicis paraissent vouloir
fonder un ordre stable et basé sur la satisfaction des
intérêts populaires, est ensanglantée par la conjuration
des Pazzi, ouvertement patronée par le pape. Les conjurés
conviennent de poignarder Laurent et Julien de Médicis.
Le cardinal Raphaël Riario, petit-neveu de Sixte IV, et
l'archevêque de Pise, se chargent de veiller eux-mêmes
à l’exéculion. Chose monstrueuse ! Ils choisissent pour
théâtre de cet exploit la cathédrale, pour mise en scène
la messe solennelle du dimanche 26 avril 4478, el pour
signal la communion du prêtre officiant. Julien est immolé
à l'instant fixé. Laurent, plus fort, se débat, reçoit une
blessure à la gorge, mais échappe aux assassins. — Le
peuple, furieux, s’ameute. Le cardinal, réfugié à l'autel,
est à grand'peine tiré d'affaire par les prêtres; l’arche-
vêque est pendu. — Le souverain pontife fut superbe ;
il excommunia Florence, et, avec l’aide de Ferdinand de
Naples , il déclara la guerre à la cité maudite.
Tels furent les contemporains de Louis XI, qui semble
pâle à côté d'eux; lels furent les chefs des peuples au
LOUIS XI ET SES CONTEMPORAINS. 431
quinzième siècle, le dernier de ce moyen âge que Dieu,
par une ironie immense, a voulu couronner lui-même,
afin qu’on s’en souvint à Jamais, en permettant à l'esprit
des ténèbres de présider au conclave qui a fait, en 1492,
asseoir Alexandre VI dans la chaire des apôtres.
Plaignons nos pères, les uns d’avoir lant souffert, les
autres d’avoir élé si mauvais, et félicitons-nous de ce que
le temps a marché, de ce que le jour de la justice est
enfin arrivé. de la justice qui, comme le disait naguère
dans une toute autre intention un éminent orateur, est
la réaction du droit et de la loi contre la fraude et le
crime ! Et nous n’entendons pas parler ici d’un droit
diplomatique et d’une loi conventionnelle, mais bien du
droit imprescriptible des hommes et de la loi éternelle de
Dieu.
Loin de nous, cependant, de condamner d’une manière
absolue les siècles passés. Chacun d’eux, sans doute, a
été ce qu'il pouvait être et représente une phase néces-
saire du développement progressif de l’esprit moderne,
engendré par la parole du Christ dans les entrailles du
sensualisme paien, dont il devait d'abord revêtir la livrée
el porter longtemps Îles traces grossières. Dieu dépose
dans l’œuf le germe d’un papillon, mais celui-ci, avant
de s’élancer libre et triomphant dans l'air, et avant de
prendre possession de son royaume de fleurs, passe par
la chenille qui rampe et broute, et par la larve qui digère
et sommeille.
Le moyen âge a été le lemps de gestation de l'esprit
moderne, temps de malaises et de troubles. Le quinzième
siècle a assisté à son douloureux enfantement. Toutes les
vieilles fées s’élaient donné rendez-vous autour du ber-
ceau du nouveau-né et l'avaient touché de leurs baguettes
malfaisantes , mais, parmi elles, s'était glissée une jeune
fée inconnue, qui apportait un talisman devant lequel
439 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
toutes les formules surannées allaient perdre leur puis-
sance. Ce talisman, ce remède à tous les maux, c’est
l'imprimerie, l'instrument propagateur et fidèle du Verbe.
Au seizième siècle, l'esprit moderne est un enfant vivace
et terrible, livré à toutes les curiosités, éventrant ses jouets
pour savoir ce qu'il peut y avoir dedans, et posant Îles
questions les plus indiscrêtes. — Au dix-septième, l’ado-
lescent est au pouvoir des pédagogues; il est sévèrement
morigéné et fait de sérieuses études. — Au dix-huitiène,
le jeune homme a quitté les Académies, il ouvre ses ailes
au soleil ; il entrevoit le but de la vie; il est amoureux,
libertin, Ltéméraire, railleur, mais son cœur déborde de
généreux sentiments, sa tête bouillonne d’enthousiasme
et d’audace. Il va faire d'énormes folies; mais ses folies
lui donneront l'expérience et la mesure, le feront homme,
et l’homme, sous le regard de Dieu, fera de grandes
choses.
Il existe, en faveur de la supériorité de sentiments et
de la maturité du dix-neuvième siècle, une preuve que
tout le monde en France peut accepter. — Cette preuve,
tirée du fait le plus extraordinaire de notre histoire, et
qui complétera notre appréciation sur le quinzième siècle,
la voici : |
« L'an mil quatre cents vingt-neuf, il y avoit une jeune
» fille vers les marches de Vaucouleurs, natifve d’un vil-
» lage nommé Domprémy, de l’eslection de Langres, fille
» de Jacques Darcq et d’Ysabeau sa femme, simple villa-
» geoise, qui avoit accoutusmé aulcunes fois de garder
» les bestes, et quand elle ne les gardoit, elle apprenoit
» à coudre, ou bien filoit : elle estoit âgée de dix-sept à
» dix-huit ans, bien compassée de membres, et forte. »
Le cœur de Jeanne s'était gonflé aux lugubres récits
des voyageurs assis le soir au foyer de son père. Dans la
solitude des champs sa têle fut peu à peu envahie par
LOUIS XI ET SES CONTEMPORAINS. 433
une sublime inspiration. Elle puisa dans sa foi, et dans
le sentiment le plus naïf de la Justice divine, cette ferme
croyance au triomphe nécessaire du bon droit; cette fré-
missante indignation contre les méchants, cette inébran-
lable volonté et celte puissance de l’idée fixe, qui trans-
forment les êtres les plus faibles, surtout les femmes, et
les rendent capables d'accomplir des prodiges.
« Un jour, sans congé de père ou de mère, elle s’en
vint à Vaucouleurs devers Messire Robert de Beaudri-
court, un vaillant chevalier tenant le party du Roy...
et lui dit ladite Jeanne tout simplement les paroles
qui s’ensuyvent : « Capitaine Messire, sçachez que Dieu,
depuis aulcun temps en çà, m’a plusieurs fois fait à
sçavoir et commandé que j'allasse devers le gentil Dau-
phin, qui doit être et est vray Roy de France, et qu’il me
baillast des Gens d'armes, et que je leverayle siège d’Or-
léans, et le meneray sacrer à Rheims. » — Lesquelles
choses Messire Robert réputa à une mocquerie et dé-
rision, et luy sembla qu’elle seroit bonne pour ses gens
à se divertir et esbattre en pesché charnel : mesmes il
» y en eust aulcuns qui avoient volonté d’y essayer, mais
aussitost qu’ils la voyoient, ils éloient refroidis. »
Ainsi Jeanne, dès le début, a rencontré l’outrage à
Vaucouleurs. Elle rencontrera le dédain à Chinon.-Elle
devra se soumettre, à Poitiers, à l’examen des théologiens
et des matrones.— « Il yeust un Docteur en théologie qui
» Juy va dire : «— Jeanne, vous demandez des Gens d'armes,
» et pourtant vous dites que c’est le plaisir de Dieu que
» les Anglois laissent le Royaume de France, et s’en ail-
» lent en leur pays. Si cela est, il ne faut point de Gens
» d'armes: car le seul plaisir de Dieu les peut destruire
» et faire aller en leur pays. » — À quoy elle respondit
» qu’elle demandoit des gens, non mie en grand nombre,
» lesquels combattroient, et Dieu donneroit la victoire. »
55
YO vs 2 œ S v >
5
D 2
454 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
— Après cette réponse, où la fille des champs se montra
meilleure théologienne qu'un docteur, ôn la laissa partir
avec indifférence, et en ne risquant pour elle qu’une petite
troupe d'hommes de bonne volonté, qui avaient rougi à
l’idée de paraitre moins hardis qu’une femme.
Cependant son incompréhensible assurance dans le con-
seil, son intrépidité virile sur la brèche, sa blessure souf-
ferte sans pâlir, enflamment les imaginations et relèvent
les courages. Orléans est délivré : le miracle est accompli.
La marche sur Reims est un triomphe; les soldats nais-
sent sous le fier regard de Jeanne et accourent en foule
se ranger Sous la bannière de Charles VIL L’élan est
revenu à la France, et l'Anglais commence celte retraite
qui ne s’arrêlera qu'aux murs de Calais.
Quelle sera la récompense de Jeanne? — Elle n’en
demande pas. Sa mission est terminée; elle a fait voir
que le ciel vient en aide à ceux qui savent s’aider eux-
mêmes. C’est aux grands désormais à aviser et à agir.
Elle voudrait qu’on la laissât rentrer à son village. Son
instinct lui dit que la victoire va ramener les ambitions,
les intrigues, les jalousies, l’insolence et l’ingratitude,
et qu'une villageoise n’a rien à faire dans une cour ras-
surée. Cependant elle se laisse retenir, et, peu de mois
après, elle tombe blessée entre les mains d’un ennemi
humilié et furieux de sa soudaine et inexplicable défaite.
Si Charles VIT eût été un homme, il eût rendu aux
Anglais, pour délivrer Jeanne, tout ce que l’ascendant
de cette noble fille lui avait fait reconquérir. — Non. —
Pendant une année entière que durèrent la captivité et
Vignoble procès de la pauvre pucelle, Charles ne semble
pas s'être ému un seul instant. — Si fait: il élait très-
ému, mais pour autre chose... — La belle Agnès Sorel
venait précisément de se présenter à sa cour en sup-
pliante, et Charles était absorbé tout entier dans la re-
LOUIS XI ET SES CONTEMPORAINS. 439
cherche des moyens de faire payer à celte jeune fille la
grâce qu'elle était venue imprudemment solliciter.
L’éclatant service que Jeanne avait rendu, les tortures
morales qu’elle avait eu à endurer de la part de ce hideux
tribunal de théologiens, présidé par l’évêque de Beau-
vais, l’abominable supplice du bûcher de Rouen où elle
fut altachée vive, et où le bourreau anglais exécuta
l’ordre infâme de retirer pour un moment le feu en ar-
rière, après la combustion de la chemise du Saint-Office,
« afin qu’elle feut veue de tout le peuple Loute nue, avec
» les secrets qui peuvent ou doivent être en femme... »,
tout fut mis en oubli, et l’on est aulorisé à croire qu’il
fut interdit d'en parler pendant vingt ans. Ce ne fut
qu’en 1450, après son entrée à Rouen, que Charles VII
comprit, aux manifestations qui accompagnérent son
triomphe, qu’il devait quelque chose au sentiment popu-
laire el à la mémoire de Jeanne. Elle avait été brülée
comme sorcière ; il ordonna la révision de son procès. Il
fallut s’y prendre à trois fois, dans cet admirable siècle,
pour qu'un tribunal ecclésiastique, jugeant au nom du
roi de France, se résignât à infirmer le jugement inique
ou absurde d’un tribunal ecclésiastique jugeant au nom
du roi d'Angleterre. Encore fallut-il torturer le sens des
pièces du procès, afin que l’orthodoxie n’eût pas même
l'air de fléchir. Il fut enfin déclaré juridiquement que
Jeanne Darc ne s’était pas servi de maléfices pour sauver
la France, et le silence se fit de nouveau sur elle.
Les siècles suivants ont à peine parlé de Jeanne, et ils
eussent mieux fait de n’en pas parler du tout. Ïl appar-
tenait au dix-neuvième siècle de reconnaître l'héroïne, de
- Ja comprendre et de l’honorer dignement. C’est un très-
grand honneur pour le dix-neuvième siècle de lavoir fail.
Cette Jeanne Darc, réputée sorcière par ses contempo-
436 HISTOIRE. —— ARCHÉOLOGIE.
rains, condamnée par les gens d'église comme hérétique,
relapse, aposlate, idolâtre, et brûlée par les Anglais;
accusée d’imposture par les douteurs de la Renaissance;
lourdement chantée par Chapelain, si malheureusement
persiflée par la jeunesse de Voltaire; triomphante aujour-
d’hui, et célébrée, non-seulement par nos historiens, nos
artistes et nos poêles, mais aussi par l’allemand Schiller
et par l’anglais Southey; celte naïve fille, au cœur chaud,
à l’enthousiasme sensé, au dévouement désintéressé, qui
court mettre son épée au service d’une cause juste, qui
verse son sang pour une idée, cette sainte martyre des
pharisiens, qui ne sera jamais canonisée, ne serait-ce
point la France elle-même? — Non pas la France des
privilégiés, mais la France de tout le monde, la vraie fille
de Jacques Bonhomme, choisie entre toutes les nations
pour annoncer la seconde délivrance, proclamant partout
l’idée sacrée, et vainement immolée un jour à Waterloo!
Metz, 24 février 1862.
DOCUMENTS
POUR SERVIR
À L’'HISTOIRE DE METZ,
AVEC
NOTES EXPLICATIVES,
PAR M. F.-M. CHABERT.
Pièces authentiques qui attribuent le titre d’aman /notaire)
à Abraham Fabert, maître-échevin de la ville de Metz.
En parcourant différentes liasses, dans le but d’accroître
les renseignements que nous avons recueillis sur linsti-
tution des amans' à Metz, qui avait atteint de remar-
quables progrès dès la seconde moitié du douzième siècle,
nous avons rencontré les deux actes ci-dessous littéralement
transcrits. Leur lecture révèle un fait historique inédit et
rappelle la mémoire d’une des plus pures illustrations de
la cité, Abraham Fabert, qui fut cinq fois maîlre-échevin.
Leur découverte a de plus pour nous un attrait tout
particulier ; car ces pièces authentiques nous autorisent
‘ Les amans, ainsi appelés du mot latin amanuensis, écrivain,
secrétaire, remplissaient, du temps de la république messine, des
fonctions analogues à celles exercées maintenant par les notaires.
438 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
à ajouter à la liste trés-recommandable des notaires du
vieux Metz, le nom d’un citoyen dont les vertus antiques
étaient bien dignes d’honorer une profession aussi rap-
prochée de la magistrature.
4
€ Requeste de Monsieur de Moulin (sic), Maitre Eschevin.
(Copiée sur l'original )».
» À Messieurs
» Messieurs du Grand Conseil.
» Remontre le sieur Fabert, sieur de Moulin?, Maitre
» Eschevin de cette ville de Metz, qu'ayant esté pourveu
» ci deuant de l’Amandelerye * de Sainct Medar #, lors
» vacante par le decedz du feu sieur Sartorius”, en con-
» sideration des services rendus au public par le remon-
» trant, il auoit pris tout le soin à luy possible pour re-
» mettre les titres de l’Arche® en bon ordre; mais comme
» son grand aage et le nombre d’affaires qui suruiennent
» Journellement ou son assiduilé est requise et necessaire,
* Mon cabinet. Achat à la vente des manuscrits de M. Emmery.
* Abraham Fabert avait reçu de son père, Dominique Fabert,
directeur de l'imprimerie ducale de Lorraine, le domaine de
Moulins-lès-Metz. Il prenait, dans les actes publics, le titre de
seigneur de ce lieu.
3 Titre de l'office possédé par les amans.
4 Sur la paroisse placée sous l’invocation de ce saint. Cette
église était située dans la rue (maisons ne 4 et voisines) qui porte
encore aujourd'hui le nom de Saint-Médard.
$ Ancienne famille messine. Voyez carton En oEne de la
BONE de la ville. Coté 1.
® Cabinet voûté où.les amans gardaient le dépôt des minutes des
contrats.
© YO Y% % vw
)
S
DOCUMENTS FOUR L’HISTOIRE DE METZ. 439
ne luy permettent pas d’en continuer lexercice ", ce
considéré, Messieurs, il vous plaira avoir agreable la
demission volontaire qu’il en faic! en vos mains, et en
pourueoir M. Abel Messatte, bourgeois originaire de
cetle ville, qui par l'experience qu’il s’est acquise en
affaires et en la pratique, s’est rendu capable de
l'exercice de la dite charge. Et vous obligerés le re-
montrant à vous continuer ses seruices. »
Ainsi signé : « A. FaBERT, MESSATTE. »
2.
Lettres de prouision de l’Amandelerye de Sainct Médar
pour le sieur Abel Messalle.
(Copiées sar la minute; ?.
» Les gens du magistrat de la Ville et Cité de Metz, a
tous qu’il appartiendra, salut. Sur la requeste pre-
sentée par le sieur Fabert, sieur de Moulin, Conseiller
du Roy et Maitre Escheuin de la ditte Ville, vu que le
grand aage auquel il est parvenu et l’assiduité requise
en l'exercice de laditte charge de Maitre Eschevin, ne
lui peuvent permettre de faire les fonctions de l’ama-
delerye de Sainct Médar dont il auoit esté pourueu, il
a estimé à propos pour le bien public, de s’en demeltre
* Pendant la plus grande partie du mois de juin 1638, Abraham
Fabert avait été empêché, pour cause de maladie, de présider les
assemblées du Grand Conseil et de l'Etat de la cité. (Archives de
J’hôtel de ville. A. 25.)
Abraham Fabert avait deux fils, l’un et l’autre avaient embrassé
la carrière des armes : François Fabert, seigneur de Moulins et de
Schelaincourt, commissaire d’artillerie, devenu lui-rnême maître-
échevin (14 mars 1659 — 6 février 1665) ; et Abraham Fabert fait
maréchal de France en 1658.
2 M.c.
440 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
9 OV» VS SV ST ST TS
en nos mains, requerant qu'il uous plaise y pourueoir
M. Abel Messatte, bougeois originaire de cette ville,
qui par vsage et l’experience qu'il s’est depuis quel-
ques années acquis en la pratique s’est rendu capable
de laditte charge. |
» Nous, ayant esgard aux longs et signalés services
rendus par ledit sieur de Moulin et en consideration
de la charge de la magistrature, dont il est honoré
depuis longtemps ; bien informé d’ailleurs des sens,
suffisance, loyauté, probité et capacité du dit sieur
Messatte, et de son affection, fidelité et bonne diligence,
AVONS à iceluy, pour ces causes et autres consideralions
à ce nous mouvant, ACCORDÉ ET CONFERÉ laditte
charge et amandelerye de Sainct Medar, pour la tenir et
exercer des à present par ledit sieur Messatte, en qualité
de chef et directeur" aux honneurs, franchises, profits,
priuileges, emolumens, prerogatiues et indemnités qui
en depéndent et y sont attribuées, dont jouyssoit et
pouuoit jouyr ledit sieur de Moulin, et dont jouyssent
tous amahs de la cité, ayant ledit sieur Messaite presté
le serment de fidelité * requis et accoustumé en l’as-
semblée du Grand Conseil tenue cejourd’huy. En tes-
moin de quoy sont les presentes scellées du grand scel
de la ditte Cité et soubsignées par le secretaire et gref-
fier” d’icelle.
: Chaque aman directeur avait un adjoint.
? N'est-ce pas là la véritable signification du mot latin hominium,
dont Meurisse a tiré si légèrement la conséquence que les évêques
de Metz avaient été les maîtres et les souverains dela ville. /Histoire
des Évêques de l’église de Metz, 1639, pag. 429.)
Les Bénédictins, auteurs de l'Histoire de Metz, qui, certes,
étaient aussi intéressés que le prélat de Madaure, à faire prévaloir
cette opinion, sielle eût été fondée, l’ont, au contraire, combattue
avec avantage. T. II, pag. 336.
$ La place de secrétaire et greffier de la cité qui, avant 1552,
DOCUMENTS POUR L'HISTOIRE DE METZ. 441
» Données à Metz, l’an de grace mil six cent trente huit
» le premier jour de Juillet '. »
Le maître-échevin Abraham Fabert ne survécut que
quelques semaines ; il mourut en exercice le 24 août
1638. Son corps reçut la sépulture dans l’église cathé-
drale.
La requête et les lettres de provision qui précèdent,
confirmeraient, s’il était nécessaire, le sentiment -des
écrivains qui donnent Abraham Fabert comme maître-
échevin en 1638 *. Suivant l’érudit secrétaire perpétuel
de l’ancienne Académie royale, Dupré de Geneste, la
cinquième et dernière installation d'Abraham Fabert à la
première place de l’administration municipale avait eu
lieu le 7 juin 1637.
équivalait à une secrétairerie d’Etat, avait conservé encore une
certaine importance sous le protectorat de la France.
* La nomination d’Abel Messaite à l’amandelerie de Saint-
Médard, comme successeur immédiat d'Abraham Fahert, se trouve
consignée de la manière suivante sur le registre municipal :
&« Du premier Juillet 1638, en l’assemblée du Grand Conseil.
» L’Amandelerie de Sainct Médar dont Monsieur Fabert, sr de
Moulin, présentement Me Eschevin, s’est volontairement demis a
cause de son grand aage, a esté a sa requeste conferée au sieur Abel
Messatte bourgeois de cette ville de Metz, qui a presté le serment
en ce cas requis; est ordonné que les lettres lui en seront expé-
diées. » |
* Il existe au cabinet impérial des médaïlles, à Paris, un jeton
en argent bas, du module de 27 millimètres, au millésime de 1638.
Ce jeton porte: #& ABR. FABERT. Mre ESCHEVIN:DE:METZ.
1638; grenetis et filet. Dans le champ, l’écu de la ville de forme
ovale et posé sur un cartouche. — Au revers, on lit: & A°LA:
VERTV:RIEN:NEST-INACCESSIBLE ; grenetis et filet concen-
triques. L’écusson de Fabert sans orle : d’azur à l’hercule de
carnation couvert d’une peau de lion d’or se soutenant du bras
dextre sur une massue de même, accosté de huit grenades d’or à
queues et à feuilles de même. Casque et cordon de Saint-Mfichel.
Abraham Fabert avait été décoré du collier de cet ordre en 1630.
56
449 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
Il est regrettable que les listes, même les plus com-
plètes, des maitres-échevins qui ont été établies, ne soient
pas toujours d'accord avec certains documents impor-
tants et historiques. Le registre des créations de Messieurs
les Maîtres-Echevins de la ville et cité de Metz' commence
seulement au 16 juin 1641.
IT.
Extraits des Registres des délibérations du Grand Conseil de la
cité de Metz”. Années 1636-1640.
Ayant eu occasion de faire des recherches nombreuses
dans les registres destinés à constater les résolutions du
Grand Conseil de la ville de Metz, nous avons trouvé
des documents importants pour l’histoire de la cité. Les
résolutions qui ont été arrêtées au dix-septième siècle,
contiennent des détails précieux sur les principaux évé-
nements de cette époque. Il serait à désirer qu’une
personne studieuse et ayant des loisirs prît le soin de
dépouiller les registres déposés aux archives munici-
pales et fit une briève analyse, au moins, des faits
les plus saillants et les plus utiles à connaître pour
l’histoire de la province.
Nous nous contenterons, pour cette fois, de donner
quelques extraits des résolutions du Grand Conseil et de
l'Etat de la ville de Metz, de 1636 à 1640.
* Bibliothèque municipale. MS. 1 et 2. — Consulter l’armorial
manuscrit dû aux patientes recherches de M. Adolphe Malherbe,
bibliothécaire adjoint.
* Archives de l’hôtel de ville: A. 95.
DOCUMENTS POUR L’HISTOIRE DE METZ. 443
4.
« Extrail du registre des résolutions prises ez Assemblées
du Grand Conseil et de l'Etat de Metz. »
Ce registre commence le 24 octobre 1636. Monsieur
Philippe Praillon, Conseiller du Roy, Seigneur de Sorbé,
Tragny, et autres lieux, estant lors Me Eschevin ‘. Le dit
registre finit le 40 mai 1638. (A. 25. °°.)
« Du XVI Décembre 1636, en l'assemblée du Grand Conseil. »
TAXE DES VINS.
€ Ayant mis en considération la qualité et la quantité
des vins de la récolle dernière comme aussy la cherté des
viures et autres denrées nécessaire à la nourriture et en-
tretien des vignerons, le charal de vin liuré a compte
d’hoste dans Ja ville de Metz au cours de la dite vendange
dernière, a esté taxé soixante six francs messins ; et celui
qui a esté liuré dans le pays à soixante fr. dile monnoye,
le vin blanc procédant de raisins autres que des auxerrois
et fromentaux demeurant reduit a dix francs moins le
charal. »
" Philippe Praillon était entré en charge en septembre 1633, il
sortit en juin 1637. Il fut de nouveau élu en janvier 1639, après
l'intérim d'Antoine Guichard, lieutenant du maître-échevin Abraham
Fabert, qui avait exercé ces fonctions pendant cinq mois sans être
titulaire /a/. Philippe Praillon quitta cette dignité en avril 1640.
[a) « Da vingt cinquiesme aoust mil six cent trente huit en l'assemblée du Grand
Conseil où assistait M. de Roquespine, lieutenant de Monseigneur l’Eminentissime
Cardinal de la Valette en son gouvernement.
» Le sieur Guichard, lieutenant de Monsieur le M° Eschevin, a esté prié de faire
les fonctions de la charge de M9 Eschevin vacante par la mort de Monsieur Fabert
s® de Moulin décédé le 24 de ce moys, en attendant qu'il ayt plu à Monseigneur
l'Eminentissime Cardinal de la Valette y pourucoir; ce que le dict sieur Guichard a.
accepté et a promis de sen acquitter dignement. »
(Registre du 18 mai 1638 au 21 juin 1639.)
444 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
DÉPUTATION A M. LE CARDINAL DE LA VALETTE.
« Ïl a esté arrêté et résolu d'envoyer vers Monseigneur
l'Eminentissime Cardinal de la Valette, Nre Gouverneur ‘
a son arrivée au Pont a Mousson, tesmoigner à son Emi-
nence la joye et le contentement que tous les habitants
de cette ville reçoivent de l’heureux succès des Armes du
Roy qu’elle commande * : et par mesme moyen rendre
les deuoirs à Monseigneur le Duc de Candale, son frère,
qui doibt pareïllement arriver en cette ville ; les sieurs
Aubertin et Goflin, treize et changeur, ayant esté nom-
Il devint, l’année suivante, lieutenant général au bailliage de Metz;
il avait été reçu avocat au parlement de cette ville le 6 février 1634.
C’est de lui que Meurisse a dit dans son histoire de l’hérésie : « Le
» lieutenant général Philippe Praillon, homme de mérite et de
» considération, est issu d’une des plus anciennes et des plus
» catholiques familles de Metz. »
Philippe Praillon était possesseur des Grandes Chroniques de
Metz, ainsi qu’il résulte de ce passage tiré des Observations sécu-
laires de Paul Ferry: « A l’an 1323 commencent jusques à l’an 1497
» inclus, ou finissent les Grandes Chroniques de Metz, qui appar-
» tenaient à feu M. Praillon, lieutenant général au baillage et
» siége royal de Metz; et depuis sa mort sont à M. Kolb de War-
» temberg, gentilhomme du Palatinat, qui a acheté sa bibliothèque
» de son héritier. » Ces chroniques ont retenu le nom de Praillon,
comme si un membre de cette famille en avait été le rédacteur.
Philippe Praillon décéda à Metz le 11 octobre 1645, et fut inhumé
dans l’église Saint-Martin, où étaient déjà enterrés ses père, mère,
grand-père et grand'mère. (Registre des actes religieux de ladite
paroisse, année 1645.)
Armes : de gueules à la bande d’argent , chargée d’une coquille
de sable entre deux roses de gueules.
: Le cardinal de la Valette avait succédé, le 13 mars 14635, dans
le gouvernement militaire des Trois- Evêchés, à son frère aîné, le
duc de la Valette, qui avait été nommé à ce poste l’année 1613, en
survivance du duc d’Epernon, leur père.
* Le cardinal avait remporté quelques avantages en Allemagne.
DOCUMENTS POUR L’HISTOIRE DE METZ. 445
més pour faire le voyage et veoir M. de Roquespine pour
apprendre de luy l’ordre qui doibt estre tenu a la récep-
tion de sa dite Eminence. »
« Du deuxième Janvier 1637 en l’assemblée de l’Estat. »
TRANSLATION DU PARLEMENT A TOUL.
« Lecture a esté faicte des lettres du Roy adressées a
Messieurs de la Cour de Parlement, a Messieurs les Aduo-
cats et Procureurs généraulx, a Monsieur le Premier Pré-
sident touchant la translation de lad. Cour de ceste ville
de Metz en celle de Thoul', comme semblablemt d’vne
autre lettre a mesmes fins escripte par Sa Majesté a
Monseigneur l’Eminentissime le Cardinal de la Valette
Nre Gouverneur. Lad. lecture faicte suiuant l’ordre que
Monsieur le Me Echevin en a de son Eminence. »
« Du dernier Juin 1637, en l’assemblée de Messieurs
les Me Eschevin et Treize. »
MONNAIE.
« Sur ce qui a esté proposé que quelque particulier se
présente demandant qu’il luy soit permis de faire fondre et
reduire en monnoye à la Monnoye de cette Ville certaine
quantité de Billon a luy appartenant soubs les offres qu'il
faict de payer les droits ordinaires qui en doiuent reuenir
à la Cité, l'affaire ayant esté mise en délibération, il a
eslé arresté et resolu, attendu qu’il n'y a eu aucune def-
fence de continuer l’usage de ladite monnoye”, que per-
" Le parlement fit son entrée solennelle dans la ville de Toul le
jeudi 12 avril 4627. Voyez Histoire du parlement de Metz, par
M. Emmanuel Michel, 1845, p. 65 et suivantes. — Mémoires de
l’Académie impériale de Metz, 1852-1853, t. II, p. 291.
? La monnaie de la cité de Metz ne prit les types royaux
qu'après l’arrêt du conseil du roi du 11 janvier 1663, portant
446 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
mission sera donnée au dit particulier de faire fondre son
Billou et iceluy faire reduire en monnoye à la Monnoye
de cette ville, a charge des droits appartenant à la cité. »
«a Du 7 Août 1637 en l’assemblée du Grand Conseil. »
M. RIGAULT, INTENDANT À METZ‘.
« Sur la propoon (proposition) faicte qu’il est impor-
lant de pourueoir tant au logement de Monsieur Rigault,
Intendant de la Justice envoyé par le Roy en ceste Ville
pour administrer la justice entre bourgeois et soldats *
qu'à une salle pour tenir les audiences et y faire les
fonctions de sa charge ; il a élé résolu de prier le sieur
du Boys Chanoine et Aumosnier de l’esglise Cathedrale
en la volonté qu’il a tesmoigné auoir de loger mond sieur
Rigault en sa maison, et que pour lui en faciliter le moyen
seront faictes aux frais de la Ville les reparations néces-
défense à la ville de faire fabriquer de la monnaie à son coin.
Trois années plus tard, eut lieu la première émission des monnaies
royales frappées à l'hôtel de Metz. Louis XIV interdit définitive-
ment le cours des monnaies messines par arrêt du 5 mai 1695.
* Après le transfert du parlement de Metz dans la ville de
Toul, l’évêché de Metz avait été détaché de l’intendance de Lor-
raine sur les instances du cardinal de la Valette. Le roi avait
nommé, par lettres patentes datées du 24 mai 4637, Nicolas Rigault,
intendant de la justice et police de la ville de Metz et terres de
l'Évêché en l'étendue du gouvernement. Ce magistrat conserva ces
fonctions jusqu'en 164, époque à laquelle les Évéchés furent
de nouveau réunis à l’intendance de Lorraine.
? Les lettres patentes accordées à Nicolas Rigault lui donnaient
le droit de se faire assister de six gradués et de juger souveraine-
ment dans tous les cas de sédition et de différends /Recueil des
édits du parlement de Metz, t. 1er, p. 337-340). Ce droit, conféré
à l’intendant, enlevait à la juridiction du parlement, alors siégeant
à Toul, l'autorité dans la partie du territoire sur laquelle s’étendait
le commandement du cardinal de la Valette.
DOCUMENTS POUR L’HISTOIRE DE METZ. 447
saires aux appartts qu’il luy donnera en sad. maison el
quant a la salle de l’auditoir luy sera fait offre de celle
qui est en la maison du sieur de Mircourt.
» Les sieurs Goffin et Tyssier estant commis a cet effet
auec le tresorier de la cité. »
MAISON DE LA CORNUE GELINE.
« Estant nécessaire de irauailler aux réparations qui
sont à faire en la maison de la Cornue Geline' pour la
rendre en estat d’y loger les pauvres malades, le sieur
Pied trèze et l’un des Mrs des Moulins est commis et au-
thorisé pour recognoistre les réparations qui sont a faire
dans lad. maison, et laisser l’ouurage au rabbais.
RÉSOLUTIONS DIVERSES AU SUJET DU LOGEMENT DÙÛ
A M. L'INTENDANT RIGAULT,
« Du XXVIe Août 1637, en l’assemblée de l’Estat.
« Les sieurs de Serières et Lombard ont esté commis et
priés de voir M. Rigault (nouvellement arrivé) Intendant
pour le Roy ez justices de la Ville et Evêché de Metz, pour
trailer avec luy de son logement et ameublement. »
« Du premier septembre 1637. »
« M. de Roquepine lieutenant de Monseigneur l’Emi-
nentissime Cardinal de la Valette en son Gouvernement,
a faict entendre qu’il falloit pourueoir au logement de
M. Rigault, Intendant pour le Roy en la Ville et Euesché
de Metz, et a l’ameublement d’iceluy aux frais de la ville.
La compagnie ayant jugé que cela seroit grande charge
à la Ville a trouvé bon d'offrir a mondit sieur Rigault la
somme de cent pistolles pour une fois a charge que la Ville
demeurera deschargée desdits logement etameublement. »
t Hôpital situé dans l’île Chambière.
418 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
« Du 29 octobre 1637, en l'assemblée de Messieurs les
Me Eschevin et Treize. »
« Sur ce que M. l'Intendant (Rigaul) a fait entendre
que les cent pistolles qui luy ont esté cy deuant deliurées
pour fournir aux choses nécessaires a son logement et
ameublement n’y ont peu suffire, demandant que les frais
qu’il a commencé faire pour les vitres el chassis, pour
quelques ferrailles et menuiserie et pour quelques pein-
tures soient encore payées des mesmes deniers de la ville,
il a esté resolu et arresté pour donner consentement a
mond. sieur Rigault que les sieurs de Serières et Lom-
bard treize et tresorier de la Cité dechargeront des par-
tyes des menuisiers, peintres, serruriers et vitriers qui ont
trauaillé aud. logement pour les regler et arrester ; ce fait
sera pourvu au payement. »
« Du vingtquatrième novembre 1637 en l’assemblée du
Grand Conseil. »
« Pour ayder les pères Capucins Recollets a passer la
rigueur de l’hiuer, est ordonné que pour cette fois 1l sera
donné a chacun des couuents un demy millier de Boys qui
sera payé des deniers publicqs. »
TAXE DES VINS.
« Ayant mis en consideration la qualité et quantité des
vins de la recolte derniere, le prix auquel il a esté vendu
ez marchés derniers sur la Tappe, ‘ ensemble la cherté du
bled dont les vignerons se sont nourris pendant l’année
‘ Anciennement c'était coutume à Metz, au jour de saint Martin,
que les jaugeurs-jurés vinssent fapper le vin, en face de la place
Saint-Jacques, près de la rue actuelle du Commerce, où existait,
il y a quelques années encore, la rue des Tappes. Gette expression,
tapper le vin, signifiait que le prix de la hotte due pour payer les
DOCUMENTS POUR L’HISTOIRE DE METZ. 449
dernière, le charal de vin liuré a compte d’hoste au cours
de la vendange dernière en cette ville de Metz est taxée
a trente six francs et celuy qui a esté huré ez villages du
pays a 33 fr. en consideralion des voitures le vin blanc
de raisins blancs estant reduit a dix francs moins sur le
charal. »
ARRACHEMENT DES VIGNES.
« Sur la proposition faicte que le grand nombre des
vignes plantées dans le pays depuis quelques années cause
une ruyne aux parliculiers qui les ont eslevées et vn
interrest notable au public, en ce que quantité de terres
qui pourroyent rapporter du bled sont plantées de vignes
qui rapportent du vin de peu de valeur; l'affaire ayant
esté mise en délibération et ouy le Procureur du Roy,
il a esté arresté et résolu que les ordonnances faictes et
publiées ez années 1617 et 1625 porlantes injonction d’ar-
racher les visnes plantées dix ans avant lad. année 1617,
seront exécutées. Avant quoy en sera conféré avec M. de
Roquepine, avec M. l’Intendant et avec Messieurs de
l'Etat". »
ceps, était fixée à tant, par ordre de M. le Maître-Échevin et de
son Conseil. Les jaugeurs-jurés, chargés de cet office, étaient
appelés les Tapenards, autrement dit Jaugeurs tappiers.
: Le commerce des vins était d’une grande importance dans le
pays messin. Mais dès le commencement du dix-septième siècle,
il était devenu nécessaire de combattre avec énergie la cupidité
des vignerons qui, ne voyant que l’avantage du moment, avaient
enlevé à la culture du blé quantité d’arpents d’excellente terre
labourable, spécialement dans les quatre mairies du val de Metz et
dans les villages du territoire de Gorze, et avaient introduit des
plants médiocres ou des modes dangereux de culture. Comme ces
ordonnances s’exécutaient difficilement, les magistrats de la cité
avaient été contraints de les confirmer par des décisions nouvelles
et plus sévères. Le parlement de Metz dut lui-même prêter le
97
450 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
«a Du 7 mai 1638" En l’assemblée du Grand Conseil. »
MONNAIE.
« Sur ce qui a esté representé, que pour ne pas né-
gliger la grace qu’il a pleu a Monseigneur l’eminentissime
Cardinal de la Valette, notre Gouverneur, obtenir du Roy,
en faveur de cette ville a laquelle sa Majesté continue les
Droits et Vsages qui lui appartiennent de fabriquer mon-
noye, il importe d'y faire travailler incessament et sans
delay : L’affaire ayant esté mise en délibération, après
avoir examiné les raisons du sieur Braconnier et autres
personnes versées et bien entendues au fait des monnoyes,
et ouy le Procureur du Roy;
» Il a été arresté et resolu que le dit sieur Braconnier
Maitre de la Monnoye fera fabriquer nécessairement et sans
intermission sous les coings dont les modèles ont esté re-
presentes des Reistalars * du poids de sept trezeaux * et
demy qui tiendront dix deniers quatorze grains de fin,
comme aussi des demis, quarts et huitièmes à l’équipo-
lent ‘;
concours de son autorité, et rendit de nombreux arrêts dans le but
de maintenir la réputation vinicole du pays.
‘ Cette note n’a pas été consignée par M. de Saulcy dans ses
Recherches sur les monnaies de la cité de Metz.
« ? Reïstallar ou reistalair dans d’autres ordonnances munici-
pales de la même année. C’est le thaler ou rixthaler gros écu d’ori-
gine germanique.
Les demi-thalers et les quarts de thalers sont extrêmement rares.
? Dupré de Geneste, dans ses travaux numismatiques, demeurés
manuscrits, dit qu'on nommait ainsi à Metz le gros de poids valant
3 deniers ou 72 grains.
4 Par autre délibération du Conseil de la cité signée au registre
(A. 25. 28.), par À. Fabert, maître-échevin, à la date du 26 mai
1638, le sieur Raphaël Braconnier, maître de la monnaie, avait été
autorisé « pour donner un libre cours à la monnaie de Metz, par
DOCUMENTS POUR L'HISTOIRE DE METZ. 4DÂ
» Et afin que le peuple puisse tirer du soulagement de
la fabrique des dites monnoyes, sera notifié par affiches
publicques a tous ceux qui ont du billon de sen accomoder
avec le dit sieur Maistre de la monnoye si bon leur semble
pour en faire espèces. »
2.
« Extrait du Registre des Résolutions prises ez assemblées
de l’Elat et du Grand Conseil de la cilé de Metz. »
M. Philippe Praillon, sieur de Tragny, Sorbé, etc., maître-
échevin jusqu’en avril 1640.
M. Adrien de Bonnefoi' figure pour la première fois le
4 mai 1640.
Le registre commence le 22 juin 1639 et finit par une
délibération prise en l’assemblée de l'Etat datée du 8 no-
vembre 1640. (A. 25.°°.)
« Du 22 Juin 1639, en l'assemblée de Messieurs les Me Eschevins
et Treize. »
CORVÉE DES JUIFS. — 73 FAMILLES A METZ.
« Pour donner moyen a ceux qui trauaillent continuel-
lement aux crouées est ordonné que les Juifs habitans de
cette ville, qui ont demandé d’en estre exemptés payeront
pour chacune famille qui sont en nombre de seplante
toutes les provinces étrangères, à forger des florins d’or et des
reistallars au même titre et poids que ceux qui se forgeaient dans
les villes impériales. »
* Adrien de Bonnefoi, seigneur de Saint-Marcel, chevalier de
l'Ordre du Roi, fut élu le 24 avril 1640. En cette année même,
le titre de maitre-échevin fut remplacé par celui de maire (Histoire
de Metz, par des religieux Bénédictins, t. II, p. 363); mais les
Messins persistèrent à appliquer à leur premier magistrat l’antique
452 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
trois" au lieu de leurs crouées * sept sols six deniers pour
chacune fois, lesquels deniers seront employés tant aux
payement des mailles que de quelques commis qui sont
employés journellement à les changer et distribuer, et
ce à raison de vingt gros pour chacune journée, comme
semblablement seront les Bannerots * payés à la mesme
raison de vingt gros par Jour sur les deniers qui se leue-
ront des amandes de ceux qui seront deffaillans aux d.
crouées, lesquels seront a cest effet spécialement obligés
et affectés. »
« Du trentiesme Juillet 1639, en l’assemblée de l’Estat. »
DÉPUTATION VERS LE ROY À MOUSSON.
« Monsieur le Me Escheuin a dit qu’il a aduis que Île
dénomination. Il existe des documents relatifs à la famille de Bonnefoi
dans les cartons généalogiques de la Bibliothèque de la ville.
Armes : d’azur au dextrochère et au senestrochère de carnation,
vêtus et gantés d’or, tenant une épée d’argent emmanchée d’or,
accostée en chef de deux mains aussi de carnation, posée en che-
vron. Devise: Elle est en bonnes mains. Cette devise est reproduite
sur les jetons qu’Adrien de Bonnefoi a fait frapper. {Recherches sur
les monnaies et les jetons des maîtres-échevins de Metz, par
M. Robert. 1853, p. 42-43.)
‘ En 1614, on comptait à Metz cinquante-huit familles juives
seulement. Elles étaient toutes issues des quatre familles qui avaient
été admises à résider dans la ville en 1557, sous certaines con-
ditions. Il avait été permis à ceux de cette nation qui habitaient
Metz en1614, de posséder des maisons dans le quartier Saint-Ferroy.
Cette permission avait été renouvelée dix ans plus tard ; leur quartier
était limité par de grands crucifix en pierre incrustés dans les
murailles. Après l'établissement du parlement, la position des Juifs
à Metz s’améliora sensiblement, grâce à l'esprit de tolérance. Aussi
leur population s'était accrue rapidement en quelques années, bien
qu'on ne reçüûl dans la cité aucun juif étranger.
? Pour corvées.
3 Ils étaient les officiers des paroisses.
DOCUMENTS POUR L'’HISTOIRE DE METZ. 453
Roy ‘ approche de ces quartiers, et quainsy il est obligé
d’auoir soin de faire rendre les deuoirs dubs à Sa Majesté
en pareille occasion; sur quoy il a esté resolu de faire
vne députalion la plus honorable que faire se pourra sui-
vant les bons aduis et conseils qu’il plaira à Monsieur de
Roquepine en donner, et sera recognu sur la recepte
publique les moyens qu’il y aura de fournir aux frais de
la ditte députation.
» Le cinquième aoust 1639, ï a eslé arresté et resolu
de rendre la députation qui doibt estre faicte vers le Roy,
la plus solennelle que l’Estat present des affaires le pourra
permettre *; À l’effet de quoy, Monsieur le Me Escheuin a
eslé prié de faire le voyage avec Monsieur Ledoven pour
le clergé, et Monsieur de Gournay pour la noblesse. »
« Du 22 août 1639, en l’assemblée de Messieurs les
Me Echeuin et Treize. v
PERMISSION DEMANDÉE AU REPRÉSENTANT DU GOUVERNEUR, EN
L’ABSENCE DE CELUI-CI, POUR ASSEMBLER L'ÉTAT DE LA CITÉ.
« Sur ce qui a élé proposé qu’il sembloit expédient
d'envoyer vers Monsieur de Villarceaux *, pour en exécu-
on des lettres du Roy expédiées à Mouzon l’unzième du
présent Moys, le supplier de nous faire déliurer du sel a
raison de cent francs le muid, suivant la reduction qu’il
" Louis XIII.
* Metz était épuisée par les gens de guerre qui occupaient son
territoire.
3 Anne Mangot, sieur de Villarceaux, etc., avait été nommé, sur
la fin de l’année 4636, intendant de Lorraine et des Évéchés de
Metz, Toul et pays messin, en remplacement de Louis Chantereau
Lefebvre. À. Mangot remplissait encore cette charge, lorsque le
roi détacha l’Évêché de Metz de l’Intendance de Lorraine, et institua
Nicolas Rigault, intendant de la justice et police de la ville et gou-
vernement de Metz.
454 HISTOIRE. —- ARCHÉOLOGIE.
a plu à Sa Majesté nous accorder par provision ; Après que
Messieurs les Treize ont dict que ceste affaire regardant
l’intercst de toute la communauté, ne pouvoit estre déli-
bérée par le Magistrat seul, attendu Pimportance d’icelle,
Il a esté arresté et resolu que Monsieur de Roquepine sera
supplié de permettre que l'Etat soit assemblé pour prendre
sur la dicte affaire telle résolution qu’au cas appartien-
dra. »
|
« Du deuxiesme Septembre 1639, en l’assemblée de l’Estat. »
GAGES DU PARLEMENT PAYÉS PAR LA CITÉ SUR BÉNÉFICE
PROVENANT DE LA VENTE DU SEL.
« Lecture a este faite des lettres, escripies par Mon-
sieur de Villarceaux le vingt huictiesme du moys passé,
par lesquelles il fait cognoistre que nonobstant les lettres
du Roy qui luy ordonnent de nous déliurer le sel a cent
francs messins le muid, il n’entend pas le délivrer qu’au
prix de cent quarante quatre francs barrois, et ouy Mon-
sieur le Procureur du Roy sur ce qu’il a négocié avec le
sieur Labriet député pour traiter avec le dit sieur de
Villarceaux et qui a dict qu’enfin Mondit sieur de Villar-
ceaux s’élait disposé de faire deliurer le sel à cent francs
barrois; Il a esté arresté et résolu de rappeller le dit sieur
Labriet demeuré à Nancy et de laisser au peuple la liberté
de se pouruoir de sel ou il pourra mieux.
» El cependant sera M. de Roquepine supplié très-
bumblement de vouloir en continuant envers le peuple les
effets de sa bienveillance escrire à Messieurs les Ministères
de l’Estat, pour representer la rigueur de laquelle M. de
Villarceaux continue d’vser envers nous touchant le prix
du sel afin que nous puissions jouyr du benefice qu’il a
pleu a Sa Majesté nous accorder; et en outre de vouloir
en repondant a la lettre qui lui a esté escrite par M. le
DOCUMENTS POUR L’HISTOIRE DE METZ. 455
Président Pinon, lui faire entendre que l’esperance qui
peut auoir cydeuant esté donnée à la cour de luy conti-
nuer le payement de ses gages * a élé sous condition
expresse que M. de Villarceaux nous délivreroil le sel à
tel prix que nous puissions percevoir sur le débit qui s’en
fera, ce qu’il conviendra pour le paiement desdits gages. »
« Du 12 Octobre 1639, en l'assemblée de l’Estat. »
FUNÉRAILLES DU CARDINAL DE LA VALETTE.
« Ayant esté proposé par Monsieur le Maitre Eschevin
qu'il importe d’aduiser à ce qui doit etre fait pour les
obsèques et funérailles de Monseigneur l’Eminentissime
*
" Jean Pinon, chevalier, seigneur d’Oncy et de Chocouin, avait
été l’un des commissaires nommés pour l'établissement du parle-
ment de Metz. Il était président à mortier en cette cour depuis le
4er septembre 1633. Ce magistrat, dont Gobineau de Montluisau
a fait grand éloge dans le quatrième acrostiche de sa Royale Thé-
mis, avait eu part à la rédaction du style et règlement pour l’abré-
viation des procès, publié par le parlement de Metz au mois de
janvier 1634.
? Louis XIII, par édit daté de Nancy, au mois de septembre 1633,
avait ordonné qu'il serait perçu cinq sols par pinte de sel se distri-
buant dans la province, et que le parlement en recevrait le produit.
Le 29 juillet 1634, un arrêt du Conseil était intervenu qui avait
autorisé les villes el les communautés des Trois-Évêchés à lever,
pour leur compte, l'impôt de cinq sols sur chaque pinte de sel,
sauf à elles de fournir proportionnellement au payement des gages
du parlement, en se conformant à l’état de répartition qui serait
dressé par un commissaire du roi.
Le 4er octobre 1639, la communauté de Metz n'ayant pu vaincre
la résistance de M. de Villarceaux, n'avait pas encore payé la
portion de gages qu’elle devait acquitter et qui s’élevait à trente mille
livres. La cour dut envoyer à Metz les conseillers Doumengin et
Bossuet pour contraindre les trois ordres de la ville à verser la
somme qui était due.
456 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
Cardinal de la Valette" ; il a esté arrêté et resolu de
rendre a la mémoire de son Eminence tous les honneurs
que faire se pourra et a cet effet de faire le service dans
l'Eglise Cathédrale par trois Jours consécutifs ; le premier
desquels commencera lundy prochain, les sieurs Tréso-
riers étant aulorisez de traiter avec ceux qui fourniront
les draps pour tapisser dans l’Église, ensemble la cire et
les armoiries. »
HABITS DES MORTS.
La sentence qui suit, a été donnée, sous forme de note
faite sur copie, dans le Recueil des édits du parlement
de Metz (T. Il, p. 144). Néanmoins, nous la reprodui-
sons, l'original sous les yeux, à cause des détails assez
curieux contenus dans la plainte adressée par les admi-
nistrateurs de l'hôpital Saint-Nicolas. Au reste, ce n’étail
pas la première fois que la légitimité du droit de tirer
les habits des morts, avail été contestée à l'établissement
hospitalier : notamment les maîtres du susdit hôpital
avaient dù réclamer auprès des magistrals, à propos de
quelques boutons d’or ayant fait partie de l'habillement
d’un sieur Robert de Heu et qu’on voulait retenir.
Voici en peu de mots quelle était l’origine du droit
concédé à l’hôpital Saint-Nicolas. Dès l’année 1222, la
remise du meilleur vêtement que laissait chacun à son
décès, sans aucune exceplion de sexe ni de qualité,
avait été prescrite pour payer les frais de construction
du pont, nommé depuis le Moyen-Pont ou pont des
* La mort avait surpris ce prélat guerroyant en Italie, non loin
de Turin.
Jean de Lambert, baron de Chatry, maréchal des camps et
armées du roi, fut appelé à remplacer le cardinal de la Valette en
qualité de gouverneur des ville et citadelle de Metz.
DOCUMENTS POUR L'HISTOIRE DE METZ. 457
Pucelles. Un atour (ordonnance municipale), daté de huit
jours avant la fête de saint Jean-Baptiste de lan 1289,
avait vendu à l'hôpital Saint-Nicolas cette contribution de
tirer les habits de ceux qui mouraient dans la ville ou
dans la banlieue, plus le droit des’ passages sur le pont
des Morts et le pont de Moulins, à charge par cet hô-
pital de payer onze cents livres messines, et, aprés six
années de paisible possession, de reconstruire ces ponts
de bois, en pierre, à raison d’un arche par an, et en
commençant par le pont des Morts qui a pris son nom
de l'impôt même au moyen duquel il a été bâti.
L'acte de 1282 avait été confirmé par un nouvel atour
donné par la ville en 1549.
En 1639, l’hôpital Saint-Nicolas, outre une possession
séculaire du revenu des. habits, présentait à l’appui de
ses prétentions des preuves nombreuses, toutes impor-
tantes et historiques. La concession du droit de tirer les
habits des morts qui avait élé faite et continuée à cet
établissement, était un dédommagement des grands sa-
crifices qu’il avait été obligé de s'imposer pour la cons-
truction des ponts et des dépenses que leur entretien
nécessitait.
« Du 12 Octobre 1639.
» Pardevant Messieurs des Trois Ordres de la Ville de
Metz.
» Veu le procès d’entre les sieurs maistres et Gouuer-
neurs de l’hospital Sainet Nicolas’ au neuf bourg de cette
ville de Metz, demandeurs poursuiuans leffect de cer-
* Voyez la Notice sur l’hôpital Saint-Nicolas, insérée dans
les Mémoires de l'Académie impériale de Metz. 1852-1853, t. II,
p. 273.
08
458 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
tain gagement et commandement fait a leur requeste,
d’une part,
» Et Jean Ferron marchand, joints à luy plusieurs
autes bourgeois de lad. ville, defendeurs opposans aux
ds commandement el gagement, d'autre part,
» Scavoir la demande formée par les demandeurs de-
uant Messieurs les Treize de la justice ordre de ceste
ville, contenant qu’en lade qualité de Mes et Adminis-
trateurs des droits dud. hospital scachons que led. défen-
deur refusait de porter ou faire porter audit hospital les
habits d’vne sienne fille décedée de maladie contagieuse
en l’année 1656, 1ls luy auroient fait commandement de
porter la meilleure robbe, la meilleure cotte et la meil-
leure coieffe d’or, qu’elle avait et qui estoyent à son vsage,
fondés en cela sur titres très anciens, sur vne possession
et vsage haut et prescrit et sur quelques arrests donnes
en parlemt' jusüfians que de toutes personnes indifera-
ment qui meurent et décedent dans la ville et faux bourgs
d’icelle, les meilleurs habits sont acquis et appartiennent
à l’hospital. Auquel commandement ledt Sr Ferron s'étant
opposé lesds demandeurs soutiennent iceluy debuoir sub-
sister et qu’en conservant le dit hospital en la possession
qui luy est acquise, il sera condamné et contraint porter
ou fe porter les meilleurs habits de sa de fille en la maison
dudit hospital.
» Et les ds defendeurs au contraire soustiennent les
ds demandeurs ne fondés a receuoir et pretendre les ha-
bits des enfants de famille d'autant qu’ils n’appartiennent
‘ Outre les deux arrêts qui seront plus loin rappelés, le parle-
ment avait encore rendu depuis deux autres arrêts, l’un daté du
4 juin 1635, l’autre du 12 janvier 1636, qui constataient également
le droit de tirer les habits des morts, établi en faveur de l'hôpital
Saint-Nicolas.
DOCUMENTS POUR L’HISTOIRE DE METZ. 459
point aux ds enfans et ne sont nullemt à eux; mais à
leurs pére et mére qui leur en concedant l’vsage en re-
tiennent la propriété et peuuent la leur oster et changer
et les en despouiller toutes fois et quantes qu’il leur
plaist.
» Veu aussy l’ancien titre produit par les ds deman-
deurs de l’année 1349, du vendredy apres la feste
* St Jean Bapte par lequel il est atourné et établi par com-
mun accord, que tous cils et toules celles qui sont Manans
dedans Metz et dedans les bourgs de Metz ou ils soyent
demourans et ou ils mourussent, soit en Metz, en Bourgs
de Metz, ou en quel lieu qu’ils mourussent, soit prestres,
soit chanoines, soit clercs, soit laics, en quel hostel que
ce soit, en hostel d’abbé ou d’abbesse, cils qui demeu-
reroyent en lieu dou mort, doiuent remetre le meilleur,
woirement et le meillour chappiron dessus nommé, dé-
liurer doreuant la meilloure cotte doudit woirement que
ly l’homme que mort seroit, lairroit, et la meilloure cotte
et le meillour chouurechies que la femme que morte seroit,
lairroit pour deliurer audit hospital pour subvenir {ant
à la nourriture des pauvres qu'a la reparation des ponts.
» Les Extraits des registres du dit hospital contenant
la reception faite desds habits ez années 1550, 1552,
1605, 1606, 1607, 1620, 1635, 1636 et 1637, et encore
des années 1573, 1575, 1601, 1629 et suivantes, jusques
en l’année 1634 incluse ; deux arrests rendus en Parlement
les x Juillet et xxx aoust audt an 1634; Repliques et
Dupliques desds parties ; contredits sur les faits nouveaux
posés esds dupliques, et saluations des ds demandeurs;
Autres écritures et productions desds parties, le resultat
du 21 juin 1638 portant que le présent proces seroit :
jugé en l'assemblée de l’Estat, et ouy le rapport des
Commissaires à ce députés ;
» Îl est dit que le dt Ferron, defendeur est condamné
400 HISTOIRE. — ARCHÉOLUGIE.
de porter audit hospital la meilleure robbe, la meilleure
cotte et la meilleure coieffe de sa de fille decédée en lade
année 1636, en ce non comprise neantmoins, la coieffe
d’or qui seruoit d'ornement a lade defunte, les ds deman-
deurs estant maintenus en l’ancien vsage et possession en
laquelle est ledt hospital de perceuoir les habits de toutes
les personnes indiferament de quelque qualité elles soyent
qui descedent dans la ville de Metz et faubourgs d’icelle :
conformemt audit atour mesme des habits des enfants
aagés de plus de neuf ans en ce non compris les coieffes
d’or seruants à l’ornement des filles. »
« Du quatriesme Nouembre 1639, En l’assemblée du
Grand Conseil. »
JEAN MAGUIN, RECEVEUR DE L'HÔPITAL SAINT-NICOLAS, EST
CONFIRMÉ DANS LA PLACE D’AMAN DE LA PAROISSE
SAINT VIC.
« Sur le placet présenté par Mr Jean Maguin, receveur
de l’hospital Saint Nicolas a ce que nonobstant l’empes-
chement formé par Dame Mahaut Rutant, vefue de
Monsieur Maguin' viuant conser en Parlement, a l’expé-
dition des lettres de prouision de l’amandelerie de Sainct
Vic, dont 1l a naguieres este pourueu par le Conseil ; Il
est dict, attendu que le Conseil a le droict et est en vsage
de pourueoir des Amandeleries, et que le suppliant a
esté pourueu de celle de Sainct Vie en ayant presté le
serment dés le neufuièe dernier, que les lettres de pro-
uision luy seront expédiées et délivrées. x
* Nicolas Maguin, fils du maître-échevin ayant les mêmes noms,
avait été adjoint à son père comme aman de la paroisse Saint-Vic.
La dame Mahaut Rutant réclamait cette amandelerie pour l’un
de ses fils, neveu de Jean Maguin. A la mort de celui-ci (1664),
François Maguin, son fils, lui succéda en qualité d’aman de la
même paroisse.
DOCUMENTS POUR L'HISTOIRE DE METZ. 461
« Du quinzième nouembre 1639, en l’assemblée de l’Estat. »
DÉPUTATION VERS LE ROY.
« Suivant les resolutions prises ez assemblées dernieres
de l’Estat, de deputer vers le Roy pour representer a Sa
Majesté les miseres et calamites' dont cet estat se trouve
chargé depuis longtemps et la suplier tres humblement
d'y aporter quelque soulagement, il a esté faicl nomina-
tion de la part du Clergé du sieur Haraucourt de Cham-
bley, chanoine et grand doyen de l’eglise Cathedralle,
de la part de la noblesse du sieur de Gournay, et de la
part du Magistrat et tiers estat, du sieur Goffin, treize
en la justice, lesquels ont esté priés de se disposer a
partir promplement, et au surplus, ordonné que commis-
sion ample leur sera expediée auec lettres de créance. »
« Du Deuxième Décembre 1639, en l'assemblée de Mrs les
Mes Escheuin et Treize, où assistaient aucuns
des principaux de l'Estat. »
VIN D'HONNEUR PRÉSENTÉ A MONSIEUR DE LAMBERT
ET MONSIEUR DE FRÉVILLE.
« Sur ce qui a esté proposé qu’il sembleroit expédient
de députer à Monsieur de Lambert”, nostre Gouuerneur
: Les charges de passages et de logements des armées, les invasions
des ennemis, la contagion enfin, avaient mis les habitants aux
abois. La plus grande partie des terres étaient en friche, faute de
bras et de sécurité. Les Messins adressèrent à Louis XIII des
doléances énergiques sur le triste état dans lequel la guerre les
tenait sans relâche depuis plusieurs années.
? M. de Lambert n’eut pas le mérite de se faire aimer dans
l'exercice de sa charge: il vint rarement à Metz. Plusieurs auteurs
ont pensé que les Messins ne furent pas étrangers à sa démission,
qui eut lieu le 23 avril 1644.
A62 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
arrivé depuis deux jours en ceste ville quelque vin et
auoyne ainsi qu’il s’est cy deuant praliqué par honneur
enuers ceux qui ont eu pareil commandement de la part
du Roy, comme semblablement a Monsieur de Freuille
qui a eslé envoyé de la part de Sa Majesté et qui estant
sur son départ a tesmoigné beaucoup d'affection a se-
courir le public de sa faueur et a rendre a Sa Majesté
des tesmoignages de l'affection du peuple de Metz a son
arriuée. Les sieurs Badillez et Bancelin treize el tré-
sorier de la Cité sont authorisés de presenter a mes
_dicts sieurs de Lambert et Freuille, telle quantité de vin
et d’auoyne et auts fruicts du pays qu’ils trouueront a
propos... »
« Du cinquiesme decembre 1639, en l'assemblée du
Grand Conseil. »
TAXE DES VINS.
« Ayant mis en considération la qualité et la quantité
des vins de la recolte dernière, et veu le rapport des
Tapenards contenant le prix auquel le vin s’est vendu
sur le marché ;
» Le charal de vin, liuré a compte d’hoste, au cours
des vendanges dernieres dans la ville, a esté taxé cent
quatre vingt quatre francs, et celui qui a esté liuré ez
villages à cent quatre vingts francs. »
« Du dernier decembre 1639, en l’assemblée du
Grand Conseil. »
MONNAIE.
« Veu la requeste presentée par M. Jean de Marsal
orfebure et l’vn des fermiers de la Monnoie de ceste cité
avec M. David de la Cloche, par bail a eux passé le
DOCUMENTS POUR L'HISTOIRE DE METZ. 463
13 aoust 1638 ‘, ne pouvant plus continuer, presente aux
mogistrats pour le remplacer les personnes de M. Daniel
Godelin, orphevre, bourgeois de Metz et M. François
Alexandre; a quoy le dit de la Cloche s'oppose, mais
nonobstant ils sont agrées et leurs serments reçus. »
« Du vingt deuæiesme Mars 1640, en l’assemblée de l’Estat. »
MOULAGE DES BLEDS.
« Sur la proposition faicte de remedier aux abus et :
malversalions qui se commettent ez moulins, dont les
plaintes sont communes et repandues par toute la ville,
il a été arresté et resolu de faire exécuter l’ordonnance
ci deuant faicte aux fermiers desdicts Moulins de receuoir
le bled qui leur sera porté à moudre et rendre la farine
aussy au poids; a l'effet de quoy seront les balances
restablies esdits moulins, et commis hommes en chacun
* Nous avons vu précédemment que Raphaël Braconnier était
maître de la monnaie de la cité au mois de mai 1638. Vers la fin
de juillet de la même année, Jean de Marsal et David de la Cloche,
tous deux orfèvres, bourgeois de Metz, avaient offert « de rendre
à la ville dix gros messins pour chacun marc de billon qui se fabri-
queroit en monnoie , au lieu de trois gros que Raphaël Braconnier
en rendoit, et de fournir par advance, la somme de six mille francs
messins, pour subvenir aux nécessités publiques. » Sur le refus fait
par Raphaël Braconnier, l'offre des orfèvres avait été acceptée
suivant ordonnance rendue par le maître-échevin Abraham Fabert,
son Conseil et les Treize, le 13 août 1638. Le bail avait été passé
pour neuf années consécutives, la première commençant au 20
dudit mois d’août, et la dernière devant finir à pareil jour de
l’année 1647.
Les nouveaux maîtres monnayeurs ne pouvaient fabriquer d’autres
monnaies que les florins et les thalers avec leurs divisions. Par une
délibération du Grand-Conseil, datée du 15 juin 1639, il leur avait
été permis de forger des francs de Metz jusqu’à la quantité de
1200 marcs.
464 HISTOIRE. — ARCHÉOI.OGIE.
moulin, pour peser lesdicts bleds et farines, qui presteront
serment de bien et fidellement peser lesdicts bleds et fa-
rines. » |
« Du neufuième may 1640, en l’assemblée du Grand Conseil. »
POIDS ET BALANCES ÉTABLIS AUX MOULINS.
DE PAR LE ROY ET MESSIEURS LES M® ÉSCHEVIN ET TREIZE
DE LA VILLE ET CITÉ DE METZ.
« Sur ce qui à esté representé par le Procureur du Roy
qu’en exécution de l’ordonnance du vingt deuxiesme mars
dernier, contenant l’Esiablissement des poids et balances
ez moulins de ceste ville, se rencontrent plusieurs dif-
ficullés pour lesquelles obvier il seroit nécessaire de
contraindre indiferament toutes sortes de personnes qui
porteront ou envoyeront moudre leurs grains de les faire
peser, par les personnes qui sont establies ez dicts mou-
lins, après que le droict de mouture ayant esté pris par
les musniers affin d’en retirer les farines au mesme poids
el de payer pour le pesage ce qui sera jugé raisonnable
pour subuenir aux gages qui ont esté assignés aux Commis,
lesquels seront tenus et obligés de tenir la main a l’exe-
cution tant de la de ordonnance du 22 mars que de la
presente et d’empescher que les d. musniers n’exigent
pour leurs droicts de mouttures, que ce qu'ils doiuent
emporter légitimement, suivant les mesures qui leur ont
esté données par Messieurs du Magistrat. Le faict mis en
délibéon 1l est ordonné que toute personne de quelque
qualité et condition elles soyent feront peser les bleds et
grains qu'ils porteront moudre ez moulins de ceste ville
par les personnes qui y sont a cet effet establies et paye-
ront pour le droict de pesage, entre les mains des fermiers
des moulins, deux liards, par chacune quarte desdits grains
dont les dits fermiers rendront bon et fidèle compte, affin
DOCUMENTS POUR L'HISTOIRE DE METZ. hG5
que des deniers qui en proviendront, il puisse être subuenu
aux gages ordonnés aux dicts commis, lesquels seront
tenus et obligés de tenir registre fidèle et exact de tous
les grains qui seront portés et se mouderont ez dits mou-
lins et des noms et surnoms des moulans, pour leur re-
gistre servir de controlle à la recepte que les dits fermiers
feront desd. deux liards par quarte... »
« Du vingtiesme Juillet 1640, en l’asscmblée de l’Estat. »
PRÉSENT DE CINQ CENTS PISTOLES D'ESPAGNE,
A MADAME DE LAMBERT,
ÉPOUSE DU GOUVERNEUR, A SON ARRIVÉE A METZ.
« Résolution prise de faire vn present à Madame de
Lambert, Gouvernante, pour son arrivée, jusqu’à la con-
currence de cinq cens six pistoles d'Espagne tant en ar-
gent qu'en meubles. » ‘
« Du vingtiesme novembre 1640. »
TAXE DES VINS.
« Le charal de vin, liuré à compte d’hoste dans la ville,
a élé taxé 95 francs messins, celuy liuré dans le pays
90 francs et le vin blanc de blanche vendange dix francs
moins par charal. »
Metz, le 49 mars 1854.
* Un fils naquit à Metz sur la paroisse Saint-Martin, le 3 août
1641, du mariage des époux de Lambert.
ee CSN ROD TS
NOTICE
SUR LE
COUVENT DES CÉLESTINS
DE METZ,
PAR M. KE. DE BOUTEILLER.
Bertrand le Hungre en celui temps
Très puissant en or et argent,
Qui aimait Dieu et tous ses saints,
Fit commencer les Célestins.
Il était noble chevalier
Et de son prince pannetier
De l’évêque de Metz héritier,
Mais très dévot pour Dieu prier.
Commencer les fit et parfaire
Maintes autres belles œuvres fit faire
Comme la chapelle au Champ à Seille
Qui fut une église très belle.
(Les Chroniques de Metz, par Jean
le Chatelain, à l’an 1374.)
Les convenances de deux services publics importants
viennent de faire disparaître, dans les derniers mois de
4861, une antique église dont les mutilations n’avaient pas
détruit la beauté et à laquelle se rattachent d’intéressants
souvenirs. Je veux parler de l’église des Célestins. Comme
elle a disparu sans laisser aucune trace, il m’a semblé
468 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
qu’il y avait une sorte d'obligation d’en conserver une
description exacte à la génération qui nous suivra, pour
l'aider à se faire au moins, par quelque image, une idée
de ce qu’élaient ces monuments du vieux Metz que nous
voyons disparaître si vite et sans retour.
L'église des Célestins s'élevait sur le terrain occupé
pendant quatre siècles par les religieux de cet ordre, et
devenu, depuis la fin du siècle dernier, l’arsenal de cons-
truction du Génie. La limite qui séparait les Célestins
de l’ancien couvent des Repenties, aujourd’hui la Gen-
darmerie, a été modifiée dans l'intérêt commun des deux
établissements. La haute muraille qui a remplacé, suivant
une direction rectiligne, la séculaire et polygonale sépa-
ration des deux monastères, a passé sur le terrain où
s'élevait l’église, depuis près d’un siècle mutilée et
changée de destinalion , mais cependant debout hier en-
core. Ce double fait a profondément modifié l’ancienne
disposition des lreux, leur a ôté ce qui leur restait de
leur ancien caractère d’antiquité vénérable. Le moment
m'a donc paru bien choisi pour donner une description
fidèle de ce qui vient de disparaitre, et rechercher en
même temps quels sont les faits dignes d’êtres groupés,
à vos yeux, autour de ce nom des Célestins dont Metz
ne lardera pas sans doute à perdre complétement le
souvenir.
Ce qui m'a surtout encouragé à entreprendre ce tra-
vail, c’est la présence dans notre bibliothèque d’un ma-
nuscrit authentique du quinzième siècle où se trouve
l’histoire monumentale du monastère, du moins en ses
premières années, et dans lequel il m'était facile de
puiser de précieux et sûrs renseignements. C’est toujours
une bonne fortune que de pouvoir exploiter une mime
intéressante comme un manuscrit contemporain, et
mettre au Jour les richesses inédites qu’il recèle. Ce ma-
a
LA
Caserne des Ouvriers
du Gen te
Ancienne d Echise
Plan de l'Arsenal du Génie et de la Gendarmerie en 1861
avec l'indication de l écha qe uuervenuw en cette anrrce
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Ê demo en 1861. RE eKIm | carres « prendre «& la (e endarmerte.
= | = ETS / ;l » ! , ’ ' 1 “y |
Ÿ | ACTE CONTE cae \ Portion de terrain denviron 300 mètres cl |
Q A ) à
Î sh | donnée en échange à la Crendarmerte. |
| ahSfK1, ancienne ligne de separation
des deux établissements.
b dm ; ligne actuelle.
or
Genre.
CCC ER RER |
TT oi
bide Google
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 469
nuscrit sera donc le passe-port dont je vous demande la
permission de me munir pour vous présenter une notice
qui pourra, grâce à lui, offrir sous quelques rapports un
intérêt particulier.
L'histoire de la fondation des Célestins n’est pas iné-
dite, tant s’en faut. Empruntée par Meurisse, par Dom
Calmet, par les religieux Bénédictins à la chronique
manuscrite de Nicole de Lutange, dont j'aurai à vous
entretenir tout à l’heure, elle figure dans ces trois ou-
vrages presque dans les mêmes termes, sous une forme
convaincue et un peu naïve, dans laquelle se laisse faci-
lement reconnaitre la source à laquelle elle est em-
pruntée. Peut-être en présence de ce triple récit, auquel
je ne saurais ajouter que. bien peu de lumières nou-
velles, eüt-il été convenable que je me fusse contenté
de renvoyer aux auteurs précilés, mais Je n’ai pas su
résister au désir de donner à ma notice le charme qui
émane d’une pieuse et noble figure, l’un des plus beaux
types de la bourgeoisie messine au moyen âge.
Or donc vivait à Metz, dans la seconde moitié du qua-
torzième siècle, un bon et digne bourgeois nommé Ber-
trand le Hungre. Il appartenait au paraige de Port-
Saillis. Un de ses ancêtres avait sans doute fait la guerre
en Hongrie et en avait pris le nom qu’il avait transmis
à ses descendants. C'était une famille honorée pour ses
services et ses vertus. L’aïeul de Bertrand avait reçu du
comte de Bar des fiefs considérables en échange d’im-
portants services. Il était treize. Son frère avait, en 1327,
versé son sang avec la chevalerie française contre Îles
Anglais, à la journée de Crécy'. Rentré à Metz en 1346,
il avait été honoré du titre de maître-échevin l’année sui-
‘Il ne faut pas s’étonner de voir des membres de la noblesse ou
de la bourgeoisie messine porter ainsi leurs services à divers
470 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
vante. Sou oncle, ou peut-être son père, avait fondé, en
1334, un hospice de la Maternité, confirmé en 1337 par
le pape Clément VI. On voit que sous tous les rapports
les antécédents honorables ne manquaient pas dans cette
famille. La chronique en vers dit qu’il était pannetier
de son prince ; faut-il entendre par ce prince l’évêque de
Metz ? Cela est possible ; quant à être son héritier, il est
plus difficile de le croire; car on n’imagine pas aisément
quels liens de parenté eussent pu exister entre un bour-
geois de. Metz et Thierry de Boppart ou Jean de Vienne,
à tous les titres étrangers à notre ville, jusqu’à leur prise
de possession de son siége épiscopal. Quoi qu’il en soit,
Bertrand le Hungre, aman de Saint-Étienne le depeuné,
était un des citoyens de Metz les plus recommandables et
les plus respectés. Il avait laissé à son frère Willaume
l’hôtel patrimonial situé au Champ-à-Seille et habitait
l’ancien hôtel Faccol, provenant d’une famille Falco ou
princes étrangers; c'était la coutume de la cité. Ainsi entre autres
exemples, pris dans un intervalle de peu d’années, voit-on en 1324
plusieurs messins, parmi lesquels Jacques Grognat, se distinguer en
terre sainte et apporter à Metz le titre de chevalier de Jérusalem ;
— en 1346, Roger et Williaume de Heu, et Jacques de Morlan assis-
ter à Ja bataille de Crécy, le premier y perdre la vie, les deux autres
la liberté; — en 1347, Williaume Poujoise et Jehan Braïidy aller en
Grèce faire la guerre pour le parti de Jean Cantacuzène contre
Jean Paléologue, et rapporter de glorieuses additions à leurs bla-
sons; — en 1356, Jean Drowin et Williaume de Heu se distinguer
à la bataille de Poitiers et y demeurer tous deux, le premier mort,
le second prisonnier; — en 1382, Nicole de Heu et cinq autres
messins faire la guerre en Flandre avec le roi Charles VI et prendre
part à la bataille de Rosbecque; — en 1396, Jean Corbé, Laurent
de Gournay et Jean Brady se faire tuer glorieusement à la bataille
de Nicopolis ; — en 1399, neuf jeunes seigneurs messins accom-
pagner le duc de Lorraine à la guerre de Prusse et plusieurs en
rapporter les éperons de chevalier.
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 471
Faccol, plusieurs fois honorée des premières magistra-
tures de la cité et éteinte depuis quelques années".
Il y vivait heureux, entouré d’une belle famille de
quatorze enfants, qu'il avait eus d’Isabel Boyleau, fille
de Jacques Boyleau, aman de Saint-Étienne et du paraige
d’Oultre-Seille, morte en 1348. De nombreuses alliances
l'avaient uni, par ses enfants, aux Noiron, aux d’Esch,
aux Gournay, aux Raigecourt, aux de Vy, en un mot à
toute la fleur de la noblesse messine. Pour bien faire
connaître ses habitudes de bienfaisance et de piété, je
ne crois pas pouvoir mieux faire que de suivre le pre-
mier historien des Célestins, presque textuellement re-
trouvé dans les trois auteurs que j'ai cités”. « Il était
si libéral que sa bourse n'était jamais fermée aux pau-
vres. Tous les hivers 1l faisait faire dans sa maison un
feu public pour les nécessiteux et y faisait bouillir une
marmile pleine de viande avec du pain et du vin qu’il
leur faisait distribuer incessamment. Tous les matins il
sortait de la ville par une petite porte, appelée la porte
des Repenties, qui fut murée.avec plusieurs autres en
4406 et 1407, et s’en allait à pied à Notre-Dame-des-
4
‘ M. d'Hannoncelles (Metz ancien, I, p. 82) pense qu'il était
situé dans la rue du Grand-Cerf et que c’est le même qui, plus
récemment, a été l’hôtel de Gournay. Ge qui le lui fait présumer,
c'est d’abord que la rue des Parmentiers a toujours été appelée la
rue Derrière-la-Grand-Maison, c'est d'autre part que la place
Coquotte portait autrefois le nom de Falcotte ou Falcatte, sans
doute à cause de sa proximité de cet hôtel. 1l est du reste ainsi
défini dans l’acte de fondation des Célestins. « Sus ma maixon con
dict lai grant maxon faccol où Je Bertr'ans meysme demoure, de-
costé la maxon Thiebalt fessal. »
? Chronique des Gélestins, par Nicole de Lutange, aujourd’hui
détruite. — Meurisse, p. 529. — D. Calmet, Hist. de Lorr., p. 619.
— Hist. de Metz, II, p. 364.
472 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
Champs', où il faisait dire une messe en l'honneur de
la sainte Vierge par un chapelain qu’il entretenail à cet
effet, avec un clerc, dans sa maison. » Cette chapelle lui
inspirail d'autant plus de dévotion que c’était là que
reposaient sa femme Îsabel, morte en 1338, et plu-
sieurs autres membres de sà famille. Mais, en 1366, une
fâcheuse aventure vint le décider à changer ses habitudes
de sortie matinale. Il faut, pour bien faire connaître un
fait jusqu'ici laissé un peu dans l'ombre, reprendre les
choses de plus haut.
Vers 1360 vivait à Metz un chevalier nommé Williaume
Poujoise et surnommé Pallemant, de l’une des branches
de la noble famille de Belgrée, et descendant de la pieuse
Odile, fondatrice des Cordeliers en 1936. C’était un homme
d’un caractère hardi et batailleur, qui était allé, en 1347,
dans sa jeunesse, faire la guerre en Orient contre Jean
Paléologue pour la veuve d’Andronic Paléologue et Jean
Cantacuzène. Il s’y était distingué, et l’empereur grec lui
avait accordé en échange de ses services le droit d'ajouter
des plumes et des pattes à l'aigle d’or qui figurait sur
l’azur de son blason *. De retour à Metz, il avait épousé
‘ Le prieuré de Notre-Dame-des-Champs avait été fondé en 1122
par deux religieux de l’abbaye de Chezy-sur-Marne, qui avaient
apporté avec eux une belle image de la Vierge, et s’adressèrent à
la piété des Messins pour obtenir la construction d’un prieuré. II
s’éleva hors des murs de la ville, près de la porte Saint-Thiébault.
Etienne de Bar lui fit de riches dotations, et dédia l’église sous l’in-
vocation de la Vierge dont on avait placé l’image sur le maïître-
autel. Cette église fut enrichie en 1134 de précieuses reliques par
le pape Adrien IV. Elle était l’objet d’une grande vénération des
Messins. Elle fut détruite avec beaucoup d’autres en 1444. (Mém. de
Dom Descrochets. Man. de D. Tabouillot.)
? Les aigles qui décoraient les écus de la noblesse messine étaient
généralement sans pattes et peu plumés, à limitation de celui qui
formait le blason du paraige de Jurue.
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 473
dame Pentecoste, veuve de ffenriat Bataille et mère d’un
jeune enfant nommé Jennat qui survécut peu d’annécs à
ce mariage. Lorsqu'il mourut, Poujoise avait prétendu
hériter, du droit de sa femme, des biens de son beau-fils,
et il avait fait vente d’une partie de ces domaines à Jean,
comte de Spanheim, petit seigneur de la Lorraine alle-
mande. Mais un citain de Metz, du paraige d’Outre-Seille,
Jacquemin Barroy, parent du jeune Bataille par quelque
alliance, avait mis opposilion à la vente, et les magistrats
avaient donné raison à cette opposition.
Outrés de colère, le vendeur et l’acheteur en avaient
appelé aux armes de ce qu'ils disaient être un déni de
Justice et avaient déclaré à la cité une guerre comme
elle en eut tant à subir au moyen âge. Les pillages , les
enlévements de toute nature s'étaient exécutés sur les
routes et dans les villages du pays messin, et Poujoise,
banni el forjugié, tenait la campagne avec ses aidants
et conforlants, soutenant chaque jour quelques escar-
mouches avec des succès variés. Quoique peu importante
en elle-même, cette guerre était dommageable aux intérêts
de la cité, ct, pour en finir plus vite, elle avait engagé
quelques nouveaux soldoyeurs dont on conserve Îles quit-
tances dans les archives de l’hôtel de ville’, tels que Hain-
zelin de Lietcmberg et [Henry de Pintheville. Le traité de
paix sioné un peu plus tard permel de croire que la lutte
élait assez sérieuse. [1 y est question de pluxours damaiges
fails d'une part et d’aultre, tant en corps de persones prix
comme en prixes el panies de bestes el aullres biens en plu-
xours manières. Quoi qu’il en soit, cet état de guerre et de
proscription finit par devenir à charge à Williaume loujoise,
et il imagina un moyen de rentrer en paix avec sa cilé.
Ce moyen consistait à se munir d’un otage assez respecté
\ Hist. Bénéd., IV, p. 234.
60
414 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
et assez important pour que la crainte de le sacrifier pesât
sur les décisions des seigneurs de la ville. Bertrand le
Hungre, avec la considération umiverselle dont il jouis-
sait, lui parut convenir parfaitement à ce rôle, et un jour
de 4366 que Bertrand, suivant sa coutume, s’acheminait
vers Notre-Dame-des-Champs pour y entendre la messe,
suivi de son aumônier êt de son clerc, il trouva Palle-
mant, accompagné d’une vinglaine de cavalier, qui l’at-
tendait caché derrière une grange, près de l’église". Il
fut saisi par les pieds et par la tête, emporté dans un
jardin voisin et là menacé de mort s’il ne montait pas à
cheval pour suivre Pallemant, ou s’il ne s’engageait pas à
obtenir de la cité remise de la peine qu’il avait encourue,
en lui servant de garant fet voloit Paillemaire que Bertran
lui craintoit prixon, ou qu'il montoit à‘ cheval pour l’em-
mener vers eulx). Bertrand, sans se laisser intimider,
refusait d’obéir, et Pallemant se disposait à employer la
violence, lorsque les gens de Metz, avertis par le clerc et
le chapelain, qui avaient réussi à s'échapper, arrivèrent
en criant alarme. Pallemant, renonçant à faire réussir
son projet par la force, employa alors la prière, et ayant
obtenu de Bertrand la promesse qu’il l’aiderait à faire sa
paix avec la cité, il piqua des deux avec ses hommes et
disparut. Il paraît que Bertrand tint parole, car le 44 fé-
vrier 4366 (ancien style) Williaume Poujoise signait dans
les conditions les plus honorables son traité de paix. Le
comte de Spanheim faisait de même, et Bourchard, comte
de Fenestrange et de Schœneck, servait de garant entre
les parties ?. |
‘ Doyen de Saint-Thiébault, an 1366. — Dom Calmet, Meurisse,
d’après la Chronique de N. de Lutange. — Les Bénéd., t. IT, p. 365.
? Voir les traités de paix, tirés, des archives de l’hôtel de ville, dans
les Preuves de l’Hist. de Metz, par les Bénéd., t. IV, p. 234.
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. : 475
Mais quoiqu'il n’en fut résulté rien de bien fâcheux pour
lui, cette mésaventure avait un peu dégoûté Bertrand de
son petit pélerinage quotidien. Il résolut de transformer
cette dévotion en une autre qu'il pût pratiquer dans la
ville. [l fit donc construire une petite chapelle composée
de deux travées voûtées, auprès d’un ancien cimetière,
dans le voisinage du Champ-à-Seille, et la fit consacrer,
le quatrième dimanche de carême de l’an 1367, par Ber-
trand, religicux de l’ordre de saint Dominique, évêque
de Tiflis et suflragant de Thierry de Boppart. Dans cette
chapelle il se montra plus que jamais fidèle à ses habi-
tudes pieuses et charitables. Tous les jours il ÿ entendait
la messe qu’y chantaient des prêtres séculiers entretenus
par lui; en sortant il faisait l’aumône à tous les pauvres
qu'il rencontrait à la porte, puis se rendait à la cathé-
drale où il faisait de nouvelles prières et de nouvelles
aumônes ‘. Mais il désirait donner à son œuvre de la per-
péluité et, pour cela, il chercha un ordre qui voulût bien
s'engager à servir sa fondation en y attachant quelques
religieux.
Ce n’était pas chose aussi facile qu’on le croit géné-
ralement que de fonder, dans cette partie du moyen âge,
une maison monastique. Parmi les couvents existant
alors, 1l en était sans doute un grand nombre qui jouis-
salent d’une solide prospérité, mais il en était beaucoup
aussi dont la situation précaire était de nature à inquiéter
sur l’avenir d’une fondation nouvelle. La tendance des
siècles précédents à couvrir la France de monastères s’élait
déjà singulièrement amoindrie et le saint-siége avait, du
resle, reconnu lui-même le fâcheux résultat de cette ten-
dance, si elle n’était maintenue dans de justes limites.
Cette sagesse de la cour de Rome venait de se mani-
‘ Voir les auteurs précités.
476 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
fester par la bulle du pape Urbain V *, laquelle ordonnait
aux couvents des ordres mendiants d’être éloignés les uns
des autres d’au moins cinq lieues, « parce que le général
des Frères prêcheurs et les supérieurs des Ermites de
Saint-Augustin, des Religieux du Carmel, des Frères mi-
ueurs de l’Observance, lui représentaient que la charité
des fidèles diminuant tous les jours, et leur nombre s’ac-
croissant, il ne leur était plus possible de subsister *. »
Bertrand le Hungre offrit en vain sa fondation à plusieurs
des ordres établis à Metz, mais sans succès. Il s’adressa
alors aux Antonistes ou Pères de Saint-Antoine, établis
depuis le douzième siècle à l'hôpital de Pont-à-Mousson,
dont ils avaient fait le siége d’une commanderie impor-
tante qui portait le nom de Ballivia Leodensis, bailliage
de Liége, parce que ses juridictions s’étendaient sur toutes
les maisons de l’ordre, situées duns l'évêché de Liége;
mais ils refusèrent, dans la crainte que la quête qui se
ferait à Metz ne fit du tort à celle qu’ils faisaient à Pont-
à-Mousson.
Bertrand était dans cet embarras, semblable à celui que
devait éprouver cent trente ans plus tard un de ses alliés,
Claude Baudoche, avec sa belle église de Sainte-Barbe,
lorsqu’arrivèrent à Metz deux Célestins de la maison de
Paris, mais originaires de Lorraine, les frères Druet * et
Thierry de Biecourt , auxquels un ermite de Lorraine
avait appris que le [ungre avait l'intention de mettre des
* Uiïbain V (Guillaume Grimoald), du diocèse de Mende, pape le
23 septembre 1362, mort le 19 décembre 1370.
* Cette bulle, renouvelée par le pape Martin V en 1499, eut à Metz
une application, fulminée par Guillaume de Cazal, général des
Frères mineurs, au sujet de l’établissement des frères Baudes, et
donna lieu à des débats intéressants. (Les pièces de cette affaire
sont aux archives de la préfecture, au fonds des Célestins.)
3 Druetus de Biecuriâ. — Acte de fondation des Célestins. Hist.
Bénéd., Preuves, t. IV, p. 264.
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 477
religieux dans sa chapelle, et qui, attirés par le désir de
fonder une maison de leur ordre dans un pays voisin du
leur, venaient s’offrir à lui avec l’agrément de leurs supé-
rieurs. Cette congrégalion, l’une des plus illustres de
l’ordre de Saint-Benoît, avait été fondée en Italie par
saint Pierre de Muron, plus tard pape sous le nom de
Célestin V, et approuvée par Urbain [IV en 1264. Philippe
le Bel l’avait introduite en France en 1300 et avait établi
deux couvents, l’un dans la forêt d'Orléans, l’autre dans
la forêt de Compiègne. La maison de Paris, qui possédait
la supériorité de toutes les maisons de France, avait été
fondée en 1318. [l s’en était établi un grand nombre dans
tout le royaume, mais la Lorraine et les Évêchés n’en
comptaient encore aucun.
Les deux religieux arrivés à Metz à la fin de1368, y vé-
curent quelque temps, faisant leur office dans une chambre
particulière et se conformant avec austérité aux règles de
leur ordre. Bertrand, charmé de leur piété et de la sainteté
de leur règle, ne tarda pas à leur offrir un établissement
à Metz. Il se sentait, en effet, une véritable attraction vers
des religieux dont les habitudes sévères répondaient si bierr
à ses instincts, qui, chaque nuit, se levaient à deux heures
du malin pour dire matines, ne mangeaient de viande en
aucun temps, jeùnaient tous les mercredis et vendredis
de l’année et en certains temps tous les jours. Il chargea
son chapelain de les mener dans la chapelle qu’il avait
bâtie, et, dans le cas où ils n’en voudraient pas, de Îles
conduire dans toute la ville pour y choisir tel autre endroit
qu’ils jugeraient à propos.
Les deux religieux, après avoir vu la chapelle, l’accep-
térent volontiers, et Bertrand leur en fit cession par un
acte public passé le 11 janvier 1370 (nouveau style, 1371).
Cet acte est reproduit en entier dans les Preuves de l’'Hlis-
toire des Bénédictins, 1. IV, p. 261. Il porte l'indication
478 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
de « Cartulaire des Célestins de la ville de Metz, fol. À. »
La pièce authentique ne se trouve plus dans les archives
du département où a été transporté le fonds des Célestins.
À sa place seulement se trouve la note qui l’accompagnait,
d’une écriture qui me paraît être de la fin du derniersiècle,
et qui est ainsi conçue :
« Les lettres de fondation sont du 11 janvier 1370.
» Par ces lettres, Bertrand le Hungre, aman à Metz,
donne pour et au nom de l’ordre des Célestins, aux frères
Drue et Thirit de Biecourt, prêtres du diocèse de Toul et
religieux dudit ordre, une chapelle avec ses édifices et
appartenances, qu’il a fait construire à Metz, devant le
vieux cimetière, en l'honneur de Dieu et de la sainte
Vierge.
» Ïl est à remarquer qu'il ne fait cette donation audit
ordre qu’à la condition que les supérieurs majeurs, tels
que l’abbé du couvent auquel appartenaient les deux frères
et le provincial de France, l’accepteront.
> Par ces mêmes lettres il donne audit ordre, pour la
subsistance de quatre frêres prêtres, résidant en la dite
chapelle, 30* de Metz de cens annuel payables en quatre
termes, savoir : Noël, le jeudi d’après Pâques, la Saint-
Jean-Baptiste et le 4er octobre. Lequel cens est affecté
sur la maison dite la Grand’maison, appartenant audit le
Hungre, et sur le cens de 36 à lui dû par le couvent de
Saint-Vincent. Ledit cens est rachetable moyennant une
somme principale de 4200 livres de petits tournois.
» [l donne audit ordre 100” messins de cens à lui dus
par Jean Willaume le Retondeur, demeurant en Chappel-
lerue et affecté sur quatre maisons dudit Willaume.
» Ledit Bertrand donne audit ordre le droit qu’il pré-
tendait sur deux journaux de vigne situés au bout de la
pâture de Saint-Julien.
» Le fondateur donne encore au même ordre deux mis-
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 479
sels, deux autres livres, deux calices ej deux vêtements,
ladite donation est faite pour toujours, sans rappellement.
» Elle est faite moyennant que la chapelle sera bien et
duement desservie par les religieux, qui seront tenus
chacun jour de l’année, après soleil levé de dire une
messe devant l'autel de Notre-Dame et de faire leurs.
offices selon la règle de leur ordre, sans défaut. »
» Joint deux copies de ladile fondation (qui manquent).
» Lettres par lesquelles frère Drue de Biecourt, prêtre
du diocèse de Toul, religieux célestin, accepte au nom
de son ordre, en vertu des procurations à lui adressées
le 26 avril 1370 par frère Robert des Bordes, provincial
de l’ordre des Célestins de France, et par frère Mathieu
de Planis, abbé général dudit ordre, la fondation faite le
41 janvier 1370 par Bertrand le Hungre, citain et aman
de Metz, laquelle fondation consiste dans une chapelle,
avec ses édifices et dépendances, et dans les revenus né-
cessaires pour la subsistance des religieux qui composent
le monastère. » |
Les originaux ont disparu, sans doute pour enrichir le
cabinet de quelque collectionneur peu scrupuleux, à une
époque où les archives étaient loin d’être entourées du
soin intelligent qui préside maintenant à leur conservation.
Nous arrivons maintenant à la date où commence le
manuscrit de la bibliothèque de la ville, coté 83-118,
intitulé, selon un titre moderne, maladroitement collé sur
la première page: Chronographie du monastère des Céles-
tins de Metz, et qui étant jusqu’à présent resté inédit,
me paraît mériter les honneurs d’un peu de publicité.
Ce manuscrit, qui va de 1371 à 1469, est d’une seule
et même main. Ce n’est donc pas l’œuvre originale d’un
seul chroniqueur, mais la mise an net de notes écrites
jour par Jour dans l’intérieur du couvent et réunies en
corps à la fin du quinzième siècle, ainsi que l'indique la
480 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
forme de l'écriture. Cette chronique, de 206 pages in-4,
est tronquée au commencement et à la fin: au commen-
cement, d’une partie peu étendue sans doute, puisqu’elle
ne peut comprendre que les faits que nous venons de ra-
conter ; à la fin, d’un nombre de pages indéterminé. La
pagination est de la main de M. le Bibliothécaire actuel.
Elle provient des archives de lhôtel de ville”. Elle est
accompagnée de plans dessinés à l’encre rouge, qui n’en
constituent pas le moindre intérêt et qui seront ici fidé-
lement reproduits. |
Je me ferais un scrupule de chercher à faire connaître
les premières pages de l’histoire des Célestins en d’autres
termes que ceux qu'ont employés ses premiers chroni-
queurs dans leur style simple et naïf. J’en donnerai donc un
récit rapide, renvoyant pour plus de détails à des extraits
de la chronique, comprenant à peu près tout ce qui
peut y intéresser spécialement l’histoire du monastère,
extraits qui seront reproduits à la suite de cette notice.
A peine Bertrand eût-il vu sa maison occupée par les
Célestins, qu’il sentit que la chapelle était insuffisante. N
la fit détruire et réédifier en l’augmeñntant d’une travée et
en y faisant établir une tribune sur laquelle se plaçaient
les frères pour faire l'office. Elle fut terminée en 1372 et
bénie par ung évesque prouchour, dit la chronique. C’était
encore Bertrand, évêque de Tiflis et suffragant de Metz.
(Voir le plan n° 2.)
En 1375 Bertrand put acquérir la maison de Jean Jallée,
située au Champ-à-Seille, celle-là même où avait été logé
le duc de Bar, fait prisonnier par les Messins à la bataille
de Ligny, et qui bornait son église. Îl résolut d'agrandir
de nouveau cette église, et de trois travées la porta à six.
* Voir le Catalogue des mss. de la bibliothèque de Metz, par
M. J. Clerex, p. 65.
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 481
La chronique donne sur celte construction les détails les
plus complets. La troisième dédicace fut faite par l’évêque
Thierry de Boppart, qui y apporta une grande solennité,
et eut lieu le 483 novembre 1376.
Mais là ne s’arrêtèrent pas les constructions inspirées
par la passion que le Hungre apportait à son œuvre. Jus-
qu’en 1388 les travaux ne discontinuérent pas, tant dans
le couvent que dans l’église. Le plan n° 4 donne l'aspect
général des lieux à cette époque.
Cependant le développement moral de la maison se
faisait en même temps que son développement matériel.
La bonne tenue et la piété des frères produisaient dans
la ville l'impression la plus favorable.
Le 23 juillet 1381, la maison de Metz était unie à là
province de France par ordonriance de frère Pierre Po-
queti, successeur de Robert des Bordes, comme pro-
vincial des Carmes ; le nombre de ses religieux était
porté à cinq, celui des clercs à trois'. En 1402 elle
élait rendue conventuelle et autorisée à s'élever au-
dessus de ce nombre.
Bertrand le Hungre avait, comme on le pense, senti
redoubler son zèle religieux au milieu des pieux émules
qu’il s'était donnés. La vie qu'il menait était plutôt celle
d’un moine que celle d'un laïque. Nicole de Lutange (an
1382) donne sur ses habitudes des détails frappants, re-
produits par Dom Calmet dans son Histoire de Lor-
raine ?. 1
« Îl ne se contentait pas d’assister tous les jours à la
messe que l’on chantait en l'honneur de la Vierge; il se
‘ L’original de cette pièce a aussi disparu des archives dépar-
tementales. Elle est reproduite in extenso dans le IVe vol. de l’Hist.
des Bénéd., p. 332.
? D. Calmet, p. 621, d’après Lutange.
61
489 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
‘ trouvait aussi aux vigiles el à matines les Jours de fêtes
solennelles et y chantait par dévotion une leçon que les
frères lui apprenaient quelques jours auparavant. Sa
tendresse pour la mère de Dieu était telle qu’il ne pou-
vait entendre ses louanges sans’ verser des larmes. Un
jour ayant invité un dominicain à prêcher la conception
de la Vierge, il iui sembla que ce religieux voulait donner
à entendre que la sainte Vierge avait été conçue en péché
originel, 1 en fut si 1rrité qu'il ne put se contenir...
« Bertrand, dit Lutange, vint à dit freire Jacobin et li
» dit: « Vous y menteis par vous dents, malvais truant
» huet; » et le print par la chappe et le tirait jus don
» chessalt par grant indignation. »
Ses libéralités en faveur de ses religieux avaient été
três-étendues, et son affection pour eux avait prévu tous
leurs besoins pour les satisfaire. Une pièce, intitulée :
Sommalion et calcul de l'ancien cataloge des Celestins, por-
tant la date 1598 et conservée aux archives de la Moselle,
en fait en ces termes l’énumération :
ns « Biens donnés par ceulx qui s’ensuyvent.
» Bertrand le Hungre notre premier fundater oultre
267 10% de censines, oultre la chappelle N. D. et ses
appendances, oultre deux vestements, oultre huit jornaulx
de vignes et oultre pluxieurs reliques et calices comme
appert cy-dessus par le registre, donne encore par le dit
registre les livres cy-après només.
» Ung missel en deux volumes à l’usaige de Verdun.
Le livre de Vincent en 4 volumes.
2 bibles une grande et une moyenne.
3 legendes dorées.
Ung decret.
Ung livre que l’on appelle Speculum vitæ.
» Le livre de la trinité de Saint Hilaire, de Saint Am-
broise et de Saint Augustin.
S ww _S +»
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 483
» La seconde partie du second volume de St Thomas
d’Acquin.
» Le livre des sermons.
» Ung qui est de St Bernard au quel est l’exposition
sur l'Evangile missus est.
» Le livre d’or en roman.
» Et tous ces autres livres qui sont en latin. »
C'était là une belle et précieuse bibliothèque de piété,
prés d’un siècle avant l'invention de l'imprimerie, et qui
prouvail chez son possesseur un goût marqué pour la
science et l'étude.
En 1390 léglise des Célestins donna à la noblesse
messine sa première sépulture. Ce fut la petite fille du
fondateur, Beatrix, femme de SSr Jehan de Vy, chevalier,
qui inaugura le nécrologe. E‘le y fut suivie en peu d’an-
nées de plusieurs membres ‘de la seigneurie de la cité ;
le 28 septembre 1397, un des plus notables citoyens de
Metz, Jean de Gournay, chevalier, en faisait choix par
son testament pour y recevoir sa sépulture, et bien peu
de temps après Bertrand lui-même venait prendre sa
dernière demeure dans l’église bâtie par ses soins. Le
nécrologe des Célestins, reproduit par extraits dans Metz
ancien’, et dont une grande partie se retrouve identi-
quement dans notre manuscrit, en donne le récit en ces
termes : |
« Dans ceste meisme année 1397, la vigille saint Mi-
chiez l’arcange, trespassait le ss' Jehan le Gornay che-
vallier que manoit daier St Supplixe et eslit la sepulture
de son corps seians, dont Bertran lou Hungre nostre fon-
dour fut moult joïeux et vint ledict Bertran seians et
‘ Metz ancien, par M. le baron d'Hannoncelles, t. I, p. 179. —
Le mss. précité, p. 71.
484 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
amoinoit Jehan lou Hungre le josne, son fils et Jean
Piedeschalt', fil dame Isabel Piedeschalt sa suer, et avecq
aultres personnes. Lequeil Bertran demandoit à Fr. Symon
Bonhome procurour pour le tempis se dont, où il luy
sembloit bon que le dict ss' Jehan fust seveli et le diet
procurour respondoit là où 1l plairoit au dict Bertran et
le dict Bertran respondoit que c’estoit ung des plus va-
lants homes que fust a Metz et que on debvoit le sevelir
devant le grant alley qui etoit pour le tempts et Ii fut
octroyé. C’est en avant du grant cuer lequeil n’estoil
point adoncq ancores construit entre les chapelles, là où
le prebstre s’arreste quant il done de l’iawe benoitte a
peuple après sa messe. Item celle meisme eure demandoit
le dict Bertran où ly meisme seroit seveli quant il seroit
trespaissé, et Jehan lou Hungre son fil dessusdict 1y res-
pondoit : « Peire, il n’est pas ancor temps ; ancor y re-
» tornerez vous bien. » Et 1l respondoit devant tous qu’il
estoit tempts d’eslire sa sepolture, car il ne revinroit plus
seians. Et adonc il eslit sa sepolture devant le grant al-
teit, c’est assavoir dessoubs les pies du prebstre quant il
chante messe, et sambloit par les parolles dudit Bertran
qu’il savoit aulcunement qu’il approuchoit à la mort car
oncques plus ne vint seians tant qu’on le appourtoit
pour sevelir, et semblablement Jehan lou Hungre et
Jehan Piedeschalt dessus dicts eslirent lour sepolture as
senesitre dou grant altei en costé l’ung de l’aultre, en
disant que ils avoient eslé compaignons d’airmes à lour
vie el aussy le seroient après lour mort, et aïinsy ad-
vint... etc. »
Les pressentiments de Bertrand le Hungre ne l'avaient
pas trompé quand il avait parlé de sa mort prochaine.
‘ Jean IT Piedeschauit, fils de Nicole Piedeschault, maître-échevin
en 4341 ; il fut le dernier de sa race.
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 489
Le 25 décembre il venait prendre la place qu’il avait
marquée.
Le manuscrit de la bibliothèque donne à ce sujet les
détails suivants : |
due Car dès ce tempts lay il encommensoit à cheoir
en flavetey et debilitey qu’il fut contract de se tenir
en son osteil pourtant ausy qu’il eloit fort viez, car comme
dist est en la commencement en le second article de ce
presant lyvre sa feme de la quelle il avoit heus xiiij en-
faus, c’est assavoir vj filz et vi] filles fut morte l’an
m üje xlviij après la quelle il neust point daultre et par
ainsi il demouroit xlix ans en veufveley ; donc il n’estoit
pas trop josne et sy advint quil cheut en maladye de
la quelle y morut. Et ansy li estant an celle maladvyè de-
mandoit et prioit R. P. freires Pier Guerou vicar de R. P.
freire P. Poquiet provincial qui pour le temps de don
etait en la visitation don monasteire de céans et à freire
Simon Bonhomme priour dudict lieu et à freire Estienne
de Liverdun à freire Ulry Salomon et à tous les freires
qui present etoient, que apres son decepl ils ne se las-
sassent point à célébrer la solemnitey de la presentation de
la glorieuse vierge Marie laquel demande li fut octroiee et
promise par tous les freires. Et fut confirmé par le dict
‘ Bertrand avait reçu en 1381 de Philippe de Maisière, jadis chan-
celier du roi de Chypre et retiré au monastère des Célestins de
Paris, l'office de la présentation de la Vierge récemment institué en
France, avec prière de le faire célébrer dans sa chapelle et partout
où il pourrait le faire recevoir. Bertrand s’y employa avec tant de
zèle, qu'après l'avoir fait établir dans l’église des Célestins et dans
sa paroisse Saint-Étienne, il donna aux quatre ordres mendiants
certains revenus pour les porter à le fonder également dans leurs
églises et finit par faire adopter cette dévotion dans presque toutes
les églises de Metz. (Lutange, an 1381.— D. Calmet, Hist. de Lorr.,
p. 621.)
486 HISTOIRE. — APRCHÉOLOGIE.
vicair Pier Guerou et adong fitledict Bertran son testament
et donoit a priour et à couvent de seans xxiij” de Metz de
cens, chescun ans sus tous ses wagieres lesquel xxiiij"
les hoirs du dict Bertran paiont toujours en nostre main
jusquetant qu’ils nous assignont xxinij” en xxv“* de Metz
de cens que le mair et la communauté de Noveant sus
Mezelle debvoit chescans à Noel et à la sainct Jehan. Et
non point loingtemps après selon lordonnance de Dieu
approuchait à l’eur de la mort laquelle nul home peut
eviter; à la quelle heure fuirent presants le dict freire
visiteur ; le dict fr. Bonhomet priour et les freires desus
només en recomandant son ame et en faixant les recoman-
dations que il apartient, el aprez tous cez sacrements
recus il rendit son ame a Dieu le jour que nostre
redemptour descendit. » |
Ce qui suit se retrouve à peu prés mot pour mot dans
le nécrologe des Célestins :
« Morut Beriran le Hungre lou jour de la nativiteit
Nostre Seignour entre v} et vi] eures apres midy et fut
apourlé seians honourablement et fut mis et ensepveli
là où paravant il avoit eslu sa sepollure devant l’altey
en la baisse esglise et fut la posé par l’espace 1x ans ou
environ jusque tant que le grant cuer fut édiffié et con-
sacré el fut de celluy lieu translaté dessoubs les piés
du prebstre quand il dit grant messe auci comme loing
temps apres" Jaicomin lou Hungre fil du dict Bertran y
fut aussy seveli en meisme sairqueu que son peire
Célestins ne fit que s’accroitre. Leur église devint le lieu
de sépulture le plus recherché, et en peu d'années ses
murailles et son pavé furent couverts d’épitaphes où se
! En septembre 1412.
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 487
lisaient les noms des Baudoche, des de Vy, des Louve,
des Gournay, des Mortel, des Noiron, des Piedeschault,
des d’Esch, des Warise, en un mot d’une grande partie
_de la meilleure noblesse messine, sans compter les le
Hungre, qui vinrent, jusqu’au dernier, confier leurs os à
l’église construite par la piété de leur aïeul.
En même temps que les familles messines venaient
prendre leur sépulture dans l’église des Célestins, par
un sentiment de piété tout naturel, elles cherchaient à
y perpétuer par des fondations les prières que réclamait
l'intérêt de leurs âmes, de sorte que la maison se voyait
enrichie de quelque cens ou de quelque domaine par
chacun des hôtes funèbres devant lesquels elle s’ouvrait.
Ainsi, en s’arrêtant aux premières années qui suivirent
son établissement, nous trouvons dans ses archives les
traces des fondations suivantes * :
Le 13 juillet 1390, dame Poince de Vy, femme Jehan
Brady, du Champ-à-Seille, lui donne 1000*, une créance
de 400*#, garantie par deux maisons, et tous ses meubles.
Le 10 août 1400, Alison, femme Jehan dou Mon, le
salnier, qui morut darier le petit Saint Nicolas, donne
sa maison pour fonder son anniversaire.
En 1411, Anels de Verdun et Marguerite Busson ; —
en 1421, dame Isabelle le Hungre, femme Nicole Noiron,
chevalier; — en 1422, Majaussate, femme Jean Beillat, le
pêcheur, y fondent leurs anniversaires ; — en 1425, Jai-
comatte, femme Jehan L’hermite, le charpentier, lui laisse
tous ses biens; — en 1430, Marguerite Noiron, femme
Colin Paillat, l’aman, lui donne 50# ; Guercire Hurel 40* ;
— en 14431, Valitrin, de Saint-Nicolas, le tanneur, lui laisse
deux maisons ; — en 1433, Isabelle Drowin, femme Jehan
Brady, chr, lui fait don de 150#; — Jeannin Bauche, le
‘ Fonds des Célestins. — Carton des fondations.
488 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIF.
marchand, de 1007... mais arrêlons là cette nomen-
clature.
Citons seulement encore Jehan de Vy qui, quelques
années plus tard, pour augmenter la fondation de la haute
messe de Notre-Dame, fondée par son aïeul Bertrand le
Hungre, donne au couvent ses dîimes de Gras, Glatigny
et Retonféy, le 13 avril 1448 ; puis, le 19 février 1449,
deux maisons et quarante-cinq parcelles de terre à Magny
et à Pouilly, à la condition qu'il sera prié pour le repos
de son âme et de celles de ses quatre épouses successives.
= Puis viennent, à la fin du quinzième siècle, les Roucelz
qui font choix de l’église des Célestins pour leur lieu de
sépulture et y multiplient les plus généreuses donations.
De ces dispositions favorables de la population messine
en faveur des Célestins, dispositions qui, on le voit,
étaient communes à la noblesse et à la plus simple bour-
geoisie, résulta nécessairement une grande prospérité
pour leur maison”. |
Mais, dès que cette prospérilé le leur permit, les frères
Célestins mirent un zèle louable à agrandir et à embellir
leur église et leur monastère. En 1404 ïls acquirent la
maison du seigneur Jacques Mortel, la détruisirent et, le
* Leurs revenus, inscrits sur un catalogue conservé aux archives
de la Moselle, s’élevaient en 1528 aux chiffres suivants :
Titres généraux.
Somme totale des censines en argent.... ijje xiijf x iiijà
Argent sans charges............,..... vij Ivij
Argent pour les édifices............. … M V V xij
Argent pour les ornements............ li) vi
Censines de vin...................... 1j septiers.
Censines de blé............. cad x quartes.
VIDES res drone idea . Y) jornaulx.
Maisons............ TE iX
Censésicmisastieesde Sudehen ti ij de vignes.
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 489
19 mai 1404, firent poser la première pierre d’un chœur,
lequel, avec deux nouvelles travées formant collatéral,
devait complétement changer l’aspect de leur église, et
en faire un des beaux monuments religieux de la cité. Il
est probable qu’en ce moment, où des constructions aussi
importantes exigeaient des dépenses considérables, la
pieuse charité: des Messins ne leur fit pas défaut; mais ils
trouvèrent en même temps assistance chez deux princes
étrangers, dont l’un avait été ennemi et prisonnier des
Messins, mais qui s’était franchement réconcilié avec eux.
Ce prince était Robert, duc de Bar, qui avait déjà attaché
son nom à la construction de la magnifique église des
Carmes anciens, et qui voulut faire aussi quelque chose
‘ pour une autre église consacrée sous le vocable de Notre-
Dame. Il donna aux frères vingt-trois beaux arbres coupés
dans ses forêts de Pont-à-Mousson, qui furent amenés
par eau à Metz, et servirent particulièrement à faire les
stalles du chœur. L'autre prince était Louis d'Orléans,
frère de Charles VI, qui, par des lettres en date du 15
juillet 1405, dont l'original est conservé aux archives de
la Moselle', leur donna un amortissement de cent livres
parisis sur les deux mille que le roi, son frère, lui avait
accordées pour les distribuer aux églises qu’il lui plairait.
Ces lettres commencent ainsi : « Ludovicus regis quon-
dam francorum filius, dux Aurelianus, etc. »
Les extraits de la chronique manuscrite contiennent
des détails très-intéressants sur les constructions qui s’é-
levérent à celte époque. On y trouve, en particulier,
plusieurs noms d'artistes qu’il est bon de recueillir pour
l'histoire si incomplète des arts messins au moyen âge.
Ainsi, il est dit que « Rousselot le varrier fit les varines
de la nouvelle esglise et du secrétaire, et ait pour la
‘ Fonds des Célestins. — Titres généraux.
62
490 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
fesson et por les effigies xxijt et x; » que « Jehan
Visaige (sculpteur), fit lamoire de bois quest sur l’atel
où on mel les reliques et images ; » que « Hezelin Gueste
avec Willemin son compaignon qui tuit i] sont hugiés
en nous sièges (c’est-à-dire représentés sur les stalles),
acomencerent ledit owraige, et la fesson des dessus dits
sièges montoit à Ixix# et xiij messins; » que « maître
Andreu, de Strasbourg, le poinctre et Cowelin son
parent firent la painture sur l'armoire, sur la sépulture
de Jean Piedeschault, et la remanbrance du sepulche Jesus
Cris qui est en costé de l’altel S' Pier Celestin en ung
tablet à mur. » — En 1412, maître Andreu vint à mourir
et Cowelin lui succéda dans les fonctions de peintre
ordinaire de la maison; c’est lui qui peignit à ce litre
la remembrance de Bertrand le Hungre et de son fils
Jacquemin, avec la date en chiffres arabes, 14192.
On y voit, aux dates 1413 et 1417, une trés-curieuse
description de l'autel, et de la colombe qui contenait les
saintes espèces; à la date 143%, on y trouve constatée
une disposition acoustique singulière : c’est une garniture
de pots en terre mise tout à l’entour du chœur pour lui
donner plus de sonorité. Maisla chronique fait bon marché
de ce prétendu perfectionnement, qui, paraît-il, ne pro-
duisit rien que de mauvais’.
On y voit le nom des « massons » qui firent le portail
sur la rue, Mathieu et Jehan de Sorcey, du sculpteur
Wiry, qui fit les images de pierre et de bois qui se trou-
valent sur ce portail, des peintres, Henry et Jacomin
* Lors de l'appropriation de l’église à sa destination dernière,
M. le commandant Soleirol, chargé de la direction des travaux,
avait été frappé de l’existence de ces poteries, de l’utilité desquelles,
peut-être, il n’avait pas pu se rendre compte. L’explication en est
donnée de la manière la plus complète.
: /
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 491
Camay, qui firent « la belle remembrance de la passion
de Nostre Seigneur en le chapitre » aux frais de Nicole
Louve, et la « Résurrection, » à ceux de Jehan de Vy.
Mais toutes ces dépenses, faites avec un sentiment artis-
tique remarquable, n’empêchaient pas que l’ensemble de
l’église ne fût singulièrement déparé par une fâcheuse
circonstance. Îl existait une différence des plus choquantes
entre l’axe du chœur et celui de la nef. Faute incroyable,
sans doute, mais pour laquelle on ne se sent pas le cou-
rage d’être sévère en présence de l’aveu qu’en fait la
chronique et des conséquences qu’elle entraîna pour
son auteur. € Et pourtant qui n’y avoit encore pas
» de pourtal sur la rue, le masson qui avoit faict le grant
» cuer, ne veoit point la ligne de la rue... et il fut
» trovey que l’esglise etoit tortue. Car le grand cuer n’est
» pas bien droit à l’oposite dou portal qui fut fait après,
» et veult on dire que le dit masson qui avoit fait le dit
» cuer, quant il vit celle faulte, il en morut de duel et
» de tristesse dé la desplaisance que il en avoit... »
Ainsi, pour résumer toules les indications contenues
année par année dans la chronique, voici, en quelques
lignes, la chronologie de l'histoire monumentale des
Célestins : |
En 1371-72, première reconstruction de la primitive
chapelle ;
En 1375-76, nouvelles constructions qui portent de
trois à six le nombre des travées ;
En 1378, construction de la moitié du cloître, du
chapitre, du réfectoire et autres offices ;
En 1404, fondation du chœur. Le jour de la Toussaint
4407, sa dédicace;
En 1407, construction de la sacristie, de la biblio-
thèque. Achèvement de la maison ;
En 1409, construction du collatéral droit de l’église ;
499 HISTOIRE. —— ARCHÉOLOGIE.
En 1410, construction des voûtes du cloître et du
chapitre ;
En 149, établissement d’un cimetière devant l’église ;
En 1437, achèvement du portail sur la rue.
Les plans qui accompagnent la chronique donnent bien
exactement ces diverses disposilions dont la dernière
devait avoir une durée de trois siècles, sans modifications,
car le rétablissement des lieux claustraux, qui se fit
en 1522, eut lieu sur le plan primitif.
La maison des Célestins avait dans la ville un bon re-
nom de piété et de régularité. Meurisse lui rend cet
hommage, et tout prouve qu’il était mérité : l'empres-
sement des familles messines à y choisir leur sépulture,
la place qu’elles lui donnent dans leurs dispositions
testamentaires, sont le témoignage de l’estime que ces
religieux avaient su mériter, Les fidèles étaient attirés
dans leur église par les indulgences qu’à plusieurs reprises
y avaient attachées des bulles des souverains pontifes ‘ ;
ils l’étaient aussi par la réputation dont Jouissait une
statue miraculeuse de la Vierge, qui, pendant les quatre
siècles qu’elle resta sur leur autel, ne cessa pas d’être
entourée des marques de la plus confiante ferveur *.
La prospérité des Célestins alla en s’accroissänt pen-
* Les archives départementales conservent encore des bulles de
1413 et de 15933 qui accordent des indulgences pour la visite de
l'église des Célestins; une bulle d’Innocent X, du 9 décembre 1652,
qui y érige la dévotion des sept autels, comme à Saint-Pierre de
Rome; une bulle de Nicolas V,en date de 1448, qui leur accorde
divers priviléges.
? Cette vierge, statue en pierre d’une belle exécution, fut recueillie
à la Révolution par une personne pieusé des mains de laquelle la
reçut le respectable M. Morlanne, dont la maison était, il y a peu
d'années, un véritable musée religieux. Comme le souvenir du P.
Beauregard, célèbre jésuite messin du dernier siècle, est rattaché
à cette vierge par un fait miraculeux conservé par la tradition et
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 493
dant un siècle, et au commencement du seiziëme siècle
leur maison comprenait plus de vingt religieux. Mais dif-
férentes circonstances fâcheuses, et peut-être aussi une
administration peu intelligente, ne tardérent pas à amener
sous leur apparente richesse de sérieux germes de ruine.
Les Bénédictins, dans leur Histoire de Metz, comptent
parmi ces causes de ruine les ravages des Lorrains à la
fin du quinzième siècle, les courses des ennemis au
seizième siècle et divers autres événements semblables.
Cependant il semble que ce monastère était encore, en
1552, dans sa prospérilé, et que ce n’est qu’alors que
le premier coup lui fut porté. Treize maisons lui furent
prises tant pour l'établissement du retranchement de
Guise que, un peu plus tard, pour la construction de
la citadelle’. Les religieux ayant activement réclamé
contre cette spoliation , le roi Charles IX leur conféra,
en mars 1569, divers priviléges pour les dédommager de
la perte qu’ils avaient subie; mais les lettres du roi n’ayant
eu que peu d'effet, ils réclamèrent de nouveau, et Henri II]
chargea, le 18 décembre 1585, le président Viard de
faire une enquête à ce sujet. L'affaire traîna en longueur
et, le 46 décembre 1588, les Célestins durent adresser
une protestation au clergé qui les avait compris pour
leur part dans une contribution générale, protestation
dans laquelle ils faisaient connaître leurs priviléges et se
défendaient de toute imposition.
Ils obtinrent, le 44 janvier 1609, des lettres patentes
reproduit par son biographe, M. Morlanne, avant de mourir, en fit
don aux pères jésuites de Saint-Clément, dans la maison desquels
elle est vénérée.
* Voir aux archives départementales toutes les pièces relatives à
cette affaire, et les lettres patentes des différents souverains qui se
sont succédé.
494 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
de Henri IV qui exemptaient de la lourde charge des
logements militaires « toutes les maisons appartenant aux
» Célestins, en raison des pertes qu'ils avaient subies par
» le fait de la construction de la citadelle », et, en date du
8 août 1609, de nouvelles lettres pour confirmer cette
exemption et ordonner au duc d’Epernon et au sieur de
Montigny d'y tenir soigneusement la main. Louis XIII
confirma leurs priviléges par des lettres patentes datées
du 6 mai 1618, puis du 9 décembre 1634. Un arrêt du
grand Conseil, en date du 4 juillet 1643, déclara de
nouveau qu’ils étaient exempts de « toute imposition el
» cotisation. » Une lettre du roi, en date du 14 août
1644, donna au maréchal de Schomberg l’ordre exprès
de ne les inquiéter en rien; Louis XIV donna le même
ordre par des lettres patentes du 4 février 1647, et
signées: par le roy, là reine régente, sa mère. Enfin, le
28 juin 1692, un arrêt du parlement de Metz, promulgué
sur arrêt du conseil du roi du 12 août 1691, déclara
que les Céleslins étaient maintenus en jouissance de
leurs droits et priviléges. Mais ce fut là le dernier acte
qui les tint hors de la rêgle commune, el deux ans plus
tard il leur fallut se soumettre au droit d'amortissement
de la propriété de main morte, fixé pour eux à 4715 *
15% 9%. En 1704 ils eurent de nouveau à payer ces
droits, et en 1749, ils s’élevèrent à près de 13000, dont
les reçus existent aux archives, signés d’un nom juste-
ment respeclé parmi nous, Dupré de Geneste. Puis vint
la construction des casernes de Coislin qui les força à
rebâuir sur un nouvel alignement les maisons de la rue
du Cambout qui leur appartenaient. Enfin, la déplorable
idée de reconstruire à neuf leur maison et de remplacer
le vieux couvent de Bertrand le Hungre par un vaste
édifice de style moderne, vint mettre le comble à leurs
embarras financiers. De tout l’ancien monastère, ils ne
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 495
laissérent debout que l’église, et érigérent cette grande
et maussade construction à deux élages, ouverte de dix-
neuf fenêtres de façade, où est maintenant installé l’ar-
senal du génie. Ge fut là le dernier coup porté à la
prospérité du couvent.
La gène causée par cetle mauvaise administration avait
abaissé constamment le nombre des religieux, et il était
tombé, dès 1763, au nombre misérable de cinq, savoir :
les frères Thirion, prieur, Durand, sous-prieur, Perret,
Grandjean et Chardon.
L'état de malaise et de gêne où se trouvaient les Céles-
tins de Metz, n’était pas une exception dans leur congré-
gation. Îl semblait qu’elle eût fait son temps, et que le
souffle puissant qui animait tant d’ordres religieux restés
bienfaisants etillusitres comme dans leurs premiers siècles,
se fût retiré d’ellé. Une note manuscrite qui suit la
Chronographie des Céleslins, contient, sous le titre de
Mémoire pour l’Historre ecclésiastique, le récit suivant des
mesures à la suite desquelles sa suppression eut lieu.
«a La congrégation des Célestins de France n’est com
posée que de vingt maisons. Leur chapitre général s’étant
assemblé le 2 du mois de décembre 1770, à Mantes-sur-
Seine, en présence de l’évêque de Rhodes, nommé
commissaire du roi, pour y présider, 1l a résulté, qu’at-
tendu l'impossibilité où sont ces religieux de retourner,
par une réforme, à leur premier institut, S. M. leur à
fait défense de recevoir des novices, et conséquemment
il a été pris des mesures relatives à leur état actuel, et
arrêlé que leur général ne pourra donner, à l’avenir,
aucune cbédience, n'avoir aucun droit sur le temporel
des maisons, qu'il sera nommé des procureurs pour un
an seulement dans chaque communauté.
» Par un arrêt du Conseil d’État du 21 mars 1771...
Sa Majesté permet aux Céleslins de demeurer dans leurs
496 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
monastères jusqu’à leur décès ou jusqu’à ce qu’il y ait
été autrement pourvu. Enjoint au surplus, Sa Majesté,
aux archevêques et évêques dans les diocèses desquels
sont situés les biens de cet ordre, d'envoyer incessam-
ment à M. l’évêque de Rhodes, commissaire qui a présidé
à leur dernier chapitre, lous mémoires, projets et ren-
seignements nécessaires tant sur l’état spirituel et tem-
porel des maisons de l’ordre que sur la nature de leurs
biens et sur la destination qui, s’il échet, pourroit en
être faite". »
Monseigneur de Montmorency, évêque de Metz, com-
prit qu'une communauté, réduite à un si petit nombre,
n’avait plus de raison d’être, et qu’il y avait même im-
possibilité pour elle à satisfaire au service des fondations.
Il provoqua donc près du roi la suppression de la maison
des Célestins, en demandant que le produit de la liqui-
dation fût affecté à la dotation du séminaire de charité
de Saint-Simon. La suppression fut ordonnée le 9 dé-
cembre 1774; les cinq religieux restants reçurent une
rente viagère de 1900 # avec laquelle ils furent autorisés
à terminer leur vie sous l’habit de prêtre séculier, et la
liquidation des biens fut confiée à l'abbé Hémetout, par
arrêt du Conseil en date du 8 mai 1775.
La ruine imminente vers laquelle marchaient les Cé-
lestins était cachée sous une apparence de fortune encore
imposante. Car tous leurs anciens domaines leur étaient
restés, mais grevés de dettes et de charges écrasantes.
L'inventaire dressé contradictoirement par le liquidateur
et par les religieux, le 28 mai 1775, constate qu’à celte
* La suppression des couvents des Célestins se fit successivement.
Celle de la maison de Paris eut lieu en 1779. Leur charmante
église et leur monastère furent attribués aux Cordeliers ; mais ces
derniers n’y restèrent pas longtemps et rentrèrent dans leur première
° maison.
_
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 497
date le monastère possédait 29 maisons à Metz, peu im-
porlantes, il est vrai, puisque l’ensemble de leurs loca-
tions ne dépassait pas 9000 # ; 16 pièces de terres et de
vignes, louées ensemble un peu moins de 1000 ; 9 mé-
tairies à Ancy, Ars, Sey, etc., formant 206 mouées et
demie; 10 fermes, représentant près de 500 hectares;
105 cens en argent, 13 en vin et quelques-uns en blé.
Mais à la suite de cet actif venaient un grand nombre de
rentes passives et de cens passifs, du remboursement
desquels le liquidateur s’occupa activement. Tout fut
vendu publiquement, la bibliothèque contenant 2000
volumes, le mobilier qui était chétif et piteusement dé-
pareillé, tout, enfin, jusqu'aux cendres du feu.
Puis, le 7 septembre 1778 parurent des lettres patentes du
roi Louis XVI, qui disposèrent définitivement du reliquat,
encore assez important. Le roi attribuait 3000* de
rente au séminaire Saint-Simon , 1200” de rente viagère
à chacun des quatre frères restants. Il consacrait une
rente de 2400 # à donner des bourses à six fils de gentils-
hommes pauvres pour les élever de sept à seize ans, et une
autre de 1 800 à l'éducation de six jeunes filles nobles dans
des couvents, de sept à dix-huit ans. 15000# étaient consa-
crées à la libération des dettes de l’hôpital Saint-Evre, les
bâtiments claustraux étaient laissés à la disposition de
l’évêque, et le service des fondations de messes, au
nombre de près de 600, transporté au séminaire.
Dès le jour du départ des Célestins de leur monastère,
celui-ci s’était trouvé en situalion de répondre à un be-
soin sérieux. Le 4 février 1774, le feu avait pris à l’hô-
pital militaire, et la destruction de ce magnifique établis-
sement avait été presque complète. Les soldats malades
avaient trouvé un asile provisoire dans l’hôpital des pères
de Saint-Georges ; mais cet asile était insuffisant et l’en-
combrement des malades causait de graves préoccupations.
63 -
498 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
Les vastes constructions des Célestins pouvaient être utili-
sées de la manière la plus heureuse pour venir en aide à
cette situation fâcheuse. Aussi furent-elles rapidement
appropriées à ce nouvel usage, et elles le remplirent
pendant deux années environ, jusqu’à ce que lhôpital
militaire, sorti de ses ruines, eût élé rendu aux malades
de la garnison. Ce fut le 16 décembre 1776 que cette
occupation temporaire cessant, la maison fut remise au
régisseur général des biens du couvent, l’abbé Hémetout,
au nom de Monseigneur l'Évêque. Un capitaine d’artil-
lerie continua seul à en occuper une partie, au prix
annuel de 208f.
Après quelques années, pendant lesquelles le monastère
des Célestins ne semble pas avoir été beaucoup utilisé,
intervint entre l’évêque et le roi un arrangement en vertu
duquel il fut de nouveau occupé par un service public.
D'après celte convention, l'abbé Hémetout en fit, le
15 août 1785, la remise à M. l’intendant Dupont, chargé d’y
installer le magasin des effets de campements du Roy, et
diverses modifications’ furent aussitôt introduites dans les
dispositions du couvent. D'abord, comme une partie de la
maison reslait sans emploi, elle fut divisée en lots et
vendue à des particuliers ; ensuile on établit un nivelle-
ment général dans tout le lerrain, et comme l’église et le
cloître se trouvaient environ de deux mètres en contre-
bas des bâtiments conventuels et du jardin, on ra-
chela cette différence par deux mètres de remblai, qui
déshonorèrent dés lors l’église en rompant l’harmonie de
ses proportions et en lui donnant cette apparence écrasée
qui nous à choqués en elle. Puis on posa un plancher à
égale hauteur du sol et des voûtes. Les vitraux dispa-
* Plan de 1785, aux archives de l'arsenal du génie.
Plan de 1811, idem.
Plan de la mar. \
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Rue du Cambout
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des signatures de M'SHemetout et
à la date du 15 Juin 1785
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Dupon {
(Auæx archives du Genu
PPT |
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NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 499
rurent et furent remplacés par de la maçonnerie. Les
autels de pierre et les tombeaux furent brisés, les stalles,
la chaire et le reste du mobilier vendus. Enfin l'église
de Bertrand le Hungre précéda de huit ans les églises ses
sœurs dans une désolation et un abandon qui, pour ne
pas avoir été inspirés par une même fureur sacrilége,
n’en furent pas moins complets. Les souvenirs de piété
qui y vivaient encore, le respect dù à dix générations des
familles les plus illustres de Metz qui lui avaient de-
mandé leur dernier asile, furent impuissants à le pré-
server de la dévastation. On en fit un obscur magasin.
La Révolution ne modifia rien à la situation du couvent
des Célestins, sinon qu’au lieu d’en être locataire, l'État
en eut la propriété. Le service des campements y resta
jusqu’en 1811, année où, par décision impériale, il
fut attribué à l’arsenal du génie, créé par ordonnance du
2 février 1808, mais dont la réalisation avait subi quel-
ques retards. Le génie en prit possession le 25 mars
4811 et y installa immédiatement ses services. Le cloître
fut détruit ainsi que la chapelle Saint-Sébastien, à la place
de laquelle on planta un jardin , et l'église se transforma
en forge. La caserne de la compagnie d’ouvriers fut établie
dans les bâtiments voisins de la rue des Célestins, rue qui
venait d'échanger son nom contre celui de rue de la
Gendarmerie, et dans une maison voisine qui avait
été détachée du couvent en 1785 et qui fut rachetée
avec cette destination. L'établissement prit alors l’aspect
que nous lui voyons encore, sauf quelques construc-
lions neuves qui s’élevèrent peu à peu, aspect qu’un
Nous avons retrouvé dans les décombres provenant d’une fouille
faite dans l’abside, un grand nombre de fragments de clochetons,
de pinacles, de petits chapiteaux qui ne donnent que trop de preuves
de cette brutale destruction. Du reste, nous savons bien qu’il n’en
faut accuser que l'esprit de ce temps si dédaigneux de l’art gothique.
500 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
plan général d'amélioration heureusement combiné ne
tardera pas à modifier sensiblement.
Il faut maintenant parler de l’église et donner quelques
appréciations sommaires sur le caractère de son archi-
tecture.
Voici l’état dans lequel, à une époque bien voisine de
la suppression du monastère, vers 1760, 1l se présentait
aux yeux du visiteur. Cette description nous est donnée
par Dom Sébastien Dieudonné, dans un volume manus-
crit qui, après avoir fait partie de la collection de Dom
Nicolas Tabouillot, appartient maintenant à la bibliothé-
que de la ville sous le n° 1459-72 :
« Sous le parvis de la grande porte de l’église, à droite
en entrant, on voit contre le mur un beau mausolée
d'ordre dorique, dont le fronton élevé à douze ou quinze
pieds de haut est soulenu par quatre colonnes cannelées
de même ordre, de six pieds de haut. Elles sont élevées
de terre de quatre pieds, tant sur de grandes bases en-
richies de sculpture que sur deux consoles dans le mi-
lieu, posées sur une grande tombe de marbre noir, mise
sur son arête de côté et inclinée contre le mur. Entre
les deux colonnes du milieu de ce monument en pierre,
on voit l’épitaphe an 4547, en caractères gothiques, sur
une lame de marbre noir. Sur la frise de l’établissement,
au-dessus des colonnes, on lit cette devise : ENDVRER POVR
DvrER. Au-dessus de cette frise, dans le milieu du mo-
nument, on voit les armes en grand de Heu et de
Brandebourg, ayant deux anges assis pour supports!.
L’écu est surmonté de deux casques affrontés ornés de
* C'était le tombeau de Nicolle IV de Heu, fils de Nicolle III, che-
valier, maître-échevin en 1485, et de Marguerite de Brandenbourg,
lequel fut chambellan de Charles V, maître-échevin en 1598 et
aman de Saint-Jean, et mourut sans alliance le 25 août 1547.
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 501
leurs lambrequins, et de chaque côté sont les alliances
de cette maison *. » Viennent ensuite deux autres des-
criptions de tombeaux des familles l’Escot et Roucelz : il
est dit que les épitaphes sont ornées de très-belles sculp-
tures sur marbre gypseux.
« A l'entrée de l’église, à droite, il y a un beau bé-
nitier, en cuvelle ovale de deux pieds de long , large d’un
pied et haute de dix pouces, de marbre brèche vert de
Campan mêlé de brun et de blanc très-beau. À l’entrée
du chœur on voit une statue, de grandeur naturelle, re-
présentant sainte Anne assise, tenant sur son genou droit
la sainte Vierge assise à moitié sur le genou de sa mère.
Dans cette attitude, la Vierge tient de sa main droite la
main gauche de l’enfant Jésus, nu et debout, ayant le pied
gauche sur la cuisse gauche de sainte Anne et le pied droit
sur le genou gauche de la sainte Vierge. L’enfant Jésus,
caressé par sainte Anne, qui l’envisage avec une satisfac-
tion bien exprimée , semble aimer mieux retourner avec
sa mêre à laquelle il tend les bras. Ce groupe est original
pour les attitudes. » Puis vient la description d’un grand
tableau représentant le vœu de Louis XIIF, et par consé-
quent moderne, qui est dit « être de bonne main. »
«a L'église des Célestins est fort humide et très-obscure.
Elle est d’une figure singulière : la nef esl soutenue par
quatre piliers carrés, arrondis sur les angles. Les voûtes
des collatéraux sont aussi élevées que celles de la nef,
de vingt-cinq pieds au plus. Le maître-autel, placé dans
le fond du chœur, est remarquable par sa belle dorure
el sa composition. On voit au milieu du chœur un beau
lutrin en cuivre, posé sur un socle de marbre gypseux.
Trois figures, qui sont la foi, l'espérance et la charité,
‘ Voir le Recueil des épitaphes de D. Séb. Dieudonné. Bibl. de
Metz, mss.
502 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
sont droites, adossées et servant de base audit pupitre,
dont le porte-livre est placé au-dessus des figures et
tourne à volonté. Cette pièce est remarquable.
» Dans la sacristie il y a un monument ancien, espèce
de retable d’autel, dont la belle dorure et les attitudes
des figures sont remarquables. C’est une descente de
croix enfermée dans une espèce de boîte de quatre à
cinq pieds de hauteur sur trois de large. »
Le plan de l’église et ses dimensions sont donnés
approximativement. Du cloître, il n’est rien dit, sinon
« qu’il est du quatorzième siècle, et rempli de monu-
» ments. » L'auteur donne ensuite une description inté-
ressante de la salle capitulaire.
« Le chapitre de ce monastère, qui est de trente-cinq
pieds de profondeur sur quarante de large, forme une cha-
pelle bien voûtée, dans laquelle on voit de belles peintures
dans tout le fond. La voûte est portée sur un seul pilier
auquel est incrusté un pupitre de pierre... La hauteur est
de dix-huit pieds sous voûte. Les peintures forment deux
tableaux+ Le premier contient le calvaire, à droite ; le
second représente le mystère de la résurrection, à gauche.
Ces peintures sont à fresque. Le second est sur un beau
fond d’or... La croix du Sauveur a dix pieds de haut.
Toutes les figures qui accompagnent ces tableaux sont
de grandeur naturelle et remarquables par la singularité
des habillements. Au bas du premier tableau on voit les
armes des Louve... )
Au moment de la démolition qui vient de se faire,
l'étude de l'architecture de l’église donnait encore lieu
à des remarques intéressantes. En voici quelques-unes
empruntées, en parlie, à des notes descriptives que notre
confrère, M. Aug. Prost, a réunies pour une étude géné-
rale sur les monuments de Metz, et qu’il a mises, avec
le plus aimable empressement, à ma disposition.
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 503
La voûte du chœur (construit de 1404 à 1407), était
abatiue. La crête des murs latéraux était abaissée de près
de -deux mètres, de manière que la pointe des ogives
des travées était coupée. A cette hauteur, un toit avait
été établi sur une charpente et un plancher posé à peu
près à demi-hauteur. Les contre-forts qui soutenaient
les murs à l'extérieur étaient ainsi coupés par le haut.
- C'était par cet ancien chœur qu'avait lieu l'entrée de la
forge. Dans chacune des travées du chœur était ouverte
une lancette ogivale, mais elles étaient murées, et les
meneaux, ainsi que le réseau, avaient disparu de la
plupart. On pouvait cependant reconnaître, à l’une de
ces lancettes, moins mutilée que les autres, que les me-
neaux étaient sans bases et sans chapiteaux. Il n’y avait
pas de chapiteaux non plus aux tores qui encadraient
l’ogive, mais au point où la colonnette se courbait pour
former l'arc, le tore, rond jusque-là, présentait à sa partie
antérieure une petite facette.
Les travées du chœur étaient séparées les unes des
autres par des faisceaux de colonnetles: trois entre les
travées de l’abside, cinq entre les travées du chœur.
Ces colonnettes, vers le milieu de leur hauteur, rencon-
traient un cordon à moulure saillante qui régnait le long
des murs et sur lequel 1l semble que reposait la base
des fenêtres. À ce point de rencontre le cordon, con-
servant son profil, formait des anneaux autour des
colonnes.
Ces faisceaux de colonnettes, trés-élancées, soutenaient
les nervures de la voûte. La mutilation de leur partie
supérieure pouvait d’abord laisser penser qu’on avait
détruit les chapiteaux qui les couronnaient; mais la re-
marque que ces colonnettes aflectaient une légère cour-
bure au-dessous de la partie détruite, et présentaient en
même temps une facette comme celle du tore, à leur
504 HISTOIRE. — ARCIIÉOLOGIE.
partie antérieure, permet d'affirmer que les faisceaux de
colonnettes n'avaient pas de chapiteaux, et qu’elles se
courbaient elles-mêmes pour former les nervures de la
voüle.
Ainsi, celte architecture de 1504 était caractérisée par
l'absence complète de chapiteaux et par la forme destores,
ronds quand ils étaient verticaux, et portant une facette
antérieure quand ils formaient des arcs.
Les faisceaux de colonneltes qui séparaient les travées
ne laissaient point voir de bases, mais une fouille, pra-
tiquée à deux mètres de profondeur, a mis au jour
ces bases, dont l'exécution était remarquable. Ces
bases se retrouvaient er partie sur deux socles en culs-
de-lampe très-curieux, sur lesquels s’arrêtaient, à hauteur
du cordon, les faisceaux de colonnettes de la première
travée, au lieu de descendre jusqu’à terre. Cet intéressant
détail d’architecture méritait d’être ici reproduit.
La partie située en arrière du chœur, et dont les
voûtes étaient intactes, était ce qu’on appelait l’église
basse. La voûte avait une douzaine de. pieds de moins
que celle du chœur. Le relèvement du sol lui donnait
l'apparence d'être très-écraste. Elle se composait de trois
nefs égales, ayant chacune trois travées. D’après les dates
écrites, la nef du milieu serait celle qui aurait été bénie
en 1376, le collatéral gauche daterait en partie de 1389,
et celui de droite de 1409". |
Ces trois nefs étaient si semblables à l'aspect, qu’il eul
été difficile d'admettre, si on n’en eut pas eu la preuve
écrite, qu'elles n’avaient pas été élevées en même temps.
* Mais il avait fallu reconstruire ce dernier en 1649, car une
clef de voûte portait cette date. On reconnut, du reste, à un autre
signe, lors de la démolition, que la construction était d’une autre
époque. La voûte avait sept centimètres d’épaisseur de plus.
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NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 05
Dans cette partie de l’église l’ogive était sensiblement
construite sur le triangle équilatéral. Il n’y avait pas, en
général, de chapiteaux, et les bases étaient enfouies sous
le sol. Les nervures des voûtes sortaient des angles des
quatre piliers carrés du centre et des pilastres quadran-
gulaires appuyés au mur. Ces piliers carrés étaient très-
bas, de six pieds environ au-dessus du sol, ce qui leur
donnait une hauteur réelle de douze à treize pieds. Ils
étaient formés par des assises de pierre de taille, et leurs
angles arrondis en forme de tore vertical. Ce 1ore, en se
courbant à la naissance de l'arc pour former la nervure
de la voûte, s’allongeait quant à son plan de section et
formait une petite facette.
Les clefs de voûte étaient, pour la plupart, ornées de
jolis médaillons à personnages d’un très-bon style. Quatre
ont été sauvés, grâce à l’exquise bienveillance de MM. les
officiers placés à la tête de l'arsenal. Ils ont été apportés
au musée archéologique de la ville et seront tout à l’heure
l’objet d’une description spéciale. |
J'ai dit qu’en général il n’y avait ni colonnes ni cha-
piteaux dans la nef. Cependant on y trouvait exception-
nellement en deux endroits, dans la partie du collatéral
gauche bâtie en 1389, des colonnes sur lesquelles reposait
la nervure de la voûte. Les chapiteaux étaient ornés de
feuillages et surmontés de tailloirs octogonaux.
En avant de l’église, sur la rue de la Gendarmerie,
est encore debout la partie qui comprenait le portail et
la voûte qui y touche, bâtie en 1420. Cette partie est
séparée de l’église par un mur. Elle doit être détruite
l’année prochaine.
Les piliers voisins de la nef sont ornés de chapiteaux
qui se raccordent à ceux de deux colonnes sur lesquelles
viennent retomber les nervures de la voûte. Ces chapi-
eaux sont remarquables par leur forme évasée et par
64
506 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
Vart avec lequel est fouillée la pierre dans les feuilles de
chou frisé qui les ornent. Ils sont surmontés de tailloirs
oclogonaux.
Le peu qui restait de meneaux aux fenêtres indiquait
qu'ils étaient en lores ronds, sans chapiteau ni base,
et qu’ils formaient deux ogives trilobées géminées sur-
montées d’une rose peut-être quatrilobée. L'aspect lourd
et écrasé de cette nef ne faisait que mieux ressortir
l'élégance des proportions qu'avait conservée le chœur,
malgré le relèvement de son sol.
J'ai dit que quatre médaillons à figures ornant les
clefs de voûte avaient été détachés avec soin au moment
de la démolition de l’église basse, el étaient venus en-
richir notre musée archéologique. Ces médaillons, qui,
par la place qu'ils occupaient, doivent dater de la re-
construction de 1389, sont ronds et ont environ quarante
centimètres de diamètre. Ils représentent : le premier,
la sainte Vierge assise dans le ciel au milieu du rayon-
nement du soleil et des douze étoiles, ses pieds appuyés
sur la lune. Elle tient dans ses bras l’enfant Jésus qui se
presse sur son sein.
Le second, la sainte Vierge couronnée par son divin
fils, « vens amica mea, venr coronaberis. »
Le troisième, deux personnages couronnés, sous les
traits, l’un d’un homme âgé, l’autre d’une jeune femme,
séparés par un petit autel et élevant les mains vers le ciel.
Je crois y trouver une représentation symbolique du
mariage de la Vierge.
Le quatrième, deux saintes, dont l’une est facile à
reconnaître pour sainte Catherine, à la roue et à l’épée
qu’elle tient dans ses mains; l’autre, qui est sans doute
sainte Barbe, tient une croix et une sorte de calice cou-
vert ou de petite tour. Ces médaillons étaient revêtus de
couleurs dont les traces sont encore parfaitement recon-
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 507
naissables: le bleu et le rouge y dominent, l'or y est
employé avec une grande richesse.
La fouille qui a été exécutée dans l’abside pour recon-
naître la profondeur du sol de remblai, a mis au jour
des débris nombreux, mais n'ayant que peu d’impor-
tance, tels que des fragments de chapiteaux en marbre
de Paros du tombeau des de Heu, tel que des portions
de pinacles et de pyramides en pierre blanche très-
délicatement sculptés. Enfin, on a trouvé contre le mur
une superbe épitaphe du seizième siècle en beaux carac-
tères en relief, dont voici le texte, qui a été donné d’une
manière incomplète par M. d'Hannoncelles, dans Metz
ancien (t. II, p. 233) :
« Devant ce present autel saint Nicolay dessoubs la
» tumbe armoiriée des armes des Roucelz gist noble
» escuyer s' Jehan Roucelz chir, en son vivant echevin
» du Palais de Metz, fils sr Werry Roucel chir et de dame
» Anne de Bairbay, lequel morut le ïïije jour du mois
» d'octobre xpxxi.
» Pries Dieu pour son âme. »
Cette épitaphe et les quatre clefs de voûte ont été
déposées au musée de la ville. Nous pouvons nous
attendre à le voir s'enrichir d’autres fragments encore,
lorsque les nouvelles constructions du génie motiveront,
l'an prochain, des mouvergents de terre au-dessous du
sol actuel.
Nous arrivons, enfin, à parler des monuments histo-
riques auxquels se rattache le nom des Célestins. Voici
ce qu'en disent les Bénédiciins dans leur Histoire de
Metz (préface, p. IX) :
« Au quinzième siècle, Nicole de Lutange, prieur des
Célestins, écrivit la chronique de son monastère; il y
inséra ce qui s’était passé de remarquable dans le pays
messin. Le manuscrit, conservé dans la bibliothèque des
508 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
PP. Célestins, contient trois parties : 1° un traité des droits
que l’empereur avait à Metz, et une liste des maîtres-
échevins ; 2° un journal depuis 1396 jusqu’en 1489;
3° un recueil d’anecdotes de différentes mains jusqu’en
1525. |
» Les Célestins possèdent encore une autre petite
chronique qui finit en 1619, et qui peut servir de suite
à la première. ».
Au sujet de cette seconde chronique, on trouve dans
le tome II, p. 215, les détails suivants: « La petite
chronique des Célestins finit à la guerre des Parpaillots,
en 1619. Elle est d’un protestant messin jusqu’en 1587;
le reste est d’un catholique, l’un et l’autre personnages
tranquilles et de bonne foi. »
La première question à se faire est celle-ci: Est-il
possible de découvrir ce que sont devenues ces chro-
niques, et peut-on les rapprocher avec quelque certitude
de cette Chronographie des Célestins de la bibliothèque
de Metz, qui a servi de base à cetle étude? Notre confrère,
M. Aug. Prost, qui a suivi avec tant de persévérance
et d’érudition les traces de nos chroniqueurs messins, à
travers les bibliothèques de l’Europe, a bien voulu me
transmettre à ce sujet la note suivante, qu’il a recueillie
. dans ses recherches parmi les manuscrits messins de la
bibliothèque d’Epinal :
« La chronique des Célestins a été brûlée en 1771.
» Elle contenait les faits généraux de l’histoire de Metz
» et les faits particuliers qui regardaient le couvent. Mal-
» heureusement ces détails parurent odieux et désho-
» norants pour l’ordre à un Père Célestin qui a brûlé
» la chronique entière en 1771. »
» Celle note a été écrite par D. Jean-François, en
marge d’un extrait de cette chronique que je trouve dans
un Recueil de la bibliothèque d’Epinal.
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 509
» Ïl résulte d’une description qui accompagne cet extrait
que la chronique brûlée en 1771 était un mss. de plu-
sieurs mains, des quinzième et seizième siècles, et qu’elle
contenait : 1° les droits de l’empereur; 2° une liste des
maîtres-échevins, conforme à celle qui est au commen-
cement de la Chronique du doyen de Saint - Thicbault,
jusqu’en 1395 ; 3° la chronique desCélestins, proprement
dite, de 1366 à 15925. Cette chronique avait été com-
mencée par Nicole de Lutange, reçu en probalion dans
le monastère en 1396, et mort en 1439.
» La partie de la chronique allant de 1366 à 1465, était
d’une seule et même main dans le manuscrit détruit en
1771. C'était, par conséquent, non pas un autographe
de Nicole de Lutange, mais une copie comprenant son
œuvre et celle d’un ou de plusieurs continuateurs
(1458-1465).
» Le reste du manuscrit était de deux autres mains :
l’une pour la partie allant de 1465 à 1508, l’autre pour
la partie de 1517 à 1525.
> Dom Dieudonné et Dom Brocq, qui avaient vu au
siècle dernier le manuscrit brûlé en 1771, en donnent
des descriptions qui ne coïncident pas parfaitement avec
ce qui précède. Suivant Dom Brocq, la chronique allait
jusqu’en 1550, et suivant Dom Dieudonné elle était dans
le manuscrit suivie d’un vieux nécrologe mentionnant les
gens enterrés dans la maison depuis 1372. »
M. Auguste Prost termine en se demandant si le ma-
nuscrit de la bibliothèque de Metz n’est pas le reste d’une
copie de celui qui a été détruit. Il n’est pas, Je le crois,
difficile de répondre à cette question. Je vais essayer de
le faire. |
La bibliothèque de Metz possède, dans ses manuscrits
(159-792), un volume intitulé : Mémorres sur Metz, par
Dom Sébastien Dieudonné, t. LIT {ex manuscriptis D. Ni-
510 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
colai Tabouillot), et contenant diverses pièces relatives
à l’histoire de notre ville et à ses monuments. Ce ma-
nuscrit, si souvent et si utilement consulté, contient, à
la page 151, un extrait de la chronique des Célestins
dont voici le début :
« Extrait de la chronique du monastère des Célestins
» dont la première page commence ainsy :
» Li sire Regnier le Bagues 1307 ;
» Li sire Gille Trabuchat 1311. Si faillont li cheval-
» liers. Li sire Thiebalt de Heu 1314, etc... »
Cinq pages sont remplies par des extraits empruntés à
la première partie de la chronique et comprenant des
noms de maîtres-échevins avec diverses indications his-
toriques, et elles se terminent par cette observation :
« Cette suite des maitres eschevins finit à l’an 1395 en
» laquelle année il place & sire Nicole de Mitry. »
Vient ensuite la généalogie de Bertrand le Hungre, qui
commence ainsi, avec un caractère de parfaite authen-
ticilé :
« In nomini patris, etc. — En cestuy present livre
trouvereis denomées cials et celles qui sont yssus et des-
cendus de Bertran le Hungre, citains et amans de la cité
de Mets et premier fondour dou monastere des Célestins
dou covent de Mets, composey et escript par memoire
par freire Nicole de Lutange procurour dou dit monas-
tere si come il lait oit dire et qu’il en ait esteit informeis
par les hoirs du dict Bertran, etc... »
Cette généalogie occupe six pages ; puis vient une
série d'extraits de la chronique proprement dite.
On y trouve, à la feuille 157 (vw), les indications
biographiques suivantes, relatives à l’auteur de cette
chronique ‘
: Frère Nicole de Lutange appartenait à une famille messine que
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 511
« Frère Nicole de Lutange fuit ressu pour novice, le
jour de la St Remy, 1er octobre, l’an 1396, et fit profes-
sion l’année suivante. ..…….
» En 1397, le 4er octobre, fit profession f. Nicolle de
Lutange, en la quelle année fuit constituey et ordoney
procurour de ceians, onquel office ait esteit par l’espasse
de xl} ans ou environ, en se exercent loudablement per
bonne prudence et bonne discretion en tant qu’il apar-
tenoit à son dit office de procuracion c’est assavoir Jus-
qu'au vije jour de 76 l’an 1438 en la quelle ïl fut
constituey priour de seans, per le R. P. en Dieu f. Jehan
Bassan après le decès de R. P. f. Ode le roy et perse-
veroit hounorablement jusqu’au jour qu’il morut, cest
assavoir le xvije jour du mois de mai 1439... » (Il paraît,
par tout cet exposé, que la chronique des Célestins est
écrite depuis cette année par une autre main que celle de
f. Nicole de Lutange.) Note de D. Dieudonné.
Les extraits de la chronique reproduits dans le manus-
crit de Dom Dieudonné s’étendent jusqu’à l’an 1531.
On y trouve encore un peu plus loin, et toujours de
sa main, une nouvelle reproduction de la première partie
du manuscrit des Célestins. Cette reproduction, qui est
complète cette fois et sans lacune, est précédée de l’in-
dication que voici :
« Ainsy commence la cronique des Celestins qui fait,
ce me semble, dabord le catalogue des maitres eschevins
de la ville de Metz dès l’an 1307 jusqu’en 1395 inclusi-
vement, rapportant à chaque année les evenements re-
marquables qui s’y trouvent. »
Vient ensuite la liste des maîtres-échevins depuis « li
M. d'Hannoncelles dit /Metz ancien, Il, 172) avoir été du paraige
de Jurue et une des branches de la famillesde la Court. Elle était
alliée aux Gournay.
319 HISTOIRE. —— ARCHÉOLOGIE.
sire Regnier le Bagues en 1307 », jusqu’en 1395, année
où elle place « li sire Nicole de Metry », et elle est ter-
minée par celte annolation de D. Dieudonné : « Icy finit
le catalogue de la suite des maitres echevins de la ville
de Metz. C’est dommage qu'il y ait des feuillets perdus
qui sans doute allaient plus loin. »
Maintenant, armé des documents contenus dans le
manuscrit de Dom Dieudonné, y a-t-il quelque difficulté
à répondre à la question posée par M. Auguste Prost sur
une identité possible d’une partie du manuscrit brûlé
en 1771 avec le manuscrit de la bibliothèque dont nous
avons parlé ?
Il n’y en a aucune, et la comparaison des deux textes,
pour les parties comprises dans les extraits de D. Dieu-
donné, permet de répondre dés le début, et sans hésitation,
que ces deux manuscrits contiennent un seul et même
récit identiquement reproduit de l’un sur l’autre. On pour-
rait même aller plus loin dans ces conjectures, si l’on
voulait admettre qu’une erreur de lecture ou une incorrec-
tion d'écriture ait fait confondre un 5 avec un 9 dans la
date où, selon D. Dieudonné, s’arrête l’écriture d’une niême
main dans le manuscrit original. En effet, d’après la note
de M. Prost ce serait en 1465 que s’arrêterait cette partie,
tandis que dans notre manuscrit elle se prolonge jus-
qu’en 1469. Mais si l’on voulait admettre cette erreur
d’un 5 substitué à un 9, on pourrait ce me semble,
sans témérité, en tirer une conséquence assez frappante.
D'abord l'écriture est bien évidemment de la fin du
quinzième siècle. Ensuite, fait bien digne de remarque,
la reliure qui renferme la chronique, renferme, avec elle
et à sa suite, une note manuscrite contenant un histo-
rique abrégé du monastère, qui paraît évidemment,
d’après son style, avoir été écrite par un religieux ; note
qui est postérieure à 1771, puisqu'elle contient l’indica-
NOTICE SUR LE COUVENT DES CÉLESTINS. 513
tion d’un arrêt du conseil d’État rendu cette année même.
YŸ aurait-il donc trop de présomption à admettre, en
présence de ces faits, que la date 1465 pourrait être lue
4469 dans la note de D. Dieudonné, et à en tirer,
comme conséquence, que la précieuse chronique du mo-
nastère ayant été lacérée et en partie livrée aux flammes
par l’acte irréfléchi et déplorable d’un religieux, ce qui
en restait aurait été recueil, complété par une note
historique sommaire, relié à neuf, sous un titre plus ou
moins heureux' et replacé, sous ce nouveau titre, dans la
bibliothèque du couvent, à la suite de cinq autres vo-
lumes relatifs à l’histoire ou aux antiquités de cette ville;
qu’à la suite de la suppression du couvent et de la vente
publique de la bibliothèque ce volume serait passé, au
prix modeste de 3*, prix marqué sur la couverture, dans
les archives de lhôtel de ville, origine indiquée par
M. Clercx dans son Catalogue des manuscrits de notre
bibliothèque ? Quoi qu’il en soit de cette conjecture, que
l’on peut trouver hasardée, 1l est indubitable que le vo-
lume intitulé la Chronographie des Célestins contient,
sinon l'original, du moins la copie d’une partie de la
Grande Chronique des Célestins par Nicole de Lutange et
par ses continuateurs.
Dom Dieudonné nous apprend qu’à la suite de la chro-
nique se trouvait un vieux nécrologe mentionnant Îles
personnages enterrés dans la maison. M. d'Hannoncelles
(Metz ancien, I, 179) a reproduit la partie de ce nécrologe
qui concerne le quinzième siècle, de 1390 à 1496. Nous
trouvons, dans le volume manuscrit précilé de Dom
* Ce volume porte sur le dos le titre : Monuments précieux — de
Metz — tome VI. Les tomes I, II et V de cette collection sont main-
tenant dans la bibliothèque de Saint-Dié. (Voir le Cutalogue de
M. Clerex, p. 65). Il n’est point parlé des tomes IT et IV.
65
514 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
Dieudonné (159-792), la note suivante, qui confirme encore
l'existence de ce nécrologe:
« Les eglises ruinées aux faubourg de Metz depuis
>» l’année après l’incarnation 14552: Le catalogue suivant
» se trouve à la fin de l’ancien necrologe des Celestins. »
Vient à la suite l’énumération de ces monuments, cha-
pelles, églises .et couvents, au nombre de trente-quatre.
Et la note se termine par cet autre renseignement qu’on
a le droit de n’accepter que sous bénéfice d'inventaire :
« L'an 1552 fut tiré 15895 coups de canon au siége de
» Metz. »
Telles sont les citations relatives aux Célestins que
contiennent les manuscrits, si riches en renseignements
divers, de la bibliothèque de notre ville.
EXTRAITS
DE LA
CHRONIQUE DU MONASTÈRE DES CÉLESTINS
DE 1371 À 1469.
(Manuscrit de la bibliothèque de la ville de Metz, écriture
de la fin du quinzième siècle.)
(MS. — N° 83. — 118.)
Page 1re. — Et après ceu que le dis Bertrand vit et apper-
çeut la conversation et la bonne devotion tant des deux premiers
frères que d'aultres qui furent venanz de France, il prit a avoir
plus grande desirr et vouletey dacroitre et de augmenter le lieu
et le monastere de seans. Maix il ne pooit avoir plaisse souffisant
pour ce faire, maix il acreut lesglise d'une voite encontre orient
comme il aparait si apres. Cair aultrement il ne poit faire, et ot
assavoir que le dis Bertrand fist abaitre tout la chapelle qu'il avoit
fait et edifier primierement et la fit de rechief edifier entre l'an
m cce Ixxj et Ixxij plus halte quel navoit estet devant et fit faire
üij portes, et en celle du meilieu fist led. Bertrand faire une tra-
veuer sus la quelle traveuer lez frères fasoiet loffice divin. Et le
grant atel si estoit par terre et estoit aussy ordonnez que lez frères
qui estiet suis la ditte traveuer veoiet le prestre et les ministres
quant on chantoit la grande messe. Et fit ledit Bertrand faire une
vote petite en costé la vote en la quel le grant atel estoit a la
partie ver aquilo questoit le secretaire on quel lez frères se re-
vestiet quant il vouloit aller dire messe. Et lez seculiers se teniet
par desoub ladite traveur et au demourant de la ditte esglise et les.
frères alloiet dou dorteur sus la travuer.
516 HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
Page 2. — Et quant la ditte esglise fut edifiée comme dit est,
et que elle est icy figurai le dis Bertrand se la fit de rechief dedier
par ung evesque prouchour : la quel chapelle demouroit en tel
disposition jusque à lan m.cce et Ixxv que le dis Bertrand aquastit
Ja maison Jehan Jaillée en Champ à Saille, en la quel année il fit
la dite esglise plus longe et plus large come elle apparoîit cy après.
Et ce assavoir que avet la terre que led Bertrand avoit donnez àdis
frères pour leur vivre come dessus, encor leur donoit il pour
chescune pain et vin tant qu'il lour en convenoit et que il en avoit
de besuing, etc.
Page 3.— L'an mille cecet Ixxj le vendrey devant feste sainct
George lequel vendredy fuit ycelle année le xviij® jour du moix
davril fit encor le devant dis Bertrand une aultre donation a des-
sus dis ij frères par ung escript en arche d'amans de Metz, de
la dite chapelle et dez apptenances dicelle et en fut amans Joffroy
Dex lamans de Saint Girgones. Et est assavoir que cest don